L’Encéphale (2011) 37, S27—S35 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MÉTHODOLOGIE Prise en charge des suicidants. Quel apport d’une démarche d’audit clinique ciblé ? Assessment of targeted clinical audit in suicide attempt A. Bernardy-Prud’homme a, A. Braillon a,∗, H. Noël b, F.-X. Chaine a, J. Bruyelle a, G. Loas c, G. Dubois a a Santé publique, hôpital Nord, 80000 Amiens, France Drass de Picardie, 80000 Amiens, France c Service de psychiatrie, 80000 Amiens, France b Reçu le 5 novembre 2009 ; accepté le 2 avril 2010 Disponible sur Internet le 14 août 2010 MOTS CLÉS Amélioration des pratiques ; Audit clinique ; Évaluation des pratiques ; Jeunes suicidants ; Prise en charge hospitalière Résumé Introduction. — La tentative de suicide (TS) est une situation fréquente et grave. L’objet de ce travail est d’étudier l’apport de la méthode de l’audit clinique ciblé (ACC) pour l’amélioration de cette prise en charge et ce, dans le cadre d’une action régionale. Méthodes. — L’ACC a été conduit dans 12 établissements picards (huit de médecine, chirurgie et obstétrique, trois spécialisés en psychiatrie, un de proximité) entre 2004 et 2006. Le référentiel établi par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, dans le cadre d’un plan national, comportait 16 critères (issus des recommandations de 1998) et intéressait trois champs : l’organisation de la prise en charge pendant le séjour (n = 10), les contacts avec l’environnement du patient (n = 2) et la préparation de la sortie (n = 4). Les équipes médicales et soignantes des unités d’urgences et des unités de psychiatrie ont bénéficié d’un accompagnement par un chef de projet et un médecin qualiticien. Tous les centres devaient analyser 30 dossiers lors d’un premier tour et mettre en place des actions d’amélioration, elles-mêmes évaluées lors d’un second tour. Résultats. — Tous les établissements ont satisfait au protocole. Au premier tour, trois critères (début de la prise en charge aux urgences, examen somatique, coordination des soins durant le séjour) avaient une conformité de 100 % dans au moins la moitié des établissements. Trois autres critères (évaluation sociofamiliale et environnementale, contacts préalables à la sortie ∗ Auteur correspondant. Mission régionale pour l’amélioration des pratiques professionnelles, ARH de Picardie, hôpital Nord, 80054 Amiens cedex 1, France. Adresse e-mail : [email protected] (A. Braillon). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.06.001 S28 A. Bernardy-Prud’homme et al. du patient, « vérification » de la venue du patient au rendez-vous de suivi) avaient une conformité inférieure à 50 % dans au moins la moitié des établissements. Les actions d’amélioration ont été conduites pour trois critères en moyenne par établissement. Au second tour, le taux de conformité (moyenne des établissements) n’était amélioré de plus de 10 % que pour trois critères. Il s’était légèrement dégradé pour trois autres critères. Conclusion. — La faisabilité de la méthode a été excellente grâce à l’accompagnement, mais l’amélioration de la prise en charge semble limitée. © L’Encéphale, Paris, 2010. KEYWORDS Practice improvement; Clinical audit; Suicide attempt Summary Background. — Suicide attempt is a serious condition that is frequent in France. Picardie ranks fifth in France for suicide (418 deaths in 2005 for 1 890 000 inhabitants). Suicide attempt is one of the priorities of the regional public health program. The National Agency for Accreditation and Evaluation in Health (Anaes) has designed targeted clinical audits (TCA) on various conditions to promote this method as the basic tool for quality improvement. Aim. — We investigated the contribution of TCA for improving the quality of care of suicide attempt within a regional framework in Picardie. Methods. — TCA were conducted in 12 state hospitals (eight Surgical Medicine and Obstetrics, three specialized in psychiatry, one local) between 2004 and 2006. The standards from the Anaes had 16 criteria in three fields: care on admission (n = 10); assessment of family and social environment (n = 2); management for after hospital care (n = 4). A project manager and a MD certified in health care quality supported the medical (MD certified in acute care and in psychiatry) and nursing staff of the emergency wards. All the wards analyzed 30 patients’ files for the first cycle, set up and implemented improvement actions and then performed the second cycle of data collection. Results. — All wards fully satisfied the protocol with 30 patients’ files per cycle and two cycles. In all wards the teams consisted of physicians (both certified for emergency or psychiatry) and others care providers (nurses, psychologists, social workers, secretary). For the first cycle, three criteria (patient assessment, somatic examination and coordination) met the 100% target for more than half of the wards while three criteria (sociofamily and environmental evaluation, management for after hospital care, monitoring of follow-up) did not conform by more than 50% in more than half of the wards. All wards implemented changes after the first cycle with a total of 29 interventions, each one specifically devoted to improving a particular criterion. Intervention included better coordination and communication, protocol design and reminders, and information tools. The second cycle showed modest and mixed changes. After the interventions only one criteria reached the 100% target in one ward; the degree of conformity decreased in nine cases (with a mean of −23%) and increased in 16 cases (+19%). Globally, three criteria improved by less than 10% while three slightly decreased. Discussion. — G. Shaw introduced clinical audits in 1989 to boost a poorly performing system within the ‘‘clinical governance’’ framework, a condition quite different from the French healthcare system in 2005. Therefore, the validation of clinical audit in a different context appeared necessary. Anaes has not yet published the evaluation of this method in a peer reviewed journal. Observed changes are modest and mixed. Moreover, the true impact on care delivery appears limited and one cannot rule out that the observed improvements are in fact related to an improvement in traceability or due to Hawthorne’s effect. Quality improvement methods must be evaluated and validated by scientific methods such as for new treatments with clinical research. Conclusion. — The feasibility of the method was excellent, due to the methodological and technical support, however the method did not significantly improve the quality of care. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction En 2001, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la France se classait au troisième rang de l’Europe des 15 en termes de taux de suicide standardisé selon l’âge (16,1 décès par suicide pour 100 000 personnes), derrière la Finlande et l’Autriche [28]. En 2005, en France, 10 707 décès par suicide (7826 hommes et 2881 femmes) ont été recensés par le centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) [10]. En raison d’une sous-déclaration (20 à 25 %) le nombre vraisemblable est plus élevé, environ 13 000 [11,14,22]. Les décès par suicide constituent la seconde cause des décès chez les 15 à 44 ans, après les accidents de la route mais leur impact chez les sujets âgés est aussi important [14] : les plus de 65 ans représentent 15 % de la population générale mais sont à Prise en charge des suicidants. Quel apport d’une démarche d’audit clinique ciblé ? l’origine de 33 % de l’ensemble des suicides en France [23]. Huit pour cent de la population métropolitaine adulte déclare avoir fait une tentative de suicide (TS) au cours de sa vie et 2 % sont considérés comme à risque suicidaire élevé. Le taux de récidive est évalué à 22 % pour les hommes et 35 % pour les femmes [13] : 30 à 40 % des suicidants récidivent généralement dans l’année qui suit l’épisode index ; la mortalité est importante car 10 % décèdent par suicide dans les dix ans (1 % par an) [4,36]. Depuis le début des années 2000, 195 000 TS donneraient lieu chaque année à un contact avec le système de soins : 30 % seraient vues par un médecin généraliste, 80 % viendraient aux urgences, et 30 % seraient hospitalisées en psychiatrie [13]. La Picardie est au cinquième rang des régions françaises pour le taux de suicide (418 décès en 2005) [10]. Selon les données du PMSI 2005, il y a 15 hospitalisations par jour en Picardie pour une TS soit 306 hospitalisations pour 100 000 habitants [27]. Des troubles mentaux sont diagnostiqués chez 93 à 95 % des suicidés [6] avec au premier rang les troubles de l’humeur et les troubles anxieux [32]. Le risque suicidaire est élevé en cas de dépression, de troubles anxieux (attaques de panique, syndrome de stress post-traumatique [34], phobie sociale [30]), de névrose hystérique et de psychopathie [36]. Enfin, la personnalité borderline, une situation très fréquente, est à très haut risque de suicide : 50 à 80 % des patients borderline ont des comportements d’automutilation — que certains auteurs considèrent comme une forme atténuée de suicide — et 10 % se suicident [29]. La prévalence de la personnalité borderline chez les suicidants est élevée : 10 à 55 % [9]. Chez les schizophrènes, le risque de mortalité est 12 fois supérieur à celui de la population générale [24] avec un taux de mortalité absolu par suicide de 7 % [25] : 10 à 13 % des schizophrènes se suicident ; 20 à 50 % font des TS [7]. La Conférence de consensus de la Fédération française de psychiatrie sur la crise suicidaire a souligné que les données de la littérature sur la prévention du suicide sont abondantes pour la prévention primaire et tertiaire mais sont pauvres pour la prévention secondaire (récidive) [17]. La crise suicidaire est caractérisée par une période de déséquilibre intense, mais temporaire et réversible, et la TS ne représente qu’une des sorties possibles de la crise [36]. La crise suicidaire est d’expression très variable, les troubles sont souvent inapparents ou peu spécifiques et ont une valeur prédictive faible pour prévoir si la crise va évoluer vers une rémission spontanée, une TS ou d’autres passages à l’acte [17]. Il est cependant essentiel de repérer la crise suicidaire car elle justifie en elle-même une prise en charge médicale et constitue par ailleurs un moment fécond pour une action thérapeutique. La gravité et la complexité de la situation contrastent avec la pauvreté des données, aussi les recommandations professionnelles sur la prise en charge correspondent plus à « l’état de l’art » qu’à « l’état de la science » [17]. De même, les outils disponibles (échelles de Beck, de Hamilton et RSD), utiles pour définir des populations à risque suicidaire dans le cadre des recherches biomédicales, ne sont pas adaptés pour évaluer le risque suicidaire imminent ou à court terme en pratique clinique [5,15,16,36]. S29 En Picardie, la prise en charge du suicide est une priorité du Plan régional de santé publique [12]. Nous avons voulu y répondre avec la méthode de l’audit clinique ciblé (ACC) qui est la méthode de référence développée par l’Anaes dans le cadre de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) dans le contexte d’une action nationale multidisciplinaire [20]. Il n’existe malheureusement pas d’étude nationale ayant mesuré l’impact de l’ACC sur l’amélioration des pratiques. Par ailleurs, les études réalisées dans d’autres pays ne sont pas transposables puisque l’organisation des soins est différente [18]. L’objectif principal de ce travail est d’analyser l’impact de l’ACC sur l’amélioration des pratiques ; les objectifs secondaires sont la faisabilité de la méthode et l’état des lieux de la prise en charge des suicidants dans 12 établissements picards. Matériel et méthodes L’audit « L’audit clinique est une méthode classique d’évaluation qui permet à l’aide de critères déterminés de comparer les pratiques de soins à des références admises, en vue de mesurer la qualité de ces pratiques et des résultats de soins, avec l’objectif de les améliorer » [1]. C’est une méthode « diagnostique » orientée vers l’amélioration de la qualité des soins. L’ACC a pour modèle princeps l’audit clinique. C’est une méthode de première intention d’amélioration de la démarche qualité [2] qui comporte six étapes : • • • • • • choix du thème ; choix des critères ; choix de la méthode de mesure ; recueil des données ; analyse des résultats ; plan d’actions d’amélioration et réévaluation [2]. L’analyse des écarts entre la pratique et les références issues des recommandations doit conduire à élaborer des plans d’amélioration qui peuvent porter sur les pratiques, l’organisation ou les moyens. La mise en place de l’audit Cet audit limité à 16 critères ciblait les ressources et les processus de la prise en charge du suicidant : • l’organisation de la prise en charge pendant le séjour (les dix premiers critères) • les contacts avec l’environnement du patient (deux critères) • la préparation de la sortie (les quatre derniers critères) (Annexe 1). Ces critères étaient issus des recommandations de 1998, essentiellement basées sur des accords professionnels : aucun de ces 16 critères n’est de grade A (preuve scientifique établie par des études de fort niveau de preuve) ; les critères no 2, 3 et 15 sont issus de recommandations de grade B ou C [4]. S30 A. Bernardy-Prud’homme et al. L’accompagnement a été double : • pour l’appui méthodologique, un médecin qualiticien, également correspondant hospitalier de l’Anaes ; • pour la conduite de projet, une chargée de mission de la DRASS. Ils ont totalisé à eux deux plus de 200 heures de préparation, réunions et déplacements. L’ACC s’est déroulé de 2004 à 2006 dans 12 établissements de santé : • huit ayant une activité MCO (Abbeville, Amiens, Beauvais, Compiègne, Creil, Laon, Saint-Quentin et Soissons) ; • trois psychiatriques EPSM (Clermont de l’Oise, Philippe Pinel et Prémontré) ; • un de proximité (Doullens). Figure 1 Conformité aux recommandations, tous établissements confondus. Résultats Premier tour Trois paires ont été constituées en raison de la sectorisation (Philippe Pinel et Doullens, Clermont et Beauvais, Prémontré et Laon) et ont eu un seul audit chacune. Il y a donc in fine neuf établissements. L’évaluation a été réalisée par les membres des équipes soignantes, pluriprofessionnelles et multidisciplinaires (médecins urgentistes, psychiatres, psychologues, infirmières, assistantes sociales et secrétaires). Elle a porté sur 30 dossiers de patients dans chaque groupe au premier tour, le plan d’amélioration a eu lieu six mois après le premier tour, des actions d’amélioration ont été mises en place et le second tour a dû être réalisé un an après le premier tour, sur 30 dossiers. Au sein d’un établissement, la moyenne de la conformité des 16 critères est inférieure à 75 % pour tous les établissements. Pour trois critères (no 1, 2 et 12), la conformité aux recommandations est atteinte dans plus de la moitié des établissements (Fig. 1) ; pour deux critères (no 9 et 16), la non-conformité est majeure pour l’ensemble des établissements (28 et 29 %) (Fig. 2). Sur un total de 144 cas (neuf établissements × 16 critères), il y a : 38 conformités aux recommandations, 68 conformités au moins partielles (80 et 100 % inclus) et 53 non-conformité majeures (Fig. 1 et 2). Actions d’amélioration Conformité aux recommandations La conformité des critères aux recommandations (% de dossiers répondant aux critères) a été résumée par trois seuils : • critère conforme à 100 % : conformité aux recommandations (objectif fixé par l’Anaes) ; • critère conforme à plus de 80 % (100 % inclus) : conformité au moins partielle (définition arbitraire) ; • critère conforme à moins de 50 % : non-conformité majeure (définition arbitraire). Les actions d’amélioration ont été mises en place par toutes les équipes dans un délai inférieur à un an après le premier tour. Pour tous les établissements sauf un, les actions d’amélioration ont été mises en regard des critères spécifiques. Cinq des 16 critères (no 3, 10, 14, 15 et 16) ont fait l’objet d’actions d’amélioration spécifiques pour au moins la moitié des établissements. Pour les autres critères, les actions d’amélioration spécifiques se sont limitées à un ou deux établissements (no 4, 6, 7, 8, 9, 12 et 13). Quatre Ces deux derniers seuils ont été utilisés dans un but didactique pour apprécier la réalité clinique qui n’est que rarement idéale. Analyse statistique L’hypothèse testée était que les 16 critères issus des recommandations devaient être améliorés après le second tour d’audit, notamment pour les critères ciblés par des actions d’amélioration (test du Chi2 , critères ciblés par des actions d’amélioration). L’amélioration globale des critères a été analysée par le test de Student (Résultats globaux). Figure 2 Non-conformités majeures, tous établissements confondus. Prise en charge des suicidants. Quel apport d’une démarche d’audit clinique ciblé ? S31 Figure 3 Évolution de la conformité pour chacun des critères ayant fait l’objet d’actions d’amélioration spécifiques (par exemple, quatre établissements sur les neuf ont mis en place une action d’amélioration pour le critère no 3). critères n’ont fait l’objet d’aucune mesure (no 1, 2, 5 et 11) (Fig. 3). Quatre critères conformes à 100 % au premier tour ont été ciblés pour des actions d’amélioration. Au total, 29 actions d’amélioration ont été prévues et réalisées. Il n’existe pas de typologie pour classer les actions d’amélioration. La variété et le chevauchement rendent très artificiels les essais de classification. Cependant, les actions d’amélioration ont principalement porté sur : • la coordination des acteurs mais qui est parfois simplement la sensibilisation aux priorités des uns et des autres ; • la création d’outils d’aide à la prise en charge (par exemple la création ou la mise à jour de protocoles, rappels) ; • une sensibilisation ou une information à un problème (mais pas de formation en tant que telle), comme par exemple pour la meilleure prise en compte de l’entourage des patients dans la prise en charge. Pour un même critère, les actions d’amélioration sont très variables d’un établissement à l’autre. Par exemple, pour le critère no 3, elles ont été : tive avec un p = 0,05 pour deux critères (no 8 et 3) et p = 0,001 pour deux autres critères (no 10 et 16) (Fig. 3). La conformité a été améliorée 16 fois (moyenne + 19 % [+2 % ; +50 %]), dont cinq fois de manière significative à p = 0,05 pour deux critères (no 3 et 16) et p = 0,001 pour trois autres critères (no 14 deux fois et 15). La conformité totale à 100 % après une action d’amélioration n’est obtenue que dans un seul établissement (critère no 7). Résultats globaux. Pour l’ensemble des établissements au second tour, 11 critères s’améliorent et trois se détériorent, sans différence significative avec le premier tour : les variations sont très limitées (−15 % à +18 %) (Fig. 4). Conformité aux recommandations (Critères à 100 %) Au second tour, seuls cinq critères (no 1, 2, 7, 10 et 12) sont conformes à 100 % dans au moins la moitié des établissements. Mais pour deux critères (no 5 et 12), la conformité à 100 % a été perdue dans deux établissements. Les cri- • la formalisation des processus de prise en charge des suicidants (deux établissements) ; • la formation des personnels paramédicaux (quatre établissements) ; • la création de postes supplémentaires, essentiellement des psychiatres de liaison, ou des infirmières psychiatriques aux urgences (six établissements) ; • la réorganisation matérielle : création de bureaux de consultation spécifiques, mise à disposition de dictaphones, agendas, réorganisation des dossiers patients (quatre établissements). Second tour Critères ciblés par des actions d’amélioration. Pour les critères ayant fait l’objet des 29 actions d’amélioration spécifiques sur l’ensemble des établissements, la conformité a diminué neuf fois (moyenne − 23 % [−41 % ; −7 %]), dont quatre fois de manière significa- Figure 4 Conformité moyenne des critères, tous établissements confondus. S32 tères no 8, 11, 13 et 16 ne sont conformes à 100 % dans aucun établissement (Fig. 1). Conformité au moins partielle (Critères validés à plus de 80 %) Au second tour, sept critères (no 1, 2, 3, 4, 7,10 et 12) sont supérieurs à 80 % dans au moins la moitié des établissements. Le critère no 8 n’atteint la conformité à 80 % dans aucun établissement. Non-conformité majeure (Critères validés à moins de 50 %) Des non-conformités à moins de 50 % dans plus de la moitié des établissements sont encore observées après le second tour pour cinq critères (5, 8, 9, 11 et 16). Pour quatre critères (no 3, 5, 6 et 8), le nombre d’établissements non conformes a augmenté. Pour neuf critères (1, 2, 9, 11, 12, 13, 14, 15 et 16), le nombre d’établissements non conformes a diminué (Fig. 2). Discussion Faisabilité de la méthode L’audit clinique a été développé et introduit en Grande Bretagne par G. Shaw en 1989 dans le cadre de la clinical governance par le National Health Service (NHS) pour faire face à un système de soins peu performant [31]. L’apport de l’audit clinique n’a pas été évalué de manière scientifique dans le contexte du système de soins français, pourtant reconnu pour ses excellents professionnels et connu à cette même époque pour de bons résultats. Par ailleurs, cette méthode n’avait pas été spécifiquement étudiée pour la psychiatrie. Pour favoriser l’adhésion des professionnels de santé à l’audit clinique, l’ACC réduit le recueil et le traitement des données. En limitant le nombre de critères, on limite ainsi la charge de travail des professionnels de santé [3]. L’ACC est donc promu pour sa facilité, car réalisable sur une période courte de six mois en incluant la mise en œuvre d’actions d’amélioration immédiates [19]. Cette acceptabilité et cette faisabilité sont excellentes dans notre expérience puisque 100 % des ACC ont été faits (premier et second tours). Cependant, pour un programme national d’ACC en décembre 2004, la Haute Autorité de santé (HAS, qui a succédé à l’Anaes) a publié les rapports succincts relatifs à huit thèmes (l’antibioprophylaxie en chirurgie de première intention, pose et surveillance des chambres à cathéter implantables, contention physique chez la personne âgée, prise en charge de la douleur de la personne âgée, préparation de la sortie du patient hospitalisé, pose et surveillance des sondes urinaires, prise en charge hospitalière des personnes ayant fait une TS, qualité de la tenue du partogramme) déclinés en 27 ACC spécifiques [21]. Des coordonnateurs locaux avaient été formés par la HAS pour la réalisation des ACC dans les établissements ; seuls 76 % d’entre eux ont participé effectivement à l’expérimentation. Le premier tour d’évaluation a fourni 1014 grilles, mais le second seulement 694 grilles dont 411 avec un plan d’amélioration identifié (document interne HAS, 8-12-05, non publié). Pour le thème « prise A. Bernardy-Prud’homme et al. en charge hospitalière des personnes ayant fait une TS », 34 établissements s’étaient engagés pour 68 ACC, mais seuls 23 établissements sur 34 ont fait les deux tours des ACC et seuls 19 ont fait parvenir un rapport complet à la HAS [20]. Moins de la moitié des établissements (33 sur 76) a fait plus de 30 dossiers au premier tour de l’audit et seuls 17 établissements sur 76 ont réalisé une seconde évaluation. Seul un tiers des établissements ont proposé des actions d’amélioration structurées. Seuls quatre critères sont améliorés à plus de 10 % dans les établissements qui ont fait le second tour [8]. La promotion de la facilité de l’ACC a donc été excessive. Le succès pour la participation que nous avons obtenu est clairement lié au professionnalisme du double accompagnement : chef de projet et qualiticien. Il faut donc du temps, des compétences et des moyens. Par ailleurs, trois établissements spécialisés en psychiatrie ont été inclus, conférant à notre projet une originalité par rapport aux programmes nationaux, et démontrant l’applicabilité de l’ACC indépendamment des structures. Améliorations L’amélioration de la conformité des critères entre les deux tours est inconstante et faible (Fig. 4). Elle peut paraître importante sur un établissement donné, mais quand on regroupe les neuf établissements, peu de choses se passent. La dégradation est également inconstante et faible mais elle n’épargne pas les critères ayant fait l’objet d’actions d’amélioration spécifiques. De plus, la pertinence des améliorations observées peut être discutée au-delà d’une éventuelle significativité statistique : • il est vraisemblable que cela concerne plus la traçabilité des pratiques que les pratiques elles-mêmes ; • rien n’indique que les améliorations perdureront ; • l’effet Hawthorne peut aussi être une explication : les améliorations ne sont pas dues spécifiquement aux actions entreprises mais sont dues à l’intérêt qui a été porté aux problèmes sous-jacents [26]. Par ailleurs, bien qu’il n’y ait pas eu de groupe témoin pour analyser le rôle précis de facteurs intercurrents potentiels, ceux-ci ont été a priori faibles car il n’y a pas eu de variation significative entre les deux tours. Notre résultat va donc à l’encontre du dogme de l’impact d’une autoévaluation par l’ACC pour l’amélioration des pratiques. Ce résultat est par ailleurs conforté par : • une analyse objective, sur un nombre de dossiers qui permet une analyse statistique (n = 270 à chaque tour) ; • un accompagnement extérieur, garant de la méthode et de l’indépendance de l’analyse, comme en témoigne la réalisation de 100 % des seconds tours. Qualité de l’ACC per se Il convient de s’interroger sur les critères qui ont été choisis au niveau national pour cet audit. Certains critères n’ont aucun intérêt à être audités systématiquement comme le montre le très fort taux de conformité au premier tour. Cela Prise en charge des suicidants. Quel apport d’une démarche d’audit clinique ciblé ? pose la question des programmes nationaux systématiques et formels. De plus, aucun des critères n’a un niveau de preuve fort (grade A : essais randomisés contrôlés). Un seul critère (no 15) repose sur une recommandation de grade B : fournir au suicidant des coordonnées écrites lui permettant de joindre et de consulter rapidement un correspondant qu’il connaît ou une unité de consultation [4]. Deux critères (no 2 et 3) reposent sur des recommandations de grade C : développer des soins somatiques et psychiques et réaliser une évaluation psychologique par un psychiatre [4]. Les 13 autres recommandations ne reposent que sur des accords d’experts dont le niveau du consensus n’a pas été décrit et hiérarchisé. Enfin, exiger des conformités à 100 % semble irréaliste : • sur le principe général, il y a toujours des situations cliniques complexes dans toutes les disciplines, on soigne des malades et pas seulement des maladies ; • il y a toujours des alternatives. Par exemple, les critères no 13 et 16 concernent les RDV de suivi à la sortie d’hospitalisation, et comme le rappelle I. Tokpanou, l’hospitalisation en elle-même peut déjà résoudre la crise sans devoir forcément déboucher sur un suivi psychologique [33]. Certes, la conformité à 100 % de l’application d’une recommandation est rarement atteinte, mais : • les cas particuliers sont fréquents en médecine, surtout quand on soigne des malades et pas seulement des maladies ; • elle n’a aucune justification quand les pratiques ne sont pas fondées sur des essais randomisés contrôlés ou des consensus très forts et d’applicabilité constante. Ce travail ne remet pas en cause l’intérêt potentiel de l’ACC. Le résultat très modeste sur les pratiques est peutêtre lié à la médiocrité des critères utilisés, surtout compte tenu de l’ancienneté de la recommandation. Une fois de plus, les recommandations ont été établies tardivement après les publications médicales et heureusement les professionnels n’ont pas attendu les recommandations pour modifier leurs pratiques comme cela a été démontré par ailleurs [35]. Les psychiatres sont prêts à améliorer la qualité de la prise en charge avec des méthodes fondées sur l’evidencebased medicine (EBM) ; mais pour prioriser la prévention du passage à l’acte ou de la récidive suicidaire, il faut aussi une politique de prévention en santé fondée elle aussi sur les preuves (evidence-based health policy). Les quelques études disponibles à ce jour manquent de puissance statistique, ne sont pas transposables en l’état ou sont incertaines quant à leur coût et aux bénéfices attendus [18]. Actuellement en 2009, la HAS propose toujours le même audit pour les suicidants et la recommandation de 1998 est toujours celle en vigueur [19—21]. La démarche qualité est fondée sur une amélioration continue, ce principe ne doit pas concerner que les professionnels de santé mais aussi les organismes en charge de la qualité : S33 • d’une part, la mise à jour des recommandations est un principe fondamental trop peu appliqué [10] ; • d’autre part, l’évaluation des actions nationales mises en place doit être indépendante : ces actions doivent êtres publiées dans des revues à comité de lecture par exemple. Conclusion Ce travail montre les limites d’un ACC pour l’amélioration de la pratique clinique. La démarche d’EPP doit répondre aux mêmes critères de rigueur que la recherche clinique qui est le principal vecteur d’amélioration des soins. Toutefois, cet ACC régional, grâce à l’implication du chef de projet et du méthodologiste, a permis d’initier avec succès les équipes de ces 12 établissements à la démarche qualité. D’autres actions qualité et un projet de recherche sur le même thème ont été développés et sont en cours d’analyse. Remerciements Les 70 professionnels de santé (multiprofessionnalité et pluridisciplinarité : médecins urgentistes, psychiatres, psychologues, infirmières, assistantes sociales et secrétaires) des groupes de travail des 12 établissements, Madame Françoise Taiebi. Financements : Travail réalisé en partie sur des crédits du Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (Ministère chargé de la santé) obtenus par le Dr Alain Braillon, toujours en attente de versement. Annexe 1. Critère no 1 : La prise en charge du patient adressé à l’hôpital a débuté dans le service d’urgence (SMUR-SAMU compris). Critère no 2 : Un examen somatique initial a été réalisé aux urgences (SMUR-SAMU compris). Critère no 3 : Le premier entretien avec le psychiatre a eu lieu dans les 24 heures qui ont suivi son admission (ou à défaut dès que son état de conscience a permis la réalisation de l’entretien). Critère no 4 : L’entretien s’est déroulé dans un lieu permettant d’assurer la confidentialité. Critère no 5 : Le patient a été revu au moins une fois par un psychiatre pendant son hospitalisation. Critère no 6 : Le patient a été vu par le même psychiatre lors des différents entretiens (ou à défaut un psychiatre a coordonné l’ensemble des interventions et en a effectué une synthèse écrite). Critère no 7 : Les différents paramètres d’évaluation de récidive suicidaire ont été systématiquement évalués et mentionnés dans le dossier du patient. Critère no 8 : Les proches du patient ont été reçus en entretien au moins une fois pendant l’hospitalisation. S34 Critère no 9 : Critère no 10 : Critère no 11 : Critère no 12 : Critère no 13 : Critère no 14 : Critère no 15 : Critère no 16 : A. Bernardy-Prud’homme et al. Une évaluation socio-familiale et environnementale du patient a été réalisée, si nécessaire par une assistante sociale. Le patient est resté hospitalisé dans un service approprié à la poursuite de la prise en charge somatique, médico-psychologique et sociale. Des contacts préalables à la sortie du patient ont été établis, avec son accord (± celui des tuteurs légaux) avec les intervenants extérieurs concernés susceptibles d’être utiles à l’efficacité du suivi : médecin traitant, médecin du travail, services sociaux, service de santé scolaire, services éducatifs, etc.) ; ces contacts sont mentionnés dans le dossier du patient. Un professionnel référent a coordonné les évaluations et les décisions pendant toute la durée du séjour. Le patient a quitté l’hôpital avec un rendez-vous auprès d’un psychiatre ou d’un psychologue. Le compte-rendu d’hospitalisation est adressé au(x) médecin(s) désigné(s) par le patient dans un délai inférieur à huit jours suivant la sortie du patient. Le patient a reçu à sa sortie une information écrite mentionnant les coordonnées d’une structure et de personnes joignables 24 h/24 en cas de besoin. Le professionnel référent s’est informé de la venue du patient au rendez-vous fixé à sa sortie et a pris les initiatives nécessaires en cas d’absence de celui-ci. Références [1] Anaes. L’audit clinique : bases méthodologiques de l’évaluation des pratiques professionnelles. Avril 1999. [2] Anaes. Méthodes et outils des démarches qualité pour les établissements de santé. Juillet 2000. [3] Anaes. Réussir un audit clinique et son plan d’amélioration. Juin 2003. [4] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Recommandations pour la pratique clinique. 1998. [5] Beck AT, Weissman A, Lester D, et al. The measurement of pessimism: the hopelessness scale. Journal of consulting and clinical psychology 1974;42:861—5. [6] Ben Abla T, Ellouze F, Amri H, et al. 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