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Vieillissement et stress pathologique : les psychotropes
pourraient-ils constituer de véritables alliés thérapeutiques ?
T. GALLARDA (1)
« VIEILLISSEMENT » ET « STRESS »
SONT-ILS SYNONYMES ?
« À quel degré de bonté et d’humour ne faut-il pas parvenir pour supporter l’horreur de la vieillesse ! » écrivait
Freud, alors âgé de 80 ans, à Lou Andréas-Salomé
(in Correspondance avec Freud, Gallimard, 1970).
« Vieillissement » et « stress » seraient-ils donc synonymes ?
« Vieillissement » se définit par le « fait de vieillir ».
Selon le Dictionnaire Historique de la Langue Française,
le mot a d’abord été employé pour « s’user », en parlant
des habits, puis des êtres vivants (XIIIe siècle). Le processus à l’œuvre, caractérisé par « un déclin des fonctions
lié à l’usure des organes » n’épargne aucun individu, concomitant de la différenciation, de la croissance, de la vie.
Le vieillissement implique par essence l’idée d’une involution et d’un rapprochement du terme de la vie. Cette
mécanique implacable de déchéance physiologique et le
rendez-vous avec la mort font le tragique de l’existence
humaine.
La définition première de « stress » est empruntée au
vocabulaire des sciences physiques. Le stress est « la
contrainte exercée sur un matériau ». Après les travaux
de Hans Selye, la notion de stress se conçoit ensuite
comme une « réponse non spécifique que donne le corps
à toute demande qui lui est faite ». Depuis sa naissance,
l’homme vit donc en état permanent de stress. Le stress
reflète les nécessaires interactions avec son milieu. Le
stress « normal » constitue une réponse adaptative,
nécessaire à la survie de l’individu. Qu’entend-on par
« stress pathologique », stress « maladie » ? Quelles
sont les manifestations de stress qui pourraient être
l’affaire du médecin ? Dans une conception médicale, la
distinction entre le stress normal et le stress pathologique
s’établit sur l’efficience de la phase d’adaptation : Dans
une situation de stress normal, les stratégies d’adaptation
de l’organisme permettent de moduler une réponse
adaptée ; en situation de stress pathologique, les capacités d’adaptation sont dépassées et deviennent inopérantes… Se manifestent alors des troubles de l’adaptation,
transitoires ou durables, favorisant parfois l’éclosion de
troubles mentaux (9).
Que devons-nous penser de la « bonté » et de
« l’humour » que convoque le père de la psychanalyse
comme stratégies défensives contre « l’horreur de la
vieillesse » ?
L’humour se définit par : une « disposition à la gaieté »,
la faculté de présenter la réalité de manière à en montrer
les aspects plaisants, insolites ou parfois absurdes, avec
une attitude empreinte de détachement ; la bonté, dans
la société chrétienne du moyen âge, est un attribut divin
dont l’homme est privé par le péché originel, mais dont il
peut s’approcher en se consacrant au service de Dieu…
Ainsi, l’optimisme, défini par une « disposition à la gaieté »
– dont la notion première trouve ses racines dans le corpus
philosophique – allié à une disposition au détachement
apparaît comme un rempart possible aux assauts du
vieillissement. La quête d’un idéal de bonté, dans l’acception spirituelle du mot, en est un autre moyen.
Sont-ce ces armes dont parle Freud qui permettraient
à certains de réussir l’épreuve du vieillissement comme
d’autres viendraient la rater ? Une littérature abondante,
le plus souvent gériatrique ou gérontologique, a proposé
diverses définitions de ce que pourrait être un vieillissement réussi opposé à un vieillissement « difficile ». Belmin, à la suite de nombreux auteurs a défini le vieillissement « réussi » par une involution très lente des fonctions
sensorielles, motrices et intellectuelles ; le développement au cours de la vie d’intérêts multiples, non exclusivement professionnels et la conservation de rapports harmonieux avec les enfants, petits-enfants et amis. Le
vieillissement difficile conjugue : « une évolution senso-
(1) Unité d’évaluation des troubles psychiques et du vieillisement, Service Hospitalo-Universitaire, CH Sainte-Anne, 75 674 Paris cedex 14.
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rielle, motrice et intellectuelle plus marquée ; un appauvrissement de la vie affective, des contacts sociaux ou des
pôles d’intérêt ; de plus grandes difficultés d’adaptation
aux situations nouvelles induisant des sentiments d’insécurité, un surinvestissement du présent, un désinvestissement affectif et dans certains cas des troubles
mentaux » (1).
STRESS NORMAL ET PATHOLOGIQUE À L’AUNE
DU VIEILLISSEMENT : LA TRIADE PERSONNE ÂGÉE,
PRATICIEN, SOCIÉTÉ
Se pencher sur la question du stress normal et pathologique chez la personne âgée conduit à considérer trois
points de vue : celui de la personne âgée ou de la personne très âgée, lorsque l’âge de celle-ci dépasse
85 ans ; celui de notre société « développée », dont force
est de constater qu’elle reproduit à certains égards la violence des sociétés primitives vis-à-vis de ses aînés (2) ;
et enfin celui du praticien, spécialiste ou non de santé mentale, dont le métier consiste à prodiguer du soin à des
patients âgés en situation de stress.
Examinons les principaux déterminants de la notion de
stress du point de vue de la personne âgée. Avec l’avance
en âge, la capacité de gestion du stress résulte de l’interaction de différents facteurs individuels. Parmi eux, l’âge
lui-même – les capacités et les efforts d’adaptation apparaissent très différents selon qu’on est encore un jeune
retraité ou un vieillard de 90 ans- les éléments psychobiographiques, l’existence d’antécédents psychopathologiques, le profil de personnalité, mais aussi la notion d’une
comorbidité organique cérébrale et le cumul des avatars
liés au vieillissement (déficits sensoriels, limitation de
l’autonomie etc.). La distinction selon l’âge est primordiale.
Aux âges les plus avancés de la vie, alors que la fin devient
désormais imminente, certains vieillards peuvent cesser
tout effort d’adaptation. Ils ont perdu toute illusion de contrôle. Ces capitulations revêtent la forme d’un syndrome
de glissement, d’une perte de la motivation à vivre, d’un
syndrome de désinvestissement, concourent parfois à un
geste suicidaire. Les antécédents psychopathologiques
doivent être soigneusement recherchés. Épisodes
dépressifs récurrents ou chroniques, syndrome de stress
post-traumatique ou tout autre antécédent de trouble mental caractérisé diminuent, en proportions variables, le capital physiologique et psychique nécessaire à une gestion
optimale du stress. En témoigne l’abondante littérature
consacrée aux effets délétères du stress chronique sur le
système de régulation de l’axe hypothalamo-hypophysocorticosurrénalien (6). La reconstitution biographique et le
recueil des événements existentiels mettent en lumière les
talents de résilience des patients âgés (3). Certains qui
auront cheminé tranquillement, abrités des aléas de l’existence jusqu’à un âge avancé, peuvent se montrer désarçonnés par les accidents somatiques et les blessures narcissiques infligées avec l’avance en âge. États régressifs
et plaintes enlisées s’ouvrent alors comme des solutions
à risque chez les plus vulnérables d’entre eux. D’autres
qui auront été confrontés, parfois dès leur plus jeune âge,
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aux vicissitudes de l’existence se révèlent, à certains
égards, plus « aguerris ». Les obstacles et les traumatismes précoces ont pu conduire ces derniers à anticiper des
aménagements de leur existence ou à rechercher une
aide psychothérapique spécifique. Des tempéraments et
des profils de personnalité prédiraient des conditions favorables de vieillissement. Un caractère optimiste et extraverti mais également les capacités de « transcendance »
sont régulièrement cités dans les facteurs associés à un
« vieillissement réussi » (8, 10).
Mais le vieillissement normal diminue également l’arsenal physiologique dont nous disposons pour nous adapter
à des contraintes progressivement croissantes. La baisse
de l’efficience de certains mécanismes de défense immunitaire favorise la survenue d’affections somatiques,
notamment néoplasiques. La comorbidité avec une affection organique cérébrale, cérébrovasculaire ou dégénérative, entrave les mécanismes cérébraux d’adaptation à
une situation inhabituelle donnée, que celle-ci revête ou
non un caractère anxiogène. Par l’interruption de circuits
sous-cortico-frontaux, les micro-infarctus cérébraux dont
la fréquence augmente avec l’âge, peuvent rendre compte
d’un grippage de mécanismes adaptatifs jusque-là bien
huilés (4).
Que dire des liens que noue notre société avec les
notions de stress et de vieillissement ? Fantasmes de maîtrise de la destinée et même d’immortalité, culte permanent de la performance et de l’action symbolisées par la
jeunesse, évacuation radicale de la question de la mort
et alternance de discours euphémiques et violents autour
de la vieillesse sont tour à tour convoqués dans les
médias. Quelle femme pourra échapper désormais au diktat des cosmétiques antirides ou au miroir aux alouettes
des actes de chirurgie antivieillissement ? Quel homme
vieillissant n’a pas succombé aux dopants de l’énergie
sexuelle mis à disposition sur le marché ou, au moins, n’en
a pas caressé l’idée ? La violence sociale faite aux Vieux
est ancestrale et sans détour (2). En atteste l’ambiguïté
et l’hypocrisie du discours politique actuel sur les effets
de la canicule de l’été 2003 sur cette population…
Quelles sont les principales facettes du prisme de lecture d’un praticien qui consacre tout ou partie de son activité de soins à des personnes âgées présentant des symptômes de stress ? L’âge du praticien est assurément un
facteur important, par le lien générationnel qu’il induit de
facto dans la relation avec le patient âgé. Une différence
d’âge importante entre le praticien et son patient peut être
le gage d’un bon accordage relationnel « recréant » la
qualité relationnelle souvent observée entre des grandsparents et leurs petits-enfants alors que sont évacués les
griefs qui opposent parfois deux générations successives.
Les propres croyances du médecin par rapport au vieillissement en général et ses projections personnelles par
rapport à son vieillissement possèdent également une
influence décisive dans la capacité de ce dernier à
accueillir et à apaiser l’angoisse de ces patients (5).
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DÉLIMITER LA FRONTIÈRE
ENTRE LE STRESS NORMAL
ET LE STRESS PATHOLOGIQUE
UNE MISSION DIFFICILE CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE
« Older people frequently have much to worry about :
illness, financial security, social isolation, safety, accidents, and the approach of death – each or all of which
may serve as focal points of reality around which anxiety
may grow and develop ». (Carl Salzman, Javaid I. Sheikh).
Comme le souligne Carl Salzman, les motifs d’inquiétude
sont légion chez la personne âgée. Dès lors, comment distinguer une inquiétude légitime qui devra être entendue
et préservée car elle est susceptible de s’accompagner
de phénomènes adaptatifs, de manifestations de stress
pathologique qui dépassent les possibilités d’adaptation
du sujet et doivent relever d’une approche médicale
structurée ? Délimiter la frontière entre le stress normal et
le stress pathologique est une tâche encore plus ardue
chez la personne âgée que chez le sujet d’âge moyen mais
elle conditionne la conduite thérapeutique, notamment
l’indication à délivrer des psychotropes.
Les auteurs des classifications diagnostiques des troubles mentaux (DSM IV-R, ICD 10) ont appréhendé cette
question en insistant sur la difficulté de définition du trouble
mental en général. Différents indicateurs utiles dans la
définition d’un trouble mental sont proposés (souffrance,
mauvaise capacité de contrôle de soi, désavantage, handicap, rigidité, irrationalité, déviation statistique, étiologie
et modèle syndromique…) mais ces auteurs précisent
« qu’aucun de ces indicateurs n’est équivalent au concept
et que différentes situations demandent différentes
définitions » (DSM IV-R). Les spécificités de la psychiatrie
gériatrique dans ce champ ne sont pas notifiées.
La validité des critères de définition DSM IV-R des troubles anxieux au sein de populations âgées doit être questionnée. Dans ce système, les comorbidités avec d’autres
troubles mentaux, en particulier les troubles dépressifs et
les addictions et des affections somatiques sont retrouvées dans la majorité des cas. Des études complémentaires sur les spécificités phénoménologiques et thérapeutiques de ces troubles sont nécessaires. L’âge de
survenue des premières manifestations pathologiques du
stress au cours de la vie est un indicateur précieux, selon
qu’il peut être situé dès l’enfance ou l’adolescence ou
beaucoup plus tardivement, après 60 ans. En effet,
l’émergence de novo d’attaques de panique, de symptômes obsessionnels compulsifs ou de phobies, dans la
deuxième partie de la vie semble assez rare et lorsque
c’est le cas, une comorbidité somatique, organique cérébrale ou affectant un autre système, doit de principe être
recherchée. En son absence, un trouble dépressif d’intensité variable doit toujours être évoqué.
Vieillissement et stress pathologique
COMMENT APAISER LES MANIFESTATIONS
PATHOLOGIQUES DU STRESS
CHEZ LES PATIENTS ÂGÉS ?
Comme chez le sujet plus jeune, la thérapeutique doit
toujours être abordée sous son triple aspect, biologique,
psychothérapique et psychosocial.
La qualité de l’étayage social et familial est fondamentale. La solitude et l’isolement social font le lit de nombreuses manifestations pathologiques du stress chez la personne âgée.
La croyance religieuse et le maintien d’une vie spirituelle sont communément considérés comme des facteurs protecteurs contre les symptômes anxio-dépressifs,
en particulier chez les sujets très âgés, mobilisés par
l’angoisse de mort. La pratique d’un rituel religieux ou
l’engagement dans des activités caritatives et/ou de bénévolat participent au maintien du lien social et permettent
temporairement au sujet de se distancier de préoccupations égocentrées. L’implication dans des associations de
malades ou de familles de malades procède d’une dynamique proche. L’évaluation des ressources financières ne
doit pas être négligée. Le niveau de revenus peut conditionner l’accès à des prestations d’accompagnement et
d’aide au maintien de l’autonomie fort coûteuses. C’est un
facteur essentiel lorsque se pose la question d’une entrée
en institution. Le niveau socio-éducatif conditionne également pour partie la précocité de mise en place d’un dispositif opérant de soins.
L’abord de certaines manifestations pathologiques de
stress peut passer par la mise en œuvre d’un accompagnement psychologique régulier (psychothérapie de
soutien) voire d’un suivi psychothérapique structuré (psychothérapie d’inspiration psychanalytique, thérapie cognitive…). Une prise en charge psychothérapique est particulièrement indiquée lorsqu’il existe des facteurs de
personnalité (par exemple traits de personnalité dépendante, hystérique…) entravant toute réelle possibilité de
surmonter la situation anxiogène et susceptible au contraire de favoriser une chronicisation et une aggravation
des troubles. Contrairement à une opinion trop répandue,
les psychotropes ne gênent aucunement le travail psychothérapique. Médicaments anxiolytiques ou antidépresseurs et techniques psychothérapiques sont deux
moyens thérapeutiques complémentaires. Néanmoins,
de nombreux préjugés persistent sur la place des psychothérapies dans l’apaisement des symptômes d’anxiété
pathologique du sujet âgé. Les personnes âgées seraient
de mauvaises candidates aux techniques psychothérapiques car elles auraient perdu la capacité ou la motivation
au changement. Leur résistance à toute prise en charge
psychiatrique serait importante. Elles auraient également
une vision de la psychiatrie plus négative, que celle des
générations plus jeunes. Ces considérations valent surtout pour les « vieillards », âgés de plus de 85 ans. Il est
vrai que la plupart de ces personnes très âgées n’ont
jamais entendu parler de psychothérapie pendant leur jeunesse et ignorent cette possibilité. Il leur est souvent difficile d’appréhender précisément l’aide éventuelle apporS 1119
T. Gallarda
tée par une psychothérapie ; elles peuvent entretenir de
fausses croyances sur sa nature et ses objectifs. De fait,
la majorité des personnes âgées n’ont pas accès à ce type
de soins.
Les sujets âgés conservent une demande médicamenteuse importante et ils cherchent souvent des solutions à
leurs difficultés avec les médicaments plutôt que les aides
psychologiques. Dans cette tranche d’âge, la consommation de psychotropes de la population générale ou des personnes vivant en institution en témoigne. Le fait est que
ces traitements pharmacologiques sont nécessaires et
tiennent une place importante dans la prise en charge.
L’utilisation de certaines classes médicamenteuses a
été « diabolisée » ces dernières années comme les benzodiazépines (BZD), ou à un moindre degré, les antidépresseurs tricycliques et les neuroleptiques classiques.
Dans une revue, Stern souligne les limites de l’efficacité
des BZD en raison de phénomènes de tolérance, après
quelques semaines d’utilisation (11). Il existe d’autres facteurs limitant leur usage chez la personne âgée : relaxation musculaire, majorant le risque de chutes et de fractures du col du fémur, sédation excessive, désinhibition
et agitation paradoxales, accentuation de troubles mnésiques préexistants, risque de sevrage en cas d’interruption brutale du traitement. Les benzodiazépines ne constituent en aucune manière un traitement de première
intention de l’anxiété du sujet âgé. Néanmoins, en cas
d’échec des autres stratégies thérapeutiques, dans certaines situations d’urgence où une angoisse envahissante
doit être soulagée très rapidement, elles démontrent une
remarquable supériorité d’action aux autres thérapeutiques. Cet usage de courte durée s’inscrit par exemple dans un contexte d’anxiété aiguë au moment de l’éclosion d’une maladie, d’une admission à l’hôpital, d’un
déménagement ou de la disparition d’un être cher. Le
choix du prescripteur doit se porter vers les produits à
demi-vie courte, métabolisés par des mécanismes de
conjugaison (les mécanismes d’oxydation étant particulièrement altérés avec l’âge), par exemple, lorazépam ou
oxazépam.
L’usage d’un traitement neuroleptique peut être envisagé après l’échec des autres moyens médicamenteux
pour calmer une agitation anxieuse sévère. L’effet sédatif
majeur et le parkinsonisme induits par les neuroleptiques
classiques ont considérablement restreint leur utilisation,
notamment au sein des institutions. Le meilleur rapport
efficacité/tolérance neurologique des antipsychotiques
atypiques devrait favoriser théoriquement leur utilisation,
malgré un surcoût évident. Mais l’élévation du risque de
mortalité par accident cérébrovasculaire constaté avec
l’ensemble des médicaments de la classe (olanzapine,
quétiapine, rispéridone, aripiprazole…) au cours d’études
contrôlées chez des populations de patients déments présentant de tels antécédents (démences vasculaires,
démences mixtes, maladies d’Alzheimer avec lésions
cérébrovasculaires…) a levé un frein considérable à leur
prescription, relayé par les recommandations d’organismes de veille de santé internationaux et français. Dans
ce débat favorisant de facto le retour aux prescriptions de
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neuroleptiques classiques, certains ont pu cependant
souligner le paradoxe d’une situation où l’innocuité
des neuroleptiques classiques n’a jamais été démontrée
en comparaison avec leurs parents de deuxième génération. De fait, dans notre pratique, la rispéridone à faibles posologies (0,5 mg à 2 mg/jour), ou l’olanzapine
(5 mg/j) demeurent utilisés dans le traitement pharmacologique de l’agitation anxieuse avec une surveillance
cardiologique régulière par des électrocardiogrammes
répétés.
D’autres molécules ont pu occuper une place de premier choix en l’absence d’arguments scientifiques déterminants. L’efficacité de la buspirone sur certaines manifestations d’anxiété et d’agitation à des posologies
variables (15 à 20 mg/j) a été rapportée dans des observations isolées ou dans des études ouvertes portant
sur de petits effectifs mais en pratique, son délai d’action
prolongé de 5 jours à 2 semaines, en a limité considérablement l’usage en monothérapie. D’autres anxiolytiques
non benzodiazépiniques au premier rang desquels les
dérivés carbamates – méprobamate – ont pu être fréquemment utilisés en France, sans que leur efficacité ait
été aucunement démontrée dans des études contrôlées.
Leur utilisation n’est plus recommandée, en raison de risques de toxicité, de symptômes de sevrage et d’interactions médicamenteuses. L’hydroxyzine constitue une
réelle alternative aux BZD mais son efficacité apparaît
variable selon les individus et il existe un risque d’éléments confusionnels en raison de ses effets anticholinergiques.
Pour une catégorie croissante de prescripteurs, la fréquence de la comorbidité avec une symptomatologie
dépressive conduit à opter plus souvent pour un antidépresseur ayant démontré des propriétés anxiolytiques
(Inhibiteurs spécifiques de recapture de la sérotonine,
Inhibiteurs mixtes de recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline) que pour un médicament anxiolytique pur,
benzodiazépinique par exemple. Cette attitude thérapeutique est d’autant plus prônée que les symptômes anxieux
apparaissent chroniques. Mais l’efficacité spécifique des
différentes classes d’antidépresseurs sur l’anxiété pathologique de la personne âgée demeure insuffisamment
documentée.
STRESS PATHOLOGIQUE ET VIEILLISSEMENT :
COMMENT LES PSYCHOTROPES POURRAIENT-ILS
CONSTITUER DE VÉRITABLES ALLIÉS
THÉRAPEUTIQUES ?
Sous la pression conjuguée du vieillissement démographique, des données émergentes d’épidémiologie des
troubles mentaux de la personne âgée et de la volonté des
pouvoirs publics, la psychiatrie se voit amenée désormais
à jouer un rôle de premier plan dans l’offre de soins aux
personnes âgées. De par l’organisation et la diversité de
ses structures hospitalières, l’étendue de ses techniques
de soins ou encore la maturité de sa réflexion sur le handicap psychique, la préservation de l’autonomie et la
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dignité des patients, notre spécialité constitue un partenaire naturel d’autres acteurs de santé ayant courageusement ouvert la route de la prise en soins et de l’accompagnement de nos aînés.
À l’image de la pédopsychiatrie, le savoir spécifique
dont se dote progressivement la psychiatrie de l’âgé exige
désormais une formation très précisément définie qui ne
peut pas s’improviser par la seule transposition auprès de
l’âgé des données de la psychiatrie générale ni être hâtivement assimilée avec l’enseignement de la discipline
psychogériatrique. La création d’un Diplôme d’études
spécialisées complémentaires (DESC) de psychiatrie de
l’âgé devrait contribuer à l’amélioration indispensable de
l’offre actuelle de formation (7).
Les études psychopharmacologiques demeurent notoirement insuffisantes. L’époque où les gérontopsychiatres
guidaient leur prescription en fonction d’une extrapolation
des paramètres observés chez l’adulte jeune doit être
révolue. Seule une meilleure appréhension des spécificités de la psychopharmacologie gériatrique pourra faire
des psychotropes de véritables alliés thérapeutiques.
Vieillissement et stress pathologique
Références
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