L’Encéphale (2012) 38, S57-S61

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L’Encéphale (2012) 38, S57-S61
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Endophénotypes schizophréniques et bipolaires :
le point de vue de la clinique
Schizophrenic and bipolar endophenotypes: the clinician’s point of view
M. Cermolaccea,b,*, E. Fakraa, R. Belzeauxa, M. Adidaa, J.-M. Azorina
aPôle
universitaire de psychiatrie, CHU Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 9, France
de Neurosciences Cognitives, UMR CNRS 6155 & Aix-Marseille Université, Fédération 3C, Marseille, France
bLaboratoire
MOTS CLÉS
Schizophrénie ;
Trouble affectif
bipolaire ;
Vulnérabilité ;
Endophénotypes ;
Signes neurologiques
mineurs ;
Anomalies
morphologiques
mineures ;
Expérience subjective
KEYWORDS
Schizophrenia;
Bipolar disorders;
Vulnerability;
Endophenotypes;
Neurological soft
signs;
Minor physical
anomalies;
Subjective experience
Résumé Dans la suite des travaux sur les vulnérabilités schizophrénique et bipolaire, la
recherche sur les endophénotypes connaît actuellement un développement considérable.
Deux définitions principales peuvent être distinguées pour décrire des marqueurs de
vulnérabilité précoces et stables. Premièrement, une définition au sens strict d’un
endophénotype renvoie à une mesure quantifiable, principalement paraclinique (par
exemple, des données biologiques, électrophysiologiques ou d’imagerie fonctionnelle).
Une seconde définition, plus large, de marqueurs de vulnérabilité peut aussi renvoyer à des
données purement cliniques. Dans cette revue, nous proposons de considérer tout d’abord
deux types de marqueurs neuro-développementaux : les signes neurologiques mineurs et
les anomalies morphologiques mineures. Malgré une stabilité et une héritabilité robustes,
leur manque de spécificité clinique et une grande variété de signes observables pourraient
expliquer leur utilisation encore limitée en pratique clinique quotidienne. Enfin, dans une
approche plus psychopathologique, l’expérience subjective des manifestations cliniques
rapportée par les patients permet elle-aussi de mieux saisir les conditions de vulnérabilité
des troubles du spectre schizophrénique.
© L’Encéphale, Paris, 2012
Summary Following empirical studies on schizophrenic and bipolar vulnerabilities,
research on endophenotypes knows a recent major development. Two main definitions of
early and stable vulnerability markers may be distinguished. First, a strict definition of
endophenotype relies on a quantifiable and mainly paraclinical measure (e.g., biological
data, electrophysiology or functional imaging). Second, a broader acceptance of the
notion of stable and early markers may also involve clinical data. In this review, we first
provide a short review on recent studies exploring two types of neurodevelopmental
markers: neurological soft signs (NSS) and minor physical anomalies (MPAs). These two
types of clinical signs feature robust, stable and heritable characteristics; however, a
large heterogeneity of possible observed signs, and a limited clinical specificity may
explain a relative reduced use in everyday clinical practice. Finally, psychopathology
and subjectively experienced disturbances by patients may enable clinicians to better
characterize specific, stable and heritable signs, constitutive of the schizophrenia spectrum
disorders.
© L’Encéphale, Paris, 2012
*Correspondance.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Cermolacce)
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
S58
Introduction
Définition(s) d’un endophénotype
La recherche sur les endophénotypes s’est considérablement développée depuis une quinzaine d’années, dans le
prolongement des travaux sur la vulnérabilité, le diagnostic
et les prises en charge précoces. Cet essor concerne particulièrement la schizophrénie, mais aussi, dans une moindre
mesure, les troubles affectifs. La notion d’endophénotype (ou
phénotype intermédiaire) renvoie à une définition stricte :
un indice précoce, stable et objectivable, « non évident à
l’œil nu » [1,2], qui implique une variation quantifiable.
Par cette définition au sens strict, on comprend ainsi qu’un
endophénotype renvoie préférentiellement à une donnée
biologique, paraclinique. Un tel marqueur est défini comme
intermédiaire : plus spécifique que des manifestations
cliniques jugées trop variables (entre différents patients,
mais aussi de façon temporelle), il permettrait de mieux
comprendre de potentiels déterminants génétiques. Au cours
de la dernière décennie, l’acception du terme d’endophénotype s’est élargie, et se rapproche de la notion de marqueurs
précoces de vulnérabilité [3].
Dans une définition stricte comme dans une acception
plus large, un endophénotype doit présenter plusieurs caractéristiques : des critères : i) de sensibilité ; ii) de spécificité ;
iii) de stabilité (indépendance vis-à-vis du stade évolutif et
des manifestations cliniques) ; iv) de mesures (acceptabilité
des explorations, reproductibilité et fiabilité) ; et enfin v)
familiaux (héritabilité et co-ségrégation familiale).
Endophénotypes, schizophrénie
et troubles affectifs bipolaires
Dans la recherche sur les vulnérabilités schizophrénique et
thymique, plusieurs domaines de recherche ont permis de
développer des endophénotypes candidats :
• perturbations physiologiques ou neuroendocriniennes ;
• anomalies cérébrales en imagerie structurale ou
fonctionnelle ;
• performances altérées en neuropsychologie cognitive ;
• perturbations électrophysiologiques, et potentiels évoqués
cognitifs.
Dans un article récent, Boutros décrit plusieurs étapes
cruciales nécessaires à tout marqueur biologique robuste
d’une pathologie. La première étape concerne la réplication
de résultats entre groupe pathologique et groupe témoin ; la
deuxième étape implique de déterminer l’intérêt clinique du
marqueur potentiel, en l’explorant auprès d’autres populations cliniques ; la troisième étape définit les caractères de
sensibilité et de spécificité ; la quatrième et dernière étape
doit permettre la mise en place de standards d’évaluation et
la réplication multicentrique des explorations. Concernant
les endophénotypes potentiels de la schizophrénie ou des
troubles bipolaires, l’auteur constate que la majorité des
études dépassent rarement la troisième étape [4].
Parallèlement à ces marqueurs paracliniques ou neuropsychologiques, certains indices cliniques sont désormais
considérés comme des endophénotypes potentiels : signes
neurologiques mineurs et anomalies morphologiques
mineures. Ces deux types de marqueurs développementaux
de vulnérabilité restent encore peu explorés malgré une
stabilité, une acceptabilité, une reproductibilité et une
héritabilité prometteuses. En revanche, nous verrons dans
M. Cermolacce et al.
la partie suivante que les aspects de sensibilité, et surtout
de spécificité, restent plus discutés.
Enfin, nous verrons dans la dernière partie de cette revue
que certains aspects psychopathologiques encore non systématiquement explorés peuvent eux-aussi être considérés
comme des marqueurs précoces de vulnérabilité, notamment
schizophrénique.
Marqueurs développementaux
de vulnérabilité
Deux types de signes développementaux ont pu être particulièrement étudiés dans les travaux sur la vulnérabilité
schizophrénique, et dans une moindre mesure dans le champ
des troubles affectifs : d’une part, les signes neurologiques
mineurs (NSS pour Neurological Soft Signs), et de l’autre,
les anomalies morphologiques mineures (MPAs pour Minor
Physical Abnomalies). Ces deux familles de signes témoigneraient, dans une approche neuro-développementale,
d’altérations développementales précoces [5,6]. L’hypothèse
neuro-développementale propose d’intégrer, dans un même
modèle dynamique, facteurs génétiques (vulnérabilité
prénatale) et environnementaux (vulnérabilité pré et
périnatale) [7].
Notamment explorées dans le domaine de la schizophrénie, ces perturbations signeraient une dysmorphogénèse,
étant donnée l’origine embryonnaire commune entre
crêtes neurales et ectoderme, et reflèteraient ainsi des
perturbations cérébrales associées impliquées dans le
spectre schizophrénique. Notons que ces anomalies, tant
neurologiques que morphologiques, ont pu être rapportées
dès les descriptions cliniques historiques, notamment kraepeliniennes. Cependant, les deux types d’altérations peuvent
se retrouver dans d’autres pathologies psychiatriques, ainsi
que dans la population générale [5,8,9].
Signes neurologiques mineurs (NSS)
Les NSS ont fait l’objet d’une exploration désormais bien
documentée, intégrant une variété importante de signes
mineurs dans les domaines de la coordination motrice, de
l’intégration sensorielle et des mécanismes d’inhibition [10].
Plusieurs outils d’évaluation clinique ont pu être décrits [5,6]
Un examen neurologique minutieux implique l’exploration
des signes suivants [8] :
• a) coordination motrice : épreuves d’opposition des doigts,
séquence paume/tranche/poing, mouvements alternés
rapides ou diadochokinésie ;
• b) intégration sensorielle : sensibilité tactile, discrimination droite/gauche, stéréognosie ;
• c) mécanismes de désinhibition : épreuve de poursuite en
saccade, mouvements en miroir.
Une méta-analyse récente propose de regrouper les
travaux concernant les NSS dans la schizophrénie [5]. À partir
d’une trentaine de travaux, les auteurs constatent que 73 %
des patients schizophrènes se distinguent des participants
témoins par la présence de NSS. Ces signes neurologiques
ne sont pas expliqués par le traitement médicamenteux ou
le niveau d’étude des participants. De plus, ils ne sont que
modérément influencés par l’âge, la durée de la maladie
ou la latéralité. Les NSS apparaissent aussi relativement
indépendants de la symptomatologie des patients examinés,
comme de l’évolution de la maladie ; ils présentent ainsi
Endophénotypes schizophréniques et bipolaires : le point de vue de la clinique
une stabilité nécessaire à la définition de tout endophénotype [5]. Les seules données explorant les liens entre NSS
et altérations en imagerie structurale impliquent le gyrus
frontal inférieur, les gyri temporaux supérieur et médian,
ainsi que l’aire cingulaire antérieure [11].
Autre caractéristique nécessaire pour tout endophénotype candidat, la notion d’héritabilité est aussi retrouvée lors
de l’exploration des NSS auprès des apparentés de premier
degré de patients schizophrènes. L’intensité et la fréquence
des NSS sont ainsi plus marquées chez les patients comparés
à leurs apparentés, ainsi que chez ces mêmes apparentés
en comparaison avec des participants témoins [12]. En
revanche, la question de la spécificité schizophrénique des
NSS reste problématique, avec l’observation de signes neurologiques chez des patients souffrant de troubles affectifs
bipolaires [13], d’état de stress post-traumatique [14], de
TOC [15] ou d’abus de cannabis [16].
Anomalies morphologiques mineures (MPAs)
En tant qu’autres marqueurs développementaux de vulnérabilité, les MPAs ont été décrits avec une grande variabilité
clinique, et sont classiquement décrits à partir de l’échelle
de Waldrop [17], dont une version étendue est validée en
français par Gourion et collaborateurs [18]. Six domaines sont
distingués, pour près d’une soixantaine d’items cliniques. Les
items décrits, volontiers asymétriques, restent particulièrement hétérogènes et vont de la notion de simples variants
anthropologiques à celle d’authentiques malformations.
Citons les domaines et signes morphologiques suivants :
i) crâne (asymétrie, implantation capillaire, morphologie
occipitale) ; ii) face (configuration relative des massifs
faciaux, micrognathie) ; iii) yeux (télé ou épicanthus) ;
iv) oreilles (implantation, configuration des lobes) ; v)
bouche (voute palatine, sillons linguaux, implantation du
frein lingual) ; vi) membres (asymétrie des dermatoglyphes,
pli palmaire, orteils) [8,18,19].
Cette variété des MPAs dans la schizophrénie est retrouvée
dans une méta-analyse portant sur 13 études [19]. Malgré une
taille de l’effet satisfaisante dans la majorité de ces études,
les résultats observés frappent par l’hétérogénéité des
domaines et items retrouvés. Cette disparité ne s’explique
pas en termes de variabilité ethnique, de méthodologie
employée ou de genre. Trois signes paraissent cependant plus
robustes (asymétrie faciale, anomalie de la voute palatine
et implantation capillaire atypique) [19].
Concernant l’héritabilité schizophrénique, les MPAs
présentent le profil général d’une atteinte intermédiaire
des apparentés de premier degré, comprise entre celle des
patients schizophrènes et celle des participants témoins [6].
Ce point reste cependant contredit par des études concluant
à une atteinte comparable à celles de patients schizophrènes [9], ou au contraire à celle des témoins [20]. Le lien
entre présence de MPAs et vulnérabilité est par ailleurs décrit
auprès de patients souffrant de trouble schizotypique [21].
À l’image des NSS, les MPAs sont aussi retrouvés dans
de nombreux autres troubles neuropsychiatriques ou
développementaux : autisme, épilepsie, TDAH, syndrome
fœtal alcoolique [19]. L’absence d’une spécificité schizophrénique des MPAs est confirmée par leur observation dans
les troubles affectifs, bien que moins sévères que dans la
schizophrénie [22]. La plupart des travaux retrouvent des
MPAs chez des patients souffrant de troubles unipolaires [23]
ou bipolaires [24].
S59
Marqueurs développementaux de vulnérabilité
et perspectives de recherche
Les travaux de recherche sur les NSS ou les MPAs permettent
de souligner l’importance d’indices neurologiques ou morphologiques rarement explorés de façon systématique chez
les patients souffrant de trouble psychiatrique. Une telle
exploration, pourtant rapide et accessible, présenterait une
acceptabilité clinique particulièrement intéressante, et une
voie d’accès privilégiée à l’histoire développementale de ces
patients [8]. Le critère d’héritabilité paraît lui aussi prometteur pour considérer ces marqueurs développementaux
comme des endophénotypes potentiels de la schizophrénie
ou des troubles affectifs. Néanmoins, deux aspects limitent la
portée de ces résultats : l’absence de spécificité à un trouble
particulier, et la disparité notable des signes explorés. Cette
disparité ne peut s’expliquer entièrement par des biais méthodologiques ou relatifs aux participants sélectionnés. Elle
pourrait refléter un enchaînement non linéaire et hétérogène
de perturbations développementales variées [6]. Plusieurs
perspectives de recherche permettraient de mieux appréhender cette dynamique neuro-développementale. Tout d’abord,
peu (ou pas) de travaux concernent les liens entre NSS ou
MPAs, et altérations cérébrales structurales. Par ailleurs, il
persiste une absence de données robustes sur les liens entre
marqueurs développementaux et études génétiques. Enfin,
les liens entre différents endophénotypes pourraient être
montrés par des scores endophénotypiques « composites »
(par exemple, NSS et altérations neurophysiologiques) [3,25].
Indices psychopathologiques
et vulnérabilité
Comme nous l’avons vu précédemment, un endophénotype
potentiel peut être étudié de façon non strictement paraclinique. Au cours des deux dernières décennies, certains
auteurs ont pu souligner le rôle d’éléments psychopathologiques subtils et précoces dans l’étude de la vulnérabilité
schizophrénique [26-28]. Parce qu’ils présentent des
caractères de spécificité, de sensibilité, d’héritabilité et
de stabilité satisfaisants, ces indices psychopathologiques
potentiels pourraient être pris en compte pour affiner la
recherche sur les déterminants génétiques, bien qu’éloignés d’une définition d’endophénotype au sens strict. Deux
approches complémentaires proposent de détailler l’expérience subjective des patients souffrant de schizophrénie,
comme indice précoce de vulnérabilité schizophrénique :
i) des altérations subjectivement perçues, reposant sur la
notion de symptômes de base (BS pour Basic Symptoms) et
étudiées par les échelles BSABS [29] et SPI-A [26] ; et ii) des
altérations de l’expérience subjective, étudiées par l’échelle
EASE [28].
Troubles subjectivement perçus
et symptômes de base (BS)
La notion de BS a été développée par Huber, Klosterkötter
et leur équipe pour désigner des troubles précoces et fins
touchant la cognition, la motricité, ou la perception [27].
Ces BS consistent en des troubles subjectivement vécus,
avant d’être observables par un observateur extérieur. Le
terme basique renvoie à la fois à leur caractère très précoce, mais aussi aux processus cérébraux trop éloignés des
S60
manifestations cliniques plus classiques de la schizophrénie.
Ces auteurs décrivent ces BS comme précurseurs de signes
schizophréniques hallucinatoires ou productifs (c’est-à dire
apparaissant avant les signes de premier rang, comme les
commentaires ou les vols de la pensée). Leur évaluation
a longtemps reposé sur l’échelle BSABS (Bonn Scale for
the Assessment of Basic Symptoms [29]), non traduite en
français. La même équipe a récemment sélectionné les items
cliniques les plus indicateurs d’un haut risque de décompensation schizophrénique, permettant de constituer un
nouvel outil d’évaluation : la SPI-A (Schizophrenia Prediction
Instrument [26]), en cours de traduction française. Citons
ici trois exemples de descriptions cliniques issus de la quarantaine d’items de la SPI-A :
• perturbation du langage perçu : le patient éprouve une
compréhension perturbée de mots courants, par exemple
lors d’une conversation, au cinéma, à la télévision ou à
la radio : leur signification n’est reconnue ou comprise
qu’avec beaucoup de peine ou de manière incomplète.
Parfois les patients cherchent à compenser ce trouble en
lisant lentement, à haute voix, en répétant, ou en lisant
moins qu’avant. Une perturbation de la communication
sociale peut aussi reposer sur des troubles de la perception
du langage ;
• perte des automatismes moteurs : les activités quotidiennes
familières que le patient faisait auparavant de manière
automatique ou semi-automatique, ne sont maintenant
plus exécutées qu’au prix d’un gros effort de volonté et
prennent beaucoup plus de temps. Des activités telles que
s’habiller, se laver, se raser, se peigner, demandent une
attention maximale et une plus grande vigilance ;
• discrimination diminuée entre imagination et perception,
invention et souvenirs : le patient éprouve des difficultés
à distinguer entre pensées mentales intérieures et choses
perçues de l’extérieur. Par exemple, il ne sait plus s’il avait
l’intention de dire quelque chose ou s’il l’a déjà dit, s’il
a entendu ou vu quelque chose ou si c’est le fruit de son
imagination [26].
Les BS évalués par la BSABS et la SPI-A présentent une spécificité schizophrénique plus marquée que chez des patients
souffrant de troubles bipolaires [30,31] ou dépressifs [32],
une fiabilité interjuge satisfaisante [27]. En revanche, les
troubles subjectifs explorés par la SPI-A témoignent plus
d’un état à haut risque de transition psychotique. Dans ce
sens, certains BS ont pu être intégrés dans les approches de
diagnostic précoce, auprès de patients à très haut risque
schizophrénique [33]. Mais les critères d’héritabilité et de
stabilité manquent donc pour que ces marqueurs précoces
constituent des marqueurs stables de vulnérabilité.
Altération de l’expérience subjective
et échelle EASE
Une seconde approche contemporaine s’inspire à la fois de
la démarche des symptômes de base décrits dans la BSABS et
de la psychopathologie phénoménologique. Cette approche,
est centrée sur les anomalies de l’expérience subjective,
c’est-à dire sur les altérations possibles du sens de soi dans
la schizophrénie [28]. La traduction française de EASE est
désormais disponible [34] ; citons trois illustrations d’altération de l’expérience subjective, parmi la soixantaine d’items
présentés dans l’échelle :
• hyper-réflexivité : perte de la spontanéité, de la naïveté,
du naturel, de l’immédiateté, tendance marquée à cogiter
M. Cermolacce et al.
sur ses propres pensées et comportements, par exemple,
incapacité à réagir et à se comporter de manière spontanée
et insouciante ;
• perte de l’ipséité de la pensée : impression que certaines
pensées apparaissent comme privées du « label » témoignant de leur mienneté : les pensées paraissent anonymes,
ou encore indescriptiblement étranges, parfois « comme
si » ces pensées n’étaient pas générées par le patient ;
• perceptualisation du discours intérieur ou de la pensée : les
pensées, ou le discours intérieur du patient acquièrent ici
des qualités acoustiques. Le patient n’éprouve pas encore
l’impression que les autres peuvent entendre ou avoir
accès à ses pensées. Chez certains patients, ce symptôme
ne se produit que pendant la lecture [34].
L’approche présentée ici se distingue de la précédente
par l’absence de tout item perceptif, et par la stabilité
temporelle des phénomènes décrits. Cette stabilité permet
ainsi de retrouver des troubles de l’expérience subjective
dans toutes les pathologies du spectre schizophrénique : chez
des patients souffrant de schizotypie [35], comme chez des
apparentés de premier degré de patients schizophrènes [36].
En revanche, les phénomènes cliniques observés apparaissent
relativement spécifiques de la schizophrénie, en comparaison avec les troubles bipolaires [37]. En ce sens, EASE
tend d’avantage à décrire une vulnérabilité schizophrénique
précoce et stable qu’un risque de transition aigue, à l’inverse
de l’échelle SPI-A [27,38]. Enfin, EASE atteint un score de
fiabilité interjuge très satisfaisant (IRR > 0,7 [39]), contrairement à l’idée que l’expérience subjective des patients
ne pourrait être scientifiquement explorée. Les altérations
fines et précoces de l’expérience subjective pourraient
ainsi constituer des marqueurs héritables et robustes de
vulnérabilité, plus spécifiquement schizophréniques que les
manifestations cliniques classiques.
Conclusion
Dans les domaines de la vulnérabilité schizophrénique, et
dans une moindre mesure de la vulnérabilité bipolaire, la
notion d’endophénotypes ou d’indices précoces, stables et
héritables ouvre des perspectives prometteuses en termes
d’étiopathologie, de diagnostic et de thérapeutique. Elle
reste cependant limitée, avec une spécificité fréquemment
réduite et encore peu explorée. Les applications actuelles
d’endophénotypes potentiels sont ainsi réduites en pratique
clinique.
Deux approches strictement cliniques sont encore insuffisamment explorées. La première implique des évaluations
neurologiques (NSS) ou morphologiques (MPAs) et permet
de mieux approcher le parcours neuro-développemental
des patients atteints de schizophrénie ou de trouble
bipolaire. La seconde repose sur une approche plus psychopathologique, en décrivant les troubles de l’expérience
subjective des patients. Si celle ci est explorée de façon
rigoureuse et détaillée, elle permet notamment de décrire
de façon robuste, stable, et héritable les phénomènes
subjectivement éprouvés lors des troubles du spectre
schizophrénique [40].
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien
avec cet article.
Endophénotypes schizophréniques et bipolaires : le point de vue de la clinique
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