L’hépatologue, le psychiatre et les patients ayant une hépatite C

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MÉMOIRE ORIGINAL
L’hépatologue, le psychiatre et les patients ayant une hépatite C
B. BADIN DE MONTJOYE (1), I. FERRAND (1), P. SOGNI (2), P. PODEVIN (2)
Management of psychological disorders in patients with chronic hepatitis C
Background. Chronic hepatitis C remains a public heath problem. In France, 400 000 to 500 000 subjects are chronically
infected with HCV. Literature findings. The purpose of this review was first to summarize the clinical aspects of the
disease and the guidelines and results of antiviral treatment. The authors focus on the psychiatric side effects of antiviral
treatment, and discuss the importance of good patient-provider interaction in patient’s satisfaction, highlighting the mandatory role of the dynamic management of patients by hepatologists and psychiastrists. Conclusion. Multidisciplinary
approaches have to be set up to better treat these patients.
Key words : Depression ; Hepatitis C ; Interferon ; Liaison psychotherapy.
Résumé. L’hépatite chronique C demeure un enjeu de santé
publique. En France, 400 000 à 500 000 personnes sont porteuses d’une infection chronique. Après avoir rappelé dans
un premier temps les caractéristiques du virus de l’hépatite
C, les modes de contamination et les traitements actuellement disponibles, les auteurs, hépatologues et psychiatres,
rappellent que les effets indésirables de type neuropsychique
de ces traitements sont fréquents et difficiles à prendre en
charge. Aussi, à l’aide de leurs compétences, de leurs expériences communes mais aussi de leurs attentes différentes,
dans un second temps ils soulignent l’importance de la présence d’un psychiatre dans l’équipe multidisciplinaire prenant en charge ces patients, et tentent de préciser son rôle
aux différents stades du suivi.
Mots clés : Dépression ; Hépatite C ; Interféron ; Psychiatrie de
liaison.
INTRODUCTION
Depuis la découverte du virus C à partir de son génome
en 1989, de nombreux progrès ont été accomplis dans le
diagnostic, la prise en charge, l’accès aux soins, et surtout
le traitement des patients porteurs d’une hépatite chronique C. Cependant, des efforts sont encore nécessaires
dans la prévention, le dépistage et la prise en charge
médico-psychologique de ces patients. La gestion des
effets secondaires psychiatriques du traitement antiviral
par interféron alpha et ribavirine est l’une des préoccupations quotidiennes des hépatologues, comme en témoigne la dernière conférence de consensus en 2003 :
« Chez les patients ayant une maladie psychiatrique, il
semble raisonnable de ne proposer un traitement antiVHC qu’à titre exceptionnel ».
L’objectif de cette brève revue est donc d’aborder un
certain nombre de généralités concernant l’hépatite chronique C, d’envisager le point de vue du psychiatre et enfin
de dégager quelques pistes de recherche pour cette prise
en charge interdisciplinaire.
RAPPEL SUR L’HÉPATITE CHRONIQUE C
Épidémiologie
La France est un pays de faible endémie du virus C.
La séroprévalence de l’infection virale C chez les don-
(1) Service de Psychiatrie, Hôpital Cochin, 75014 Paris, France.
(2) Service d’Hépato-gastro-entérologie, Hôpital Cochin, 75014 Paris, France.
Travail reçu le 30 septembre 2004 et accepté le 22 décembre 2004.
Tirés à part : B. Badin de Montjoye (à l’adresse ci-dessus).
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neurs de sang est de l’ordre de 1,1 % à 1,2 %, avec 80 %
de sujets virémiques, la prévalence globale de l’infection
virale C se situe pour la France entre 400 000 à 500 000
personnes (9). Cependant, les chiffres de prévalence sont
beaucoup plus élevés dans certains groupes à risque
comme la population carcérale (5 %), les hémophiles
(90 %) et les usagers de drogues injectables, dont la prévalence se maintient à un niveau élevé entre 43 % et 73 %
(23).
En 2004, l’hépatite chronique C demeure une préoccupation de santé publique pour 2 raisons principales. La
première tient au fait qu’en dépit des campagnes de dépistage et de la légalisation de la vente de seringues, l’épidémie reste active, avec une incidence annuelle estimée
entre 2 700 à 4 400 nouveaux cas par an (23). La seconde
est liée aux difficultés de prise en charge des complications terminales de la maladie hépatique. La cirrhose
virale C constitue actuellement, après la maladie alcoolique, la principale indication de transplantation hépatique.
Compte tenu du vieillissement de la population de sujets
contaminés par transfusion dans les années 1960, les
pays occidentaux sont confrontés au problème de l’augmentation d’incidence du carcinome hépatocellulaire. En
l’absence de tout traitement antiviral, la modélisation de
l’épidémie prévoit, pour la France, une augmentation
régulière et croissante de la mortalité par carcinome hépatocellulaire (150 % d’aggravation sur l’incidence annuelle
en 2020) (8).
contaminé par le sang. En 2004, le risque transfusionnel
est devenu exceptionnel. La notion de transfusion ne doit
donc être retenue comme facteur de risque que si celleci a eu lieu avant les années 1990. L’usage de drogues
par voie injectable constitue, en revanche, le premier
mode de contamination, le virus pouvant être véhiculé par
les seringues, mais aussi par le matériel de préparation
(cuillère, filtre). En outre, l’usage de paille pour la voie
nasale constitue également un facteur de risque reconnu.
La contamination materno-fœtale est voisine de 3-5 %,
avec un risque nettement plus important en cas de coinfection VIH (15 %). Parmi les autres facteurs de risque
figurent les piqûres accidentelles (2-5 %) ; les contaminations sexuelles sont possibles avec un risque inférieur à
5 %. À cet égard, les recommandations (3) sont d’éviter
les rapports sexuels lors des menstruations ou en cas de
lésions génitales. L’usage de préservatif n’est pas recommandé pour des partenaires réguliers. Il faut également
mentionner les contaminations intrafamiliales, ou liées à
des séances de tatouage, de percing ou d’acupuncture.
Enfin, dans 1/3 des cas, aucun facteur de risque n’est identifié.
Le dépistage des sujets à risque doit reposer sur un test
sérologique (ELISA de troisième génération) complété en
cas de positivité par la recherche de la virémie, une PCR
qualitative, en raison d’une meilleure sensibilité (3).
Virus C
La caractéristique principale de l’infection virale C tient
au fait que 80 % des sujets infectés développent une infection chronique à l’issue d’une phase aiguë, asymptomatique 7 fois sur 10. L’histoire naturelle de l’hépatite chronique C comporte encore aujourd’hui un certain nombre
d’incertitudes. Les études prospectives avec un suivi
important sont rares et discordantes. Le risque de cirrhose
est décrit entre 5 % et 20 %, 20 à 25 ans après la date de
contamination (28). En cas de cirrhose, le risque de décès
est de l’ordre de 30 % à 10 ans.
Le caractère constant de la réplication virale explique
probablement le caractère linéaire de progression de la
fibrose (24). Dans cette étude, la vitesse de progression
de la fibrose, relativement stable pour un même sujet, est
principalement influencée par la présence d’une co-infection VIH ou d’une consommation excessive d’alcool.
En raison d’un taux très élevé de mutations, le virus C
circule dans le sang sous forme d’une population hétérogène de plusieurs variants. Le séquençage du génome
viral C permet, en fonction du degré d’homologie de
séquence du code génétique de classer les isolats en
génotypes, sous-types et quasi-espèces. Basée sur le
séquençage de la région 5' non codante, la classification
Simmonds (29) compte 6 génotypes majeurs (1 à 6) et plusieurs sous-types. En France et aux États-Unis les génotypes 1a, 1b, 2a, 2c, 3a sont les plus fréquemment rencontrés. Les migrations des populations d’Afrique du Nord
expliquent l’augmentation de la fréquence en France du
génotype 4. L’évolution des modes de contamination
depuis le début de l’épidémie, avec la diminution des cas
rapportés à la transfusion au profit des cas associés à
l’usage de drogues injectables permet de rendre compte
de la diminution de prévalence du génotype 1b au profit
du génotype 3a. En dehors de circonstances d’immunodépression majeures, le virus C n’est pas directement responsable des lésions hépatiques. Celles-ci résultent de
l’agression des hépatocytes infectés par les cellules effectrices du système immunitaire.
Modes de contamination
Le virus C est avant tout une maladie infectieuse transmissible par le sang, les produits sanguins ou le matériel
Histoire naturelle
Indications du traitement antiviral
Les indications du traitement antiviral ont beaucoup
évolué depuis la mise à disposition en 2001-2002 d’un traitement efficace composé de l’association d’interféron
retard (pégylé) et de ribavirine, permettant une éradication
complète de l’infection virale dans 56 % des cas, tous
génotypes confondus. Ces progrès thérapeutiques permettent désormais de distinguer un ou plusieurs objectifs
du traitement antiviral (3). Il peut s’agir de l’éradication
virale (réponse virologique prolongée), de ralentir la
vitesse de progression de la fibrose (réponse histologi199
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que), ou en cas de cirrhose de retarder l’apparition des
complications de celle-ci. Bien que la biopsie hépatique
reste l’examen de référence pour apprécier le degré
d’inflammation et de fibrose, elle ne doit plus constituer
un obstacle incontournable à la mise en route du traitement. Depuis la première publication du fibrotest (16), de
nombreux travaux sont actuellement en cours pour valider
l’utilisation de marqueurs non invasifs de fibrose basés sur
des méthodes biologiques ou physiques (élastométrie
impulsionnelle).
Modalités de traitement
Le traitement actuel de l’hépatite chronique C repose
sur l’association d’interféron alpha pégylé, Pégasys®,
(Roche) ou Viraféron-Peg® (Schering-Plough) et de ribavirine (Copégus® ou Rébétol®) (10, 21). La posologie du
traitement dépend de facteurs virologiques (génotype,
charge virale), de facteurs liés à l’hôte (poids corporel,
importance de la fibrose, présence d’une insuffisance
rénale), et du type d’interféron pégylé. La dose de ribavirine peut nécessiter une adaptation au poids corporel.
Enfin, il convient de respecter les précautions d’emploi
(cardiopathie ischémique, troubles psychiatriques non
stabilisés, anémie, neutropénie) et les contre-indications
formelles (grossesse, allaitement, maladies auto-immunes). La durée du traitement dépend du génotype, de la
charge virale et de l’importance de la fibrose. Les recommandations actuelles du traitement de l’hépatite chronique C sont de 48 semaines à base d’interféron pégylé
(Pégasys® 180 µg par semaine ou Viraféron-Peg® 1,5 µg/
kg/semaine) et de ribavirine (Copégus® Roche, Rébétol®
Schering-Plough) 10 mg/kg/jour pour les génotypes 1 et
4. Une durée de 24 semaines est suffisante avec 800 mg
par jour de ribavirine pour les génotypes 2 et 3.
La réponse virologique précoce (10) (négativation de
la PCR ou réduction d’au moins 2 log de la charge virale)
plus récemment rapportée est un facteur important à prendre en compte. En effet, la probabilité de guérison virologique définitive (réponse virologique prolongée) n’est que
de 3 % si la virémie reste positive au 3e mois de traitement
(5, 10). Le contrôle de l’observance, avec le maintien d’une
posologie de traitement d’au moins 80 % de la dose optimale, est un facteur important de réponse virologique prolongée (22), particulièrement dans les conditions thérapeutiques difficiles comme le génotype 1.
Effets indésirables
Les effets secondaires de la bithérapie pégylée sont
qualitativement peu différents de ceux observés avec la
bithérapie non pégylée. Ils constituent encore l’un des principaux problèmes (75 % des patients ont au moins un effet
secondaire), avec environ 14 % d’arrêt de traitement. Le
suivi est indispensable surtout à court terme. Une adaptation des doses est nécessaire dans 42 % des cas, principalement en raison des problèmes hématologiques. Les
effets secondaires de l’interféron alpha sont cliniques (syn200
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drome pseudo-grippal, nausées, réaction aux points
d’injection, rash cutané, alopécie, perte de poids, dysthyroïdies), biologiques (neutropénie, thrombopénie) et surtout neuropsychiques. Ceux-ci, dominés par l’irritabilité et
le syndrome dépressif, se caractérisent par un continuum
entre une symptomatologie peu bruyante voire frustre,
jusqu’à une répercussion très invalidante, en passant par
des épisodes aigus. Le syndrome dépressif associé au traitement par interféron est dépendant de la dose et de la
durée de traitement (19). Cependant, il faut également
savoir que des accidents suicidaires ont été décrits après
l’arrêt du traitement (25). Par ailleurs, les ex-usagers de
drogues injectables non substitués vivent le syndrome
pseudo-grippal comme un rappel du syndrome de manque, alors que les ex-usagers de drogues injectables ayant
une substitution l’appréhendent plus comme un vécu de
substitution non confortable. Des effets secondaires graves entraînant le décès sont possibles, principalement en
rapport avec un suicide, un infarctus ou un sepsis.
Les principaux effets indésirables de la ribavirine sont
représentés par l’anémie hémolytique, l’asthénie, et les
réactions cutanées. Enfin et surtout il faut insister sur les
effets mutagènes et abortifs qui doivent toujours être
signalés et reprécisés tout au long du traitement et les six
mois de suivi ultérieur, nécessitant par conséquent une
contraception efficace durant cette période.
RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ACTUELLE
ENTRE LE SOMATICIEN ET LE PSYCHIATRE
Que demande l’hépatologue ?
À l’heure actuelle, l’élargissement des indications de
prescription du traitement antiviral doit en corollaire augmenter les indications du suivi transversal des patients. Il
est donc nécessaire de rationaliser avec rigueur cette
approche commune. Confronté aux limites de son savoir
médical, le somaticien doit prendre plus fréquemment
contact avec son collègue psychiatre. Quelles sont ses
demandes ? (13, 30).
L’hépatologue sait que la prévalence des troubles
anxieux et dépressifs est plus importante chez les patients
suivis pour une hépatite C, naïfs de tout traitement, que
dans la population générale (4). Ces troubles peuvent être
réactionnels à l’annonce de la séropositivité, être une
complication de l’infection virale elle-même, ou être phénoménologiquement sans lien direct avec la maladie
virale.
En amont de tout traitement et au regard de cette donnée, dans un souci d’évaluation globale de ce patient en
souffrance – pour lequel le somaticien souhaite qu’il ait
une observance et une compliance correcte au traitement
antiviral –, l’hépatologue peut être amené à solliciter un
avis à son confrère psychiatre. Il lui demande de se prononcer sur l’existence ou non d’un syndrome anxiodépressif, difficile à diagnostiquer, sur la « cicatrisation »
d’un épisode délirant antérieur encore vecteur d’angoisse
chez ce patient, la bonne stabilisation et la compliance à
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un traitement psychotrope chez un patient ayant des antécédents de maladie psychiatrique…, ou tout simplement
sur la nécessité ou non d’un suivi spécialisé pour tel ou
tel patient pendant la durée des soins.
Par ailleurs, avant la mise en route du traitement, le
somaticien peut demander au psychiatre de rechercher
avec attention, depuis l’annonce de la séropositivité,
l’existence ou non de troubles du sommeil, à savoir des
difficultés d’endormissement, une réduction du temps
du sommeil, une mauvaise qualité de ce dernier. Cette
évaluation avant le traitement peut être nécessaire au
regard de la fréquence des troubles du sommeil retrouvés au cours de la bithérapie. Pour le psychiatre, comme
pour le généraliste ou l’hépatologue, il est plus aisé alors
de reprendre avec la personne, au cours de son traitement, les conséquences directes du traitement sur le
sommeil.
Enfin, avant la mise en route du traitement antiviral,
l’hépatologue peut demander au psychiatre de prendre le
temps de recueillir le récit de la substitution aux opiacés
pour les patients en bénéficiant. Quel est leur vécu par rapport à cette thérapeutique ? La posologie est-elle bien
adaptée ? Existe-t-il des mésusages des produits de
substitution ? Autant d’éléments qui pourront intervenir
dans un second temps quant à l’observance au traitement
antiviral.
Connaissant la fréquence des troubles de l’humeur
induits de façon dose-dépendante par le traitement antiviral, principalement au cours du premier trimestre (4, 12),
le somaticien peut vouloir s’assurer de l’absence de symptomatologie dépressive. Il sait que les effets secondaires
neuropsychiques sont l’une des principales causes de
réduction des doses ou d’arrêt prématuré du traitement.
Aussi, il souhaite que le psychiatre, par un examen sémiologique précis puisse différencier ce qui relève des effets
secondaires classiques de l’interféron (asthénie psychique, physique ou sociale, irritabilité estimée à 40 %, voire
troubles du contrôle des impulsions avec des réactions
disproportionnées à la frustration) de ce qui pourrait relever d’une pathologie dépressive sous-jacente avec un
sentiment d’autodévalorisation, une perte de l’estime de
soi, une incapacité totale à anticiper l’avenir, ou une anhédonie profonde (13, 18). Le psychiatre évalue alors la
nécessité d’adjoindre un traitement antidépresseur au
traitement antiviral. Par ailleurs, le thérapeute prend en
compte le fait que le syndrome dépressif induit par l’interféron ne régresse pas toujours à l’arrêt du traitement, voire
apparaît ou se décompense avec des accidents suicidaires (25).
L’hépatologue peut être amené à demander au psychiatre d’intervenir auprès des patients ayant cessé prématurément leur traitement. Il peut s’agir de patients ayant
dû arrêter la bithérapie du fait d’un effet secondaire somatique grave. Le psychiatre dans ce cas tente d’évaluer le
retentissement de cette nouvelle perte dans l’économie
psychique du sujet, à savoir le deuil d’une éradication
virale prochaine possible. Cela concerne parfois des personnes pour lesquelles le temps avant la prise de décision
de l’initiation du traitement a été de plusieurs mois, voire
L’hépatologue, le psychiatre et les patients ayant une hépatite C
de plusieurs années. Cela a nécessité pour eux une mobilisation psychique certaine avant l’acceptation de la mise
en route du traitement. La répercussion psychique de cet
arrêt est dans cette situation d’autant plus importante à
évaluer et peut justifier une orientation vers un suivi spécialisé.
Dans d’autres situations, le traitement antiviral a dû être
arrêté pour une complication psychiatrique (manie, impulsions suicidaires graves, troubles psychotiques ou état de
dépersonnalisation) (7, 17). Le psychiatre a pour tâche à
ce moment-là de mettre en place le suivi nécessaire. Précisons que l’apparition d’un syndrome maniaque peut être
retrouvé au cours du traitement et régressif à l’arrêt du traitement, mais également après la fin du traitement. De
même, des tentatives de suicide ainsi que des syndromes
dépressifs ont été décrits après la fin du traitement. Cela
peut justifier encore dans cette situation la nécessité d’une
surveillance psychiatrique après la fin du traitement par
interféron.
Que peut proposer le psychiatre ?
Lorsque le somaticien prend en charge un patient atteint
d’hépatite chronique C, il sait que dans le cadre du suivi
de celui-ci, il pourra être nécessaire de le soutenir, de le
comprendre, de rendre intelligible pour lui l’expérience
traumatisante d’une contamination et de l’aider dans sa
quête actuelle d’une santé à reconquérir. Les box de consultation résonnent parfois d’impression, de sensation et
de ressenti. Pour ce type de patient, le psychiatre peut permettre au patient de rassembler en lui tout ce vécu douloureux et peut le soutenir à trouver du sens à l’annonce
de la séropositivité. Le psychiatre peut être interpellé pour
prendre la place de celui qui va prendre le temps de
recueillir ces mots, le temps d’écouter le récit du patient et
l’histoire de sa contamination. Il peut aussi soutenir le
patient à mettre en mots ce que le traitement va bouleverser, modifier, retarder ou accélérer dans ses projets.
Par ailleurs, le thérapeute peut reprendre avec la personne ce qu’elle connaît de la maladie, ce qu’elle en sait
par ses lectures ou les médias. Certaines peurs trouvent
là leur fondement, et cela peut prendre sens qu’elles soient
dites avant le traitement. Avant la mise en route de celuici, informer le patient des complications neuropsychiques
possibles du traitement (et notamment l’irritabilité, l’agressivité, l’intolérance à la frustration, les troubles du sommeil…) peut le rassurer dans un second temps. Ce dernier
sera en effet moins déstabilisé quand il sera envahi par
un tel vécu au cours du traitement. On évite ainsi des arrêts
spontanés du traitement décidés par le patient lui-même,
trop invalidé par sa souffrance psychique pour laquelle il
n’avait pas d’explication. On pourra par ailleurs également
tempérer des crispations familiales liées à l’absence
d’information sur les complications possibles à venir. Évoquer l’entourage familial dans toute sa spécificité permet
à celui qui est traité de ne pas prendre la place au sein de
la constellation familiale de celui qui porte et cristallise les
conflits familiaux pendant le traitement.
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Enfin, le médecin psychiatre peut aussi entendre hors
de tout jugement le décalage qui peut exister entre ce que
dit ou pense le patient, et la réalité objective de sa contamination, ce qui est de l’ordre du savoir et du pragmatisme
médical. Déposer devant un médecin, qui connaît les termes médicaux employés par l’hépatologue, une partie de
sa vérité du moment peut permettre au patient de s’engager dans une alliance thérapeutique avec l’équipe médicale et paramédicale.
Ce temps passé après l’annonce de la séropositivité et
les différents examens qui s’en sont suivis, et avant la mise
en route d’un traitement, peut permettre au patient de
s’approprier cette virémie dont lui avait fait part le médecin.
Cette intégration peut permettre un meilleur investissement du projet de soins. Il peut ainsi parfois mieux se
décentrer de lui-même et entrevoir ce que sa pathologie
et le traitement peuvent avoir comme répercussion pour
lui mais aussi sur son entourage familial et professionnel.
CONCLUSION
Une étude américaine très récente montre que 41 %
des patients ayant une hépatite chronique C se plaignent
de difficultés de communication avec leur hépatologue
(31). La prise en charge combinée par l’hépatologue, le
psychiatre, sans oublier la place du médecin généraliste
– qui a été souvent celui qui a prescrit le test de dépistage
et qui a de ce fait été le premier interlocuteur de ce long
périple – doit donc jouer un rôle plus important pour permettre de répondre à la demande du patient concernant
la prise en charge, le suivi et l’accompagnement lors du
traitement antiviral.
Une réponse de qualité à ces 3 éléments doit favoriser
une meilleure compliance au traitement, support indispensable au succès virologique du traitement. Aussi, il devient
important de réfléchir sur la complémentarité et l’harmonisation de nos pratiques médicales. Précisons qu’à cette
réflexion doivent être parfois associés des travailleurs
sociaux, dont une des missions est de contribuer à la mise
en place et au maintien d’un lieu de vie stable, sans lequel
aucun traitement n’est possible.
Des études s’avèrent donc nécessaires afin d’amener
des éléments de réflexion à nos questions avant la mise
en route du traitement et pendant le suivi de ces patients,
et en particulier :
– Quels sont les facteurs, tant médicaux que sociaux,
associés à l’augmentation de la prévalence de dépression
chez les patients infectés par le VHC ?
– Peut-on retrouver des facteurs de fragilité psychologique spécifiques à certains sous-groupes de patients
infectés au regard de leur mode de contamination, de leur
type de personnalité et de leurs antécédents psychiatriques ? Quels sont ceux qui nécessiteront une surveillance psychiatrique après la fin du traitement ?
– Quelle est la place du traitement antidépresseur
avant, pendant, et après le traitement ?
Autant d’études qu’il serait bon de mener afin de toujours améliorer nos pratiques et nos prises en charge dont
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la finalité est d’aider les patients à mettre en vie ce combat
qu’ils mènent contre la maladie, dans une quête d’une
santé psychique et physique à reconquérir.
Remerciements. Nous tenons à remercier l’équipe soignante
du Centre Cassini et plus particulièrement Catherine Saupin
pour la mise en forme de ce manuscrit.
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