Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016
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Éditorial
Regards croisés sur l’anorexie
Diverse perspectives on anorexia
E
n France, l’anorexie mentale (AM) sévère (indice
de masse corporelle < 16 à 18 ans) touche 0,5 %
des jeunes filles entre 12 et 18 ans (1) et dans
les études internationales, sa fréquence varie et peut
atteindre jusqu’à 2,2 % des jeunes femmes (2). L’AM
est environ 10 fois moins fréquente chez les jeunes
hommes. L’AM est un trouble psychiatrique dont la
morbimortalité est l’une des plus importantes, étant liée
aux conséquences somatiques de la dénutrition, aux
troubles psychiatriques associés et au très grand risque
suicidaire1. Les formes partielles ou subsyndromiques
(EDNOS ou TCA-NS2) sont 2 à 10 fois plus courantes ;
moins sévères en apparence, elles sont, comme l’AM
avérée, des facteurs de risque de troubles physiques
et psychiques à l’âge adulte. Alors que l’AM semble
connue de tous, grand public et praticiens, seuls 25 %
des sujets atteints d’une forme partielle et 50 % des
sujets souffrant d’AM sont soignés pour ce trouble (1, 3).
Ce numéro des Correspondances en MHDN centré sur
l’AM permettra aux praticiens de parfaire leurs connais-
sances sur cette affection mal connue. Il fait un point sur
3 axes : les conséquences somatiques de l’AM en termes
d’ostéoporose sont exposées par I. Legroux-Gérot ; une
forme partielle d’AM appelée anorexie athletica est décrite
par P. Nathan ; et l’étiopathogénie de l’AM est précisée
au travers de 2 modèles envisageant la question, d’une
part sous un angle neuro-immunologique, développé par
J. Breton et al., et d’autre part sous un angle neuroscien-
tifique reprenant le concept d’addiction, par J. Vignau.
L’AM est responsable d’une dénutrition chronique ayant
des répercussions graves en termes d’ostéopénie et
d’ostéoporose, à l’origine d’un risque fracturaire accru,
qui persiste parfois malgré la normalisation pondé-
rale. La renutrition, indispensable aux soins, n’est pas
toujours aisée et ne permet que partiellement de trai-
ter ce problème. Sont développés dans ce numéro la
revue de la littérature sur les mécanismes impliqués, les
pistes thérapeutiques existant à ce jour et leurs méca-
nismes d’action. De nombreuses questions restent en
suspens et devront être traitées dans des programmes
de recherche.
Si une association entre danse classique et AM est large-
ment admise, celle entre troubles des conduites alimen-
taires et autres sports l’est moins bien. Cette association a
donné lieu à la définition de l’anorexie athletica. La revue
de la littérature présentée ici sur ce thème bouscule
les idées reçues : hommes et femmes sont concernés,
tous les sports sont possiblement impliqués, cela ne
touche pas que les sportifs professionnels. En outre,
vous apprendrez ici comment dépister ces troubles et
la conduite à tenir dans une telle situation.
Enfin, ce numéro propose 2 angles de vue sur l’étio-
pathogénie de l’AM. Les 2 modèles proposés peuvent
à première vue renforcer le sentiment de “cacopho-
nie éthiopathogénique” (2) rencontré par ceux qui ne
connaissent pas le sujet. L’AM est un trouble complexe
impliquant l’individu dans ses dimensions biologiques,
psychologiques et sociales, se prêtant chacune à des
modèles de compréhension qui abordent la question
sous des angles différents, partiels et complémen-
taires. Deux points de vue sont ici proposés, l’un par-
tant des modèles animaux et impliquant immunité et
microbiote, l’autre reprenant le concept d’addiction
développé depuis les années 1990 par des auteurs
comme P. Jeammet et J.L. Venisse, mais en l’abordant
sous l’angle des neurosciences. N’oublions pas que ces
modèles ne sont que des perspectives partielles, ils per-
mettent d’aborder scientifiquement une affection qui
touche des individus, et ont tous en commun de trouver
de nouvelles pistes thérapeutiques pour un trouble
dont les traitements actuels restent insatisfaisants. Ils
sont maintenant souvent rassemblés sous la forme de
modèles étiopathogéniques intégratifs (4), alliant des
aspects psychologiques, physiologiques, nutrition-
nels, génétiques, développementaux et sociaux. Ils
correspondent au meilleur traitement que l’on puisse
actuellement proposer pour l’AM à ce jour : une prise en
charge pluridisciplinaire associant les aspects psycho-
logiques, nutritionnels, somatiques, familiaux et sociaux.
Nathalie Godart
Service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte,
institut mutualiste Montsouris, Paris
1 https://www.senat.fr/rap/
l07-439/l07-439.html
2 Eating Disorder Not
Otherwise Specified (EDNOS)
ou trouble des conduites
alimentaires non spécifié
(TCA-NS), c’est-à-dire
répondant à une partie des
critères de l’anorexie mais
pas à tous.
1. Godart N , Legleye S , Huas
C et al. Epidemiology of ano-
rexia nervosa in a French
community-based sample of
39,542 adolescents. Open J
Epidemiol 2013;3:53-61.
2. Keski-Rahkonen A, Hoek HW,
Susser ES et al. Epidemiology
and course of anorexia ner-
vosa in the community. Am J
Psychiatry 2007;164(8):1259-
65.
3. Roux H, Chapelon E,
Godart N. [Epidemiology of
anorexia nervosa: a review].
Encephale 2013;39(2):85-93.
4. Gorwood P, Blanchet-Collet
C, Chartrel N et al. New insights
in anorexia nervosa. Front
Neurosci 2016;10:256.
Références