> XPress 6 Noir L’Encéphale (2007) Supplément 5, S176-S179 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p Prévention : économie ou surcoût M. Tournier*, H. Verdoux *Service Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Charles Perrens, 121 rue de la Béchade, 33076 Bordeaux Cedex Introduction qui sont connues pour altérer le pronostic des troubles psychotiques. La prévention est un ensemble d’actions médicales et sociales spécifiques particulièrement opportunes à des moments critiques de la vie comme la période périnatale, l’adolescence, la vieillesse ou lors d’événements ou de situations fragilisantes comme le deuil, les traumatismes, les conflits au travail, la maladie d’un proche… Il peut s’agir d’actions propres à chaque pathologie ou d’approches transversales ciblant le stress, la promotion de la santé mentale, l’accès aux soins… Il existe trois types de prévention : Le regain d’intérêt pour la prévention est motivé par une meilleure connaissance des facteurs de risque des maladies psychiatriques, une meilleure évaluation des coûts humains et financiers des pathologies mentales ainsi que par une prise de conscience des conséquences somatiques des pathologies mentales en terme de morbidité et de mortalité toutes causes confondues. • la prévention primaire : son objectif est de réduire l’incidence des troubles psychiatriques en ciblant les facteurs de risque. Il s’agit d’actions telles que la déclaration obligatoire des grossesses et la mise en place d’un suivi médical ou le développement de la PMI ; • la prévention secondaire : vise à réduire la prévalence des maladies psychiatriques par le biais de mesures de dépistage et de traitement précoce de ces pathologies (dépistage des troubles psychotiques débutants, Prise en charge précoce des suicidants) ; • la prévention tertiaire a un triple objectif : éviter les rechutes, éviter le handicap et la symptomatologie résiduelle et garantir la réadaptation, par exemple, par la prévention des rechutes et des récidives dépressives par le recours aux traitements de maintien par antidépresseurs ou la prise en charge des comorbidités addictives Dans une étude récente [12] réalisée dans la population générale hollandaise active sur 5 504 sujets âgés de 18 à 65 ans, les auteurs ont essayé d’estimer les coûts directs (médicaux ou non) et indirects de la pathologie mentale. Ils concluent que le coût des pathologies psychiatriques est comparable à celui des maladies physiques, que les cas incidents représentent 40 % des coûts totaux et que la baisse de la productivité constitue 85 % des coûts totaux. Ces conclusions sont un argument fort pour une plus grande implication des employeurs dans la promotion de la santé mentale et dans la prévention primaire. Dans le cadre de cette étude, les troubles de l’humeur étaient les troubles les plus coûteux individuellement (5 009 euros/sujet). Les troubles anxieux étant plus fréquents, ils représentaient un coût total plus élevé (3 587 euros/sujet). Le coût de l’abus/dépendance à l’al- Coûts des troubles psychiatriques * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. 4509_14_Tour ni e r . i176 4509_14_Tournier.indd ndd 176 1 4 / 1 2 / 0 714:45:22 14/12/07 14: 45: 22 > XPress 6 Noir Prévention : économie ou surcoût cool est estimé à 1 431 euros par sujet [14]. Ces coûts sont deux à trois fois inférieurs au coût direct de la schizophrénie estimé à 11 871 euros/sujet [9]. Dans une étude menée en Angleterre, le coût global de la schizophrénie a été estimé à 6,7 billions de livres en 2004/2005 (9,9 billions d’euros) qui se répartit en coût direct (2 billions) et indirect (4,7 billions). Les coûts indirects, nettement plus élevés, sont représentés par la prise en charge médicale et sociale, les dépenses des familles (615 millions), les soins informels, la baisse de la productivité (3,4 billions), le coût des services judiciaires (1 million), la diminution de la productivité des aidants (32 millions) et les autres dépenses publiques [7]. L’Expérience de Gotland [10-14] Cette expérience menée dans l’île de Gotland (Suède) dans les années 1983-1984, constitue un bon exemple de prévention de la dépression. Elle part d’un constat : la dépression est une pathologie fréquente, sous-diagnostiquée, souvent traitée de manière inadéquate. Un programme de formation continue des médecins généralistes de l’île sur le diagnostic et le traitement de la dépression a été mis en place. Ce programme se déroulait sur deux journées et les thèmes abordés en conférence ou discussion de cas étaient assez classiques : sémiologie et classification, étiologie, traitement aigu et préventif, suicide, facteurs psychosociaux et famille. Le but de ce programme était d’évaluer l’impact de la formation médicale continue sur les indicateurs de santé publique en les mesurant à trois reprises en 1982 (une année avant l’instauration du programme), en 1985 et en 1988. Les bénéfices étaient une diminution très marquée des arrêts de travail pour dépression, une diminution de la fréquence des hospitalisations pour dépression (– 70 % en 1985, – 23 % en 1988), une augmentation des prescriptions d’antidépresseurs associée à une régression des prescriptions d’anxiolytiques (– 23 %) de sédatifs (– 8 %) et d’hypnotiques ainsi qu’une diminution de la morbidité et de la mortalité notamment par suicide (incidence divisée par trois en 1985). Ce programme représentait une économie de 26 millions de dollars pour la société et son coût ne représentait que 0,5 % des bénéfices engrangés. Cependant, les chiffres mesurés en 1988 montraient clairement une régression des résultats d’où la nécessité de répéter ce programme tous les deux ans. Programmes de dépistage précoce des troubles psychotiques : Beaucoup plus controversés, les programmes de dépistage précoce des troubles psychotiques partent d’un constat : un long délai d’accès aux soins est associé à un pronostic péjoratif. La majorité de ces programmes est fondée sur des critères symptomatiques et non diagnostiques et se situe en phase préclinique c’est-à-dire qu’ils ciblent des sujets présentant un trouble psychotique débutant mais 4509_14_Tour ni e r . i177 4509_14_Tournier.indd ndd 177 S177 n’ayant pas encore reçu de diagnostic. Ces programmes partent du constat qu’une longue durée de psychose non traitée est associée à un pronostic péjoratif. Leur hypothèse est donc qu’un traitement précoce permettrait d’améliorer le pronostic. Early Psychosis Prevention and Intervention Centre (EPPIC) [4] C’est le premier programme de ce type mis en place à Melbourne (Australie). Il ciblait des patients âgés de 16 à 30 ans ayant reçu le diagnostic de psychose débutante. Les objectifs étaient l’identification précoce de ces patients et leur traitement intensif pendant 2 ans. Ce programme disposait de moyens considérables : des campagnes médiatiques de sensibilisation, la formation de médecins généralistes, d’enseignants et d’agents sociaux à la pathologie psychotique. Il disposait également de trois équipes : une équipe mobile d’évaluation travaillant 24 h/24 h, un centre de soins ambulatoires et une unité d’hospitalisation de 14 lits. Cependant, l’étude de l’impact de cette étude n’a pas permis de démontrer une diminution de la durée de la psychose non traitée. Early Treatment and Intervention of Psychosis (TIPS) [5] Ce deuxième programme a été conduit en Norvège. Il s’agit d’une étude quasi expérimentale comparant un site appliquant le programme TIPS en Norvège à deux sites au Danemark et en Norvège n’ayant pas modifié leur organisation des soins. Les objectifs étaient un diagnostic précoce des troubles psychotiques débutants et l’initiation d’un traitement antipsychotique à faible dose assorti d’un module de psychoéducation. Les moyens déployés étaient une campagne d’information de la communauté, l’éducation des professionnels de santé et de l’enseignement et enfin une équipe médicale opérationnelle formée au diagnostic et au traitement des psychoses débutantes. La conduite de ce programme a permis une réduction de la durée de la psychose non traitée mais le doute persiste quant à l’amélioration du pronostic des patients. Intérêts de ces programmes L’intérêt de ces programmes est indéniable : ils permettent d’améliorer l’accès aux soins des sujets souffrant d’un trouble psychotique avéré et acceptant de s’engager dans une démarche thérapeutique. La sensibilisation du public et la formation des médecins généralistes permettent de corriger les préjugés, de diminuer la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiatriques et d’en faciliter ainsi le repérage. Questions en suspens Un certain nombre d’incertitudes persistent, notamment le fait qu’une diminution de la durée de psychose non traitée pourrait influencer l’histoire naturelle de la maladie et améliorer le pronostic. Cette assertion, n’est pas vérifiée 1 4 / 1 2 / 0 714:45:26 14/12/07 14: 45: 26 > XPress 6 Noir S178 M. Tournier, H. Verdoux dans une pathologie somatique comme le cancer du sein. Une méta-analyse récente sur 500 000 sujets n’a pas permis de démontrer l’intérêt sur la mortalité du dépistage précoce par mammographie [8]. Ainsi, l’association observée entre durée longue de psychose non traitée et pronostic péjoratif pourrait être attribuée à des biais de confusion. Certaines caractéristiques qui prédisent un long délai d’accès aux soins sont également associées à un pronostic péjoratif en particulier un mauvais niveau de fonctionnement pré morbide. Une longue durée de psychose non traitée ne serait pas en rapport avec une inadéquation du système de soins mais serait une caractéristique de la maladie elle-même [1]. Seule une étude randomisée comparant traitement tardif et traitement précoce permettrait de répondre à cette question. Une deuxième incertitude concerne la définition d’un trouble psychotique débutant nécessitant des soins. La plupart des programmes précités se situent en phase préclinique. Certains auteurs ont préféré adopter une stratégie de prévention primaire et situer leur action en phase prodromique. C’est le cas du programme PACE mené à Melbourne en Australie sous forme d’un essai contrôlé en double insu et qui a montré l’efficacité d’un traitement antipsychotique. Cette efficacité est nuancée par le nombre de sujets considérés à tort comme à haut risque (deux tiers de l’effectif de l’étude) et surtout par le nombre de sujets traités (quatre) pour éviter la transition psychotique chez un patient. Par ailleurs la plupart des sujets qui développeront un trouble psychotique ne sont pas considérés à haut risque (Fig. 1). Un troisième point d’achoppement concerne les outils de dépistage. Le diagnostic d’un trouble psychotique débutant va s’appuyer uniquement sur des arguments cliniques et les outils de dépistage dont on dispose sont peu spécifiques (spécificité inférieure à 60 %) d’où un nombre élevé de faux positifs. On va alerter à tort un nombre élevé de sujets qui ne développeront jamais un trouble psychotique, avec les problèmes liés à la stigmatisation et à un traitement antipsychotique injustifié. L’étude de Malmberg et al., illustre parfaitement ce problème [6]. Elle a été menée sur une population de plus de 50 000 conscrits suédois âgés de 18 ans et suivis de manière prospective sur 15 ans. Les facteurs de risque de développer un trouble psychotique qui ont été retrouvés dans cette étude sont : avoir moins de deux amis, ne pas avoir de petite amie stable, être plus sensible que les autres et avoir une préférence pour les petits groupes. Les sujets qui accumulaient ces quatre facteurs avaient effectivement trente fois plus de risque de développer la schizophrénie dans les 15 années de suivi (OR = 31 ; 13-74). Cependant, si on regarde la valeur prédictive, 3 % seulement de ces sujets développeront une schizophrénie. Enfin il existe une incertitude concernant l’intérêt de ces programmes. Dans une étude menée par Cougnard et al. [1], les auteurs ont estimé par une modélisation par analyse de décision l’intérêt de la détection usuelle versus la détection précoce. La détection précoce se montrerait supérieure à la détection usuelle uniquement si les tests de dépistage avaient une spécificité supérieure ou égale à 90 %. Cette condition remplie, le nombre de sujets à « screener » pour prévenir un décès sur 5 ans serait de 20 000, pour prévenir une hospitalisation 641 et une désinsertion sociale 847 [2]. Les éléments nécessaires pour qu’un programme de dépistage soit valable et efficace sont : Importance pour la santé publique ? Oui Phase préclinique longue ? Tests performants phase préclinique? Traitements efficaces ? ? Programme acceptable par système santé? Programme acceptable par sujets ciblés ? Population cible ? Alors qu’à propos des troubles psychotiques, les deux premières conditions sont remplies, les quatre suivantes sont loin de l’être actuellement. Par ailleurs, certains auteurs estiment que le programme doit également démontrer qu’il est coût-efficace. L’intervention précoce : un gaspillage de ressources précieuses ? Bas risque Haut risque Figure 1 Représentation de la limite entre bas et haut risque. 4509_14_Tour ni e r . i178 4509_14_Tournier.indd ndd 178 Devant toutes ces incertitudes, de nombreux auteurs évoquent un gaspillage de ressources. David en 2004 vient appuyer cette opinion [3]. Ce travail a évalué le coût d’un programme d’intervention précoce visant à fournir des 1 4 / 1 2 / 0 714:45:26 14/12/07 14: 45: 26 > XPress 6 Noir Prévention : économie ou surcoût soins intensifs pour tous les jeunes gens présentant un premier épisode psychotique. Le coût de ce programme a été estimé à 74 millions d’euros. En raison du plan de dépenses de santé, cet argent a été détourné des services traditionnels, avec pour conséquences une réduction du nombre de postes médicaux et paramédicaux, un surmenage des équipes, des difficultés de recrutement et de financement de projets de recherche concernant des patients souffrant d’un trouble psychotique avéré. Selon les auteurs critiques vis-à-vis des programmes d’intervention précoce, un point primordial est la continuité des soins, en particulier pour les patients bénéficiant de programmes de dépistage précoce, qui doivent continuer à recevoir des soins de qualité lorsqu’ils sont relayés à des services traditionnels. Ils soulignent également le fait que la priorité doit être accordée aux patients les plus malades. L’intervention la plus efficace serait celle qui ciblerait l’observance et permettrait d’augmenter l’efficacité du traitement prescrit, de diminuer le nombre de rechutes et d’améliorer le pronostic. Selon David, les programmes d’intervention précoces se justifieraient s’ils avaient montré qu’ils étaient bénéfiques, s’ils se déroulaient à une échelle populationnelle, s’ils ne présentaient aucun effet secondaire et s’ils étaient bon marché. Conclusion Dans l’état actuel des connaissances, il paraît difficile de recommander des programmes de dépistage précoce avant qu’ils aient réellement démontré leur efficacité et leur utilité. La mise en place de ces programmes doit tenir compte des priorités d’utilisation des ressources de santé. En revanche, l’amélioration de l’accès aux soins et de la prise en charge de patients souffrant d’un trouble psychotique ou dépressif débutant ne peut qu’être bénéfique à la fois d’un point de vue individuel et du point de vue de la société. 4509_14_Tour ni e r . i179 4509_14_Tournier.indd ndd 179 S179 Références [1] Cougnard A, Kalmi E, Desage A et al. Pathways to care of firstadmitted subjects with psychosis in South-Western France. Psychol Med 2004 ; 34 ; 267-76. [2] Cougnard A, Salmi LR, Salamon R et al. A decision analysis model to assess the feasibility of the early detection of psychosis in the general population. Schizophr Res 2005 ; 74 : 27-36. [3] David AS. 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