T. Gallarda L’Encéphale, 2006 ;
32 :
1117-21, cahier 4
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rielle, motrice et intellectuelle plus marquée ; un appau-
vrissement de la vie affective, des contacts sociaux ou des
pôles d’intérêt ; de plus grandes difficultés d’adaptation
aux situations nouvelles induisant des sentiments d’insé-
curité, un surinvestissement du présent, un désinvestis-
sement affectif et dans certains cas des troubles
mentaux » (1).
STRESS NORMAL ET PATHOLOGIQUE À L’AUNE
DU VIEILLISSEMENT : LA TRIADE PERSONNE ÂGÉE,
PRATICIEN, SOCIÉTÉ
Se pencher sur la question du stress normal et patho-
logique chez la personne âgée conduit à considérer trois
points de vue : celui de la personne âgée ou de la per-
sonne très âgée, lorsque l’âge de celle-ci dépasse
85 ans ; celui de notre société « développée », dont force
est de constater qu’elle reproduit à certains égards la vio-
lence des sociétés primitives vis-à-vis de ses aînés (2) ;
et enfin celui du praticien, spécialiste ou non de santé men-
tale, dont le métier consiste à prodiguer du soin à des
patients âgés en situation de stress.
Examinons les principaux déterminants de la notion de
stress du point de vue de la personne âgée. Avec l’avance
en âge, la capacité de gestion du stress résulte de l’inte-
raction de différents facteurs individuels. Parmi eux, l’âge
lui-même – les capacités et les efforts d’adaptation appa-
raissent très différents selon qu’on est encore un jeune
retraité ou un vieillard de 90 ans- les éléments psychobio-
graphiques, l’existence d’antécédents psychopathologi-
ques, le profil de personnalité, mais aussi la notion d’une
comorbidité organique cérébrale et le cumul des avatars
liés au vieillissement (déficits sensoriels, limitation de
l’autonomie etc.).
La distinction selon l’âge
est primordiale.
Aux âges les plus avancés de la vie, alors que la fin devient
désormais imminente, certains vieillards peuvent cesser
tout effort d’adaptation. Ils ont perdu toute illusion de con-
trôle. Ces capitulations revêtent la forme d’un syndrome
de glissement, d’une perte de la motivation à vivre, d’un
syndrome de désinvestissement, concourent parfois à un
geste suicidaire.
Les antécédents psychopathologiques
doivent être soigneusement recherchés. Épisodes
dépressifs récurrents ou chroniques, syndrome de stress
post-traumatique ou tout autre antécédent de trouble men-
tal caractérisé diminuent, en proportions variables, le capi-
tal physiologique et psychique nécessaire à une gestion
optimale du stress. En témoigne l’abondante littérature
consacrée aux effets délétères du stress chronique sur le
système de régulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-
corticosurrénalien (6).
La reconstitution biographique
et le
recueil des événements existentiels mettent en lumière les
talents de résilience des patients âgés (3). Certains qui
auront cheminé tranquillement, abrités des aléas de l’exis-
tence jusqu’à un âge avancé, peuvent se montrer désar-
çonnés par les accidents somatiques et les blessures nar-
cissiques infligées avec l’avance en âge. États régressifs
et plaintes enlisées s’ouvrent alors comme des solutions
à risque chez les plus vulnérables d’entre eux. D’autres
qui auront été confrontés, parfois dès leur plus jeune âge,
aux vicissitudes de l’existence se révèlent, à certains
égards, plus « aguerris ». Les obstacles et les traumatis-
mes précoces ont pu conduire ces derniers à anticiper des
aménagements de leur existence ou à rechercher une
aide psychothérapique spécifique.
Des tempéraments et
des profils de personnalité
prédiraient des conditions favo-
rables de vieillissement. Un caractère optimiste et extra-
verti mais également les capacités de « transcendance »
sont régulièrement cités dans les facteurs associés à un
« vieillissement réussi » (8, 10).
Mais le vieillissement normal diminue également l’arse-
nal physiologique dont nous disposons pour nous adapter
à des contraintes progressivement croissantes. La baisse
de l’efficience de certains
mécanismes de défense immu-
nitaire
favorise la survenue d’affections somatiques,
notamment néoplasiques.
La comorbidité avec une affec-
tion organique cérébrale
, cérébrovasculaire ou dégéné-
rative, entrave les mécanismes cérébraux d’adaptation à
une situation inhabituelle donnée, que celle-ci revête ou
non un caractère anxiogène. Par l’interruption de circuits
sous-cortico-frontaux, les micro-infarctus cérébraux dont
la fréquence augmente avec l’âge, peuvent rendre compte
d’un grippage de mécanismes adaptatifs jusque-là bien
huilés (4).
Que dire des liens que noue notre
société
avec les
notions de stress et de vieillissement ? Fantasmes de maî-
trise de la destinée et même d’immortalité, culte perma-
nent de la performance et de l’action symbolisées par la
jeunesse, évacuation radicale de la question de la mort
et alternance de discours euphémiques et violents autour
de la vieillesse sont tour à tour convoqués dans les
médias. Quelle femme pourra échapper désormais au dik-
tat des cosmétiques antirides ou au miroir aux alouettes
des actes de chirurgie antivieillissement ? Quel homme
vieillissant n’a pas succombé aux dopants de l’énergie
sexuelle mis à disposition sur le marché ou, au moins, n’en
a pas caressé l’idée ? La violence sociale faite aux Vieux
est ancestrale et sans détour (2). En atteste l’ambiguïté
et l’hypocrisie du discours politique actuel sur les effets
de la canicule de l’été 2003 sur cette population…
Quelles sont les principales facettes du
prisme de lec-
ture d’un praticien
qui consacre tout ou partie de son acti-
vité de soins à des personnes âgées présentant des symp-
tômes de stress ? L’âge du praticien est assurément un
facteur important, par le lien générationnel qu’il induit de
facto dans la relation avec le patient âgé. Une différence
d’âge importante entre le praticien et son patient peut être
le gage d’un bon accordage relationnel « recréant » la
qualité relationnelle souvent observée entre des grands-
parents et leurs petits-enfants alors que sont évacués les
griefs qui opposent parfois deux générations successives.
Les propres croyances du médecin par rapport au vieillis-
sement en général et ses projections personnelles par
rapport à son vieillissement possèdent également une
influence décisive dans la capacité de ce dernier à
accueillir et à apaiser l’angoisse de ces patients (5).