L’Encéphale (2011) 37, S36—S41
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
ÉPIDÉMIOLOGIE
Étude sur la durée des traitements antidépresseurs
en France et ses déterminants à partir des bases de
données de l’Assurance maladie
Duration of antidepressant drug treatment and its determinants in France
M. Tourniera,,b,c, A. Cougnarda, S. Boutouaba-Combea, H. Verdouxa,c
aUnité Inserm U657, université Victor-Segalen Bordeaux 2, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France
bCentre hospitalier Charles-Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France
cUniversité Victor-Segalen-Bordeaux 2, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France
Rec¸u le 28 janvier 2010 ; accepté le 26 avril 2010
Disponible sur Internet le 30 aoˆ
ut 2010
MOTS CLÉS
Usage de
médicament ;
Antidépresseurs ;
Persistance ;
Bases de données de
l’Assurance maladie
Résumé Notre objectif était d’estimer la durée des traitements antidépresseurs en France
et les caractéristiques associées à une durée de traitement inférieure aux recommanda-
tions internationales (moins de six mois), sur l’échantillon généraliste de bénéficiaires de
l’assurance maladie, représentatif des bénéficiaires de la Caisse nationale de l’Assurance
maladie franc¸aise. Trente-cinq mille et cinquante-trois patients ayant rec¸u une délivrance inci-
dente d’antidépresseur entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006 ont été suivis jusqu’au
31 décembre2007. La plupart des traitements antidépresseurs duraient moins de six mois
(81,8 %) et plus de la moitié 28 jours ou moins (58,1 %). Une durée de traitement conforme
aux recommandations était associée de manière indépendante à l’âge, au sexe féminin, à une
affection de longue durée reconnue, à l’absence de couverture médicale universelle et à la
coprescription de médicaments psychotropes. La spécialité du prescripteur influait sur la durée
de traitement, plus longue lorsqu’il était prescrit par un psychiatre par rapport à une prescrip-
tion par un médecin généraliste ou un autre spécialiste. Ces résultats soulignent la nécessité
de former les médecins non psychiatres et de mieux impliquer les patients dans leurs soins.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
KEYWORDS
Drug utilization;
Antidepressant;
Persistence;
Health insurance
database
Summary
Introduction. — Practice guidelines recommend maintaining antidepressant treatment for a long
duration (at least six months) after symptomatic improvement. In practice, treatment effecti-
veness is often jeopardized by non-persistence.
Method. — A retrospective cohort study was conducted on a standard sample representative
of the members of the French universal health insurance system database, in order to assess
antidepressant treatment duration in a real-life setting. 35 053 outpatients who initiated an
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Tournier).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2010.06.007
Durée des traitements antidépresseurs en France S37
antidepressant treatment in 2005—2006 were followed up until 2007. Incident antidepressant
treatment was defined as no dispensing of antidepressant in the six months prior to treat-
ment initiation. Persistence to treatment was defined as antidepressant treatment duration of
six months or more. Multivariate analyses were conducted in order to identify characteristics
associated with persistence to treatment.
Results. — Most antidepressant treatments (n= 28 674; 81.8%) lasted for less than six months
and more than half for 28 days at most (n= 20 377; 58.1%). Persistence to treatment was asso-
ciated with older age (OR 1,13; 95% CI 1.11—1.15), female gender (1.22; 1.15—1.30), chronic
disease (1.21; 1.13—1.31), not being on welfare (0.67; 0.60—0.74) and coprescription of anxioly-
tics (0.36; 0.33—0.38), antipsychotics (0.39; 0.35—0.43) or mood-stabilizers (0.45; 0.39—0.53).
Prescribers’ specialty was also associated with persistence. Treatments prescribed by gene-
ral practitioners were less likely to be continued than those prescribed by psychiatrists (1.65;
1.47—1.86).
Conclusion. — Non-persistence to antidepressant treatment is very frequent in France. Interven-
tion programs aimed at increasing persistence should target physicians’ training and patients’
education.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Introduction
La dépression est une pathologie fréquente, fréquemment
récurrente et parfois chronique [10]. L’efficacité des médi-
caments antidépresseurs est liée à la durée de traitement
du fait de leur délai d’efficacité et du risque de rechute
et de récidive associé à une interruption trop précoce. Ainsi
les guides de bonne pratique internationaux recommandent-
ils de poursuivre un traitement antidépresseur au moins
six mois après obtention d’une rémission symptomatique
[13,20]. Cependant, en conditions réelles de prescription,
les traitements antidépresseurs sont fréquemment inter-
rompus de manière prématurée [15,16]. Plusieurs facteurs
sont susceptibles d’affecter la durée du traitement anti-
dépresseur : des facteurs liés au patient (croyances sur
les médicaments, bas niveau socioéconomique et patho-
logie) [1,9], le sentiment d’être guéri lié à la disparition
des symptômes [5,11], des facteurs liés au traitement
(délai d’efficacité, effets indésirables, dosage inférieur aux
recommandations, classe thérapeutique) [6,7,15,19], des
facteurs liés au prescripteur (spécialité, année de diplôme
et zone d’exercice) [15] et des facteurs liés au système de
soins (remboursement et accès aux soins).
Peu d’études ont évalué la durée des traitements antidé-
presseurs en France malgré les particularités de son système
de soins (couverture universelle, libre accès aux médecins
spécialistes et forte consommation médicamenteuse). Une
étude menée à partir des bases de données du régime géné-
ral de l’assurance maladie a inclus les bénéficiaires ayant
rec¸u au moins une délivrance d’antidépresseur en 2000
[12]. Cette étude a montré que 29 % de ces sujets n’avait
rec¸u qu’une délivrance d’antidépresseur dans l’année et
que 34,1 % d’entre eux avaient rec¸u plus de six délivrances
dans l’année. Toutefois, cette étude ne permettait pas
d’estimation précise de la durée de traitement puisqu’elle
ne recueillait pas d’information sur les dates de délivrance
et la continuité du traitement dans la période étudiée, ni sur
les périodes qui précèdent ou succèdent à ces délivrances.
Deux études ont été réalisées en 1994—1995 [18] et 1996
[17] sur un échantillon constitué à partir du panel Société
franc¸aise d’enquêtes par sondages (SOFRES) de 20 000 foyers
franc¸ais par questionnaire postal. Dans la première étude,
54 % des utilisateurs d’antidépresseurs recevaient un traite-
ment antidépresseur depuis plus d’un an, parfois de manière
intermittente. Dans la seconde étude, les sujets qui avaient
pris des antidépresseurs dans les quatre semaines précédant
l’envoi du questionnaire postal étaient suivis pendant huit
mois. Parmi eux, 61 % de ceux qui ont débuté un nouveau
traitement antidépresseur dans cette période, en raison
soit d’un changement de molécule, soit d’une reprise après
arrêt, l’ont interrompu avant quatre mois, et 91 % avant huit
mois. Ces trois études portaient sur les traitements antidé-
presseurs prévalents et pourraient avoir surestimé la durée
moyenne des traitements prescrits en France en privilégiant
ainsi les traitements de durée longue, efficaces et bien tolé-
rés.
Nos objectifs étaient (1) d’estimer, sur un échantillon
représentatif de la population franc¸aise, la durée des trai-
tements antidépresseurs incidents et (2) d’identifier les
patients à risque d’interruption prématurée de traitement
qui pourraient bénéficier d’un accompagnement particulier
de leur traitement.
Méthodologie
Population source
L’étude a été menée en collaboration avec le département
des études sur les pathologies et les patients (DEPP) de la
Direction de la stratégie des études et des statistiques (DSES)
de la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs
salariés. Les données sont issues de l’échantillon généraliste
de bénéficiaires de l’assurance maladie (EGB), géré par la
Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs sala-
riés (CNAM-TS), pour les années 2004—2007. Cet échantillon
a été créé en 2004 afin d’observer l’évolution dans le temps
de la consommation de soins d’une population donnée. Il
est issu du Système national d’information inter-régimes de
l’Assurance maladie (SNIIR-AM) et inclut un pour cent des
S38 M. Tournier et al.
bénéficiaires de la CNAM-TS, tirés au sort. Ces données ont
fait l’objet d’une double anonymisation. L’étude a rec¸u un
avis favorable du comité consultatif pour le traitement de
l’information en matière de recherche dans le domaine de
la santé et de la Commission nationale de l’informatique et
des libertés (CNIL).
Population à l’étude
Nous avons sélectionné dans EGB des épisodes incidents
de traitement antidépresseur. Ont été inclus dans l’étude
les patients : (1) âgés de 18 ans et plus ; (2) qui ont
rec¸u au moins une délivrance d’antidépresseur entre le
1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006 ; (3) qui n’ont pas
rec¸u de délivrance d’antidépresseur dans les six mois qui
précédaient l’initiation du traitement.
Durée du traitement antidépresseur
La variable étudiée était la durée du premier épisode de
traitement antidépresseur sur la période d’observation.
L’objet des bases de données de l’assurance maladie étant
essentiellement comptable, elles fournissent la date de
délivrance et le nombre de boîtes délivrées, mais ne
comprennent ni la durée pour laquelle le traitement est déli-
vré, ni la posologie. De ce fait, nous avons estimé la durée
d’un épisode de traitement à partir des dates de délivrances
consécutives d’antidépresseur, en l’absence d’interruption
de traitement antidépresseur, en nous fondant sur plusieurs
postulats. Tout d’abord, nous avons postulé qu’une déli-
vrance d’antidépresseur équivalait à 28 jours de traitement.
Ensuite, nous avons considéré qu’en cas de délivrances mul-
tiples sur une période de 28 jours (par ex. deux délivrances
dans le mois), la durée cumulée restait égale à 28 jours.
Enfin, une interruption de traitement était définie par
l’absence de renouvellement de délivrance dans les 28 jours
qui suivaient la date présumée de fin de la précédente déli-
vrance, soit dans les 56 jours qui suivaient la précédente
délivrance. Le traitement était considéré comme continu
en cas de changement de molécule d’antidépresseur au sein
d’un même épisode. La durée du premier épisode de trai-
tement antidépresseur a été catégorisée a priori en durée
courte (moins de six mois) et longue (au moins six mois).
Quatre classes d’antidépresseurs ont été définies selon la
classification WHO Anatomical Therapeutic Chemical (ATC) :
tricycliques, inhibiteurs sélectifs du recaptage de la séroto-
nine (ISRS), inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO),
autres (miansérine, viloxazine, mirtazapine, tianeptine,
venlafaxine, milnacipran).
Caractéristiques associées à la durée du traitement
Les variables explicatives étudiées correspondaient aux
facteurs susceptibles d’affecter la durée du traitement anti-
dépresseur identifiés dans la littérature et disponibles dans
la base de données. Les variables suivantes ont été étu-
diées : (1) âge et (2) sexe ; (3) existence ou non d’un
remboursement au titre d’une affection de longue durée
(ALD), psychiatrique ou non, (4) existence d’une cou-
verture maladie universelle complémentaire (CMU-C). La
spécialité du prescripteur qui a initié le traitement a été
catégorisée en quatre classes : médecin généraliste, psy-
chiatre libéral, médecin hospitalier et autre spécialiste. Les
traitements psychotropes associés ont été catégorisés en
anxiolytiques/hypnotiques, antipsychotiques et thymorégu-
lateurs.
Méthode statistique
Des analyses multivariées par régression logistique permet-
tant de calculer des odds ratio (OR) avec leur intervalle de
confiance à 95 % (IC95 %) ont été réalisées pour identifier
les caractéristiques associées à la durée du premier épisode
de traitement antidépresseur sur la période d’observation, à
l’aide du logiciel STATA 9.0 (Statacorp., 2001). Afin d’évaluer
s’il existait une relation dose-effet entre l’âge et la durée
de traitement, l’âge a été traité en variable quantita-
tive ordinale (18—24 ans ; 25—34 ; 35—44 ; 45—54 ; 55—64 ;
65—74 ; 75 et plus), permettant de calculer un OR à ten-
dance linéaire. La classification de la durée de traitement
en «long »et «court »dépendant étroitement de notre
définition d’un arrêt de traitement (56 jours sans renouvel-
lement de délivrance), nous avons effectué des analyses de
sensibilité en faisant varier de 15 jours la définition d’une
interruption de traitement (absence de renouvellement de
la délivrance dans les 42 jours ou dans les 72 jours suivant la
précédente délivrance).
Résultats
Description de l’échantillon
L’étude a inclus 35 053 patients. Parmi eux, 5252 (15 %)
ont rec¸u au moins un antidépresseur tricyclique, 22 111
(63,1 %) au moins un ISRS, 136 (0,4 %) au moins un IMAO et
10 650 (30,4 %) au moins un antidépresseur de type «autre ».
Concernant les produits les plus fréquemment délivrés,
nous retrouvions dans l’ordre de fréquence décroissante :
(1) paroxétine (n= 8535, 24,3 %) ; (2) venlafaxine (n= 4360,
12,4 %) et fluoxétine (n= 4300, 12,3 %) ; (3) citalopram
(n= 4029, 11,5 %) et amitriptyline (n= 3956, 11,3 %) ; (4) tia-
neptine (n= 3452, 9,8 %), escitalopram (n= 3391, 9,7 %) et
sertraline (n= 3322, 9,5 %).
Durée des traitements antidépresseurs
Pour plus des trois quarts de la population, le premier épi-
sode de traitement par antidépresseur a duré moins de six
mois (n= 28 674, 81,8 %). Il était de 28 jours ou moins pour
plus de la moitié de la population (n= 20 377, 58,1 %). Parmi
les sujets ayant rec¸u au moins une délivrance d’un antidé-
presseur tricyclique, 93,6 % avaient une durée de traitement
inférieure à six mois, comme 81,8 % des sujets qui avaient
rec¸u au moins une délivrance d’ISRS, 78,7 % de ceux qui
avaient rec¸u au moins un IMAO et 82,5 % de ceux qui avaient
rec¸u au moins un antidépresseur «autre ».
Lors des analyses de sensibilité, lorsque la définition
d’interruption de traitement était l’absence de délivrance
au cours des 42 jours qui suivaient la précédente délivrance,
le nombre de traitements d’une durée inférieure à six mois
était de 31 472 (89,8 %). Il était de 27 069 (77,2 %) lorsque
la définition d’interruption de traitement était l’absence de
Durée des traitements antidépresseurs en France S39
Tableau 1 Caractéristiques associées à la durée du traitement antidépresseur.
Moins de 6 mois
n=28674
Au moins 6 mois
n= 6379
n(%) n(%) OR ajusté IC 95 % p
Âgea1,13 1,11—1,15 < 0,001
Sexe (homme) 9612 (33,5) 1968 (30,9) 0,82 0,77—0,87 < 0,001
Affection de longue durée (ALD)
Pas d’ALD 22 113 (77,1) 4262 (66,8) Référence
ALD psychiatrique 924 (3,2) 430 (6,7) 1,12 0,98—1,29 0,10
ALD non psychiatrique 5637 (19,7) 1687 (26,4) 1,21 1,13—1,31 < 0,001
CMUbcomplémentaire 2930 (10,2) 431 (6,8) 0,67 0,60—0,74 < 0,001
Spécialité du prescripteur
Médecin généraliste 23 666 (82,6) 4919 (77,2) Référence
Psychiatre 1248 (4,4) 485 (7,6) 1,65 1,47—1,86 < 0,001
Praticien hospitalier 2360 (8,2) 757 (11,9) 1,22 1,11—1,34 0,001
Autre spécialité 1373 (4,8) 214 (3,4) 0,83 0,71—0,96 0,015
Coprescription d’un médicament psychotrope
Au moins un anxiolytique/hypnotique 16 180 (56,4) 5074 (79,5) 2,80 2,62—2,99 < 0,001
Au moins un antipsychotique 1522 (5,3) 1009 (15,8) 2,58 2,34—2,84 < 0,001
Au moins un thymorégulateurc437 (1,5) 322 (5,0) 2,21 1,88—2,59 < 0,001
OR : odds ratio ; IC : intervalle de confiance.
aÂge traité en variable quantitative ordinale.
bCouverture médicale universelle.
cLithium, carbamazépine, valpromide, divalproate de sodium, lamotrigine, oxcarbazépine, topiramate.
délivrance au cours des 72 jours qui suivaient la précédente
délivrance.
Caractéristiques associées à la durée de traitement
antidépresseur
Les caractéristiques sociodémographiques et cliniques des
patients en fonction de la durée du traitement antidé-
presseur, ainsi que la spécialité du prescripteur ayant
initié le traitement antidépresseur sont exposées dans le
Tableau 1. Toutes les variables explicatives étant significati-
vement associées à la durée de traitement lors des analyses
statistiques univariées, elles ont été conservées dans les
analyses multivariées. Le modèle multivarié montre qu’elles
restaient significativement et indépendamment associées
à la durée de traitement hormis l’ALD de type psychia-
trique qui n’était plus associée à la durée de traitement
après ajustement sur les différentes classes des traitements
psychotropes coprescrits. Ainsi, une durée de traitement
conforme aux recommandations était associée à l’âge de
manière linéaire (ou relation dose-effet) ; quand l’âge aug-
mentait de dix ans (changement d’une classe à l’autre), la
probabilité d’avoir une durée de traitement longue augmen-
tait de 13 %. Elle était également associée au sexe féminin,
à une ALD non psychiatrique, à l’absence de CMU-C et à
la coprescription de médicaments psychotropes (anxioly-
tique, antipsychotique ou thymorégulateur). La spécialité
du prescripteur influenc¸ait la probabilité de traitement de
durée longue : plus haute lorsqu’il était prescrit par un
psychiatre par rapport à une prescription par un médecin
généraliste et plus faible lorsqu’il était initié par un spé-
cialiste médical autre que psychiatre par rapport à une
initiation par un médecin généraliste. Lors des analyses de
sensibilité, la variation de la définition d’interruption de
traitement ne modifiait que très peu les caractéristiques
des bénéficiaires avec une durée de traitement longue ou
courte par rapport à la définition initiale d’interruption de
traitement.
Discussion
Le principal résultat de l’étude est que, quelle que soit la
classe de l’antidépresseur délivré, moins d’un patient sur
six avait une durée de traitement conforme aux recomman-
dations et plus de la moitié recevaient un traitement d’un
mois ou moins.
Notre étude comporte des forces et des limites liées aux
caractéristiques des bases administratives dont l’objectif
principal est comptable. Tout d’abord, cette méthode per-
met d’avoir accès à un large échantillon représentatif des
utilisateurs d’antidépresseurs en France. De plus, il s’agit de
données objectives, non soumises aux biais de mémorisation
ou de désirabilité sociale. Des limites sont inhérentes aux
caractéristiques de la base de données, comme le fait que
nous ne disposons pas des diagnostics cliniques justifiant les
prescriptions d’antidépresseur. Cependant, la plupart des
troubles qui peuvent justifier un traitement antidépresseur
nécessitent une durée de traitement d’au moins six mois.
La base de données ne contient que les soins ambulatoires.
Nous avons pu considérer à tort comme une interruption de
traitement une hospitalisation de plus de quatre semaines.
Une limite propre à toutes les études observationnelles est
que nous ne connaissons pas l’utilisation et l’observance
réelles du médicament.
S40 M. Tournier et al.
La fréquence des traitements antidépresseurs de moins
d’un mois et de moins de six mois paraît particulièrement
élevée dans notre population. Dans des études similaires
menées aux États-Unis, 44,6 % des patients déprimés ou
anxieux prennent un traitement antidépresseur incident au
moins six mois [3], 57,6 % des patients déprimés plus d’un
mois et 27,6 % plus de trois mois [16]. Au Québec, 55,3 % des
personnes âgées de plus de 65 ans conservent un traitement
antidépresseur au moins six mois [15]. Les caractéristiques
associées à une durée courte de traitement sont similaires
à celles retrouvées dans les études antérieures : âge et
sexe du patient, spécialité du prescripteur, coprescription
de psychotropes et en particulier d’anxiolytiques [9,13,15].
Une exception concerne les données de remboursement. Il
est habituellement considéré qu’un remboursement optimal
favorise l’observance thérapeutique. Or, le remboursement
au titre d’une ALD psychiatrique n’est pas associé à la durée
de traitement et le fait de bénéficier de la CMU-C diminue
la probabilité de recevoir un traitement long. Il est possible
que de nombreux assurés de l’assurance maladie bénéfi-
cient d’un remboursement total par le biais d’une assurance
médicale complémentaire et ne paient pas leur traitement.
De plus, la CMU-C apparaît probablement comme un mar-
queur de caractéristiques socioéconomiques (faible niveau
d’éducation et désinsertion sociale) de personnes qui sont
moins aptes à s’engager dans une démarche de soins ou à
s’y conformer.
Les traitements initiés par un médecin généraliste
avaient une probabilité plus grande d’avoir une durée courte
que ceux initiés par un psychiatre ou un praticien hos-
pitalier (qui sont très probablement majoritairement des
psychiatres). Des études montrent que le diagnostic de
dépression est souvent porté par excès en médecine géné-
rale [14]. La fréquence très élevée des traitements de courte
durée pourrait ainsi être expliquée en grande partie par
des prescriptions hors indication [8]. Il est possible que
ces sujets se sentent améliorés sans traitement ou après
une courte période de traitement et ne renouvellent pas
leur ordonnance. La prescription par un psychiatre pourrait
également refléter une pathologie plus sévère, un enga-
gement plus fort dans les soins de la part du patient ou
une meilleure information du patient sur la pathologie
et le traitement [2]. Ainsi, la probabilité d’interruption
de traitement antidépresseur est diminuée de moitié si
le patient est informé de la nécessité de conserver ce
traitement sur une longue période [2] ou des effets indé-
sirables des antidépresseurs [4]. De la même manière, la
coprescription d’un autre psychotrope peut être le signe
d’une symptomatologie plus sévère ou d’un trouble plus
compliqué. Elle peut également favoriser le suivi médical
et l’amélioration partielle mais rapide du patient dans le
cas de la prescription d’un anxiolytique ou d’un hypnotique
[5].
Conclusion
Les traitements antidépresseurs d’une durée inférieure
aux recommandations internationales sont très fréquents
en France. Il paraît essentiel de cibler des programmes
d’intervention sur la formation des médecins non spécia-
listes de la santé mentale et sur l’information des patients
sur leur trouble et leur traitement afin de mieux les impli-
quer dans leurs soins [21].
Remerciements
Nous remercions les membres du département des Études
sur les Pathologies et les Patients de la CNAM-TS et, en
particulier, le Docteur Philippe Ricordeau, Mesdames Pépin,
Kusnik-Joinville et Cuerq qui nous ont donné l’accès aux
données nécessaires pour cette étude.
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