Actualités dans le traitement non pharmacologique des schizophrénies F. PETITJEAN (1) La prise en charge de la schizophrénie repose sur une approche bio-psycho-sociale : les traitements antipsychotiques sont l’élément central du traitement, mais ils doivent être complétés par d’autres approches. Les traitements psychosociaux s’appuient sur une alliance thérapeutique, réalisant des prises en charge intégrées, à long terme, avec différents professionnels, et prenant en compte des spécificités individuelles pour le fonctionnement cognitif, les habiletés sociales, l’évolution dans le temps. Divers programmes d’intervention psychosociale ont fait leurs preuves : les Programmes de suivi intensif dans le milieu (Assertive Community Treatment), les programmes psychoéducatifs, les traitements cognitivo-comportementaux, l’entraînement aux habiletés sociales s’appuyant sur la remédiation cognitive, ou le soutien à la réinsertion professionnelle. Le programme de « soin intensif dans le milieu » de Stein et Test a été adapté dans de nombreux pays et a prouvé son efficacité dans un grand nombre de dimensions (diminution de l’hospitalisation, amélioration de la qualité de vie, symptomatologie…), en particulier chez des patients difficiles, peu observants, rechutant fréquemment, ou avec des comorbidités addictives. La psychoéducation représente l’élément clé des techniques de réhabilitation, englobant l’éducation, l’accompagnement et le soutien émotionnel. C’est un processus à long terme, impliquant les familles et les patients, et reposant sur des programmes structurés. Les programmes d’entraînement aux habiletés sociales ont pour but d’aider le patient à développer au maximum ses capacités et à améliorer son fonctionnement social et son autonomie. Les programmes d’inspiration cognitive visent à corriger, par des stratégies spécifiques, des déficits cognitifs qui handicapent lourdement les patients dans leur vie sociale et professionnelle. Les techniques de remédiation cognitive sont fondées sur le constat d’une relation entre déficits cognitifs et fonctionnement psychosocial. Les programmes thérapeutiques qui s’en inspirent comportent une évaluation des fonctions cognitives, puis des exercices cognitifs basés sur la rééducation neuropsychologique. La mise en œuvre de ces programmes nécessite une relation confiante, chaleureuse et respectueuse, la fixation à l’avance de la durée du programme de soins, l’utilisation du jeu de rôle, la prescription de tâches à domicile, et l’information du patient quant aux changements observés. Hôpital Sainte-Anne, Paris. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1051-5, cahier 3 S 1051 F. Petitjean L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1051-5, cahier 3 Les traitements cognitivo-comportementaux sont distincts des techniques de remédiation cognitive : ils interviennent sur les symptômes eux-mêmes et sur les processus cognitifs qui pérennisent les symptômes psychotiques. La psychoéducation, l’entraînement aux habiletés sociales et la remédiation cognitive, dont l’efficacité a été démontrée par des données probantes, doivent être mis en œuvre selon des séquences adaptées à chaque patient. Le traitement des schizophrénies s’appuie sur une approche bio psycho sociale. Chacune de ces composantes est importante (3). Sur le plan biologique, les traitements antipsychotiques sont indispensables ; les produits de deuxième génération ont fait leurs preuves, non seulement en raison d’un meilleur ratio efficacité/tolérance (8), mais également du fait de leur profil d’effets cognitifs favorable, qui favorise la possibilité de mettre en place les autres approches thérapeutiques : s’ils sont l’élément central du traitement, ils doivent être complétés par d’autres approches (12). PRINCIPES GÉNÉRAUX DES TRAITEMENTS PSYCHOSOCIAUX Les traitements psychosociaux s’appuient sur une alliance thérapeutique, réalisant des prises en charge intégrées, impliquant différents professionnels dans un projet de soins à long terme Ces traitements supposent la prise en compte des spécificités individuelles, en ce qui concerne le fonctionnement cognitif, les habiletés sociales, l’évolution dans le temps. Il faut également intégrer des facteurs qui peuvent se surajouter à la pathologie psychotique en elle-même, comme par exemple des facteurs traumatiques associés pouvant survenir précocement ou ultérieurement lors du cours évolutif de la maladie. Les éventuelles comorbidités notamment à type d’abus de substances, doivent également être prises en compte. PROGRAMMES D’INTERVENTION PSYCHOSOCIALE Divers programmes d’intervention psychosociale ont fait leurs preuves, appuyées par des données probantes, solides : les Programmes de suivi intensif dans le milieu (Assertive Community Treatment), les programmes psychoéducatifs, les traitements cognitivo-comportementaux, l’entraînement aux habiletés sociales s’appuyant sur la remédiation cognitive, ou encore le soutien à la réinsertion professionnelle. Dès 1991, G. Hogarty et al. (12) ont montré que le recours à des modalités thérapeutiques combinées diminue le pourcentage de rechutes des patients schizophrènes, aussi bien après un an qu’après deux ans. L’association, au traitement habituel et au soutien, d’un entraînement aux habiletés sociales, est efficace sur ce critère ; il l’est plus encore lorsqu’on l’associe à la psychoéducation familiale. S 1052 Assertive Community Treatment (Suivi intensif dans le milieu) Le programme de « suivi intensif dans le milieu » a été décrit par Stein et Test en 1980 (21). Il a conduit à de nombreuses études contrôlées et à un nombre important de recherches (15), constituant sans doute le programme de soins non pharmacologiques le plus étudié de toutes les disciplines médicales. Il a été adapté dans de nombreux pays (USA, Angleterre, Australie…), et a, à travers de nombreuses évaluations, prouvé son efficacité dans un grand nombre de dimensions, comme la diminution de l’hospitalisation, l’amélioration de la qualité de vie, ou encore la symptomatologie. Ce programme de soins ne s’applique pas à la totalité des patients schizophrènes, mais il a montré son efficacité chez des patients difficiles, peu observants, rechutant fréquemment, ou avec des comorbidités addictives. Ce modèle possède différentes caractéristiques proches de ce qu’offre un secteur de psychiatrie : la proximité, la mobilité et la flexibilité, l’accessibilité directe des services au patient, une couverture 24 h sur 24 h, des dossiers partagés entre cliniciens au sein de petites équipes, avec des ratios patient/personnel qui, idéalement, sont faibles (10 pour 1). Ces programmes sont également fondés sur la continuité des soins, et ne comportent pas de limitation dans le temps. Psychoéducation Un modèle conceptuel de la réadaptation psychiatrique est proposé par le programme des plans d’expérience de Wood, repris par Anthony et Liberman (1). Chaque plan d’expérience correspond à un niveau d’intervention : la pathologie et le déficit avec le traitement, l’invalidité avec la réadaptation, et le handicap avec la réadaptation et la réhabilitation. La psychoéducation représente l’élément clé des techniques de réhabilitation. Elle englobe l’éducation, l’accompagnement et le soutien émotionnel. Elle doit comprendre une information structurée, progressive et répétée, avec une reconnaissance des symptômes (en utilisant un langage commun), conduisant au diagnostic, et justifiant, aux yeux du patient, le traitement. Elle comporte également de l’écoute, un soutien, entraînant une diminution du fardeau émotionnel, et permettant l’apparition de nouvelles attentes réalistes sur les possibilités de réadaptation, et enfin un travail sur les émotions exprimées et sur la résolution de problèmes. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1051-5, cahier 3 Actualités dans le traitement non pharmacologique des schizophrénies La psychoéducation est donc un processus à long terme, impliquant les familles et les patients, reposant sur des programmes psychoéducatifs (par exemple le programme « Pro famille » canadien). Elle a un impact favorable sur le risque de rechutes, avec une diminution du taux de ré hospitalisations : le taux de rechutes à 2 ans passe ainsi de 60 % à 30 % selon une méta analyse récente (17). En France, les programmes psychoéducatifs soulèvent un intérêt récent, mais sont d’une pratique encore peu répandue : dans une enquête de novembre 2002, 65 % des psychiatres déclarent ne jamais y recourir. Certains expriment des réticences en raison de « culture » de soins différentes. La loi du 4 mars 2002 a déplacé la question sur le terrain de la responsabilité et du juridique, sans répondre à la question des modalités d’information, ce qui nuit probablement à la diffusion de ces programmes. Les déficits cognitifs dans les domaines de la mémoire verbale, de la mémoire de travail, de l’attention soutenue et des tâches de classement et de fluence verbale ont un impact fonctionnel dans divers domaines, comme l’acquisition de compétences psychosociales, la résolution de problèmes interpersonnels, ou l’acquisition de compétences dans les activités de la vie quotidienne (9). Les déficits cognitifs de base, résultant d’anomalies neuro-développementales, handicapent lourdement les patients dans leur vie sociale et professionnelle, entraînant une altération de la cognition sociale, et donc des troubles de la socialisation, qui justifient les efforts thérapeutiques déployés pour les compenser. Les techniques de remédiation cognitives sont fondées sur le constat d’une relation entre déficits cognitifs et fonctionnement psychosocial. Les programmes thérapeutiques qui s’en inspirent comportent une évaluation des fonctions cognitives, puis des exercices cognitifs basés sur la rééducation neuropsychologique. Les principaux programmes sont des programmes intégrés, comme l’Integrated Psychosocial Treatment (IPT) de Hans Brenner, ou axés sur la détection et la correction des déficits de base (approche dite « moléculaire »), comme les programmes REHACOM ou RECOS. Le programme IPT (« Integrated Psychological Treatment ») a été créé en 1992 par H. Brenner et son équipe (3) à Mannheim puis à Berne. Il a été traduit en français par Valentino Pomini et al. en 1998 (18), et a fait l’objet d’une implantation multisite au Québec (5). Il se compose, dans la version québécoise de six modules hiérarchisés, s’appliquant à des groupes de 8 à 12 participants, sur 9 à 12 mois, à raison de 2 fois par semaine, chaque séance durant en moyenne 90 minutes (figure 2). Entraînement aux habiletés sociales Les programmes d’entraînement aux habiletés sociales ont pour but d’aider le patient à développer au maximum ses capacités et à améliorer son fonctionnement social et son autonomie, grâce à un soutien et des procédés d’apprentissage (techniques individuelles ou de groupe, jeux de rôle, etc.). Les programmes portent sur la conversation, la résolution de problèmes, l’expression des émotions… De nombreuses études contrôlées ont démontré l’impact positif de ces programmes sur le fonctionnement social (11). Programmes de remédiation cognitive Les progrès effectués dans les sciences neurocognitives ont abouti au développement de divers programmes thérapeutiques. Le modèle des « cercles vicieux » développé par Brenner (figure 1) illustre les points d’impact possibles des interventions thérapeutiques. Fonctions cognitives élémentaires ––– Perception sociale Dysfonctionnement élémentaire Cercle 1 Dysfonctionnement complexe Fonctions cognitives complexes Complexité cognitive Interaction sociale Implication émotionnelle Communication verbale Habiletés sociales Gestion des émotions Déficits cognitifs Capacités diminuées Cercle 2 Différentiation cognitive Facultés de coping diminuées Stresseurs environnementaux FIG. 1. — Modèle des cercles vicieux. +++ Résolution de problèmes Relances E x e r c i c e s à d o m i c i l e S o r t i e s d ’ i n t é g r a t i o n FIG. 2. — Les modules IPT. S 1053 F. Petitjean Plusieurs études expérimentales ont validé cette approche au cours des 25 dernières années. Une méta analyse sur 1 185 patients (16) montre un effet global positif, avec une taille d’effet satisfaisante (effect size = 0,55, vs 0,1). Une étude québécoise (5) montre une amélioration de la symptomatologie, du fonctionnement cognitif et social, et de la qualité de vie. Les modules IPT s’appuient sur le soutien émotionnel et les interactions de groupe, sur un entraînement des fonctions attentionnelles, perceptuelles, et cognitives, et un entraînement aux compétences sociales et à la résolution de problèmes. Ils utilisent des exercices à domicile et des sorties d’intégration. La mise en œuvre de ces programmes doit répondre à des principes de base, définis par W. Anthony et R. Liberman (1), et s’inspirant des thérapies cognitivocomportementales : une relation confiante, chaleureuse et respectueuse, la fixation à l’avance de la durée du programme de soins, l’utilisation du jeu de rôle, la prescription de tâches à domicile, et l’information du patient quant aux changements observés. L’optimisation des résultats s’appuie sur un renforcement des progrès au fur et à mesure, et sur une implication de la famille ou de l’environnement naturel. Il est nécessaire de mesurer les progrès observés avec ces programmes. Parallèlement aux instruments de mesures classiques de la symptomatologie psychiatrique, des instruments spécifiques d’évaluation ont été développés, concernant soit les fonctions cognitives, soit le fonctionnement social, comme la batterie CANTAB (Cambridge Neuropsychological Test Automated Battery) (19), instrument informatisé d’évaluation cognitive, ou comme la CASIG (Client’s Assessment of Strengths, Interests and Goals) (22), qui comporte un volet de mesure des symptômes (CASIG-I) et un volet de mesure du fonctionnement social (CASIG-S). Ces instruments sont disponibles en français. Le questionnaire de Francfort permet au sujet d’autoévaluer son fonctionnement cognitif (7). La MCAS (Multnomah Community Ability Scale), (2, 6) est une échelle d’évolution du fonctionnement social, la LQLP (Lancashire Quality of Life Profile), (20) est une échelle de qualité de vie utilisée dans de nombreux pays. Traitements cognitivo-comportementaux Il faut faire une distinction entre les programmes de remédiation cognitive et les traitements cognitivo-comportementaux. Ceux-ci ont été développés initialement dans la dépression et les troubles anxieux, et leurs principes ont été par la suite appliqués au délire et aux hallucinations. Les programmes de remédiation cognitive permettent un travail sur les fonctions cognitives de base : elles visent à améliorer ce qui est sous-jacent à la symptomatologie du patient. Les thérapies cognitivo-comportementales interviennent sur les symptômes eux-mêmes et sur les processus S 1054 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1051-5, cahier 3 cognitifs qui pérennisent les symptômes psychotiques, dans des indications surtout centrées sur les symptômes résistants aux antipsychotiques. On obtient ainsi souvent une prise de recul du patient par rapport à ses symptômes positifs. CONCLUSION L’époque du « poly pragmatisme préscientifique » évoquée par H. Häfner en 1975 (10, 18) est révolue : il existe des méthodes dont l’efficacité a été démontrée par des données probantes. La psychoéducation, l’entraînement aux habiletés sociales et la remédiation cognitive doivent être mis en œuvre selon des séquences adaptées à chaque patient. La diffusion de ces techniques ainsi que l’élaboration de formations adaptées à leur mise en place restent cependant à développer. Références 1. ANTHONY W, LIBERMAN RP. The practice of psychiatric rehabilitation : historical, conceptual and research base. Schizophrenia Bulletin 1986 ; 12 : 542-59. 2. BACKER S, BARRON N, MCFARLAND BH et al. A community ability scale for chronically mentally ill consumers : Part I. Reliability and validity. Community Ment Health J 1994 ; 30 (4) : 363-83. 3. BRENNER D, HODEL B, GENNER R et al. Biological and cognitive vulnerability factors in schizophrenia : Implications for treatment. Br J Psychiatry 1992 ; 161 : 154-63. 4. BRIAND C, VASILIADIS HM, LESAGE A et al. Including integrated psychological treatment as part of standard medical therapy for patients with schizophrenia : clinical outcomes. J Nerv Ment Dis July 1, 2006 ; 194 (7) : 463-70. 5. BRIAND C et al. Implantation multisite du programme. Integrated Psychological Treatment (IPT) pour les personnes souffrant de schizophrénie. Élaboration d’une version renouvelée. Santé Mentale au Québec 2005 ; 30 (1) : 73-95. 6. CORBIÈRE M, CROCKER AG, LESAGE AD et al. 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