S2 Éditorial
ses représentations de la maladie sont parfois très éloignées
de la réalité scientifique et que cela peut l’empêcher de
comprendre les enjeux de traitements dont la complexité
est croissante. D’autre part, le médecin doit accepter que
l’échelle des valeurs et les priorités du patient divergent
parfois considérablement des siennes. L’expérience du
patient, son mode de vie propre et son vécu subjectif d’un
symptôme, d’un handicap, d’un effet secondaire doivent
être des éléments d’une gestion conjointe de la mala-
die.
C’est dans le contexte de cette évolution de la relation
médecin—malade que s’est développée la psychoéduca-
tion. Un mode relationnel qui apporte un degré de liberté
supplémentaire apporte toutefois davantage de responsabi-
lités, voire parfois d’angoisse. Substituer aux certitudes du
médecin tout-puissant, le partage avec lui des incertitudes
médicales n’est toutefois ni simple ni toujours confortable
pour le patient. Ainsi, pour ces raisons, ou pour d’autres plus
«idiosyncrasiques », certains patients préfèrent, consciem-
ment parfois, maintenir une certaine dépendance confiante
au médecin. Pour autant, ce dernier ne doit pas se retran-
cher ou se défausser derrière une neutralité factice et,
somme toute, facile. Il doit au contraire adapter son atti-
tude au patient en recherchant ce que l’on pourrait appeler
un «partenariat maximal possible ».
En psychiatrie, la relation médecin—malade est plus
complexe et l’importation depuis la médecine somatique de
ce modèle relationnel n’est pas intuitivement adéquate ou
pertinente pour tous. Pour aider à distinguer la place qu’il
peut avoir dans notre discipline, on peut avoir recours à deux
simplifications grossières mais heuristiques. La première est
qu’il s’ébauche plus ou moins explicitement aujourd’hui
une nosologie psychiatrique qui n’est plus exclusivement
phénotypique, et distingue des pathologies dont l’étiologie
à une «valence psychologique prédominante »et d’autres
une «valence biologique prédominante », comme la schi-
zophrénie ou le trouble bipolaire de l’humeur. La seconde
simplification est que certaines approches privilégient le
«transférentiel »et d’autres le «relationnel ». Les dicho-
tomies biologique ou psychologique et transférentiel ou
relationnel sont bien sûr artificielles et insuffisantes. Mais
elles sont, pour les questions auxquelles se limitent ce
texte, suffisantes pour énoncer que le modèle moderne
de la relation médecin—malade de la médecine somatique
est approprié en psychiatrie pour les patients souffrant
d’une pathologie à «valence biologique prédominante »et
pris en charge selon des approches qui n’utilisent pas le
transfert et son analyse comme levier principal. Le terme
«médecine somatique », utilisé plus haut, est également
une simplification abusive et même péjorative quand on
sait l’immense richesse psychologique que comportent la
médecine et la relation médecin—malade dans toutes ses
complexités. Ainsi, aucune médecine soucieuse de l’humain
n’est jamais strictement somatique. Il est donc moins para-
doxal qu’il n’y paraît que la psychiatrie s’inspire et bénéficie
parfois, même pour ce qui est de la relation au patient,
des expériences, des réflexions ou des savoir-faire de la
médecine restrictivement dite «somatique »dans toute sa
richesse.
Les patients bipolaires ont un légitime besoin
d’informations, mais les nombreuses sources (media,
livres, Internet) disponibles ne sont pas toujours fiables
quand elles ne sont pas folkloriques. La réappropriation
de l’information par le monde médical et académique est
donc une nécessité. L’éducation ne se limite, cependant,
pas à l’information car elle suppose non seulement une
acquisition de connaissances, mais aussi une acquisition
de compétences. Ainsi, à titre d’exemple, il ne suffit pas
d’informer que le maintien d’un même niveau d’activité
aggrave et creuse une dépression débutante. Il faut aussi
que le patient, s’il suspecte une rechute dépressive,
acquière le réflexe de diminuer son niveau d’activité.
En franc¸ais, le mot éducation évoque regrettablement
l’acquisition de normes sociales et culturelles. Cette conno-
tation, absente en anglais, se trouve nettement atténuée
par le préfixe «psycho- ». Certains ont proposé l’expression
quelque peu scolaire de «formation thérapeutique des
patients »mais, il faut le dire, sans guère de diffusion
ni succès. Mais pourquoi au fond associe-t-on le suffixe
«psycho- »au terme éducation utilisé dans toutes les autres
aires de la médecine ? Le fait qu’il s’agisse de patients et
de troubles psychiatriques me paraît insuffisant pour le
justifier. Il est, en revanche, probable que les psychiatres
soient plus attentifs que les somaticiens aux remaniements
psychologiques induits par les programmes éducatifs.
On peut aussi escompter que les psychiatres aient une
meilleure maîtrise de ces remaniements. Enfin et surtout,
il est nécessaire pour véritablement valider le suffixe
«psycho- »d’identifier les variables psychologiques cibles
qui sont destinées à être modifiées par les approches psy-
choéducatives (acceptation de la maladie, représentations
de la maladie, etc.) [4] et qui permettent secondairement
une amélioration de l’observance médicamenteuse et de
l’alliance thérapeutique en général.
En dernier lieu, il faut rappeler qu’il n’y a pas à propre-
ment parler d’indication de la psychoéducation. Certes, les
sous-groupes de patients bipolaires qui bénéficient le plus
de ces programmes ne sont pas encore suffisamment iden-
tifiés, mais tous peuvent a priori en bénéficier peu ou prou.
La question n’est donc pas de définir les indications mais :
•de savoir quels patients ne participent pas ou ne se voient
pas proposer d’actions psychoéducatives et pourquoi [5] ;
•de transférer l’expérience de quelques équipes vers une
majorité de structures prenant en charge des patients
bipolaires.
Références
[1] Colom F, Vieta E, Martinez-Aran A, et al. A randomized trial
on the efficacy of group psychoeducation in the prophylaxis of
recurrences in bipolar patients whose disease is in remission.
Arch Gen Psychiatry 2003;60:402—7.
[2] Colom F, Vieta E, Sanchez-Moreno J, et al. Group psy-
choeducation for stabilised bipolar disorders: 5-year outcome
of a randomised clinical trial. Br J Psychiatry 2009;194:
260—5.
[3] Grunze H, Kasper S, Goodwin G, et al. The World Federation
of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) guidelines for the
biological treatment of bipolar disorders, part III: maintenance
treatment. World J Biol Psychiatry 2004;5:120—35.
[4] Even C, Thuile J, Kalck-Stern M, et al. Psychoeducation for
patients with bipolar disorder receiving lithium: Short and long
term impact on locus of control and knowledge about lithium. J
Affect Disord 2009 doi:10.1016/j.jad.2009.09.008.