DOSSIER THÉMATIQUE Remédiation cognitive dans la schizophrénie Remédiation cognitive dans la schizophrénie : aspects primordiaux Cognitive remediation in schizophrenia: important aspects I. Offerlin-Meyer*, J.M. Danion* Les fonctions exécutives constituent l’ensemble des fonctions cognitives élaborées, intervenant dans le comportement intentionnel, organisé et dirigé vers un but. Elles sont impliquées dans la ges-tion des situations non routinières auxquelles sont exposés les sujets. Les capacités d’initiative, de planification, d’anticipation, d’organisation, de régulation, de vérification, mais aussi les capacités d’abstraction et la conscience de soi sont autant de composantes fondamentales des fonctions exécutives. Encadré. Fonctions exécutives. * Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Service de psychiatrie I, Strasbourg ; Unité INSERM 666, physiopathologie clinique et expérimentale de la schizophrénie, Strasbourg. Schizophrénie et cognition Si les traitements pharmacologiques actuels améliorent les symptômes cliniques de la schizophrénie (hallucinations, délires), ils ne permettent pas, à ce jour, de traiter les troubles cognitifs, très hétérogènes d’un sujet à l’autre, qui sont observés chez 75 à 85 % des patients schizophrènes (1). Les troubles le plus fréquemment rapportés sont ceux de l’attention, des fonctions exécutives (encadré ci-contre), de la mémoire à long terme et de la mémoire de travail (2). Ils affectent les capacités d’acquisition et d’expression des habiletés psychosociales des sujets, ce qui se traduit par des difficultés à prendre régulièrement un traitement et/ou à organiser des loisirs. Ils affectent également les capacités fonctionnelles des patients, ce qui se traduit par la restriction de leur autonomie, la raréfaction de leur réseau relationnel, les difficultés à effectuer les activités fondamentales de la vie quotidienne, ou encore un fonctionnement professionnel insatisfaisant. Ces troubles cognitifs représentent incontestablement l’une des principales causes de la désinsertion sociale et professionnelle qui affecte ces sujets (3, 4). L’expérience quotidienne des cliniciens nous met en effet régulièrement face aux désirs de nos patients : si le retour au travail reste une de leurs demandes majeures, ils souhaiteraient également être en mesure de préparer un repas, de gérer leur argent, de se rappeler un livre lu ou une émission de télévision, de communiquer avec autrui, de construire une vie de couple, de faire des études, d’emprunter les moyens de transport et d’organiser des activités de loisir ; capacités qui sont 84 | La Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 autant de facettes des activités de la vie quotidienne qui contribuent à l’autonomie de la personne, au sentiment d’identité personnelle, qui confèrent une estime de soi et une qualité de vie satisfaisantes. Perdre la faculté de réaliser ces activités, ou ne pas pouvoir y parvenir, en tout ou partie, contribue à la dépendance et au handicap. Schizophrénie et remédiation cognitive Appliquée depuis longtemps chez les patients cérébro-lésés (5, 6), la remédiation cognitive commence à trouver sa place en psychiatrie, où elle prend en compte les troubles cognitifs et leurs conséquences en termes de désinsertion sociale et professionnelle. La littérature axée sur la remédiation cognitive dans la schizophrénie rapporte des prises en charge et des approches multiples (7). En effet, différentes stratégies ont été employées à ce jour dans le but de remédier aux déficits cognitifs des patients schizophrènes. Toutefois, nombre de ces études, à présent classiques, comportent d’importantes limites. Ainsi, par exemple, A.S. Bellack et al. (8) ont mené une étude au sujet de l’amélioration des performances des patients schizophrènes au Wisconsin card sorting test (WCST), en employant une technique limitative de la production d’erreurs. Ce test classique permet d’évaluer les facultés de planification, d’exécution, de changement d’une stratégie devenue caduque, de contrôle des impul- Résumé Les troubles cognitifs constituent incontestablement une des caractéristiques les plus invalidantes de la schizophrénie. Ils sont fortement corrélés aux perturbations de la vie quotidienne et de l’insertion socioprofessionnelle des patients. Au vu des résultats observés avec quelques patients, une remédiation cognitive, fondée sur un programme ciblé et une approche “sur mesure” tenant compte du profil cognitif propre à chaque patient, et se focalisant directement sur les situations de la vie quotidienne, semble être particulièrement prometteuse et appropriée aux patients schizophrènes. sions et de prise de décisions à travers la détermination d’une loi de correspondance fondée sur une caractéristique particulière (symbole, couleur, nombre) des cartes. Alors que les auteurs ont observé une amélioration des performances des sujets à cette tâche particulière, ils n’ont pas pu objectiver une extension de cette amélioration à des tâches similaires non remédiées (Vygotsky concept formation test). De même, A. Médalia et al. (9) ont appliqué un programme d’entraînement mnésique (procédés mnémotechniques, activités de mémorisation de séquences de mots, etc.) à une population de patients schizophrènes. Si les performances des sujets se sont améliorées pour les tâches mnésiques travaillées, les auteurs n’ont pas observé de généralisation dans la vie quotidienne des stratégies apprises lors du programme d’entraînement. Or, en l’absence de généralisation, il est vain d’espérer que les progrès se répercutent sur le fonctionnement quotidien des patients. Limites des interventions cognitives classiques En fait, ces études relèvent davantage de la stimulation que de la remédiation cognitive. Une fonction (mémoire, attention, fonction exécutive) est “surentraînée”, habituellement à l’aide d’exercices de type drill, sans but autre que celui de savoir faire, in fine, une tâche donnée, souvent sans lien avec les préoccupations ni avec les besoins du patient. Nombre d’études publiées utilisent comme seule mesure d’efficacité de la remédiation cognitive les améliorations obtenues aux tests réalisés en neuropsychologie, ce qui ne constitue aucunement une mesure satisfaisante d’éventuels progrès dans la vie quotidienne. Or, le but principal de la remédiation cognitive n’est nullement d’améliorer les scores obtenus aux différentes épreuves de laboratoire, mais de réduire les incapacités et le handicap psychique qui en découle, handicap auquel doivent faire face les patients. Les travaux classiques sont souvent conçus sans analyse préalable des problèmes spécifiques de chaque patient, et ils ne précisent pas la nature du lien qui existerait entre les déficits cognitifs des patients et leur statut fonctionnel. En outre : ➤ ➤ leur objectif cible est fréquemment réduit à une problématique très générale, habituellement abstraite et sans rapport aucun avec les préoccupations quotidiennes des patients ; ➤ ➤ ils utilisent des tâches cognitives non pertinentes sur le plan théorique ; ➤ ➤ ils ne posent pas d’hypothèses précises sur les liens existant entre des activités spécifiques de la vie quotidienne et certains processus cognitifs spécifiques ; ➤ ➤ ils ne tiennent pas compte de l’hétérogénéité des déficits cognitifs ni des difficultés de la vie quotidienne rencontrées par les patients ; ➤ ➤ ils ne comportent pas de lignes de base, dont la fonction essentielle est de permettre l’objectivation d’une évolution des performances, observée entre le début et la fin de la thérapie ; ➤ ➤ les domaines fonctionnels explorés sont insuffisamment délimités ; ➤ ➤ aucune de ces études ne fait référence à un modèle théorique qui prendrait en compte les relations existant entre les processus cognitifs étudiés et l’insertion sociale et professionnelle des patients. Alternative et conclusion Mots-clés Schizophrénie Remédiation cognitive Approche “sur mesure” Vie quotidienne Insertion socioprofessionnelle Highlights Cognitive impairments are undeniably one of the most disabling characteristics of schizophrenia. These impairments are strongly correlated with everyday life disturbances and with the patient’s social and professional outcome. A form of cognitive remediation, grounded on a specific program and a “made-to-measure” approach, which takes into account the cognitive profile of each patient, and which is specifically focalized on everyday life situations, seems to be a particularly promising and appropriate approach for schizophrenic patients. Keywords Schizophrenia Cognitive remediation “Made-to-measure” approach Everyday life Social and professional outcome Or, s’il est un point qui nous paraît fondamental, c’est de tenir compte des attentes et des envies des patients, de leurs domaines d’expertise, de discuter avec eux des domaines auxquels remédier et des buts à atteindre. L’objectif de la remédiation doit revêtir un sens pour le sujet, correspondre à un de ses buts de vie et véhiculer la notion de plaisir. La remédiation cognitive nécessite l’implication personnelle des patients, la création d’un partenariat entre patient et thérapeute à travers des activités, un cadre et des interactions riches et originales. Le but ultime n’est pas de s’attaquer à la détérioration cognitive, mais à ses conséquences, à savoir l’incapacité que constitue, par exemple, le fait de ne pas savoir organiser son quotidien, et le handicap qui en découle. La levée de cette incapacité et l’auLa Lettre du Psychiatre • Vol. V - n° 4-5 - juillet-octobre 2009 | 85 DOSSIER THÉMATIQUE Remédiation cognitive dans la schizophrénie Remédiation cognitive dans la schizophrénie : aspects primordiaux tonomie ainsi retrouvée seront à l’origine de l’amélioration de la qualité de vie et de l’estime de soi du sujet. Aussi, l’alternative que nous proposons à ces études classiques consiste à mettre en œuvre des interventions centrées sur les activités spécifiques de la vie quotidienne, le but étant l’amélioration du handicap psychique, notamment à travers un programme ciblé et une remédiation sur mesure, qui tiennent compte du profil cognitif propre à chaque patient. Notre intervention est menée en référence à un modèle théorique et se fait en trois temps : ➤ ➤ la réalisation du bilan cognitif permet d’identifier, de façon individualisée, les fonctions cognitives perturbées, les facteurs d’optimisation et les capacités préservées ; ➤ ➤ l’analyse des processus cognitifs problématiques, impliqués dans les situations de la vie quotidienne et/ou professionnelle, lui succède ; ➤ ➤ après analyse et mise en perspective de ces deux types de données, des interventions de remédiation spécifiques et sur mesure sont élaborées, en établissant notamment l’existence de liens spécifiques entre l’atteinte de certains processus cognitifs, sociaux et émotionnels et certains aspects de l’insertion sociale et professionnelle. Le contenu de l’évaluation doit être en liaison avec le projet thérapeutique plutôt qu’avec une démarche classificatoire. En outre, nous distinguons : ➤ ➤ le domaine dans lequel se manifestent les déficits auxquels remédier, pour lequel est attendue une évolution significative des performances ; ➤ ➤ un domaine intermédiaire, proche de celui auquel remédier, pour lequel est attendue une certaine amélioration qui pourrait attester d’un transfert à d’autres domaines des capacités acquises lors des séances de remédiation ; ➤ ➤ un domaine perturbé qui ne fait pas l’objet de la remédiation et pour lequel aucune amélioration des performances n’est attendue, conformément à l’hypothèse selon laquelle l’effet de la remédiation est spécifique. Comme préalable à tout travail de remédiation, des mesures appelées “lignes de base”, sont mises en œuvre. Nous travaillons selon la méthode du cas unique. Ce type d’approche a permis à un de nos patients, non seulement d’améliorer ses performances (mémoire de travail), mais également de généraliser cette amélioration à d’autres fonctions, non travaillées spécifiquement lors de la remédiation. Depuis, le patient évolue en milieu ordinaire de travail (CDI), et il va entamer une formation qualifiante à l’automne 2009. Ce type d’intervention et les progrès qui s’ensuivent ont eu le mérite de restaurer l’estime de soi et la qualité de vie du sujet (11). ■ Références bibliographiques 1. O’Carroll R. Cognitive impairment in schizophrenia. Adv Psychiatr Treat 2000;16:161-8. 2. Heinrichs R, Zakzanis KK. Neurocognitive deficit in schizophrenia: a quantitative review of the evidence. Neuropsychology 1998;12:426-45. 3. Green MF, Kern RS, Braff DL, Mintz J. Neurocognitive deficits and functional outcome in schizophrenia: are we measuring the “right stuff”? Schizophr Bull 2000;26(1): 119-36. 4. McGurk SR, Mueser KT. 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