
S40 M. Tournier et al.
La fréquence des traitements antidépresseurs de moins
d’un mois et de moins de six mois paraît particulièrement
élevée dans notre population. Dans des études similaires
menées aux États-Unis, 44,6 % des patients déprimés ou
anxieux prennent un traitement antidépresseur incident au
moins six mois [3], 57,6 % des patients déprimés plus d’un
mois et 27,6 % plus de trois mois [16]. Au Québec, 55,3 % des
personnes âgées de plus de 65 ans conservent un traitement
antidépresseur au moins six mois [15]. Les caractéristiques
associées à une durée courte de traitement sont similaires
à celles retrouvées dans les études antérieures : âge et
sexe du patient, spécialité du prescripteur, coprescription
de psychotropes et en particulier d’anxiolytiques [9,13,15].
Une exception concerne les données de remboursement. Il
est habituellement considéré qu’un remboursement optimal
favorise l’observance thérapeutique. Or, le remboursement
au titre d’une ALD psychiatrique n’est pas associé à la durée
de traitement et le fait de bénéficier de la CMU-C diminue
la probabilité de recevoir un traitement long. Il est possible
que de nombreux assurés de l’assurance maladie bénéfi-
cient d’un remboursement total par le biais d’une assurance
médicale complémentaire et ne paient pas leur traitement.
De plus, la CMU-C apparaît probablement comme un mar-
queur de caractéristiques socioéconomiques (faible niveau
d’éducation et désinsertion sociale) de personnes qui sont
moins aptes à s’engager dans une démarche de soins ou à
s’y conformer.
Les traitements initiés par un médecin généraliste
avaient une probabilité plus grande d’avoir une durée courte
que ceux initiés par un psychiatre ou un praticien hos-
pitalier (qui sont très probablement majoritairement des
psychiatres). Des études montrent que le diagnostic de
dépression est souvent porté par excès en médecine géné-
rale [14]. La fréquence très élevée des traitements de courte
durée pourrait ainsi être expliquée en grande partie par
des prescriptions hors indication [8]. Il est possible que
ces sujets se sentent améliorés sans traitement ou après
une courte période de traitement et ne renouvellent pas
leur ordonnance. La prescription par un psychiatre pourrait
également refléter une pathologie plus sévère, un enga-
gement plus fort dans les soins de la part du patient ou
une meilleure information du patient sur la pathologie
et le traitement [2]. Ainsi, la probabilité d’interruption
de traitement antidépresseur est diminuée de moitié si
le patient est informé de la nécessité de conserver ce
traitement sur une longue période [2] ou des effets indé-
sirables des antidépresseurs [4]. De la même manière, la
coprescription d’un autre psychotrope peut être le signe
d’une symptomatologie plus sévère ou d’un trouble plus
compliqué. Elle peut également favoriser le suivi médical
et l’amélioration partielle mais rapide du patient dans le
cas de la prescription d’un anxiolytique ou d’un hypnotique
[5].
Conclusion
Les traitements antidépresseurs d’une durée inférieure
aux recommandations internationales sont très fréquents
en France. Il paraît essentiel de cibler des programmes
d’intervention sur la formation des médecins non spécia-
listes de la santé mentale et sur l’information des patients
sur leur trouble et leur traitement afin de mieux les impli-
quer dans leurs soins [21].
Remerciements
Nous remercions les membres du département des Études
sur les Pathologies et les Patients de la CNAM-TS et, en
particulier, le Docteur Philippe Ricordeau, Mesdames Pépin,
Kusnik-Joinville et Cuerq qui nous ont donné l’accès aux
données nécessaires pour cette étude.
Références
[1] Aikens JE, Kroenke K, Swindle RW, et al. Nine-month predictors
and outcomes of SSRI antidepressant continuation in primary
care. Gen Hosp Psychiatry 2005;27:229—36.
[2] Bull SA, Hu XH, Hunkeler EM, et al. Discontinuation of use and
switching of antidepressants: influence of patient-physician
communication. JAMA 2002;288:1403—9.
[3] Cantrell CR, Eaddy MT, Shah MB, et al. Methods for evalua-
ting patient adherence to antidepressant therapy: a real-world
comparison of adherence and economic outcomes. Med Care
2006;44:300—3.
[4] Demyttenaere K, Enzlin P, Dewe W, et al. Compliance with
antidepressants in a primary care setting, 1: beyond lack of
efficacy and adverse events. J Clin Psychiatry 2001;62 Suppl 22:
30—3.
[5] Demyttenaere K, Enzlin P, Dewe W, et al. Compliance with
antidepressants in a primary care setting, 2: the influence of
gender and type of impairment. J Clin Psychiatry 2001;62 Suppl
22:34—7.
[6] Demyttenaere K, Mesters P, Boulanger B, et al. Adherence to
treatment regimen in depressed patients treated with amitrip-
tyline or fluoxetine. J Affect Disord 2001;65:243—52.
[7] Greden JF. Unmet need: what justifies the search for a new
antidepressant? J Clin Psychiatry 2002;63 Suppl 2::3—7.
[8] Grolleau A, Cougnard A, Begaud B, et al. Usage et congruence
diagnostique des traitements à visée psychotrope : résultats
de l’enquête santé mentale en population générale en France
métropolitaine. Encéphale 2008;34:352—9.
[9] Hansen DG, Vach W, Rosholm JU, et al. Early discontinuation
of antidepressants in general practice: association with patient
and prescriber characteristics. Fam Pract 2004;21:623—9.
[10] Judd LL, Akiskal HS, Maser JD, et al. A prospective 12-year
study of subsyndromal and syndromal depressive symptoms
in unipolar major depressive disorders. Arch Gen Psychiatry
1998;55:694—700.
[11] Kennedy S, Mcintyre R, Fallu A, et al. Pharmacotherapy
to sustain the fully remitted state. J Psychiatry Neurosci
2002;27:269—80.
[12] Lecadet J, Vidal P, Bari SB, et al. Médicaments psychotropes :
consommation et pratiques de prescription en France metro-
politaine. I Données nationales, 2000. Rev Med Assur Malad
2003;34:75—84.
[13] Mitchell AJ. Depressed patients and treatment adherence. Lan-
cet 2006;367:2041—3.
[14] Mitchell AJ, Vaze A, Rao S. Clinical diagnosis of depression in
primary care: a meta-analysis. Lancet 2009;374:609—19.
[15] Moride Y, Du Fort GG, Monette J. Suboptimal duration of anti-
depressant treatments in the older ambulatory population of
Quebec: association with selected physician characteristics. J
Am Geriatr Soc 2002;50:1365—71.
[16] Olfson M, Marcus SC, Tedeschi M, et al. Continuity of antide-
pressant treatment for adults with depression in the United
States. Am J Psychiatry 2006;163:101—8.