Éditorial Regards croisés sur l’anorexie Diverse perspectives on anorexia E n France, l’anorexie mentale (AM) sévère (indice de masse corporelle < 16 à 18 ans) touche 0,5 % des jeunes filles entre 12 et 18 ans (1) et dans les études internationales, sa fréquence varie et peut atteindre jusqu’à 2,2 % des jeunes femmes (2). L’AM est environ 10 fois moins fréquente chez les jeunes hommes. L’AM est un trouble psychiatrique dont la morbimortalité est l’une des plus importantes, étant liée aux conséquences somatiques de la dénutrition, aux troubles psychiatriques associés et au très grand risque suicidaire1. Les formes partielles ou subsyndromiques (EDNOS ou TCA-NS2) sont 2 à 10 fois plus courantes ; moins sévères en apparence, elles sont, comme l’AM avérée, des facteurs de risque de troubles physiques et psychiques à l’âge adulte. Alors que l’AM semble connue de tous, grand public et praticiens, seuls 25 % des sujets atteints d’une forme partielle et 50 % des sujets souffrant d’AM sont soignés pour ce trouble (1, 3). Ce numéro des Correspondances en MHDN centré sur l’AM permettra aux praticiens de parfaire leurs connaissances sur cette affection mal connue. Il fait un point sur 3 axes : les conséquences somatiques de l’AM en termes d’ostéoporose sont exposées par I. Legroux-Gérot ; une forme partielle d’AM appelée anorexie athletica est décrite par P. Nathan ; et l’étiopathogénie de l’AM est précisée au travers de 2 modèles envisageant la question, d’une part sous un angle neuro-immunologique, développé par J. Breton et al., et d’autre part sous un angle neuroscientifique reprenant le concept d’addiction, par J. Vignau. L’AM est responsable d’une dénutrition chronique ayant des répercussions graves en termes d’ostéopénie et d’ostéoporose, à l’origine d’un risque fracturaire accru, qui persiste parfois malgré la normalisation pondérale. La renutrition, indispensable aux soins, n’est pas toujours aisée et ne permet que partiellement de traiter ce problème. Sont développés dans ce numéro la revue de la littérature sur les mécanismes impliqués, les pistes thérapeutiques existant à ce jour et leurs mécanismes d’action. De nombreuses questions restent en suspens et devront être traitées dans des programmes de recherche. Si une association entre danse classique et AM est largement admise, celle entre troubles des conduites alimentaires et autres sports l’est moins bien. Cette association a donné lieu à la définition de l’anorexie athletica. La revue de la littérature présentée ici sur ce thème bouscule les idées reçues : hommes et femmes sont concernés, tous les sports sont possiblement impliqués, cela ne touche pas que les sportifs professionnels. En outre, vous apprendrez ici comment dépister ces troubles et la conduite à tenir dans une telle situation. Enfin, ce numéro propose 2 angles de vue sur l’étiopathogénie de l’AM. Les 2 modèles proposés peuvent à première vue renforcer le sentiment de “cacophonie éthiopathogénique” (2) rencontré par ceux qui ne connaissent pas le sujet. L’AM est un trouble complexe impliquant l’individu dans ses dimensions biologiques, psychologiques et sociales, se prêtant chacune à des modèles de compréhension qui abordent la question sous des angles différents, partiels et complémentaires. Deux points de vue sont ici proposés, l’un partant des modèles animaux et impliquant immunité et microbiote, l’autre reprenant le concept d’addiction développé depuis les années 1990 par des auteurs comme P. Jeammet et J.L. Venisse, mais en l’abordant sous l’angle des neurosciences. N’oublions pas que ces modèles ne sont que des perspectives partielles, ils permettent d’aborder scientifiquement une affection qui touche des individus, et ont tous en commun de trouver de nouvelles pistes thérapeutiques pour un trouble dont les traitements actuels restent insatisfaisants. Ils sont maintenant souvent rassemblés sous la forme de modèles étiopathogéniques intégratifs (4), alliant des aspects psychologiques, physiologiques, nutritionnels, génétiques, développementaux et sociaux. Ils correspondent au meilleur traitement que l’on puisse actuellement proposer pour l’AM à ce jour : une prise en charge pluridisciplinaire associant les aspects psycho­ logiques, nutritionnels, somatiques, familiaux et sociaux. Nathalie Godart Service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, institut mutualiste Montsouris, Paris Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 8 - octobre 2016 1 https://www.senat.fr/rap/ l07-439/l07-439.html 2 Eating Disorder Not Otherwise Specified (EDNOS) ou trouble des conduites alimentaires non spécifié (TCA-NS), c’est-à-dire répondant à une partie des critères de l’anorexie mais pas à tous. Références 1. Godart N , Legleye S , Huas C et al. Epidemiology of anorexia nervosa in a French community-based sample of 39,542 adolescents. Open J Epidemiol 2013;3:53-61. 2. Keski-Rahkonen A, Hoek HW, Susser ES et al. Epidemiology and course of anorexia nervosa in the community. Am J Psychiatry 2007;164(8):125965. 3. Roux H, Chapelon E, Godart N. [Epidemiology of anorexia nervosa: a review]. Encephale 2013;39(2):85-93. 4. Gorwood P, Blanchet-Collet C, Chartrel N et al. New insights in anorexia nervosa. Front Neurosci 2016;10:256. 205