84 | La Lettre du Psychiatre Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009
DOSSIER THÉMATIQUE
Remédiation cognitive
dans la schizophrénie
Remédiation cognitive
dans la schizophrénie :
aspects primordiaux
Cognitive remediation in schizophrenia:
important aspects
I. Offerlin-Meyer*, J.M. Danion*
* Hôpitaux universitaires de Stras-
bourg, Service de psychiatrie I,
Strasbourg ; Unité INSERM 666,
physiopathologie clinique et expéri-
mentale de la schizophrénie, Stras-
bourg.
Schizophrénie et cognition
Si les traitements pharmacologiques actuels amé-
liorent les symptômes cliniques de la schizophrénie
(hallucinations, délires), ils ne permettent pas, à ce
jour, de traiter les troubles cognitifs, très hétéro-
gènes d’un sujet à l’autre, qui sont observés chez 75 à
85 % des patients schizophrènes (1). Les troubles le
plus fréquemment rapportés sont ceux de l’atten-
tion, des fonctions exécutives (encadré ci-contre),
de la mémoire à long terme et de la mémoire de
travail (2). Ils affectent les capacités d’acquisition et
d’expression des habiletés psychosociales des sujets,
ce qui se traduit par des difficultés à prendre réguliè-
rement un traitement et/ou à organiser des loisirs. Ils
affectent également les capacités fonctionnelles des
patients, ce qui se traduit par la restriction de leur
autonomie, la raréfaction de leur réseau relationnel,
les difficultés à effectuer les activités fondamentales
de la vie quotidienne, ou encore un fonctionnement
professionnel insatisfaisant. Ces troubles cognitifs
représentent incontestablement l’une des principales
causes de la désinsertion sociale et professionnelle
qui affecte ces sujets (3, 4). Lexpérience quotidienne
des cliniciens nous met en effet régulièrement face
aux désirs de nos patients : si le retour au travail
reste une de leurs demandes majeures, ils souhai-
teraient également être en mesure de préparer un
repas, de gérer leur argent, de se rappeler un livre
lu ou une émission de télévision, de communiquer
avec autrui, de construire une vie de couple, de faire
des études, d’emprunter les moyens de transport et
d’organiser des activités de loisir ; capacités qui sont
autant de facettes des activités de la vie quotidienne
qui contribuent à l’autonomie de la personne, au
sentiment d’identité personnelle, qui confèrent une
estime de soi et une qualité de vie satisfaisantes.
Perdre la faculté de réaliser ces activités, ou ne pas
pouvoir y parvenir, en tout ou partie, contribue à la
dépendance et au handicap.
Schizophrénie et remédiation
cognitive
Appliquée depuis longtemps chez les patients
cérébro-lésés (5, 6), la remédiation cognitive
commence à trouver sa place en psychiatrie, où
elle prend en compte les troubles cognitifs et leurs
conséquences en termes de désinsertion sociale et
professionnelle.
La littérature axée sur la remédiation cognitive dans
la schizophrénie rapporte des prises en charge et
des approches multiples (7). En effet, différentes
stratégies ont été employées à ce jour dans le but
de remédier aux déficits cognitifs des patients
schizophrènes. Toutefois, nombre de ces études,
à présent classiques, comportent d’importantes
limites. Ainsi, par exemple, A.S. Bellack et al. (8)
ont mené une étude au sujet de l’amélioration
des performances des patients schizophrènes au
Wisconsin card sorting test (WCST), en employant
une technique limitative de la production d’erreurs.
Ce test classique permet d’évaluer les facultés de
planification, d’exécution, de changement d’une
stratégie devenue caduque, de contrôle des impul-
Les fonctions exécu-
tives constituent l’en-
semble des fonctions
cognitives élaborées, inter-
venant dans le comporte-
ment intentionnel, organisé
et dirigé vers un but. Elles
sont impliquées dans la
ges-tion des situations
non routinières auxquelles
sont exposés les sujets. Les
capacités d’initiative, de
planification, d’anticipation,
d’organisation, de régula-
tion, de vérification, mais
aussi les capacités d’abs-
traction et la conscience de
soi sont autant de compo-
santes fondamentales des
fonctions exécutives.
Encadré. Fonctions exé-
cutives.
La Lettre du Psychiatre Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 85
Résumé
Les troubles cognitifs constituent incontestablement une des caractéristiques les plus invali-
dantes de la schizophrénie. Ils sont fortement corrélés aux perturbations de la vie quotidienne
et de l’insertion socioprofessionnelle des patients. Au vu des résultats observés avec quelques
patients, une remédiation cognitive, fondée sur un programme ciblé et une approche “sur
mesure” tenant compte du profil cognitif propre à chaque patient, et se focalisant directe-
ment sur les situations de la vie quotidienne, semble être particulièrement prometteuse et
appropriée aux patients schizophrènes.
Mots-clés
Schizophrénie
Remédiation cognitive
Approche
“sur mesure”
Vie quotidienne
Insertion
socioprofessionnelle
Highlights
Cognitive impairments are
undeniably one of the most
disabling characteristics of
schizophrenia. These impair-
ments are strongly correlated
with everyday life disturbances
and with the patient’s social
and professional outcome. A
form of cognitive remediation,
grounded on a specific program
and a “made-to-measure”
approach, which takes into
account the cognitive profile
of each patient, and which
is specifically focalized on
everyday life situations, seems
to be a particularly promising
and appropriate approach for
schizophrenic patients.
Keywords
Schizophrenia
Cognitive remediation
“Made-to-measure”
approach
Everyday life
Social and professional
outcome
sions et de prise de décisions à travers la déter-
mination d’une loi de correspondance fondée sur
une caractéristique particulière (symbole, couleur,
nombre) des cartes. Alors que les auteurs ont
observé une amélioration des performances des
sujets à cette tâche particulière, ils n’ont pas pu
objectiver une extension de cette amélioration
à des tâches similaires non remédiées (Vygotsky
concept formation test).
De même, A. Médalia et al. (9) ont appliqué un
programme d’entraînement mnésique (procédés
mnémotechniques, activités de mémorisation
de séquences de mots, etc.) à une population de
patients schizophrènes. Si les performances des
sujets se sont améliorées pour les tâches mnésiques
travaillées, les auteurs n’ont pas observé de géné-
ralisation dans la vie quotidienne des stratégies
apprises lors du programme d’entraînement. Or,
en l’absence de généralisation, il est vain d’espérer
que les progrès se répercutent sur le fonctionnement
quotidien des patients.
Limites des interventions
cognitives classiques
En fait, ces études relèvent davantage de la stimu-
lation que de la remédiation cognitive. Une fonc-
tion (mémoire, attention, fonction exécutive) est
“surentraînée”, habituellement à l’aide d’exercices
de type drill, sans but autre que celui de savoir faire,
in fine, une tâche donnée, souvent sans lien avec
les préoccupations ni avec les besoins du patient.
Nombre d’études publiées utilisent comme seule
mesure d’efficacité de la remédiation cognitive les
améliorations obtenues aux tests réalisés en neuro-
psychologie, ce qui ne constitue aucunement une
mesure satisfaisante d’éventuels progrès dans la
vie quotidienne.
Or, le but principal de la remédiation cognitive n’est
nullement d’améliorer les scores obtenus aux diffé-
rentes épreuves de laboratoire, mais de réduire les
incapacités et le handicap psychique qui en découle,
handicap auquel doivent faire face les patients.
Les travaux classiques sont souvent conçus sans
analyse préalable des problèmes spécifiques de
chaque patient, et ils ne précisent pas la nature
du lien qui existerait entre les déficits cognitifs des
patients et leur statut fonctionnel. En outre :
leur objectif cible est fréquemment réduit à
une problématique très générale, habituellement
abstraite et sans rapport aucun avec les préoccu-
pations quotidiennes des patients ;
ils utilisent des tâches cognitives non pertinentes
sur le plan théorique ;
ils ne posent pas d’hypothèses précises sur les
liens existant entre des activités spécifiques de
la vie quotidienne et certains processus cognitifs
spécifiques ;
ils ne tiennent pas compte de l’hétérogénéité des
déficits cognitifs ni des difficultés de la vie quoti-
dienne rencontrées par les patients ;
ils ne comportent pas de lignes de base, dont la
fonction essentielle est de permettre l’objectivation
d’une évolution des performances, observée entre
le début et la fin de la thérapie ;
les domaines fonctionnels explorés sont insuf-
fisamment délimités ;
aucune de ces études ne fait référence à un
modèle théorique qui prendrait en compte les
relations existant entre les processus cognitifs
étudiés et l’insertion sociale et professionnelle des
patients.
Alternative et conclusion
Or, s’il est un point qui nous paraît fondamental,
c’est de tenir compte des attentes et des envies des
patients, de leurs domaines d’expertise, de discuter
avec eux des domaines auxquels remédier et des
buts à atteindre. L’objectif de la remédiation doit
revêtir un sens pour le sujet, correspondre à un
de ses buts de vie et véhiculer la notion de plaisir.
La remédiation cognitive nécessite l’implication
personnelle des patients, la création d’un parte-
nariat entre patient et thérapeute à travers des
activités, un cadre et des interactions riches et
originales.
Le but ultime n’est pas de s’attaquer à la détério-
ration cognitive, mais à ses conséquences, à savoir
l’incapacité que constitue, par exemple, le fait de ne
pas savoir organiser son quotidien, et le handicap
qui en découle. La levée de cette incapacité et l’au-
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Remédiation cognitive dans la schizophrénie:
aspects primordiaux
DOSSIER THÉMATIQUE
Remédiation cognitive
dans la schizophrénie
tonomie ainsi retrouvée seront à l’origine de l’amé-
lioration de la qualité de vie et de l’estime de soi du
sujet. Aussi, l’alternative que nous proposons à ces
études classiques consiste à mettre en œuvre des
interventions centrées sur les activités spécifiques
de la vie quotidienne, le but étant l’amélioration
du handicap psychique, notamment à travers un
programme ciblé et une remédiation sur mesure, qui
tiennent compte du profil cognitif propre à chaque
patient.
Notre intervention est menée en référence à un
modèle théorique et se fait en trois temps :
la réalisation du bilan cognitif permet d’identi-
fier, de façon individualisée, les fonctions cognitives
perturbées, les facteurs d’optimisation et les capa-
cités préservées ;
l’analyse des processus cognitifs problématiques,
impliqués dans les situations de la vie quotidienne
et/ou professionnelle, lui succède ;
après analyse et mise en perspective de ces deux
types de données, des interventions de remédia-
tion spécifiques et sur mesure sont élaborées, en
établissant notamment l’existence de liens spéci-
fiques entre l’atteinte de certains processus cogni-
tifs, sociaux et émotionnels et certains aspects de
l’insertion sociale et professionnelle. Le contenu de
l’évaluation doit être en liaison avec le projet théra-
peutique plutôt qu’avec une marche classificatoire.
En outre, nous distinguons :
le domaine dans lequel se manifestent les déficits
auxquels remédier, pour lequel est attendue une
évolution significative des performances ;
un domaine intermédiaire, proche de celui auquel
remédier, pour lequel est attendue une certaine
amélioration qui pourrait attester d’un transfert à
d’autres domaines des capacités acquises lors des
séances de remédiation ;
un domaine perturbé qui ne fait pas l’objet de
la remédiation et pour lequel aucune amélioration
des performances n’est attendue, conformément
à l’hypothèse selon laquelle l’effet de la remédia-
tion est spécifique. Comme préalable à tout travail
de remédiation, des mesures appelées “lignes de
base”, sont mises en œuvre. Nous travaillons selon
la méthode du cas unique.
Ce type d’approche a permis à un de nos patients,
non seulement d’améliorer ses performances
(mémoire de travail), mais également de généra-
liser cette amélioration à d’autres fonctions, non
travaillées spécifiquement lors de la remédiation.
Depuis, le patient évolue en milieu ordinaire de
travail (CDI), et il va entamer une formation quali-
fiante à l’automne 2009. Ce type d’intervention
et les progrès qui s’ensuivent ont eu le mérite de
restaurer l’estime de soi et la qualité de vie du
sujet (11).
1.
O’Carroll R. Cognitive impairment in schizophrenia. Adv
Psychiatr Treat 2000;16:161-8.
2.
Heinrichs R, Zakzanis KK. Neurocognitive deficit in schi-
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3.
Green MF, Kern RS, Braff DL, Mintz J. Neurocognitive
deficits and functional outcome in schizophrenia: are we
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119-36.
4.
McGurk SR, Mueser KT. Cognitive functioning, symptoms,
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5.
Goldstein K. Special institutions for rehabilitation of
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115-8.
6.
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In: Levin HS, Grafman J (eds), Neurobehavioral recovery
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7.
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8. Bellack AS, Blanchard, JJ, Murphy P, Podell K. Generali-
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9.
Medalia A, Revheim N, Casey M. Remediation of memory
disorders in schizophrenia. Psychol Med 2000;30(6):1451-9.
10.
Wilson BA, Evans JJ, Keohane C. Cognitive rehabilita-
tion: a goal-planning approach. J. Head Trauma Rehabil
2002;17(6):542-55.
11. Offerlin-Meyer I, Larøi F, Van der Linden M, Danion JM.
Prise en charge des troubles de la mémoire de travail dans
la schizophrénie. In : Évaluation et rééducation des troubles
de la mémoire de travail. Aubin G, Coyette F, Pradat-Diehl P
(eds). Marseille : Solal, 2007:277-91.
Références bibliographiques
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