L Épilepsies et psychoses DOSSIER Psychosis in epilepsy

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DOSSIER
Épilepsie
et psychiatrie
Épilepsies et psychoses
Psychosis in epilepsy
B. de Toffol*
L
e risque de troubles psychotiques, tous
syndromes confondus, est multiplié par 8
chez les patients épileptiques par rapport à la
population générale (1). Si l’on définit l’épilepsie
par la répétition spontanée de crises épileptiques,
il est logique de repérer les troubles psychotiques
en fonction de la chronologie de leur survenue par
rapport aux crises et de distinguer 3 cadres principaux : les psychoses ictales, dont les symptômes
sont ­l’expression de la décharge épileptique ellemême ; les psychoses postictales, dont les symptômes suivent de près la terminaison des crises ; les
psychoses inter­ictales, dont les symptômes sont
liés à l’existence d’une épilepsie mais sans relation
chronologique avec les crises. Les syndromes psychotiques survenant dans l’épilepsie sont classés dans le
DSM-5 dans la rubrique “Trouble psychotique dû à
une autre affection médicale”, en ajoutant “épilepsie”
au nom du trouble mental. Le codage tient compte
du symptôme prédominant et 2 spécifications sont
possibles : avec idées délirantes, ou avec hallucinations ; l’évaluation de la sévérité restant facultative.
Les relations entre troubles psychotiques et épilepsie
sont bidirectionnelles (2) : l’existence d’une épilepsie
favorise la survenue de troubles psychotiques et
l’existence de troubles psychotiques favorise la
survenue ultérieure d’une épilepsie. Ces données
récentes laissent penser qu’il existe un substratum
commun à ces 2 groupes d’affections.
Psychoses ictales (3)
* Service de neurologie et de neurophysiologie clinique, Inserm U930,
CHRU de Tours.
Elles sont exceptionnelles. Comme les crises épileptiques ont une durée brève, inférieure à 2 minutes,
la présence de symptômes hallucinatoires, d’une
dépersonnalisation ou d’une déréalisation au cours
de la décharge est facilement rattachée à un mécanisme critique, qui implique habituellement dans
ces cas les structures limbiques. Les états de mal
non convulsivants, qui peuvent durer plusieurs
heures, se présentent presque toujours sous la forme
d’états confusionnels plus ou moins délirants qui
ne miment qu’exceptionnellement un syndrome
psychotique d’allure primaire. Certains cas d’états
96 | La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2016
de mal non convulsivants frontaux peuvent poser
des problèmes diagnostiques, mais cela est rare.
L’électro-encéphalo­gramme (EEG) permet de faire
le diagnostic en montrant l’activité épileptique.
Psychoses postictales (4)
Les psychoses postictales correspondent à l’apparition soudaine d’un état délirant aigu de durée
brève après une salve de crises épileptiques. Elles
concernent 2 à 8 % des personnes épileptiques. Un
intervalle libre, au cours duquel le sujet retrouve
son état antérieur, précède l’émergence des symptômes psychotiques. L’existence d’un intervalle
de pleine lucidité après la crise permet d’écarter
une confusion postcritique délirante. Ce tableau
très spécifique, repéré depuis le xixe siècle (5),
est encore aujourd’hui insuffisamment connu. Les
critères diagnostiques en vigueur ont été précisés
par S.J. Logsdail et B.K. Toone, en 1998 (6). Le
syndrome psychotique est de début brutal et il
est caractérisé par une sémiologie protéiforme,
associant en proportions variables des symptômes
thymiques, des hallucinations et des idées délirantes avec une conscience globalement préservée.
Différents mécanismes, hallucinatoire, inter­prétatif,
intuitif coexistent, en proportion variable, pour
alimenter l’état délirant. Les symptômes thymiques
sont congruents ou non aux contenus délirants et
leur spectre s’étend de l’excitation maniaque à
l’accès mélancolique. Les hallucinations visuelles
organisées en scènes ter­rifiantes sont évocatrices
quand elles sont au premier plan. Les thématiques
délirantes de type religieux ou les idées de grandeur sont classiques. Le risque de comportements
dangereux auto- ou hétéro-agressifs est élevé
et la plupart des complications médico­légales
rencontrées dans l’épilepsie sont imputables à une
psychose postictale (7). Les épisodes sont de sémiologie variable d’un sujet à l’autre mais se répètent à
l’identique chez un même sujet. L’évolution se fait
vers la régression spontanée des symptômes en
une semaine en moyenne, avec ou sans traitement.
Le syndrome psychotique complique une épilepsie
Résumé
Les troubles psychotiques sont 8 fois plus fréquents dans l’épilepsie que dans la population générale. Deux
grands cadres regroupent la plupart des cas : les psychoses postictales, déclenchées par des crises épileptiques et qui surviennent juste après celles-ci, et les psychoses interictales, qui n’ont pas de lien chronologique avec les crises. Les tableaux cliniques sont polymorphes, associant des symptômes thymiques, des
hallucinations, surtout visuelles, et des idées délirantes. L’analyse clinique au cas par cas est multimodale
et conduit à évaluer la durée des symptômes, le type de syndrome épileptique, la sémiologie des crises, les
facteurs de vulnérabilité individuels et la chronologie de prescription des molécules antiépileptiques. Les
antipsychotiques peuvent être prescrits chez les personnes épileptiques traitées par des antiépileptiques.
focale ­réfractaire évoluant habituellement depuis
plus de 10 ans, de localisation temporale dans 80 %
des cas. Les crises épileptiques des patients à risque
de psychose postictale comportent le plus souvent
une sémiologie expérientielle avec des symptômes
anxieux et mnésiques et sont fréquemment secondairement généralisées. L’EEG est utile au diagnostic
différentiel : enregistré lors de l’épisode psychotique, il n’est pas différent de l’EEG ­prépsychotique.
Les travaux neurobiologiques montrent que la
survenue du trouble dépend d’une vulnérabilité
individuelle et 4 facteurs de risque principaux
ont été identifiés (8) : antécédents familiaux de
troubles psychiatriques, anomalies interictales sur
l’EEG, épilepsie d’origine encéphalitique, lésions
temporales étendues. Les anomalies structurelles
sont visualisées sur l’imagerie morphologique de
l’encéphale (IRM). La dynamique du trouble a été
évaluée par les enregistrements par électrodes
profondes ainsi que par l’imagerie fonctionnelle,
et elle implique des régions cérébrales distinctes
du réseau épileptogène. Le traitement n’est pas
codifié. Les formes symptomatiques aiguës nécessitent le recours aux antipsychotiques sédatifs. Les
anti­psychotiques atypiques peuvent être prescrits,
en particulier si l’épisode se prolonge. Le contrôle
médical ou chirurgical des crises supprime le
risque de survenue d’une psychose postictale, ce
qui démontre le rôle causal des crises épileptiques.
Psychoses interictales (9)
Les psychoses interictales sont des syndromes
psychotiques évoluant en pleine conscience chez
des sujets connus pour être épileptiques, et qui ne
surviennent ni pendant ni juste après une crise. Les
psychoses interictales regroupent de nombreux
tableaux cliniques autrefois subdivisés en psychoses
interictales brèves, psychoses alternantes, psychoses
épileptiques chroniques et psychoses médicamenteuses. Le regroupement récent de ces diverses entités
au sein d’un cadre commun est lié au fait que les
facteurs de vulnérabilité sont identiques et que les
formes de passage d’un sous-groupe à l’autre chez
un même malade sont particulièrement fréquentes,
rendant les subdivisions largement artificielles. Un
même patient peut ainsi développer au cours de l’évolution un trouble bref ou chronique ou une psychose
induite ou non par un médicament (9). Les facteurs
de risque principaux sont les antécédents personnels et familiaux de pathologies psychiatriques et
les troubles de l’apprentissage et/ou intellectuels.
Les épilepsies les plus à risque sont les épilepsies
focales pharmaco­résistantes d’évolution prolongée
(> 15 ans), mais 20 % des patients souffrent d’une
épilepsie généralisée.
Les psychoses interictales brèves ont par définition une durée inférieure à 3 mois. Elles peuvent se
développer dans un contexte de réduction importante de la fréquence des crises, voire de disparition
complète de celles-ci chez des patients ayant une
épilepsie temporale ou un syndrome généralisé
évoluant depuis au moins 15 ans. Le rôle des médicaments antiépileptiques est encore mal compris.
Une insomnie, une anxiété ou un retrait des activités
sont des symptômes annonciateurs qui doivent être
recherchés par l’interrogatoire. Les tableaux cliniques
sont variables d’un sujet à l’autre, mais un tableau de
psychose paranoïaque évoluant en pleine conscience
avec des hallucinations et des symptômes thymiques
est évocateur. Deux conceptions originales (normalisation forcée de l’EEG, psychose alternante) ont
été développées pour rendre compte de certains
de ces états. La normalisation forcée est un concept
EEG rapporté par H. Landolt, en 1958 (10), caractérisé par le fait que l’état psychotique s’accompagne
d’une disparition des anomalies observées sur l’EEG
inter­critique habituel, au point que le tracé devient
normal. Ce concept est associé, sinon confondu, avec
celui de psychose alternante qui décrit la relation
inverse entre un état mental altéré sans crises ou
un état mental normal avec des crises, indépendamment de l’EEG.
Les troubles psychotiques interictaux chroniques
dans l’épilepsie répondent aux critères diagnostiques de la schizophrénie (11), avec des nuances
sémiologiques : dans les psychoses épileptiques
chroniques, il y a peu de troubles du cours de la
pensée et peu d’indifférence affective, alors que les
fluctuations rapides de l’humeur sont fréquentes. Les
thématiques délirantes sont volontiers mystiques,
alimentées par des hallucinations auditives et par
des hallucinations visuelles inhabituelles. L’épilepsie
Mots-clés
Épilepsie
Psychose
Psychose postictale
Psychose interictale
Antiépileptiques
Summary
»» People with epilepsy have
an almost eightfold increased
risk of developing psychosis.
With regard to their temporal
association with seizures,
the psychosis may be classified as postictal or interictal
psychosis. Postictal psychosis
is following a seizure or a
cluster of seizures with the
presence of a lucid interval
between the last seizure and
start of changes in mental
state. Interictal psychosis
occurs in people with epilepsy
and the psychosis is not during
or immediately following a
seizure. The psychotic presentation includes the presence of
delusions or hallucinations in
clear consciousness often associated with affective symptoms.
Clinical assessment includes:
the duration of the psychotic
episode, the diagnosis of the
epileptic syndrome, symptoms of epileptic seizures,
individual vulnerability
factors, drug-induced symptoms with chronology. There
is no evidence that antipsychotic drugs increase seizure
frequency in epileptic persons
treated with antiepileptic drugs.
Keywords
Epilepsy
Psychosis
Postictal psychosis
Interictal psychosis
Drug-induced psychosis
La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2016 | 97
DOSSIER
Épilepsie
et psychiatrie
Épilepsies et psychoses
commence souvent avant l’âge de 10 ans et un intervalle d’environ 14 ans sépare le début de l’épilepsie
de la psychose. Il n’y a pas de personnalité pré­morbide de type schizoïde ni d’antécédents familiaux de
schizophrénie. L’existence d’une épilepsie temporale
est considérée comme le facteur de risque principal,
indépendamment de la gravité intrinsèque de l’épilepsie mesurée par la fréquence des crises. Enfin,
l’évolution des psychoses épileptiques chroniques
paraît moins déficitaire que celle des schizo­phrénies.
Les antipsychotiques atypiques peuvent être prescrits chez des patients souffrant d’épilepsie, en particulier la rispéridone ou l’aripiprazole sous forme
orale ou à libération prolongée.
Psychoses iatrogènes
B. de Toffol déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts.
Les tableaux cliniques directement imputables au
traitement antiépileptique surviennent chronologiquement après l’introduction d’une nouvelle molécule et disparaissent dès l’arrêt de celle-ci, avec ou
sans réduction de la fréquence des crises (12). Les
molécules les plus à risque sont le topiramate, le
zonisamide et le vigabatrine. Les tableaux cliniques
sont variables : délire aigu polymorphe avec ou sans
confusion associée, épisode délirant de durée brève
avec hallucinations et troubles de l’humeur associés
en proportion variable, états paranoïaques avec ou
sans hallucinations auditives. Leur durée varie de
quelques jours à 2 ou 3 mois.
Conclusion
La prise en charge globale des psychoses interictales
ne diffère pas significativement de celle des schizophrénies. Le diagnostic des psychoses postictales
nécessite une collaboration étroite entre neurologues et psychiatres. Les psychoses postictales
peuvent passer inaperçues du fait de leur durée
brève alors qu’elles sont fréquentes, dangereuses
et curables (13). La prescription d’un antipsychotique
est indiquée chez une personne épileptique traitée
par des antiépileptiques (14). Enfin, un consensus
international de prise en charge des troubles psychiatriques dans l’épilepsie, incluant les troubles psychotiques, est disponible (15).
■
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98 | La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2016
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