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La dépression : des pratiques aux théories 10
Synthèse
C. Arbus
Toulouse
La composition licterogène du groupe de réflexion reflète la diversité des
types de prise en charge gérontopsychiatrique sur le territoire national.
La réflexion a porté sur plusieurs dimensions de ces pratiques.
QUELS SONT LES MOTIFS
DE CONSULTATION ?
Le motif de consultation a été discuté.
Concernant la dépression, il existe peu
de demandes spontanées émanant du
sujet âgé lui-même. Cette population
semble plus réticente à évoquer une
tristesse de l’humeur, et à consulter un
psychiatre (profession dont la stigmatisation est plus marquée au sein des
anciennes générations). Le psychiatre
intervient volontiers à la demande de
l’entourage, ou du médecin traitant.
En revanche, la plainte mnésique
constitue un motif de consultation
fréquent. Cette symptomatologie
semble plus « acceptable » aux yeux
du sujet âgé.
LA CLINIQUE DÉPRESSIVE
CHEZ LE SUJET ÂGÉ
Comment caractériser la dépression
du sujet âgé versus celle du sujet jeuConflit d’intérêt : aucun.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
ne ? Le tableau est souvent atypique, la symptomatologie polymorphe. Les définitions critégorielles de la CIM-10 et du DSM-IV
correspondent à la dépression chez
le sujet adulte jeune.
Encore plus dans cette population
que chez l’adulte, il est essentiel de
porter un regard anthropologique sur
la représentation de la vieillesse – et
son impact dans la présentation clinique – à la fois chez le sujet âgé et
dans son entourage.
« Il ne fait plus rien » est une plainte
fréquente de l’entourage vis-à-vis du
sujet âgé. Cette assertion en cache
d’autres. Chacune amène un point
de vue particulier :
– « Il ne sait plus rien faire », ce qui
évoque un trouble détérioratif.
– « Il ne peut plus rien faire », évoquant plus volontiers la dimension affective.
– « Il ne veut plus rien faire », amenant à s’intéresser au fonctionnement systémique.
Il s’agira également de rechercher le
mode d’installation :
– Il peut être brutal, par exemple à
la suite d’une chute, événement signifiant au sujet son vieillissement.
Une dépression réactionnelle peut
alors apparaître.
– Il peut aussi être insidieux.
Le mode d’installation ne permet pas
d’orienter ou non vers une pathologie neurodégénérative.
La modification du caractère est souvent retrouvée au cours de la dépression du sujet âgé comme le montre la
fréquence des dépressions irritables
au sein de cette population.
Les éléments auto dépréciation sont
fréquemment retrouvés avec des intensités variées, notamment les idées
de ruine, la culpabilité, le sentiment
d’inutilité, d’inadéquation, la conviction d’incurabilité. La dépression
semble plus souvent s’exprimer avec
une tonalité mélancoliforme chez le
sujet âgé qu’à d’autres âges de la vie.
Le patient vieillissant et son entourage
estiment le sentiment d’inutilité normal, adapté à l’âge, et sont loin de lui
attribuer son caractère pathologique,
dépressif, comme ils le feraient s’il apparaissait chez un sujet plus jeune.
La souffrance morale est à rechercher avec beaucoup d’attention, en
raison de son importance pour le diagnostic et devant la difficulté qu’ont
la plupart des sujets âgés « d’avouer »
leur tristesse et d’accepter l’idée
qu’ils souffriraient de dépression.
Le groupe de travail ne reconnaît pas
de symptômes spécifiques à la dépression du sujet âgé. Tous les symptômes sont retrouvés dans cette po-
La dépression : des pratiques aux théories 10
C. Arbus
pulation. Elle n’apparaît pas comme
une maladie différente de celle du sujet adulte. Seule l’organisation de la
symptomatologie, son mode d’expression diffèrent.
QUELS INDICES POUR
LE DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :
DÉPRESSION DU SUJET ÂGÉ
VERSUS PATHOLOGIE
NEURODÉGÉNÉRATIVE ?
QUELS LIENS ENTRE
CES DEUX TROUBLES ?
Le cas clinique relaté pendant l’atelier
retrace l’histoire d’une patiente qui
présente un trouble dépressif récurrent et qui, à un âge avancé manifeste une dépression de tonalité différente qui résiste aux thérapeutiques,
se chronicise, ce qui fait alors évoquer un trouble neuro-dégénératif.
Ce cas clinique illustre une difficulté
à laquelle le psychiatre est souvent
confronté : celle du temps de l’évaluation neurocognitive chez le sujet
âgé déprimé. La dépression fait théoriquement surseoir cette évaluation,
difficile à mettre en œuvre une fois le
tableau devenu chronique. Ou alors
si elle est faite, l’évaluateur répond
qu’elle n’est pas interprétable du fait
de la sévérité des symptômes dépressifs. La sismothérapie plus fréquemment indiquée dans la dépression du sujet âgé oblige aussi à
différer l’évaluation neurocognitive
plusieurs mois après la dernière séance. Il semble pourtant y avoir intérêt
à pratiquer cette évaluation au cours
d’un épisode dépressif, ce qui permet
de suivre son évolution et d’orienter
ainsi le diagnostic, les performances
cognitives s’améliorant avec la symptomatologie dépressive au cours des
EDM caractérisés.
S 24
L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S23-S24
Dépression à début tardif > 60 ans
Handicap physique.
Ralentissement psychomoteur.
Déficits cognitifs et anomalies cérébrales.
Il existe une dissociation entre la
« dépression maladie » et la dépression à début tardif, se rapprochant du
concept de dépression vasculaire. Ce
type de dépression se distingue des
pathologies affectives récurrentes et
doit faire rechercher avec soin la piste démentielle même devant des
troubles cognitifs légers, l’évolution
vers une pathologie démentielle
étant plus fréquente.
Il semble capital :
– d’une part d’envisager un processus démentiel devant toute dépression accompagnée de troubles cognitifs cliniquement observables,
– et d’autre part de continuer à traiter ces patients comme des sujets en
souffrance morale, c’est-à-dire, ne
pas ignorer la dimension dépressive
dès qu’apparaissent les troubles cognitifs et la suspicion de trouble neurodégénératif.
La dépression peut être un prodrome,
mais aussi un facteur de risque de
démence.
La dépression quel que soit l’âge de
survenue apparaît comme un facteur
de risque de la démence. Une des hypothèses est celle selon laquelle la dépression est un facteur de risque indépendant des autres facteurs de
risque de démence par son effet neurotoxique dû à l’hyperactivation de
l’axe gluco-corticoïde, principalement dans les régions hippocampiques. Par ailleurs, quelle est la place
du repli dépressif, de la diminution
des interactions sociales de la dépression dans la genèse de la démence ?
Une autre hypothèse est celle des
facteurs étiopathogéniques com-
Dépression débutant avant 60 ans
Antécédents familiaux de trouble de l’humeur.
Trouble de la personnalité.
Conflits interpersonnels.
muns à la dépression et à la démence. La dépression peut apparaître
comme un prodrome de la démence.
Les circuits cortico-limbiques sont
altérés dans les deux pathologies :
existe-t-il des facteurs génétiques
communs ? On pourrait par exemple
rechercher la place de l’Apo-E dans
la genèse de la dépression.
À propos du concept de la dépression pseudo-démentielle : au cours
de ces dépressions tardives les symptômes cognitifs peuvent être améliorés par le traitement antidépresseur,
le sujet reste pourtant à risque d’une
évolution neurodégénérative.
LE TRAITEMENT
DE LA DÉPRESSION
DU SUJET ÂGÉ ?
Quelques idées majeures émanent de
cet atelier à propos de la thérapeutique de la dépression du sujet âgé :
– il faut chercher la rémission complète sinon l’impact fonctionnel
risque d’être majeur dans cette population fragile en cas de rémission
partielle ;
– les ECT sont le traitement de référence de la dépression sévère, de la
dépression résistante, et ce d’autant
plus que l’efficacité et la tolérance de
la chimiothérapie antidépressive
semble moindre chez l’âgé comparativement aux populations plus jeunes.
Même en cas de doute diagnostic
entre dépression et processus démentiel, le traitement de la dépression garde toute sa place.
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