L’Encéphale, 2007 ;
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144-55 Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
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INTRODUCTION
L’anorexie mentale (AN) est une pathologie relative-
ment rare dont la prévalence chez les femmes en fin d’ado-
lescence et au début de l’âge adulte se situe entre 0,5 %
et 1 % (9). Grave, elle est responsable d’une mortalité con-
sidérable puisqu’elle est douze fois supérieure à celle
observée dans une population générale de même âge
(31). L’hypothèse actuellement admise est que l’anorexie
mentale est un trouble du comportement alimentaire d’ori-
gine multifactorielle, avec des facteurs prédisposants
(individuels, familiaux et culturels), des facteurs précipi-
tants et des facteurs pérennisants (10).
Parmi les facteurs familiaux, les antécédents psychia-
triques familiaux ou comorbidité familiale semblent aussi
jouer un rôle. Il n’y a à notre connaissance, dans la litté-
rature, aucune revue concernant précisément ce sujet
alors qu’une meilleure connaissance de ces troubles peut
avoir une implication thérapeutique.
Nous avons donc réalisé une revue de la littérature sur
les antécédents familiaux de troubles de l’humeur et de
troubles anxieux chez les sujets anorexiques.
Dans la première partie de ce travail, nous discuterons
des problèmes méthodologiques posés par ces études.
Dans la seconde partie, en tenant compte de ces problè-
mes, nous résumerons les données chiffrées de préva-
lence de troubles de l’humeur et de troubles anxieux chez
les apparentés de sujets anorexiques.
Nous avons effectué une recherche informatique (sur
Medline) afin de retrouver les études publiées sur les anté-
cédents familiaux de troubles de l’humeur et de troubles
anxieux dans l’anorexie mentale et l’avons complétée par
une recherche manuelle. Nous avons limité notre travail
à la période 1980-2002, afin de ne retenir que les études
ayant utilisé des critères diagnostiques stricts pour les
troubles étudiés (critères de Feighner ou de Halmi pour
l’anorexie mentale, RDC, DSM III, DSM III-R ou DSM IV).
Ces études sont rares : nous avons retrouvé 16 études
évaluant la prévalence d’au moins un trouble de l’humeur
ou d’un trouble anxieux chez les apparentés de patients
anorexiques.
La plupart des études ont été réalisées auprès de popu-
lations cliniques de patients hospitalisés ou suivis en
ambulatoire avec un diagnostic actuel de trouble du com-
portement alimentaire (TCA) (3, 5, 11, 17, 20, 21, 24, 25,
26, 28, 30, 32, 33, 34). Ces patients sont, pour la plupart,
traités dans des centres spécialisés pour la prise en
charge des TCA. Moins fréquemment, ces sujets peuvent
être en attente de soins dans de tels centres, ou être volon-
taires pour une recherche (évaluation clinique ou recher-
che thérapeutique). De nombreuses études, en plus de
l’évaluation familiale, ont aussi inclus une évaluation indi-
viduelle.
Deux études ont été réalisées dans le cadre d’études
de suivi de patients présentant des TCA (15, 22).
Enfin, dans quelques études, une partie de leur échan-
tillon était recrutée en population générale (17, 20, 25).
Dans la première partie de ce travail, nous allons con-
sidérer les problèmes méthodologiques posés par ces
études. Même après avoir exclu de cette revue de la lit-
térature les études posant des problèmes méthodologi-
ques majeurs [critères diagnostiques propres aux auteurs
pour les TCA (32) ; pas d’instrument diagnostique, que ce
soit pour le diagnostic direct ou indirect des apparentés
(11, 17, 22, 25, 32, 33, 34)], nous n’avons pu réaliser de
méta-analyse avec les études restantes. En effet, la trop
grande variabilité des critères d’inclusion et d’exclusion
des patients, des critères diagnostiques, des instruments
diagnostiques utilisés, du statut ambulatoire ou hospitalier
des patients et de leur âge ne permet pas d’effectuer une
méta-analyse. De ce fait, la seconde partie de ce travail
est simplement une revue descriptive des données
recueillies dans la littérature.
En préambule, nous précisons que par « parents »
nous entendrons père et mère, et par « apparentés du
1
er
degré » : père, mère, frères et sœurs.
PROBLÈMES MÉTHODOLOGIQUES
Les résultats des études évaluant les antécédents fami-
liaux dans l’anorexie mentale montrent de grandes dispa-
rités, ce qui peut en partie s’expliquer par les divergences
méthodologiques existant d’une étude à l’autre
(tableau I)
.
Échantillons des patients
1) Les effectifs des échantillons sont souvent faibles,
la plupart comportent moins de 30 patients (7, 11, 21, 24,
25). Les tests statistiques sont moins puissants pour les
petits effectifs.
2) Les échantillons de patients inclus dans les études
sont d’origines variées : population clinique avec un dia-
gnostic actuel de TCA (avec des patients hospitalisés, sui-
vis en ambulatoire ou inscrits sur des listes en attente
d’être traités), population suivie après plusieurs années
d’évolution ou issue de la population générale. Ces
patients sont donc très différents, avec des TCA de gravité
variable et avec une prévalence plus ou moins importante
de troubles anxieux et dépressifs. Ces différentes études
doivent être considérées séparément pour plusieurs rai-
sons. Premièrement, tel que le soulignent Bushnell
et al.
(6), les patients pris en charge ne représentent pas
l’ensemble des patients souffrant de TCA, dans la mesure
où il existe un effet filtre lors de l’accès aux soins (14) con-
tribuant à un excès de comorbidité dans les échantillons
cliniques. En effet, les patients présentant des diagnostics
multiples sont plus enclins à se présenter pour demander
un traitement que ceux présentant un seul diagnostic, ce
qui a été communément appelé le « biais de Berkson » (4).
De plus, les études en population clinique ont inclus à
la fois des patients hospitalisés, ambulatoires, ou les deux.
Or, selon Godart
et al.
(12), la sévérité des TCA est pro-
bablement différente et la fréquence des troubles de
l’humeur certainement plus élevée chez les patients pris