Cancers bronchopulmonaires avec réarrangement d’ALK : optimisation de la tolérance du crizotinib

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MISE AU POINT
Cancers bronchopulmonaires
avec réarrangement d’ALK :
optimisation de la tolérance
du crizotinib
ALK-rearranged non-small-cell lung cancer:
how to optimize crizotinib treatment in routine practice?
C. Audigier-Valette1, N. Girard2, A.B. Cortot3, B. Mennecier4, D. Debieuvre5, D. Planchard6,
G. Zalcman7, D. Moro-Sibilot8, J. Cadranel9, F. Barlési10
L
e crizotinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase
(ITK) d’ALK, de MET et de ROS1, actuellement
indiqué en seconde ligne thérapeutique des
cancers bronchopulmonaires porteurs d’un réarrangement d’ALK. Trois principaux essais ont démontré
l’efficacité du crizotinib dans cette indication :
➤➤ l’essai princeps PROFILE 1001, une étude de
phase I ayant inclus 149 patients atteints d’un cancer
bronchopulmonaire porteurs d’un réarrangement
d’ALK, parmi lesquels 87 (61 % ; IC95 : 52-69) ont
présenté une réponse tumorale, avec une survie
sans progression (SSP) moyenne de 9,7 mois (IC95 :
7,7-12,8) [1, 2] ;
➤➤ l’essai PROFILE 1005, un essai de phase II ouvert,
évaluant le crizotinib à partir de la seconde ligne
thérapeutique, ayant inclus 439 patients (3) ;
➤➤ l’essai PROFILE 1007, un essai randomisé ayant
comparé le crizotinib à une chimiothérapie par
pémétrexed ou docétaxel, en seconde ligne thérapeutique, chez 347 patients, qui a démontré un
bénéfice de SSP (7,7 versus 3,0 mois respectivement)
[HR = 0,49 ; IC95 : 0,37-0,64 ; p < 0,001] (4).
L’utilisation du crizotinib est donc entrée dans notre
pratique clinique quotidienne. Un groupe d’experts
s’est réuni afin d’établir des propositions pour optimiser la prise en charge de ses effets indésirables
fréquents ou spécifiques (tableau I, p. 98).
Troubles visuels
L’effet indésirable le plus fréquent survenant chez
les malades traités par crizotinib consiste en des
troubles visuels, observés chez 50 à 64 % des
patients inclus dans les essais PROFILE (1-4), et
survenant dans un contexte de faible luminosité,
à type de persistance rétinienne au niveau du
champ visuel périphérique, de stries lumineuses,
ou de flashs visuels sans rapport avec une source
de lumière réelle (5). Les troubles visuels étaient
de grade 1 dans 96 % des cas. Une étude ancillaire
portant sur l’altération de la qualité de vie par les
troubles visuels, conduite chez 661 patients inclus
dans l’essai PROFILE 1005, indique que la plupart
des troubles visuels survenaient aux extrêmes du
nycthémère, duraient moins d’une minute, et que
l’examen ophtalmologique des patients affectés
était normal (5).
En pratique, les patients doivent être informés
des précautions à prendre pour la conduite automobile et l’utilisation de machines en situation
de faible luminosité (tunnel, conduite nocturne).
Une preuve de la délivrance de cette information
doit être apportée au dossier médical. Un examen
ophtalmologique n’est pas nécessaire avant d’instaurer le crizotinib.
Ce travail a été élaboré lors
d’une réunion d’experts organisée
à l’initiative des laboratoires Pfizer.
Cependant, le laboratoire Pfizer n’a
eu aucun rôle dans l’interprétation
ni la discussion des données, ni dans
la préparation de cet article.
1 Service de
Toulon.
pneumologie, hôpital de
2 Service
de pneumologie, hôpital
Louis-Pradel, hospices civils de Lyon ;
université Claude-Bernard Lyon-1.
3 Service de pneumologie et oncologie
thoracique, CHRU de Lille ; université
Lille Nord de France, Lille.
Service de pneumologie, Nouvel
Hôpital civil, Strasbourg.
4
5 Service de pneumologie, hôpital de
Mulhouse.
6 Service d’oncologie médicale, hôpital
Gustave-Roussy, Villejuif.
7 Service de pneumologie et oncologie
thoracique, CHU Côte-de-Nacre,
Caen.
8 Service
de pneumologie, hôpital
Michallon, CHRU de Grenoble.
Service de pneumologie, hôpital
Tenon, Paris.
9
Service d’oncologie multidisciplinaire & innovations thérapeutiques,
Marseille ; université d’Aix-Marseille.
10
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 4 - avril 2014 | 97
Mots-clés
Crizotinib
Cancer
bronchopulmonaire
Effets indésirables
Suivi
Highlights
Optimizing the management
of patients with non-small-cell
lung cancer receiving crizotinib
is challenging our daily practice; it is based on the know­
ledge of clinical and laboratory
items to be checked before initiating the treatment, as well as
on specific recommendations
for patients and physicians
during the treatment.
In the landmark PROFILE trials
that assessed the safety and
efficacy of crizotinib in patients
with non-small-cell lung cancer,
severe toxicities exceptionally
occurred and resolved in
most cases: in PROFILE 1001,
only 3 patients discontinued
treatment permanently, 2 for
interstitial lung disease, and
1 for a non-fatal drug-induced
hepatitis; in the PROFILE 1007
trial, only 3 crizotinib-related
deaths have been reported,
including 2 cases of interstitial
lung disease and 1 case of heart
rhythm disorder.
From a clinical standpoint,
crizotinib-related visual disturbances and bradycardia should
be rather considered, because
of their frequency and their
benign nature, as markers of
compliance, attention must be
paid to occurrence of prolonged
QT interval, serum electrolytes
disequilibrium, and liver function tests alterations, taking into
account potential drug interactions, as cardiac and hepatic
adverse events may be severe.
Ultimately, the fall of testosterone serum levels in men has
to be quickly identified due to
the potential impact on quality
of life with the possibility of
initiating androgen substitution.
Keywords
Crizotinib
Lung cancer
Adverse events
Follow-up
Points forts
La mise à disposition du crizotinib chez les patients atteints d’un cancer bronchopulmonaire présentant
un réarrangement d’ALK nécessite une bonne connaissance des effets indésirables afin d’en optimiser la
compliance et la tolérance. Dans les essais PROFILE, ayant évalué le crizotinib, les toxicités sévères étaient
exceptionnelles et résolutives dans la plupart des cas. Si les troubles visuels ou la bradycardie doivent être
considérés, du fait de leur fréquence ou de leur caractère bénin, comme des marqueurs de l’observance du
crizotinib, une attention particulière doit être accordée à l’allongement de la durée de l’intervalle QT et
à la surveillance biologique, en prenant en compte les potentielles interactions médicamenteuses. Enfin,
une substitution androgénique peut être envisagée en cas de chute de la testostéronémie, en raison de
son retentissement potentiel sur la qualité de vie des patients traités à long terme.
Tableau I. Principales recommandations pour l’instauration et la surveillance du traitement par crizotinib.
Effets indésirables
Fréquence (%)
Conseils pour l’instauration
du traitement par crizotinib
Conseils de suivi
60
Information du patient
Pas de bilan ophtalmologique
systématique
Aucun en l’absence de baisse de l’acuité
visuelle
Conseils hygiénodiététiques
Conseils hygiénodiététiques
Information du patient
Dosage de la testostéronémie
Supplémentation en testostérone
Cliniques
Troubles visuels
Troubles digestifs
Hypogonadisme
100 (hommes)
Œdèmes
30
Aucun
Dosage de l’albuminémie
Diurétiques/contrôle ionique
Kystes rénaux
9
Recherche de kystes rénaux préexistants
Aucun en l’absence d’anomalie
de la bandelette urinaire
Pneumopathie
interstitielle
4
Recherche d’une pneumopathie
interstitielle diffuse préexistante
Surveillance clinique
Allongement du QT
1
Électrocardiogramme
Arrêt des médicaments stabilisant
de membrane
Information du médecin traitant
Ionogramme (Ca, Mg, K)
Électrocardiogramme
Ionogramme (Ca, Mg, K)
Bradycardie
4
Électrocardiogramme
Aucun
Hépatotoxicité
15
Bilan hépatique (transaminases et
bilirubine)
Bilan hépatique (transaminases
et bilirubine) tous les 15 jours pendant
2 mois, puis 1 fois par mois
Cytopénies
10
Hémogramme
Tous les 15 jours puis 1 fois par mois
Électrocardiographiques
Biologiques
Troubles digestifs
Dans les essais PROFILE 1001 et PROFILE 1005, entre
41 et 54 % des patients ont rapporté des nausées
ou des vomissements, plus fréquemment le matin,
et lors du premier cycle de traitement (1-3). Les
interactions médicamenteuses potentielles entre
le crizotinib et les antiémétiques de toutes classes,
en particulier sur le risque de torsades de pointes
par allongement de la durée de l’intervalle QT (par
98 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 4 - avril 2014
exemple, avec la chlorpromazine, le dompéridone
ou les sétrons), ou par inhibition du cytochrome
CYP3A4 (par exemple, avec l’aprépitant), doivent
contre-indiquer leur prescription à long terme. Il
est conseillé de prendre, en première intention, des
agents prokinétiques, tels le métoclopramide ou le
métopimazine (30 à 60 mg/j per os). Mais la meilleure mesure hygiénodiététique est en fait de prendre
le crizotinib au cours des repas, puisque l’alimentation n’a pas d’effet sur sa biodisponibilité (1, 2).
MISE AU POINT
La constipation et la diarrhée étaient déclarées chez
respectivement 28 à 42 % et 50 à 60 % des patients,
et ne dépassaient pas le grade 1 pour plus de 98 %
d’entre eux (4-7). Il est important de prendre en
compte ces troubles dès les premières semaines pour
qu’ils ne conduisent pas à une mauvaise observance.
Leur traitement repose sur des mesures hygiénodiététiques et peut inclure respectivement des antidiarrhéiques (tels qu’acétorphan ou lopéramide) ou des
laxatifs (de type antisécrétoire, qui ne produisent
pas d’hypokaliémie).
Une dyspepsie et des troubles œsophagiens ont été
rapportés dans 5 à 20 % des cas chez les patients
recevant du crizotinib, et ne sont qu’exceptionnellement sévères (6). La prise en charge repose sur les
règles hygiénodiététiques (éviter les repas riches en
graisses, prendre une posture nocturne adaptée)
et l’utilisation d’inhibiteurs de la pompe à protons,
plutôt le matin.
En pratique, les troubles digestifs liés au crizotinib ne
sont qu’exceptionnellement persistants ou sévères.
Aucune adaptation de la dose du crizotinib n’est
donc recommandée lors d’une toxicité digestive
de faible grade.
Anomalies
électrocardiographiques
Le crizotinib peut provoquer un allongement de
la durée de l’intervalle QT et/ou une bradycardie,
rapportés chez respectivement 1 et 4 % des patients
(7-9). Si la bradycardie est exceptionnellement
symptomatique et ne représente qu’un témoin de
la prise médicamenteuse, l’allongement de la durée
de l’intervalle QT entraîne un risque de survenue de
torsades de pointes, se traduisant par des symptômes cliniques de courte durée à type de malaise,
lipothymie voire syncope et risque de mort subite.
Les troubles ioniques − tels que l’hypokaliémie,
l’hypomagnésémie et l’hypocalcémie − sont des
facteurs favorisants, ayant un effet stabilisant de
membrane. La résolution des torsades de pointes
est généralement spontanée, mais les récidives sont
fréquentes. Le traitement repose sur le rééquilibrage
hydroélectrolytique et l’administration de sulfate de
magnésium par voie intraveineuse.
En pratique, il est nécessaire de réaliser un électrocardiogramme avant l’introduction du traitement
par crizotinib.
Un avis cardiologique est recommandé en cas d’intervalle QT supérieur à 500 ms, d’antécédents de
torsades de pointes ou de syndrome du QT long
congénital. En outre, il existe un consensus d’experts
en faveur de la réalisation d’un contrôle initial et
d’une surveillance régulière du ionogramme complet,
comportant le calcul de la calcémie corrigée chez des
patients possiblement dénutris, et la limitation de
la prescription de médicaments susceptibles d’augmenter la durée de l’intervalle QT. Une information
spécifique s’adressant au médecin traitant du patient
est recommandée. Le tableau II indique la conduite
à tenir vis-à-vis du traitement par crizotinib en cas
d’allongement de l’intervalle QT.
Hypogonadisme
Une chute du taux de testostérone survient chez la
majorité des hommes traités par crizotinib, souvent
dans les 15 jours après l’instauration du traitement ;
elle est réversible à l’arrêt du traitement (10, 11).
En pratique, une information doit être donnée aux
patients. Un hypogonadisme doit être évoqué en
cas de fatigue (rapportée dans 22 à 27 % des cas
dans les essais PROFILE [1-4]), baisse de la libido,
voire en cas de dépression ; un dosage matinal de
la testostéronémie doit être réalisé pour identifier
les patients devant recevoir une supplémentation.
Références
bibliographiques
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▸▸▸ / ▸▸▸
Tableau II. Conduite à tenir en cas d’élévation des transaminases et d’allongement de l’intervalle QT. Le grade de toxicité a été évalué selon les Common Terminology Criteria for Adverse
Events v3.0.
Toxicité hépatique
Traitement par crizotinib
Elévation des ALAT ou ASAT de grade 3 ou 4
(≥ 5 fois la normale)
et bilirubine totale de grade ≤ 1
Interrompre jusqu’à résolution à un grade ≤ 1
(≤ 3 fois la normale) ou à la valeur de base,
puis reprendre à la dose de 200 mg × 2/j
Arrêter définitivement en cas de nouvelle
apparition d’une toxicité de grade 3 ou 4
Elévation des ALAT ou ASAT de grade 2, 3 ou 4
(≥ 3 fois la normale) et élévation concomitante
de la bilirubine totale de grade 2, 3 ou 4
(≥ 1,5 fois la normale) [en l’absence de cholestase
ou d’hémolyse]
Arrêter définitivement
Toxicité cardiologique
Traitement par crizotinib
Allongement de la durée de l’intervalle
QT > 500 ms sur au moins 2 tracés
électrocardiographiques (grade 3)
Interrompre jusqu’à résolution à un grade ≤ 1
ou à la valeur de base, puis reprendre
à la dose de 200 mg × 2/j
En cas de réapparition, le traitement doit être
interrompu jusqu’à résolution à un grade ≤ 1,
puis repris à la dose de 200 mg × 1/j
Arrêter définitivement en cas de nouvelle
apparition d’une toxicité de grade 3 ou 4
Allongement de la durée de l’intervalle
QT > 500 ms ou allongement de plus de 60 ms
par rapport a l’ECG de base et torsades de pointes
ou tachycardie ventriculaire, ou arythmie sévère
(grade 4)
Arrêter définitivement
ASAT : aspartate aminotransférase ; ALAT : alanine aminotransférase.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 4 - avril 2014 | 99
MISE AU POINT
Cancers bronchopulmonaires avec réarrangement d’ALK : optimisation de la tolérance du crizotinib
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reintroduction with reduced
dose. Clin Res Hepatol Gastroenterol 2013;37(1):e21-3.
Une adaptation de la posologie du crizotinib n’est pas
recommandée. Le traitement repose sur la testo­stérone
retard (classiquement 250 mg toutes les 3 semaines
en intramusculaire). Des présentations de testostérone
sous forme de gel à appliquer quotidiennement, sous
forme d’injection trimestrielle ou sous forme orale
sont également disponibles. Enfin, il est nécessaire de
rappeler la nécessité d’une contraception, une grande
proportion des patients atteints d’un cancer bronchopulmonaire porteur d’un réarrangement d’ALK traités
par crizotinib étant en âge de procréer.
Anomalies du bilan hépatique
Dans les essais PROFILE 1001, PROFILE 1005 et PROFILE
1007, une élévation des transaminases a été observée
chez 10 à 38 % des patients et était de grade 3 ou 4
pour 2 à 16 % d’entre eux (1-4). Le temps médian d’apparition des perturbations du bilan hépatique était de
23 jours, pour une durée moyenne de 85 jours (12). Une
réduction de dose ou un arrêt du traitement temporaire
ou définitif, lié à une élévation des transaminases, avait
été nécessaire pour respectivement 6, 7 et 0,1 % des
patients inclus dans les essais PROFILE.
En pratique, la surveillance du bilan hépatique,
comportant un dosage des transaminases et de la
bilirubine, est nécessaire à l’instauration du traitement, puis au minimum toutes les 2 semaines
pendant les 2 premiers mois du traitement, puis
tous les mois.
L’algorithme décisionnel en cas d’élévation des transaminases est présenté dans le tableau II, p. 99.
En cas de persistance d’une perturbation du bilan
hépatique malgré l’arrêt du crizotinib, un avis spécialisé peut être nécessaire ; il a été rapporté que la
réintroduction du traitement peut s’accompagner
de la récidive d’une hépatite médicamenteuse (13).
Autres effets indésirables
La survenue d’œdèmes de grade 1-2 a été rapportée
chez 27 à 31 % des patients inclus dans les essais
PROFILE (1-4). Ces œdèmes surviennent de façon
tardive avec, dans l’essai PROFILE 1001, une prévalence de 30 % lors de l’évaluation réalisée au
cinquième mois de traitement (1). L’hypogonadisme
pourrait favoriser une hypoalbuminémie. Chez les
patients à risque, le port de bas de contention et les
conseils hygiénodiététiques peuvent être recommandés ; les diurétiques doivent être utilisés avec
prudence en raison du risque de troubles ioniques.
100 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 4 - avril 2014
La présence de kystes rénaux a été décrite chez 26 %
des patients inclus dans les essais PROFILE 1001,
PROFILE 1005 et PROFILE 1007, parmi lesquels 4 %
présentaient des kystes multiples (1-4) ; entre 1 et
9 % des patients ont développé des kystes rénaux
de novo, dans un délai de 2 à 6 mois. La croissance
ou la multiplication de ces kystes ne doit donc pas
être confondue avec une progression tumorale, ni,
en l’absence d’hématurie ou de protéinurie lors d’un
test par bandelette urinaire, conduire à un bilan
étiologique spécifique.
Une toxicité hématologique du crizotinib a été
rapportée chez 10 à 13 % des patients inclus dans
les essais PROFILE (1-4). Il s’agit principalement de
neutropénies, de grade 3-4 dans 1 à 7 % des cas,
fébriles dans moins de 1 % des cas. Les lymphopénies
sont peu fréquentes (2 %). La surveillance systématique de l’hémogramme n’est pas recommandée,
sauf en cas de cytopénie.
Enfin, des cas de pneumopathie interstitielle, sévère
(de grade 3-4), prenant la forme d’un syndrome
de détresse respiratoire aigu avec dommage
alvéolaire diffus et évolution fibrosante, ont été
rapportés, comme pour d’autres ITK. Dans l’étude
PROFILE 1007, 7 patients (4,1 %) ont présenté une
pneumopathie interstitielle ; 5 de ces cas ont été
directement attribués au crizotinib, et 3 étaient de
grade 4 (4). Le délai de survenue de cette atteinte
pulmonaire était en moyenne de 66 jours. Le bilan
étiologique doit prendre en compte le diagnostic
différentiel d’une pneumopathie interstitielle médicamenteuse chez le patient atteint d’un cancer
­bronchopulmonaire, avec la possibilité d’infections
(en particulier en cas de cytopénie), de progression
tumorale, et d’insuffisance cardiaque.
Compte tenu de la gravité des pneumopathies liées
au crizotinib, le traitement doit être immédiatement
suspendu dès la constatation d’une pneumopathie
interstitielle, quel que soit son grade. Le crizotinib
sera arrêté définitivement en l’absence d’argument
en faveur d’une cause non médicamenteuse.
Conclusion
Ces éléments pratiques d’optimisation représentent
un outil pour le clinicien dans la prise en charge du
traitement par crizotinib chez le patient atteint d’un
cancer bronchopulmonaire porteur d’un réarrangement d’ALK, dans l’attente de données issues de la
recherche académique spécifiques reposant sur le
suivi de larges cohortes de patients traités à long
terme par crizotinib.
■
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