L’Encéphale, 2006 ;
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198-203, cahier 1 L’hépatologue, le psychiatre et les patients ayant une hépatite C
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un traitement psychotrope chez un patient ayant des anté-
cédents de maladie psychiatrique…, ou tout simplement
sur la nécessité ou non d’un suivi spécialisé pour tel ou
tel patient pendant la durée des soins.
Par ailleurs, avant la mise en route du traitement, le
somaticien peut demander au psychiatre de rechercher
avec attention, depuis l’annonce de la séropositivité,
l’existence ou non de troubles du sommeil, à savoir des
difficultés d’endormissement, une réduction du temps
du sommeil, une mauvaise qualité de ce dernier. Cette
évaluation avant le traitement peut être nécessaire au
regard de la fréquence des troubles du sommeil retrou-
vés au cours de la bithérapie. Pour le psychiatre, comme
pour le généraliste ou l’hépatologue, il est plus aisé alors
de reprendre avec la personne, au cours de son traite-
ment, les conséquences directes du traitement sur le
sommeil.
Enfin, avant la mise en route du traitement antiviral,
l’hépatologue peut demander au psychiatre de prendre le
temps de recueillir le récit de la substitution aux opiacés
pour les patients en bénéficiant. Quel est leur vécu par rap-
port à cette thérapeutique ? La posologie est-elle bien
adaptée ? Existe-t-il des mésusages des produits de
substitution ? Autant d’éléments qui pourront intervenir
dans un second temps quant à l’observance au traitement
antiviral.
Connaissant la fréquence des troubles de l’humeur
induits de façon dose-dépendante par le traitement anti-
viral, principalement au cours du premier trimestre (4, 12),
le somaticien peut vouloir s’assurer de l’absence de symp-
tomatologie dépressive. Il sait que les effets secondaires
neuropsychiques sont l’une des principales causes de
réduction des doses ou d’arrêt prématuré du traitement.
Aussi, il souhaite que le psychiatre, par un examen sémio-
logique précis puisse différencier ce qui relève des effets
secondaires classiques de l’interféron (asthénie psychi-
que, physique ou sociale, irritabilité estimée à 40 %, voire
troubles du contrôle des impulsions avec des réactions
disproportionnées à la frustration) de ce qui pourrait rele-
ver d’une pathologie dépressive sous-jacente avec un
sentiment d’autodévalorisation, une perte de l’estime de
soi, une incapacité totale à anticiper l’avenir, ou une anhé-
donie profonde (13, 18). Le psychiatre évalue alors la
nécessité d’adjoindre un traitement antidépresseur au
traitement antiviral. Par ailleurs, le thérapeute prend en
compte le fait que le syndrome dépressif induit par l’inter-
féron ne régresse pas toujours à l’arrêt du traitement, voire
apparaît ou se décompense avec des accidents suicidai-
res (25).
L’hépatologue peut être amené à demander au psy-
chiatre d’intervenir auprès des patients ayant cessé pré-
maturément leur traitement. Il peut s’agir de patients ayant
dû arrêter la bithérapie du fait d’un effet secondaire soma-
tique grave. Le psychiatre dans ce cas tente d’évaluer le
retentissement de cette nouvelle perte dans l’économie
psychique du sujet, à savoir le deuil d’une éradication
virale prochaine possible. Cela concerne parfois des per-
sonnes pour lesquelles le temps avant la prise de décision
de l’initiation du traitement a été de plusieurs mois, voire
de plusieurs années. Cela a nécessité pour eux une mobi-
lisation psychique certaine avant l’acceptation de la mise
en route du traitement. La répercussion psychique de cet
arrêt est dans cette situation d’autant plus importante à
évaluer et peut justifier une orientation vers un suivi spé-
cialisé.
Dans d’autres situations, le traitement antiviral a dû être
arrêté pour une complication psychiatrique (manie, impul-
sions suicidaires graves, troubles psychotiques ou état de
dépersonnalisation) (7, 17). Le psychiatre a pour tâche à
ce moment-là de mettre en place le suivi nécessaire. Pré-
cisons que l’apparition d’un syndrome maniaque peut être
retrouvé au cours du traitement et régressif à l’arrêt du trai-
tement, mais également après la fin du traitement. De
même, des tentatives de suicide ainsi que des syndromes
dépressifs ont été décrits après la fin du traitement. Cela
peut justifier encore dans cette situation la nécessité d’une
surveillance psychiatrique après la fin du traitement par
interféron.
Que peut proposer le psychiatre ?
Lorsque le somaticien prend en charge un patient atteint
d’hépatite chronique C, il sait que dans le cadre du suivi
de celui-ci, il pourra être nécessaire de le soutenir, de le
comprendre, de rendre intelligible pour lui l’expérience
traumatisante d’une contamination et de l’aider dans sa
quête actuelle d’une santé à reconquérir. Les box de con-
sultation résonnent parfois d’impression, de sensation et
de ressenti. Pour ce type de patient, le psychiatre peut per-
mettre au patient de rassembler en lui tout ce vécu dou-
loureux et peut le soutenir à trouver du sens à l’annonce
de la séropositivité. Le psychiatre peut être interpellé pour
prendre la place de celui qui va prendre le temps de
recueillir ces mots, le temps d’écouter le récit du patient et
l’histoire de sa contamination. Il peut aussi soutenir le
patient à mettre en mots ce que le traitement va boulever-
ser, modifier, retarder ou accélérer dans ses projets.
Par ailleurs, le thérapeute peut reprendre avec la per-
sonne ce qu’elle connaît de la maladie, ce qu’elle en sait
par ses lectures ou les médias. Certaines peurs trouvent
là leur fondement, et cela peut prendre sens qu’elles soient
dites avant le traitement. Avant la mise en route de celui-
ci, informer le patient des complications neuropsychiques
possibles du traitement (et notamment l’irritabilité, l’agres-
sivité, l’intolérance à la frustration, les troubles du som-
meil…) peut le rassurer dans un second temps. Ce dernier
sera en effet moins déstabilisé quand il sera envahi par
un tel vécu au cours du traitement. On évite ainsi des arrêts
spontanés du traitement décidés par le patient lui-même,
trop invalidé par sa souffrance psychique pour laquelle il
n’avait pas d’explication. On pourra par ailleurs également
tempérer des crispations familiales liées à l’absence
d’information sur les complications possibles à venir. Évo-
quer l’entourage familial dans toute sa spécificité permet
à celui qui est traité de ne pas prendre la place au sein de
la constellation familiale de celui qui porte et cristallise les
conflits familiaux pendant le traitement.