Antécédents familiaux de troubles anxieux MÉMOIRE ORIGINAL

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MÉMOIRE ORIGINAL
Antécédents familiaux de troubles anxieux
et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
F. PERDEREAU (1), S. FAUCHER (1), P. JEAMMET (1), N.-T. GODART (1)
Mood and anxiety disorders in relatives of anorexia nervosa patients : a review
Summary. In the literature, no review concerning the family comorbidity of mood and anxiety disorders of anorexic subjects
exists. However, this data can be important for the comprehension of this disorder and for the assumption of responsibility.
Objective – We conducted a critical literature review on studies assessing the prevalence of anxiety disorders (AD) and
mood disorders in relatives of anorexia nervosa (AN) subjects. In the first part, we discuss methodological issues relevant
to these comorbidity studies. In the second part, taking into account the methodological considerations raised, we summarise the findings of these studies. Method – We performed a manual and computerised search (Medline) for all published
studies on the frequency of MD and AD in AN relatives and MD or AD, limiting our search to the 1980-2002 period, in
order to get sufficiently homogeneous diagnostic criteria for both categories of disorders (most often RDC, DSM III, DSM IIIR, or DSM IV criteria). Results – We review methodological issues regarding population sources, general methodological
procedures, diagnostic criteria for AN, MD and AD, diagnostic instruments, age of subjects and course of the eating disorder. Discussion – We discuss the results taking into account the methodological problems observed. We give implications
for reviewing the results of published studies and planning future research.
Key words : Anorexia nervosa ; Anxiety disorders ; Bulimia nervosa ; Family comorbidity ; Mood disorders ; Review.
Résumé. Objectif – Nous avons souhaité réaliser une revue
critique de la littérature des études évaluant la prévalence des
troubles de l’humeur et des troubles anxieux chez les apparentés de sujets souffrant d’anorexie mentale (AN). Dans une
première partie, nous avons discuté les problèmes méthodologiques posés par ces études, dans une seconde partie
nous avons exposé les résultats. Méthode – Nous avons
effectué une recherche informatique (sur Medline) afin de
retrouver les études publiées sur les antécédents familiaux
des troubles de l’humeur et des troubles anxieux dans l’anorexie mentale, et l’avons complétée par une recherche
manuelle. Nous avons limité notre travail à la période 19802002, afin de ne retenir que les études ayant utilisé des critères diagnostiques stricts pour les troubles étudiés (critères
de Feighner ou de Halmi pour l’anorexie mentale, RDC,
DSM III, DSM III-R ou DSM IV pour l’anorexie ou les autres
troubles). Résultats – Dans une première partie, nous avons
étudié la méthodologie de ces études en prenant en compte
principalement la composition des échantillons, les critères
et les instruments diagnostiques utilisés, les méthodes permettant l’établissement d’un diagnostic psychiatrique chez
les apparentés, les apparentés évalués, le nombre et le type
de troubles recherchés. Dans une seconde partie, compte
tenu des disparités méthodologiques, nous avons résumé les
données chiffrées de prévalence des troubles de l’humeur et
de troubles anxieux chez les apparentés de sujets anorexiques. Discussion – À la lumière des variations dans la méthodologie de ces études, nous discutons la valeur des résultats
concernant les antécédents familiaux de troubles de l’humeur
et de troubles anxieux dans l’anorexie mentale ainsi que les
implications pour des études ultérieures.
Mots clés : Anorexie mentale ; Antécédents familiaux ; Revue de
la littérature ; Troubles anxieux ; Troubles de l’humeur.
(1) Département de Psychiatrie, Institut Mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.
Travail reçu le 19 septembre 2003 et accepté le 6 octobre 2005.
Tirés à part : F. Perdereau (à l’adresse ci-dessus).
144
L’Encéphale, 33 : 2007, Mars-Avril
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
INTRODUCTION
Parmi les facteurs familiaux, les antécédents psychiatriques familiaux ou comorbidité familiale semblent aussi
jouer un rôle. Il n’y a à notre connaissance, dans la littérature, aucune revue concernant précisément ce sujet
alors qu’une meilleure connaissance de ces troubles peut
avoir une implication thérapeutique.
Dans la première partie de ce travail, nous allons considérer les problèmes méthodologiques posés par ces
études. Même après avoir exclu de cette revue de la littérature les études posant des problèmes méthodologiques majeurs [critères diagnostiques propres aux auteurs
pour les TCA (32) ; pas d’instrument diagnostique, que ce
soit pour le diagnostic direct ou indirect des apparentés
(11, 17, 22, 25, 32, 33, 34)], nous n’avons pu réaliser de
méta-analyse avec les études restantes. En effet, la trop
grande variabilité des critères d’inclusion et d’exclusion
des patients, des critères diagnostiques, des instruments
diagnostiques utilisés, du statut ambulatoire ou hospitalier
des patients et de leur âge ne permet pas d’effectuer une
méta-analyse. De ce fait, la seconde partie de ce travail
est simplement une revue descriptive des données
recueillies dans la littérature.
En préambule, nous précisons que par « parents »
nous entendrons père et mère, et par « apparentés du
1er degré » : père, mère, frères et sœurs.
Nous avons donc réalisé une revue de la littérature sur
les antécédents familiaux de troubles de l’humeur et de
troubles anxieux chez les sujets anorexiques.
PROBLÈMES MÉTHODOLOGIQUES
L’anorexie mentale (AN) est une pathologie relativement rare dont la prévalence chez les femmes en fin d’adolescence et au début de l’âge adulte se situe entre 0,5 %
et 1 % (9). Grave, elle est responsable d’une mortalité considérable puisqu’elle est douze fois supérieure à celle
observée dans une population générale de même âge
(31). L’hypothèse actuellement admise est que l’anorexie
mentale est un trouble du comportement alimentaire d’origine multifactorielle, avec des facteurs prédisposants
(individuels, familiaux et culturels), des facteurs précipitants et des facteurs pérennisants (10).
Dans la première partie de ce travail, nous discuterons
des problèmes méthodologiques posés par ces études.
Dans la seconde partie, en tenant compte de ces problèmes, nous résumerons les données chiffrées de prévalence de troubles de l’humeur et de troubles anxieux chez
les apparentés de sujets anorexiques.
Les résultats des études évaluant les antécédents familiaux dans l’anorexie mentale montrent de grandes disparités, ce qui peut en partie s’expliquer par les divergences
méthodologiques existant d’une étude à l’autre (tableau I).
Nous avons effectué une recherche informatique (sur
Medline) afin de retrouver les études publiées sur les antécédents familiaux de troubles de l’humeur et de troubles
anxieux dans l’anorexie mentale et l’avons complétée par
une recherche manuelle. Nous avons limité notre travail
à la période 1980-2002, afin de ne retenir que les études
ayant utilisé des critères diagnostiques stricts pour les
troubles étudiés (critères de Feighner ou de Halmi pour
l’anorexie mentale, RDC, DSM III, DSM III-R ou DSM IV).
Ces études sont rares : nous avons retrouvé 16 études
évaluant la prévalence d’au moins un trouble de l’humeur
ou d’un trouble anxieux chez les apparentés de patients
anorexiques.
Échantillons des patients
La plupart des études ont été réalisées auprès de populations cliniques de patients hospitalisés ou suivis en
ambulatoire avec un diagnostic actuel de trouble du comportement alimentaire (TCA) (3, 5, 11, 17, 20, 21, 24, 25,
26, 28, 30, 32, 33, 34). Ces patients sont, pour la plupart,
traités dans des centres spécialisés pour la prise en
charge des TCA. Moins fréquemment, ces sujets peuvent
être en attente de soins dans de tels centres, ou être volontaires pour une recherche (évaluation clinique ou recherche thérapeutique). De nombreuses études, en plus de
l’évaluation familiale, ont aussi inclus une évaluation individuelle.
Deux études ont été réalisées dans le cadre d’études
de suivi de patients présentant des TCA (15, 22).
Enfin, dans quelques études, une partie de leur échantillon était recrutée en population générale (17, 20, 25).
1) Les effectifs des échantillons sont souvent faibles,
la plupart comportent moins de 30 patients (7, 11, 21, 24,
25). Les tests statistiques sont moins puissants pour les
petits effectifs.
2) Les échantillons de patients inclus dans les études
sont d’origines variées : population clinique avec un diagnostic actuel de TCA (avec des patients hospitalisés, suivis en ambulatoire ou inscrits sur des listes en attente
d’être traités), population suivie après plusieurs années
d’évolution ou issue de la population générale. Ces
patients sont donc très différents, avec des TCA de gravité
variable et avec une prévalence plus ou moins importante
de troubles anxieux et dépressifs. Ces différentes études
doivent être considérées séparément pour plusieurs raisons. Premièrement, tel que le soulignent Bushnell et al.
(6), les patients pris en charge ne représentent pas
l’ensemble des patients souffrant de TCA, dans la mesure
où il existe un effet filtre lors de l’accès aux soins (14) contribuant à un excès de comorbidité dans les échantillons
cliniques. En effet, les patients présentant des diagnostics
multiples sont plus enclins à se présenter pour demander
un traitement que ceux présentant un seul diagnostic, ce
qui a été communément appelé le « biais de Berkson » (4).
De plus, les études en population clinique ont inclus à
la fois des patients hospitalisés, ambulatoires, ou les deux.
Or, selon Godart et al. (12), la sévérité des TCA est probablement différente et la fréquence des troubles de
l’humeur certainement plus élevée chez les patients pris
145
F. Perdereau et al.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
TABLEAU I. — Revue méthodologique des études sur les antécédents familiaux de troubles de l’humeur et de troubles anxieux
dans l’anorexie mentale.
Caractéristiques des TCA
Sujets
Auteurs
Caractéristiques des témoins
Famille
Âge
Sujets
Total
Évalués Diagnostic N
(N)
TCA
N
Winokur
et al.,
1980
AN
25
Strober
et al.,
1982
AN R
AN B
Hudson
et al.,
1983
AN not B
B not AN
AN/B
Gershon
et al.,
1984
AN
24
Rivinus
et al.,
1984
AN
40 16,8
545
T
Femmes
Biederman
et al.,
1985
AN
40 16,8
545
T
Femmes
203
35 15,7
35
192
?
25
99
?
BP
SCZ
Border line
184
Patients hospitalisés ou
ambulatoires
Témoins appariés pour l’âge
Apparentés > 18 ans
Feighner (A) Entretien parents et fratrie
RDC
SADS-L
Family History Reasearch
Diagnostic Criteria pour
2e degré
Patients hospitalisés
Diagnostic en aveugle pour la
famille
Apparentés > 15 ans
?
265
Halmi (A) SADS-L pour 44 % des
Patients hospitalisés
DSM III (B) apparentés vus directement Risque relatif
RDC (autre)
Âge corrigé
23 16,4
277
Feighner (A) Family History Reasearch
Diagnostic Criteria
DSM III
SADS
Patients hospitalisés (33) ou
ambulatoires (7), provenant
de 2 centres différents
Pas d’aveugle pour le
diagnostic familial
23 16,4
277
Feighner (A) Family History Reasearch
DSM III
Diagnostic Criteria
SADS
Même échantillon que
Rivinus et al., 1984
Prévalence corrigée pour
l’âge (Weinberg)
–
23
57
52
= 132
T
EDM
Femmes
Strober
et al.,
1990
AN
97 15,5
387
?
TH
Mixtes
Halmi
et al.,
1991
AN
169
Feighner (A) Entretien psychiatrique
RDC
semi-structuré, critères RDC
patient + parent, complété
par un parent autre si besoin
Family History Reasearch
Diagnostic
T
43
Pathologies
somatiques
146
146
177
Remarques
222
199
78
6 21,9
13
11
= 30
?
Moyens diagnostiques
Total Évalués
?
AN not B
B not AN
AN B
29
25
Critères
33
39
15
Logue
et al.,
1989
57
puis
54
Âge
352
359
= 711
14 25,6
70
55 27,2 251
20 26,2
99
= 89
= 420
AN
Viesselman
13 22,1
B
et al.,
43 39,7
1985
bulimarexia 39 23,5
T
Femmes
Famille
Méthodologie, critères et instruments
T
Femmes
–
–
20 21,2
16 24,3
66
117
62 27,4
DSM III
Entretien psychiatrique
recherchant les critères
DSM III dans l’histoire
familiale
Patients hospitalisés, suivis
en ambulatoire ou issus de la
population générale
répondant à une annonce
AN B : anorexiques et/ ou
boulimiques sur la vie,
anorexiques sans
antécédents de BN et BN
sans antécédents d’anorexie
Diagnostic familial en
aveugle pour les témoins, pas
pour les TCA
–
–
Feighner,
propres
critères
de TCA
Entretien sur l’histoire
familiale avec les patients
uniquement
Comparaison avec les
données d’un autre auteur
107
87
100
75
DSM III
DIS modifié avec critères
boulimie
Family History Reasearch
Diagnostic Criteria
Patients ayant été traités dans
un hôpital ou une clinique de
l’Iowa
Apparentés > 18 ans
Diagnostic direct pour au
moins un apparenté
Pas en aveugle
77 %-91 %-70 % des
apparentés TCA, T, EDM
évalué directement
DSM III-R
Entretien clinique avec
parents
SADS modifié pour TCA
Family History Reasearch
Diagnostic Criteria
Eating Disorder Family
History
Patients hospitalisés
1er et 2e degrés, diagnostic
consensuel entre un clinicien :
à l’aveugle et un autre non
Apparentés > 12 ans
Diagnostic des apparentés
établi directement dans
79,3 % des cas
Feighner
DSM III-R
DIS
Family History Reasearch
Diagnostic Criteria
Étude de suivi, patients ayant
participé à une étude sur la
cyproheptadine
Témoins appariés
Diagnostic en aveugle dans
la famille
269
469
?
178
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
TABLEAU I. — Revue méthodologique des études sur les antécédents familiaux de troubles de l’humeur et de troubles anxieux
dans l’anorexie mentale (suite).
Caractéristiques des TCA
Sujets
Auteurs
TCA
Rastam
et al.,
1991
AN
Caractéristiques des témoins
Famille
N
Âge
51
16
Sujets
Total
Évalués Diagnostic N
(N)
?
Méthodologie, critères et instruments
Famille
Âge
Critères
Moyens diagnostiques
Total Évalués
51
T
51
?
?
51
DSM III-R
Entretien clinique pour les
mères (et dans deux cas
avec les pères)
51 AN : 3 garçons et 48 filles
Évaluation des mères
uniquement
Témoins appariés
82
TOC
EDM
70
39
29,7
42,5
283
210
184
147
DSM III-R
DIS pour 66,9 % des
premiers degrés, sinon
Family History Reasearch
Diagnostic Criteria
Patients ambulatoires
Diagnostic direct des
apparentés
Apparentés > 15 ans
Risque relatif corrigé pour
l’âge (Weinberg)
44 26,1
190
DSM III-R
SADS
Eating Disorders Family
inventory
Family History Research
Diagnostic Criteria
Patients hospitalisés,
ambulatoires ou répondant à
une annonce dans un journal
Certains AN R sont en fait AB
depuis moins de 3 ans
DSM III-R
Entretien créé par les
auteurs
Même échantillon que
Rastam et al,, 1991
Étude de suivi
48 femmes et 3 hommes
6 AN DSM IV, Asperger’s
disorder
Témoins appariés sexe et
âge
Évaluation des mères
SCID pour les patients
Diagnostic des apparentés
par un entretien semistructuré avec le patient
Patients consultant dans un
centre spécialisé dans les
TCA
Évaluation par 2 cliniciens en
aveugle par rapport au
diagnostic de l’autre
En aveugle par rapport au
type de TCA du patient et de
toute autre information
concernant le patient
DIS
Patients hospitalisés dans un
centre spécialisé pour les
TCA
Évaluation en aveugle par
rapport au diagnostic du
patient
Calcul d’un morbidity risk,
âge corrigé
Pasquale
et al.,
1994
AN
BN
AN/BN
Lilenfeld
et al.,
1998
AN R
not B
BN not
AN
26 24,5
47 25,3
93
177
Nilsson
et al.,
1998
AN
51 16,1
186
T
51
16
185
2 125
–
–
–
–
–
DSM III-R
39
358
–
DSM IV
Woodside
et al.,
1998
Bellodi
et al.,
2001
AN
BN
AN/BN
AN R
AN P
BN
11 22,5
32
15
43
15
45
= 41
= 120
15
36
42
?
38 20,61
46 22,84
52 22,71
?
436
Remarques
300
T
72
Pathologies
somatiques
A : anorexie ; AN : anorexia nervosa ; AB : anorexie/boulimie ; AN-B : anorexia nervosa with bulimia ; AN-R : anorexia nervosa restricters ; AN-R not B : anorexia nervosa restricters sans antécédents
de boulimie ; AN-P : anorexie avec crises de boulimie/conduites de purge ; AN/BN : anorexia nervosa et bulimia nervosa ; B : boulimie ; BN : bulimia nervosa ; BN not AN : bulimia nervosa sans
antécédents d’anorexia nervosa ; T : témoin sain ; SCZ : schizophrène ; EDM : épisode dépressif majeur ; TOC : trouble obsessionnel compulsif ; BP : trouble bipolaire ; TH : trouble de l’humeur ;
TC : trouble des conduites ; TP : trouble de la personnalité.
en charge dans les services hospitaliers. Les refus de participation, qui constituent un possible biais de sélection
des patients, n’ont pas été mentionnés.
Certaines études ont des échantillons de patients en
commun (5, 22, 25, 26) ou une partie seulement de leur
échantillon (29, 30). Pour ces derniers, les résultats correspondent aux étapes successives d’une même étude
sans que cela soit pris en compte au niveau du traitement
statistique des données.
3) Certaines études n’incluent que des filles, d’autres
des filles et des garçons. L’anorexie mentale (AN) étant
une pathologie essentiellement féminine, les résultats des
études portant sur des échantillons mixtes ne sont pas
comparables.
Ces comparaisons seraient d’autant plus hasardeuses
que la prévalence de la dépression et des troubles anxieux
est plus importante chez la femme que chez l’homme, rendant les échantillons mixtes source de confusion (19).
4) L’âge moyen des patientes est aussi potentiellement
source de divergence des résultats. En effet, il est en lien
avec l’âge moyen des apparentés qui n’est jamais mentionné. Or, la probabilité d’un trouble psychiatrique est
âge-dépendante (16, 27). Plus l’âge moyen des apparentés est élevé, plus la probabilité d’un trouble dépressif ou
anxieux chez ceux-ci est élevée.
La prévalence des troubles familiaux dépend aussi de
l’âge minimal des apparentés inclus dans la population
d’étude : 12 ans pour Strober et al. (29), 15 ans pour
147
F. Perdereau et al.
Pasquale et al. (24), 18 ans pour Winokur et al. (33) et pour
Logue et al. (21).
Certaines études ont pris en compte ce facteur et ont
calculé les risques de morbidité (morbid risk) en lien avec
l’âge des apparentés. Le mode de calcul de ces risques
est variable d’une étude à l’autre : certains utilisent la
« méthode courte de Weinberg » (5, 26) d’autres utilisent
la méthode de Weinberg modifiée (17) et d’autres encore
leur propre méthode d’âge corrigé (11). Certaines études
ont calculé une prévalence sans prendre en compte l’âge
corrigé (15, 20, 28, 30, 33, 34). Les comparaisons entre
études sont donc difficiles. À l’exception de quelques études (20, 21), aucune ne donne d’intervalle de confiance
ou d’« odd ratio » concernant les prévalences estimées.
5) Toutes les études n’utilisent pas de groupe témoin.
Quand il y en a un, celui-ci varie selon les études, il est
composé soit de témoins sains (5, 11, 15, 22, 26, 33), soit
de patients atteints d’une pathologie psychiatrique (17, 21,
24, 28, 29). Le groupe témoin comprenant d’autres pathologies psychiatriques est parfois très hétérogène (28). De
plus, les participants des groupes témoins ne sont le plus
souvent appariés ni pour le sexe, ni pour l’âge, sauf dans
les études de Halmi et al. (15), Rastam et al. (25), Nilsson
et al. (22) et Lilenfeld et al. (20) (apparemment par tranche
d’âge et pour le sexe).
Méthodes diagnostiques
Les méthodes diagnostiques utilisées pour les différents troubles sont variables.
Les critères utilisés dans la définition des troubles sont
différents d’une étude à l’autre, que ce soient les critères
pour définir les troubles du comportement alimentaire [Feighner, Halmi, Russell, DSM III, DSM III-R, DSM IV, voire
leurs propres critères (32)] ou ceux utilisés pour définir les
troubles psychiatriques chez les apparentés (RDC,
DSM III, DSM III-R, DSM IV). L’utilisation de différents critères diagnostiques ainsi que l’inclusion de patients ayant
un diagnostic incomplet de TCA sans que l’on ait plus de
précisions (25) ne rendent pas facilement comparables les
études entre elles.
De même, les instruments diagnostiques utilisés pour
définir ces troubles varient d’une étude à l’autre (SADS,
SADS-L, DIS, SCID). Or, la prévalence des troubles psychiatriques retrouvée pour une population dépend de l’instrument utilisé. De plus, certaines études n’ont pas utilisé
d’instrument diagnostique (17, 22, 25, 32, 33).
Le diagnostic de trouble de l’humeur est établi soit « sur
la vie », soit « sur la période actuelle » (25). Certains
auteurs considèrent la période actuelle pour porter le diagnostic de dépression chez les sujets anorexiques, mais
font un diagnostic « sur la vie » pour les troubles de
l’humeur chez les apparentés (5). D’autres ne précisent
pas si le diagnostic de trouble de l’humeur chez les sujets
anorexiques est fait sur la période actuelle ou sur la vie
(11).
148
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Établissement d’un diagnostic psychiatrique
chez les apparentés
Une des difficultés méthodologiques spécifiques aux
études des antécédents familiaux est l’établissement d’un
diagnostic psychiatrique chez les apparentés. Un diagnostic direct (quand l’apparenté est examiné), appelé
« méthode d’étude familiale » est plus pertinent qu’un
recueil indirect des antécédents (appelé histoire familiale),
mais plus difficile à obtenir.
L’histoire familiale qui est collectée l’est parfois sans
instrument (11, 17, 22, 25, 29, 32, 34). Cependant, la
méthode la plus souvent employée pour améliorer la validité des études historiques familiales est celle préconisée
par Andreassen et al. (1977) (1). Sa méthode historique
familiale utilise les critères diagnostiques chez le sujet
index et, en complément, chez un membre de sa famille.
Elle suggère l’utilisation d’un instrument diagnostique (le
« Family History-Research Diagnostic Criteria = FHRDC »), permettant l’établissement de diagnostic psychiatrique chez les apparentés avec une plus grande sensibilité. En général, les études utilisant l’histoire familiale
ont tendance à sous-estimer la prévalence des troubles
psychiatriques, en particulier les troubles actuels (1).
Certains auteurs établissent un diagnostic direct pour
les apparentés qu’ils peuvent rencontrer et complètent
leur recrutement par un diagnostic indirect des autres, ce
diagnostic étant alors établi avec le patient ou un autre
membre de la famille. Dans ce cas, le FH-RDC est souvent
utilisé (5, 10, 20, 21, 24, 26, 28, 30, 33).
En ce qui concerne les études sur les antécédents familiaux de troubles anxieux dans l’anorexie mentale, il est à
noter que la FH-RDC ne fournit pas les diagnostics spécifiques des différents troubles anxieux.
Contenu des études
Il est variable. Certaines donnent des résultats exclusivement pour la mère (25), d’autres pour tous les apparentés du 1er degré (5, 11, 17, 21, 24), d’autres enfin
détaillent tout, ce qui est plus satisfaisant (33).
La définition des apparentés au 2e degré et au 3e degré
est variable selon les études ; parfois il n’est pas précisé
qui sont les apparentés au 2e degré (30).
Nombre et type de troubles de l’humeur
ou de troubles anxieux recherchés
Ils varient entre les études. Par exemple pour les troubles de l’humeur, parfois l’EDM seul est recherché (20,
21), d’autres fois l’EDM et le trouble bipolaire sont recherchés (24, 28, 34) ou encore l’EDM et la dysthymie (25),
ou la cyclothymie et la dépression atypique (17).
Repère chronologique
L’absence de repères chronologiques en rapport avec
le début de l’anorexie du sujet est une autre limite de ces
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
études. En effet, il est important de considérer, pour les
troubles dépressifs en particulier, la chronologie d’apparition des troubles chez les parents, en relation avec le
début de la maladie de leur enfant.
Winokur et al. (33) par exemple, précisent que la majorité des troubles dépressifs observés dans les familles de
sujets anorexiques étaient antérieurs à l’anorexie mentale
du sujet. Ces troubles ne peuvent donc être considérés
comme la « conséquence » de l’anorexie des sujets.
RÉSULTATS
Troubles de l’humeur
À l’issue de cette revue concernant la méthodologie des
16 études, nous en avons exclu 7 pour les raisons suivantes (parfois pour plusieurs raisons) : critères diagnostiques pour les TCA propres aux auteurs (32) ; pas d’instrument diagnostique, que ce soit pour le diagnostic direct
ou indirect des apparentés (11, 17, 22, 25, 32, 33, 34).
Ces données sont résumées dans le tableau II.
1) Les troubles de l’humeur sont-ils plus fréquents
chez les apparentés de sujets anorexiques
que chez les apparentés de sujets témoins ?
• Troubles de l’humeur (en général)
Aucune des études retenues n’a comparé la fréquence
des troubles de l’humeur (en général) chez les apparentés
de sujets anorexiques et chez des sujets témoins sains.
Strober et al. (28) montrent que la prévalence des troubles de l’humeur (EDM et trouble bipolaire) chez les apparentés au 1er et au 2e degré de sujets souffrant d’AN déprimées (18 %) est plus importante que chez les apparentés
au 1er degré des sujets présentant diverses pathologies
psychiatriques (4,1 %) (p < 0,0001), alors qu’ils ne retrouvent pas de différence significative chez les apparentés
au 1er degré de sujets souffrant d’AN non déprimées
(5,1 %).
• Dépression
Les résultats concernant la dépression apparaissent,
lors d’une première lecture contradictoires. En effet, certaines études ne retrouvent pas de différence significative
entre les apparentés de sujets souffrant de TCA et les
apparentés de témoins (15, 26), contrairement à d’autres
(20, 21). En fait, deux études rapportent des résultats concernant la prévalence de la dépression sans précision
chez les apparentés au 1er degré de sujets anorexiques
en comparaison avec des apparentés de témoins sains,
alors que les autres donnent des résultats plus précis concernant l’EDM.
Les premières études ne montrent pas de différences
significatives entre ces groupes. Leurs résultats sont
variables : 16,1 % pour Rivinus et al. (26) avec les critères
du DSM III ; 6,5 % pour Halmi et al. (15) avec les critères
du DSM III-R. Pour expliquer cette variation, on doit sou-
ligner qu’ils ne précisent pas quels troubles ils considèrent ; on ne sait d’ailleurs pas si ces deux études
incluent sous le terme de dépression le ou les mêmes troubles. De plus, on doit noter que Rivinus et al. (26) n’ont
pas pratiqué le diagnostic familial en aveugle de celui du
sujet indexe, contrairement à Halmi et al. (15). En revanche, dans l’étude de Rivinus et al. (26), la prévalence de
la dépression ou d’abus de substances apparaît plus
importante chez les apparentés au 1er degré de sujets
souffrant d’AN (29,5 %) que chez les apparentés au
1er degré de sujets témoins sains (12,9 %) (p < 0,05%).
Les secondes études rapportent que les EDM sont plus
fréquents chez les apparentés de sujets souffrant de TCA.
Logue et al. (21) trouvent que les EDM sont plus fréquents
chez les apparentés de sujets présentant un TCA [anorexiques (AN), boulimiques (BN), anorexiques avec crises
de boulimie (AN B)] que chez les apparentés de sujets
témoins sains (p < 0,025). Lilenfeld et al. (20) évaluent la
prévalence d’EDM chez les apparentés de sujets AN restrictives à 15 %, la prévalence de l’EDM tend à être plus
importante chez les apparentés de sujets AN que chez les
apparentés de sujets témoins sains (7 %) (p < 0,06).
Halmi et al. (15) ne retrouvent pas de différence significative entre la prévalence de l’EDM chez les mères d’anorexiques (12 %) et chez les mères des sujets témoins
(3,5 %).
• Trouble bipolaire
En ce qui concerne le trouble bipolaire, il ne semble pas
plus fréquent chez les apparentés au 1er degré des sujets
anorexiques que chez les apparentés au 1er degré de
sujets témoins (15, 26).
• Dysthymie
En ce qui concerne la dysthymie, seuls Halmi et al. (15)
ont évalué la prévalence de ce trouble chez les mères de
patientes anorexiques à 8,8 % et chez les mères des
sujets témoins à 7 %.
2) Les troubles de l’humeur sont-ils plus fréquents
chez les apparentés de sujets anorexiques
que chez les apparentés de sujets
présentant un trouble de l’humeur ?
Trois études (21, 24, 28) comparent la prévalence de
troubles de l’humeur chez les apparentés d’anorexiques
et chez des apparentés de sujets présentant un trouble
de l’humeur, et ne retrouvent pas de différence.
Les prévalences observées aussi bien pour les apparentés des sujets souffrant de TCA que pour les apparentés des témoins sont variables, mais les groupes de sujets
considérés ne sont pas comparables. Par exemple, Strober et al. (28) comparent la prévalence de troubles de
l’humeur chez les apparentés au 1er et au 2e degrés de
28 patients AN (déprimés) et de 66 patients présentant un
trouble de l’humeur (18 bipolaires, 48 unipolaires) alors
que Pasquale et al. (24) comparent la prévalence de
trouble de l’humeur chez les apparentés au 1er degré de
sujets présentant un TCA (11 AN, 15 BN, 15 AN/BN) et
149
F. Perdereau et al.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
TABLEAU II. — Antécédents familiaux de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale.
Prévalence parmi les TCA
Auteurs
Apparentés
Sujets
TCA
Strober
et al.,
1982
Rivinus
et al.,
1984
Dépression
Dépression
ou abus de
substances
Dépression
Dépression
ou abus de
substances
AAN-R
père AN-R
AN-B
père AN-B
mère AN-R
mère AN-B
1er degré AN-R
1er degré AN-B
1er et 2e degrés AN-R
1er et 2e degrés AN-B
2e degré AN-R
2e degré AN-B
AN
Strober
et al.,
1990
150
Famille
N
35
35
40
N
711
352
359
1
5
2
8
3
13
21
48
18
35
Sujets
Prévalence Diagnostic N
Comparaison
entre apparentés
Famille
N
Prévalence
AN R/AN B
3 %1
14 %
6 %2
23 %
3 %3
14 %
6 %4
13 %
7 %5
13 %
545
T
23
1
p < 0,10
2
p < 0,05
3
p < 0,01
4
p < 0,001
5
p < 0,002
277
1er degré
1er degré
16,1 %6 MR
29,5 %7 MR
4,7 % MR
12,9 % MR
Parents
Parents
21,6 % MR
32,2 % MR
AN/T NS
8 % MR
11,5 % MR AN/T 0,05 < p < 0,1
Biederman
et al.,
1985
1er degré
1er degré
Logue
et al.,
1989
Prévalence parmi les témoins
1er degré
AN
38
AN-D
AN-N
17
21
AN not B
B not AN
AN-B
6
13
11
AN-ND
AN-D
1er degré
1er degré
2e degré
2e degré
AN-D
AN-ND
AN-D
AN-ND
69
28
= 97
75
91
23
T
EDM
20
16
2 % MR
13 % MR
3 % MR
146
387
T
18 %10
5,1 %
16,2 %11
9,3 %
6
AN/T
7
NS
AN/T p < 0,05 %
Commentaires divers
• TH (UP + BP) (diagnostic vie
entière)
• En utilisant la méthode
abrégée de Weinberg pour
estimer le risque d’un trouble
affectif dans cet échantillon,
plus de 2 fois plus de risque
chez les apparentés des
patients par rapport à la
population générale
• Dépression, TB
• Pas de trouble bipolaire ou de
schizophrénie chez les
apparentés au 1er degré des
AN ou des témoins
• Prévalence du trouble
bipolaire chez les apparentés
2e degré des A (0,9 %) et chez
les apparentés 2e degré des
témoins (1,6 %) : NS
8
AN-D/AN-ND
9
p < 0,05 • Dépression (diagnostic vie
AN-D/T p = 0,01
entière pour les apparentés et
actuel pour les A)
• Prévalence de la dépression
chez les apparentés d’AN
déprimés et non déprimés
107
TH (= 18 66 269
BP, 48 UP)
Mixed
TH
117 469 19,7 %
Mixed
4,1 %
TH
18,3 %
Mixed
6,9 %
Type de trouble de l’humeur
considéré
• EDM (diagnostic vie entière)
• Calcul odds-ratios
• EDM plus fréquent chez les
apparentés TCA (AN + B + AN
B) que chez les apparentés
témoins sains (p < 0,025)
• Pas de différence significative
entre fréquence EDM chez les
apparentés TCA et chez les
apparentés des sujets
déprimés
10
AN-D/TH
11
NS
AN-D/TH NS
• TH (EDM et trouble BP,
diagnostic vie entière)
• TH plus fréquent chez les
apparentés 1er degré AN
déprimés que chez les
apparentés 1er degré AN non
déprimés (p < 0,0001)
• TH plus fréquent chez les
apparentés 1er degré AN
déprimés que chez les
apparentés 1er degré des
témoins avec d’autres
pathologies psychiatriques
(p < 0,0001)
• TH plus fréquent chez les
apparentés 2e degré AN
déprimés que chez les
apparentés 2e degré AN non
déprimés (p < 0,008)
• TH plus fréquent chez les
apparentés 2e degré AN
déprimés que chez les
apparentés 2e degré des
témoins avec d’autres
pathologies psychiatriques
(p < 0,0001)
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
TABLEAU II. — Antécédents familiaux de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale (suite).
Prévalence parmi les TCA
Auteurs
Apparentés
Sujets
TCA
Halmi
et al.,
1991
EDM
Dysthymie
Dépression
BP
AN
Famille
N
N
62
169
57
169
Mère
Mère
1er degré
1er degré
AN
BN
AN-BN
Pasquale
et al.,
1994
11
15
15
TH
1er degré AN
EDM simple 1er degré AN-BN
1er degré TCA
EDM
1er degré TCA
récurrent
1er degré TCA
TB
Dysthymie 1er degré TCA
1er degré TCA
Lilenfeld
et al.,
1998
1er degré
AN-R not
B
BN not AN
Prévalence parmi les témoins
26
47
32
43
45
= 120
93
177
Sujets
Prévalence Diagnostic N
T
62
7 (12 %)12
5 (8,8 %)13
11 (6,5 %)14
1 (0,6 %)15
4,7 % MRc
17,5 % MRc
6,8 % MRc
6,6 %
2,5 %
1,7 %
1,7 %
N
Prévalence
TOC
EDM
(simple et
récurrent)
70
39
283 7 % MR
210 8,3 % MR
T
44
190 7 %
16
16 %
Commentaires divers
• TH (EDM, manie,dysthymie,
BP) (diagnostic vie entière)
178
57 2 (3,5 %)
178 4 (7 %)
8 (4,5 %)
1 (0,6 %)
15 %
Comparaison
entre apparentés
Famille
Type de trouble de l’humeur
considéré
12
A/T
13
A/T
14
A/T
15
NS
NS
NS
A/T NS
• TH (EDM récurrent ou non,
BP) (diagnostic vie entière)
• Comparaison TH chez
apparentés AB et apparentés A
et B : NS
• Comparaison TH chez
apparentés TCA (AN, BN, ANBN), EDM et TOC : NS
• Pour les prévalences EDM
simple, récurrent, TB et
dysthymie chez les apparentés
1er degré : pas de différence
significative retrouvée entre les
3 groupes : TCA, TOC, EDM
16
B/T p = 0,04
• EDM (diagnostic vie entière)
• Relative Risk : B 2,3 ; AR 2,3
AN-B : anorexia nervosa with bulimia ; AN-D : anorexia nervosa déprimées ; AN-ND : anorexia nervosa non déprimées ; AN-R : anorexia nervosa restricters ; AN-R not B : anorexia nervosa restricters
sans antécédents de boulimie ; BN not AN : bulimia nervosa sans antécédents d’anorexia nervosa ; AN : anorexia nervosa ; AN-BN : anorexia nervosa et bulimia nervosa ; AN-MAD : anorexia
nervosa avec major affective disorder ; AN-not MAD : anorexia nervosa sans major affective disorder ; AN-BB : anorexia nervosa with boulimic behaviors ; AN-NTH : anorexia nervosa sans trouble
de l’humeur majeur (UP ou BP) ; AN-TH : anorexia nervosa avec trouble de l’humeur majeur (UP ou BP) ; B : bulimia ; BN : bulimia nervosa ; BP I : trouble bipolaire de type I ; BP II : trouble bipolaire
de type II ; EDM : épisode dépressif majeur ; MRc : méthode similaire à celle employée par Crowe et Smouse,1977 ; article (Gasperini et al., 1991) ; mixed : schizophrénie, troubles des conduites,
trouble de la personnalité, conflits parents-enfants en l’absence d’un trouble de l’axe I ; MR : morbidity risk (Weinberg shorter method, période de développement de la maladie de 16 à 65 ans) ;
MRm : Weinberg version modifiée ; SCZ : schizophrène ; TB : trouble bipolaire ; TCA : trouble du comportement alimentaire ; TH : trouble de l’humeur ; TOC : trouble obsessionnel compulsif ; UP :
unipolaire ; T : témoins sains.
de 39 sujets présentant un trouble de l’humeur (EDM simple ou récurrent).
Pour le premier, la prévalence des troubles de l’humeur
(EDM et trouble bipolaire) chez les apparentés au
1er degré est de 18 % et de 16,2 % chez les apparentés
au 2e degré d’AN déprimés. Ces prévalences ne sont pas
différentes de celles retrouvées chez les apparentés de
sujets ayant un trouble de l’humeur. Pour le second, la prévalence de trouble de l’humeur chez les apparentés de
sujets présentant un TCA est de 6,8 %, elle est de 8,3 %
chez les apparentés de patients présentant un trouble de
l’humeur.
3) Les troubles de l’humeur sont-ils plus fréquents
chez les apparentés de sujets anorexiques avec crises
de boulimie (AN-B) que chez les apparentés
de sujets anorexiques restrictifs (AN-R) ?
Deux études (24, 30) comparent la prévalence de trouble de l’humeur chez les apparentés de sujets AN-B et de
sujets AN-R avec des résultats en apparence contradictoires.
Strober et al. (30) comparent la prévalence de trouble
de l’humeur chez les apparentés au 1er et au 2e degrés
de sujets AN-R et de sujets AN-B. La prévalence de trouble de l’humeur chez les apparentés au 1er degré d’AN-
R est de 3 %, elle est de 14 % chez les apparentés au
1er degré d’AN-B (p < 0,01). La prévalence de trouble de
l’humeur chez les apparentés au 2e degré d’AN-B (13 %)
est supérieure à la prévalence de trouble de l’humeur chez
les apparentés au 2e degré d’AN R (7 %) (p < 0,02).
Dans l’étude de Pasquale et al. (24), la prévalence de
troubles de l’humeur chez les apparentés au 1er degré
d’AN-R est de 4,7 %, elle est de 17,5 % chez les apparentés au 1er degré d’AN-B (NS).
Il faut remarquer que l’étude de Strober et al. (30) concerne 352 apparentés de sujets AN-R et 359 apparentés
de sujets AN-B, alors que celle de Pasquale et al. (24) ne
porte que sur 32 apparentés de sujets AN-R et 45 apparentés de sujets AN-B.
4) La prévalence de trouble de l’humeur
est-elle supérieure chez les apparentés
de sujets AN déprimés que chez les apparentés
de sujets AN non déprimés ?
Deux études (5, 28) comparent la prévalence de troubles
de l’humeur chez les apparentés de sujets souffrant conjointement d’anorexie et de dépression et chez les apparentés de sujets uniquement anorexiques. Leur résultat est
en faveur d’une sur-représentation des troubles de
l’humeur chez les apparentés des anorexiques déprimés.
151
F. Perdereau et al.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Dans l’étude de Biederman et al. (5), la prévalence de
trouble de l’humeur est supérieure chez les apparentés
au 1er degré de sujets souffrant d’AN et de dépression
(13 %) à celle des apparentés au 1er degré de sujets souffrant d’AN mais non déprimés (3 %) (p < 0,05).
De même, Strober et al. (28) retrouvent une prévalence
de troubles de l’humeur supérieure chez les apparentés
au 1er degré de sujets souffrant d’AN déprimés (18 %)
comparée à celle trouvée chez les apparentés au
1er degré de sujets souffrant d’AN non déprimés (5,1 %)
(p < 0,0001). La prévalence de troubles de l’humeur chez
les apparentés au 2e degré de sujets souffrant d’AN déprimés (16,2 %) est supérieure à la prévalence de trouble
de l’humeur chez les apparentés au 2e degré de sujets
souffrant d’AN non déprimés (9,3 %) (p < 0,008).
six études publiées entre 1980 et 2002 concernant les
antécédents familiaux de troubles anxieux dans l’anorexie
mentale, nous en avons exclu deux du fait de la non-utilisation d’outils diagnostiques standardisés (17, 22). Ces
données sont résumées dans le tableau III.
Le trouble anxiété de séparation, même s’il est fréquent
chez les patients souffrant de TCA (2, 13), n’a pas été
étudié chez les apparentés ; il s’agit d’ailleurs, selon le
DSM IV, d’un trouble de l’enfance ou de l’adolescence.
• Trouble obsessionnel compulsif (TOC)
Parmi les troubles anxieux, le TOC est le plus recherché
des antécédents familiaux.
Quatre études ont évalué la prévalence des TOC chez
les apparentés de patients anorexiques (3, 15, 20, 24) et
sont en faveur d’une sur-représentation des TOC dans les
familles d’anorexiques, à l’exception de l’étude de Pasquale et al. (24). Pour ce dernier, le risque de développer
un TOC n’est augmenté que chez les apparentés de sujets
présentant un TOC (p < 0,008). Il faut remarquer que Pasquale et al. (24) et Bellodi et al. (3) considèrent comme
un groupe unique les patients AN-R, AN-B et BN. Leur
Troubles anxieux
Les troubles anxieux comprennent selon le DSM IV : le
trouble obsessionnel compulsif, le trouble panique (avec
ou sans agoraphobie), l’agoraphobie, le trouble anxiété
généralisée, la phobie sociale et la phobie simple. Sur les
TABLEAU III. — Antécédents familiaux de troubles anxieux chez les anorexiques (revue de la littérature).
Prévalence parmi les TCA
Auteurs
Hudson
et al.,
1983
Troubles anxieux
Halmi
et al.,
1991
TOC
Agoraphobie
Phobie simple
Phobie sociale
Attaque de
panique
Lilenfeld
et al.,
1998
Anxiété
généralisée
Phobie sociale
Phobie simple
Trouble panique
PTSD
TOC
Pasquale
et al.,
1994
TOC
TP avec ou sans
agoraphobie
Bellodi
et al.,
2001
TOC
Apparentés
Sujets
Prévalence parmi les témoins
Famille
TCA
N
A
14
N
Sujets
Prévalence Diagnostic N
1er degré
Comparaison
N
Prévalence
1
2
3
1
2
1,8 %
3,5 %
5,3 %
1,8 %
3,5 %
p < 0,05
NS
NS
NS
NS
6%
8%
12 %
1%
2%
3%
p < 0,01
p < 0,11
NS
p < 0,01
NS
p < 0,04
Commentaires
7%
A
57
Mère
Mère
Mère
Mère
Mère
T
6
3
5
0
1
AN R
26
1er degré
1er degré
1er degré
1er degré
1er degré
1er degré
57
10 %
5%
9%
0%
1,8 %
93
T
44
17 %
16 %
15 %
5%
4%
10 %
1er degré
1er degré
1er degré
1er degré
1er degré
1er degré
A
B
A/B
A
A/B
TCA
A
A/B
TCA
11
15
15
1er degré
1er degré
1er degré
AN R
AN P
BN
38
46
52
3,2 % MR
2,2 % MR
1,8 % MR
0 % MR
2,53 % MR
1,9 % MR
3,93 % MR
3,56 % MR
6,06 % MR
TOC
EDM
70
39
4 % MR
0 % MR
TOC
EDM
70
39
1,9 % MR
1 % MR
T
72
Pathologies
somatiques
0 % MR
A : anorexie ; C : groupe contrôle ; NS : non significatif ; TOC : troubles obsessionnels compulsifs.
152
Famille
MR ne diffèrent pas de manière
significative dans les
3 groupes, le risque de
développer un TOC n’est
augmenté que chez les
apparentés de sujets
présentant un TOC (p < 0,008)
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
résultat ne nous donne pas d’information spécifique pour
les anorexiques et n’est pas comparable aux autres.
Dans l’étude de Halmi et al. (15), la prévalence de TOC
chez les mères de patients anorexiques est supérieure à
celle retrouvée (10 % contre 1,8 %, p < 0,005) chez les
mères de sujets témoins.
Lilenfeld et al. (20) corroborent ce résultat chez les
apparentés au 1er degré de sujets anorexiques (10 %
contre 3 %, p < 0,004) et chez les apparentés de sujets
témoins.
Selon Bellodi et al. (3), le nombre d’apparentés ayant
développé un TOC est augmenté chez les apparentés de
sujets présentant un TCA (p < 0,002) en comparaison
avec les apparentés de témoins. Pour les apparentés au
1er degré de sujets AN R, le risque morbide corrigé sur
l’âge des apparentés (morbidity risk) pour le TOC est évalué à 3,93 %, 3,56 % pour les apparentés au 1er degré de
sujets AN B, et 0 % chez les apparentés de sujets témoins
(3). Les apparentés au 1er degré de sujets présentant un
TCA (AN-R, AN-B, BN) sans trouble du spectre des TOC
(TOC, tics) ont plus de risque de présenter un TOC que
les apparentés de sujets témoins (p = 0,002). De même,
les apparentés au 1er degré de sujets présentant un TCA
avec un trouble du spectre des TOC ont plus de risque de
présenter un TOC que les apparentés de sujets témoins
(p < 0,0001).
• Trouble panique et agoraphobie
Trois études ont évalué la prévalence du trouble panique et/ou de l’agoraphobie chez des apparentés de
patients anorexiques (15, 20, 24) ; ces troubles ne semblent pas plus fréquents chez les apparentés d’anorexiques, sauf pour Lilenfeld et al. (20) qui retrouvent une surreprésentation du trouble panique dans ces familles (5 %
contre 1 %) (p = 0,01).
• Trouble anxiété généralisée (TAG)
Une seule étude (20) a évalué la prévalence du TAG
chez les apparentés au 1er degré de patients anorexiques.
Elle retrouve une prévalence du TAG plus importante chez
les apparentés de sujets AN (17 %) que chez les apparentés de sujets témoins (6 %) (p = 0,01).
• Phobie sociale
Deux études ont évalué la prévalence de la phobie
sociale chez les apparentés de sujets anorexiques (15,
20) et trouvent des résultats contradictoires. Il faut souligner que Halmi et al. (15) ne prennent en compte que les
mères (n = 57), alors que Lilenfeld et al. (20) étudient tous
les apparentés au 1er degré (n = 93).
Halmi et al. (15) ne rapportent pas de cas de phobie
sociale chez les mères de sujets anorexiques. Lilenfeld
et al. (20) trouvent une prévalence de la phobie sociale
plus importante chez les apparentés au 1er degré de
sujets anorexiques (16 %) que chez les apparentés au
1er degré de sujets témoins (8 %) (p = 0,01).
• Phobie simple
Deux études ont évalué la prévalence de la phobie simple chez les apparentés de sujets anorexiques (15, 20) et
ne retrouvent pas de différence entre les apparentés de
sujets anorexiques et les apparentés de sujets témoins.
• Syndrome de stress post-traumatique (PTSD)
La seule étude (20) comparant la prévalence du PTSD
chez les apparentés au 1er degré de sujets anorexiques
à celle chez les apparentés de sujets témoins ne met pas
en évidence de différence significative.
DISCUSSION
Au vu de ces études, il est difficile de conclure avec certitude si les épisodes dépressifs majeurs ou la dépression
sont plus fréquents chez les apparentés des sujets anorexiques que chez les apparentés des sujets sains car les
résultats des différentes études sont peu nombreux et
divergents. De plus, ces études donnent peu d’informations sur la prévalence de la dysthymie et du trouble bipolaire chez les apparentés de sujets anorexiques et de
sujets sains.
Néanmoins, il existe des arguments qui plaident en
faveur d’une augmentation de l’EDM dans la famille des
sujets anorexiques. Tout d’abord, l’étude la plus récente
réalisée sur ce sujet soutient cette hypothèse (20). De plus,
la prévalence des troubles de l’humeur paraît aussi importante chez les apparentés de sujets anorexiques que chez
les apparentés de sujets présentant un trouble de l’humeur.
Enfin, il semble que les antécédents familiaux de troubles de l’humeur soient plus fréquents chez les AN boulimiques que chez les AN restrictifs si l’on en croit les résultats de l’étude menée sur le plus gros échantillon (30) mais
ce résultat mérite d’être répliqué. Il est important de souligner que les sujets souffrant d’AN-R sont souvent plus
jeunes que les sujets souffrant d’AN-B, et que les membres de leurs familles peuvent être plus jeunes. En conséquence, la fréquence de la dépression est plus faible
puisqu’elle augmente avec l’âge.
Les troubles de l’humeur semblent plus fréquents dans
les familles d’anorexiques déprimés que dans des familles
d’anorexiques non déprimés, ce qui suggère une transmission de la dépression indépendamment de celle de
l’anorexie (28).
De nouvelles études, évaluant la prévalence des troubles de l’humeur (EDM, dysthymie, trouble bipolaire) chez
les apparentés de sujets anorexiques en comparaison
avec des sujets témoins sains ou présentant des troubles
de l’humeur, sont souhaitables pour pouvoir répondre de
manière plus précise aux différentes questions posées.
Ces études devraient comporter des effectifs plus importants, comparer les différents sous-groupes de sujets
souffrant d’AN (restrictifs, boulimiques, déprimés ou non),
avoir des échantillons témoins appariés avec les sujets au
moins pour le sexe et l’âge, se servir de critères et d’instruments diagnostiques validés et évaluer, autant que possible, les apparentés de manière directe.
Elles devraient aussi détailler les troubles de l’humeur
considérés plutôt que de donner des résultats sur les différents troubles de l’humeur en général.
153
F. Perdereau et al.
Quant aux troubles anxieux, compte tenu du faible nombre d’études, il est difficile de conclure sur leur prévalence
dans les familles d’anorexiques.
Le TOC est le trouble anxieux le plus étudié, il apparaît
être plus fréquent dans les familles d’anorexiques.
L’étude de Lilenfeld et al. (20), la plus récente et la plus
fiable méthodologiquement, va dans le sens d’une prévalence particulièrement importante d’autres troubles
anxieux en plus du TOC (TAG, phobie sociale, trouble
panique) dans les familles d’anorexiques.
Particulièrement pour les troubles anxieux, d’autres travaux doivent être entrepris pour évaluer les antécédents
familiaux dans l’anorexie mentale. Comme pour les études concernant les troubles de l’humeur, ces travaux
devront utiliser des critères et des outils diagnostiques,
inclure des témoins appariés au moins pour l’âge et le
sexe, détailler les différents troubles anxieux et différencier les différents types d’anorexie (AN-R et AN-B).
Ces résultats, même contradictoires, amènent une
réflexion sur le rôle de la comorbidité psychiatrique familiale dans le développement et l’évolution de l’anorexie
mentale.
La comorbidité familiale est envisagée par certains
comme un facteur de gravité ou comme un facteur influençant le pronostic des troubles des conduites alimentaires
(18).
Pantano et al. (23) montrent que les patients ayant des
antécédents psychiatriques familiaux ont des symptômes
anxio-dépressifs plus intenses (à l’échelle de psychopathologie générale, Symptom Check-List 90 items), et des
conduites alimentaires plus pathologiques : conduites de
purges, utilisation de laxatifs.
L’impact de la pathologie parentale peut avoir lieu à différents moments du développement de l’enfant : dans
l’enfance avant l’anorexie ou à l’adolescence au moment
de l’anorexie. Les troubles parentaux peuvent perturber
la qualité des interactions précoces. La dépression maternelle est une des pathologies reconnues pour entraver la
mise en place de liens de bonne qualité mère-enfant (8)
mais d’autres troubles psychiatriques graves peuvent perturber ces liens, y compris les troubles anxieux.
La maladie mentale peut altérer les liens parentsenfants, elle entraîne parfois une séparation qui peut être
concrète, comme lors d’une hospitalisation pour dépression, ou plus abstraite, secondaire à la non-disponibilité
psychique résultant de la maladie mentale.
À l’adolescence, lorsque le processus anorexique
apparaît, les réponses et les attitudes des parents peuvent
intervenir dans l’évolution du trouble. Or, ces réponses
sont en partie sous-tendues par leur état de santé et leurs
propres difficultés. Pris par leurs propres troubles, qu’ils
soient dépressifs ou anxieux, ces parents peuvent ne pas
percevoir la conduite anorexique et retarder ainsi la prise
en charge. Cette latence avant les soins peut être un élément péjoratif du traitement rendu difficile par la chronicité
de la situation (18). De plus, l’accompagnement parental,
tout à fait nécessaire et bénéfique dans les soins de l’adolescent, pourra être altéré par une pathologie parentale.
154
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Même si les décompensations psychiatriques parentales sont favorisées par une fragilité préexistante, elles sont
souvent très culpabilisantes pour le jeune en souffrance,
entravant ainsi le processus d’autonomisation pourtant
nécessaire à l’évolution positive du trouble alimentaire.
Dans notre pratique clinique, la fréquence de troubles
psychiatriques retrouvés dans les familles des anorexiques nous amène à être particulièrement vigilants pour
repérer l’existence de ces antécédents.
Cette attention particulière a une double fonction.
1) Tout d’abord, elle nous permet parfois de mieux comprendre la symptomatologie dont souffre tel patient, et
d’émettre des hypothèses sur l’étiopathogénie de ses
troubles ainsi que sur la valeur de ses symptômes. L’histoire des troubles parentaux éventuels peut nous permettre de percevoir à quel moment de son développement
l’enfant a pu éprouver des difficultés dans les interactions
avec ses proches, et quelles en sont les répercussions sur
l’organisation actuelle de sa personnalité.
2) La deuxième fonction de la recherche attentive des
troubles familiaux est de permettre d’engager un traitement.
La prise en charge des pathologies parentales et éventuellement de la fratrie est primordiale, que ce soit pour
l’apparenté du sujet anorexique ou pour la bonne évolution
du trouble alimentaire.
En effet, les troubles familiaux, en particulier parentaux,
peuvent être un facteur de pérennisation et donc d’aggravation du trouble alimentaire. Nous ne devons pas oublier
que l’anorexie peut devenir une maladie chronique, invalidante, avec son lot de complications : physiques (osseuses en particulier), sociales (confinant les sujets dans un
retrait et dans l’absence de relations affectives) et surtout
psychiques avec une perte des investissements objectaux, la prolongation de l’anorexie entraînant une réorganisation pathologique de la personnalité. Plus l’anorexie
se prolonge, plus cette réorganisation est rigide et difficilement mobilisable. Il importe donc d’éviter cette évolution
qui, hélas, n’est pas exceptionnelle. La persistance des
troubles psychiatriques dans la famille peut pérenniser
cette situation en entraînant une sorte de cercle vicieux
dont l’adolescent est prisonnier. Toute tentative d’autonomisation de sa part, qui irait dans le sens d’une guérison,
est entravée par sa propre maladie et par celles de ses
parents. Pour permettre d’entamer un processus de guérison, il semble indispensable, dans certaines circonstances, de permettre à l’adolescent de se dégager de la problématique familiale. Ceci n’est possible qu’avec une prise
en charge adaptée aux difficultés de chacun, impliquant
parfois un suivi individuel pour l’un ou l’autre des parents
en difficulté.
CONCLUSION
Les résultats des études de comorbidité familiale portant sur les troubles de l’humeur et les troubles anxieux
montrent une sur-représentation des EDM et des TOC
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 144-55
Antécédents familiaux de troubles anxieux et de troubles de l’humeur dans l’anorexie mentale
chez les apparentés des sujets anorexiques. Pour les
autres troubles de l’humeur et les autres troubles anxieux,
de nouvelles études familiales sont nécessaires, afin
d’éclaircir les données de comorbidité familiale.
Elles nécessitent de répondre à des exigences méthodologiques strictes :
– échantillon suffisamment grand ;
– échantillon homogène quant à la symptomatologie
restrictive ou boulimique, comparaison des résultats entre
les deux formes de la maladie ;
– utilisation d’instruments diagnostiques pour poser
les diagnostics des troubles des sujets et de leurs apparentés ;
– nombre maximal d’apparentés évalués directement ;
au minimum, les deux parents doivent être évalués ;
– évaluations des apparentés en aveugle de la pathologie du sujet index ;
– appariement avec un groupe contrôle ;
– précision sur la chronologie d’apparition des troubles
familiaux et du sujet index.
Enfin, cette comorbidité, si elle permet d’ouvrir une piste
de recherche sur les facteurs biologiques et génétiques
participant à la genèse de l’anorexie mentale, permet
avant tout d’être particulièrement vigilant pour repérer
l’existence de tels troubles et d’étayer les prises en charge
familiales de ces patients.
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