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Psychiatrie pratique : dépression, suicide, anxiété
La médecine générale, adossée au
modèle biopsychosocial de Hengel
(5) est à la fois une médecine de l’hu-
main et le lieu d’émergence des ma-
ladies (2). La dépression revêt plu-
sieurs définitions s’agissant le plus
souvent d’une entité en cours de
construction. Cet aspect dynamique
rend compte à son propos de la di-
versité des référentiels diagnostiques
et de sa variabilité épidémiologique.
La prévalence allant de 2 à 25 % (1),
selon qu’il s’agisse d’épisode aigu
grave caractérisé, de dépression lé-
gère ou modérée, d’humeur dépres-
sive ou de mal-être.
Quand le sujet est en rupture de
bien-être, de perte de sens, sortir de
son milieu social, familial ou profes-
sionnel pour aller voir son médecin
de famille, est l’une de ses solutions.
Lorsque devenu patient(e), le sujet
se plaint de troubles cognitifs ou
émotionnels, la situation est cohé-
rente et la cause peut même être
claire. Le sujet est capable de faire
son propre diagnostic. « Vous sentez-
vous déprimé(e) ? » est une ques-
tion simple pouvant permettre de
détecter une dépression débutante
(9). Sa valeur prédictive positive est
forte et permet par exemple d’explo-
rer les critères diagnostiques définis
par le DSM IV. On peut poser ainsi
un diagnostic dans le champ des
soins primaires, d’humeur dépressive
en lien avec la perte de sens du sujet.
En revanche, il est des situations
dans lesquelles la plainte physique
domine. Le corps vient alors aider le
patient à exprimer sa souffrance. Il
devient la porte d’entrée, l’expres-
sion de la rupture du sens du sujet,
de son mal-être. La souffrance n’est
pas inconsciente. Elle n’est tout sim-
plement pas admise. Le patient a du
mal à admettre le lien entre le visible
et l’invisible de Foucault (4). Le tra-
vail du médecin consiste à réinjecter
le symptôme visible de ce corps bio-
logique devenu le repère temporel du
couple vie/mort, objet de la souf-
france du sujet. Le praticien doit dé-
coder, reconnaître, l’invisible dans le
visible et repartir du réel. Il va tenter
de réinscrire la plainte somatique
dans l’histoire et l’économie vitale du
sujet qui lui s’inscrit à ce moment là
dans l’éphémère. Le symptôme est
un symptôme de négociation du dia-
gnostic. Il est en même temps une
porte vers le traitement de la mala-
die.
Dans le contexte du traitement du
patient dépressif en médecine géné-
rale, la double question se pose de la
prise en charge du sujet à partir de
son corps et du soin à lui apporter.
L’approche biologique, organique et
anatomique qui découle de la vision
réductionniste du XIXesiècle est une
possibilité. L’approche psychologique
avec la théorie psychanalytique de
Freud pour travailler sur le « Moi » ou
cognitiviste de Bateson pour tra-
vailler sur le « sujet » en est une
autre. Enfin l’approche sociologique
du « sujet » développée par Alain
Ehrenberg (3) ou du soi par Jean-
Claude Kaufmann (6), est aussi inté-
ressante. Elles permettent toutes au
médecin généraliste une approche
thérapeutique biopsychosociale com-
préhensive centrée à la fois sur le su-
jet et son symptôme dans son envi-
ronnement. Le médecin peut
proposer une liaison thérapeutique
entre l’âme (la psyché) et le corps
(soma). Il peut proposer au patient
une exploration du sens partant du
corps réel pour atteindre le corps
phénoménal décrit par Merleau-
Ponty (8).
Le médecin connaissant l’entourage
socioprofessionnel du patient et
s’inscrivant dans l’histoire de celui-ci
peut réintégrer des données déjà par-
tagées faisant toute la spécificité de
la prise en charge au long cours en
médecine générale. Il s’agit d’une pri-
se en charge globale dans le cadre
d’une approche holistique. Particula-
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt.
Médecin généraliste,
Université de Versailles Saint-Quentin (Yvelines)
Diversité des plaintes
dépressives
P. Chevallier