Pourquoi réformer le budget: Les vertus oubliées de l’intervention de l’Etat. Par Professeur Moustapha KASSE Nous allons bientôt retrouver le débat budgétaire au niveau du Parlement. Quoi de plus normal puis que « le budget est l’arme des peuples contre l’abus ». Il est aussi l’acte majeur par lequel, le pouvoir législatif contrôle l’activité de l’exécutif. En conséquence, il concerne tout le monde : le citoyen, le producteur, le consommateur, le travailleur. Théoriquement, il peut servir d’accélérateur ou de frein à la croissance de la production et de l’emploi. Toutefois, le marathon budgétaire, important exercice de notre démocratie, prendra cette année encore le même relief malgré les deux événements conjoncturels d’une rare gravité que vient de traverser le pays, en l’occurrence : la sécheresse endémique qui va se traduire par des pertes de production et de recettes et une calamité nationale : «le naufrage du Joola » qui va obliger l’Etat à opérer la réparation des dommages causés. Ces deux phénomènes conjoncturels, ainsi que l’affectation de ressources à des services en crise (école, santé) peuvent conduire à faire varier considérablement les dépenses en cours d’exercice. Cette conjoncture et l’allocation sectorielle des ressources risquent, sans nul doute, d’occulter le débat budgétaire en laissant en rade des questions importantes relatives aux indispensables réformes de cet instrument d’intervention de l’Etat. Structurellement, le budget se présente comme l’ensemble des comptes qui décrivent pour une année civile, toutes les ressources et toutes les charges permanentes de l’Etat. Structurellement, il comporte des lignes, des comptes et des soldes. Dans son agencement actuel, il est possible avant terme de typer toutes les interventions des Honorables Députés et les réponses assez doctes que les Ministres apporteront. Ainsi, les Augustes Députés de l’Opposition vont tirer à boulets rouges sur l’énormité supposée du déficit budgétaire, sur la maigreur des ressources affectées è tel ou tel secteur jugé prioritaire, si ce ne sont les faibles fonds alloués aux secteurs en détresse. Sans doute, il sera énoncé avec éloquence cette fausse certitude selon laquelle un déficit budgétaire révèle une mauvaise gestion tandis qu’un excédent est le signe d’une bonne maîtrise économique et financière (compétitivité). A quoi le ministre répondra sous un ton assuré que le déficit est soutenable. Alors on passe aux questions de répartition du gâteau et chacun tente de tirer les plus gros morceaux de son côté : un hôpital par-ci, une école par-là, si ce n’est la route à restaurer ou la piste oubliée. Chaque Honorable Député intervient pour faire un clin d’œil à son électorat donc 1 au marché politique. Re parole au Ministre pour dire que bonne note est prise pour l’année prochaine si les recettes le permettent. En somme, ces affrontements feutrés ou violents au sein de l’auguste Assemblée sont loin de passionner le grand public. La pauvreté du débat ne dépend pas de la compétence des Honorables Députés mais de l’extrême faiblesse du cadre et des procédures budgétaires qui sont demeurés figés et soutendus par une logique comptable élémentaire: recettes d’un côté et dépenses de l’autre équilibrées par un déficit ou un excédent (soldes). Une telle structure fait sourire les macro-économistes et les comptables nationaux qui considèrent que la fiscalité est dans la dépendance de l’économie : elle doit l’accompagner, l’infléchir mais jamais la contrarier. Pour reprendre Mouhamadou TOURE «la fiscalité est un remarquable instrument de progrès économique et social mais, elle peut être parfois aussi un facteur de blocage et de conservatisme». Une politique budgétaire respectueuse des principes de bonne gouvernance économique doit toujours concilier un double impératif d’une part celui d’assurer l’égalité des citoyens devant l’impôt (équité fiscale) et la correction des inégalités tant sur le plan individuel que régional et d’autre part celui de relancer la croissance par une allocation plus productive des ressources financières mobilisées. C’est dire que la fiscalité ne peut se concevoir indépendamment des politiques économiques et sociales. En effet un bon impôt suppose de pouvoir saisir correctement la matière imposable : production, revenu, dépense, patrimoine. La matière doit être abondante si l’on veut éviter des taux excessifs alors que l’appareil administratif doit être suffisamment performant pour éliminer les fraudes et les injustices. Quelle fiscalité aujourd’hui ou encore quels sont les axes d’une fiscalité au service de la croissance, de l’emploi et de la stabilisation économique et sociale ? Au-delà de l’analyse quantitative, il est important de débattre du remodelage du budget pour mettre la mobilisation et l’allocation des ressources en phase avec les priorités économiques et sociales. Pour cela, il faut sortir du conservatisme et commencer par réformer le contenu puis le cadre. I) Pourquoi réformer les impôts ? Nul n’aime payer des impôts et pourtant chacun souhaite disposer du maximum de biens et services publics : une bonne Ecole, des infrastructures de qualité, des villes plus propres, une sécurité assurée pour tous. Comment est-il possible alors d’avoir moins d’impôts et plus de dépenses sans laisser filer les déficits ? Cette problématique soulève trois questions d’importance qui devraient secouer à la fois les techniciens des finances publiques et les Honorables Députés : Quel est l’état actuel des prélèvements obligatoires? Existe-il un niveau optimal ? Pourquoi et Comment réformer le dispositif fiscal ? 2 Au niveau des prélèvements obligatoires, les grandes questions sont de trois ordres : le rendement, l’efficacité et l’équité. 1°) Le premier problème est de savoir comment accroître les recettes sans alourdir la pression fiscale : le rééquilibrage de la fiscalité L’analyse factuelle des budgets successifs montre d’une part qu’ils restent toujours déficitaires alors que d’autre part les ressources mobilisées sont non optimales et fort éloignées du niveau potentiel que peut offrir la masse imposable. Comment accroître les recettes pour faire face aux besoins de l’Etat même s’ils sont rarement évalués de manière explicite. Quel niveau de dépenses publiques permet d’organiser les conditions de mise en valeur optimale du capital, de construire les infrastructures matérielles et sociales, d’assurer la sécurité, de répondre aux besoins de santé et de formation des ressources humaines. L’impôt retrouve sa fonction originelle : procurer des ressources aux pouvoirs publics. Seulement, la pression fiscale sénégalaise est trop forte si bien qu’une nouvelle élévation des taux risque de rapporter un montant inférieur selon la courbe de LAFFER symbolisée par la formule «trop d’impôt tue l’impôt». Alors comment accroître les recettes sans alourdir la pression sur l’économie. La réponse est à chercher dans la réforme de l’assiette fiscale par fiscalisation de certains secteurs comme l’informel qui fournit plus de 50% du PIB. Tout le monde a démissionné face à la difficulté de l’entreprise. Il faut ajouter à cela les revenus fonciers et d’autres encore. 2°) Le deuxième problème concerne l’efficacité Le problème de l’efficacité consiste à l’instauration d’une base d’imposition qui augmente parallèlement aux dépenses et non au PIB. La croissance des dépenses quelles qu’en soient les raisons devrait être couverte par des recettes provenant d’un certain nombre d’instruments assis sur une base assez large à telle enseigne qu’il suffira de modifier les taux pour ramener les recettes au niveau voulu. C’est dans cette optique que Vito TANZIi énonce les fameux critères d’efficacité d’un système fiscal: présence d’un indice de concentration élevé qui montre que l’on peut collecter une grande part des recettes à partir d’un petit nombre d’impôts, présence d’un indice d’érosion faible, autorisation de brefs retards dans le recouvrement, prévoir des pénalités sévères pour les fraudeurs et éviter les prélèvements spécifiques. 3°) Le troisième problème est relatif à l’équité Il est vrai que les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI sont défavorables à toute velléité redistibutive. Pour la Banque mondiale affirme dans un rapport que « dans la pratique, l’impôt ne semble guère être un moyen de modifier la répartition générale des revenus. Leur rôle, au plan de l’équité, est qu’il fournisse les recettes nécessaires pour payer les dépenses redistributives, en particulier en vue d’améliorer la condition 3 des pauvres ». Sans entrer dans un débat aux relents idéologiques, ce point de vue peut être acceptable, à condition de le mettre en œuvre au plan technique. Résoudre ces trois problèmes exige de disposer d’un système fiable et complet d’informations sur l’ensemble de l’économie nationale en matière de production, de dépenses et de répartition de revenus et d’un cadre comptable d’enregistrement et de traitement des données. Dès lors, il devient possible de remodeler le budget d’offrir une rationalisation des choix budgétaires avec des critères plus rigoureux et plus efficaces d’allocation des ressources. II) Les moyens de réalisation de la réforme Le problème des moyens pose la question fondamentale des rapports entre les différents impôts dans le système fiscal : impôts directs, impôts indirects. En instituant la TVA, les impôts indirects ont pris une nette prééminence ce qui soulève beaucoup d’interrogations relatives entres autres à ses incidences sur l’économie et sur les agents. 1°) A-t-on bien évalué le dispositif dominé par les impôts indirects ? Peut-on réintroduire les exonérations sur les produits de base et instituer des impôts sélectifs comme les accises sur les alcools et tabacs et une taxe sur le luxe et les consommations somptuaires ? Les impôts indirects sont principalement assis d’une part sur la production et la consommation intérieure, et d’autre part sur les droits et taxes et le commerce extérieur. Incontestablement la TVA présente des avantages bien évidents : outre une large assiette, elle n’influence pas les choix des producteurs, ne se cumule pas au cours du processus de production et ne décourage pas la production pour l’exportation. Pourtant elle comporte des inconvénients sur lesquels on ne discute même plus. Ainsi, les impôts indirects peuvent parfaitement grever les coûts et handicaper la compétitivité sur les marchés extérieurs et décourager conséquemment la production locale. En conséquence, des considérations d’équité pourraient être soulevées à travers l’exonération des produite de base et l’institution d’impôts sélectifs comme les accises sur les alcools et les tabacs ou une taxe de luxe sur les bijoux importés, les voitures de très grosses cylindrées et les consommations somptuaires. 2°) Faut-il ou non abaisser la pression fiscale ? Deux pistes peuvent être explorées : d’abord l’abaissement de l’impôt sur les revenus et ensuite la réduction de celui sur les sociétés. Sur le premier point, il est largement établi que l’impôt sur le revenu est difficile à administrer, faiblement pourvoyeur de recettes et inefficaces sur le plan de la redistribution. Il doit être réformé et sans grande incidence. Egalement l’impôt sur les sociétés est élevé en conséquence de quoi très peu d’entreprises s’en acquittent ce qui accroît à la fois la pression fiscale et conséquemment l’évasion fiscale. 4 3°) Comment rationaliser et élargir l’assiette fiscale ? Il existe des gisements importants d’impôts à exploiter. Nous n’avons pas jeté un bon regard sur le système productif pour exploiter les déceler. Le principal outil statistique utilisé notamment le TOFE (Tableau des Opérations Financières de l’Etat) ne peut fournir ces informations. Construit selon les instructions du FMI (1987) par la Direction de la Prévision, il regroupe l’ensemble des transactions de l’administration publique avec le reste de l’économie. Ce qu’il faut pour bien connaître l’assiette fiscale c’est une comptabilité nationale bouclée et adaptée. Cela suppose un découpage de l’économie nationale selon des critères comme national/étranger, public/privé, moderne/informel, de faire apparaître le contenu en importations de la Demande finale. Tout ceci ne peut être réalisé qu’à partir d’un TES (Tableau Economique d’Ensemble) permettant de construire un compte économique consolidé de l’ensemble du secteur public pour évaluer l’emprise de l’Etat sur l’économie. Pour y arriver, il faut réhabiliter le Service National de la Statistique et décloisonner les administrations pour une confrontation des techniciens des différents ministères techniques. III) Débattre sur les décisions en matière de dépenses publiques. La question centrale sur laquelle les débats sont souvent bâclés concerne les décisions politiques en matière de dépenses publiques. Les réformes introduites par l’ajustement structurel mettent l’accent sur la réduction drastique des dépenses de personnel, de la masse salariale des fonctionnaires et un contrôle plus strict des dépenses de fonctionnement. Cependant toutes ces restrictions ont des répercussions directes d’une part sur l’efficacité des services publics et d’autre part sur la croissance économique. Par ailleurs, nombreux sont les besoins collectifs dont l’utilité et l’urgence ne font aucun doute comme l’école, la santé, l’accès aux autres services de base, la sécurité, les nouvelles technologies. Est-il raisonnable, dans ces conditions de donner la priorité à la seule réduction des dépenses ? Malheureusement le débat est conduit à l’échelle des lieux communs selon lesquels la politique budgétaire consiste à contenir certaines dépenses et améliorer l’efficacité de l’administration fiscale. Au demeurant, les marges de manœuvre dont dispose l’Etat en matière de politique budgétaire sont limitées par l’appartenance à la Zone franc qui génère des contraintes comme la fixité du régime de change, la politique monétaire restrictive. A ces contraintes vient s’ajouter une autre liée notamment aux critères de convergence de l’UEMOA qui fixent des normes comme le maintien du déficit à un certain pourcentage du PIB. Toutes ces limites techniques peuvent et doivent être corrigées afin que le budget constitue un des principaux instruments de réalisation de la politique économique car les finances publiques influencent le déficit de la balance des 5 opérations courantes, l’évolution de la dette publique interne et externe, le taux d’inflation et l’activité économique globale notamment la croissance économique par le triple biais de la consommation, de l’épargne et des investissements. Une première conclusion s’impose avant l’analyse factuelle du budget 2003. L’importance de ces enjeux budgétaires doit être perçue par la classe politique qui devrait dépasser les débats stériles pour s’attaquer aux questions de fonds. Il est vrai que la procédure budgétaire actuelle n’est pas sans mérite. Le moindre est qu’elle assure une discussion et un vote rapide en obligeant le Parlement à se prononcer dans des délais raisonnables. En plus, elle permet de ne point s’éterniser sur les discussions pour passer à la décision. Malgré ces indéniables qualités, celles-ci ne suffisent pas à faire du budget un bon instrument de décision. Le levier fiscal a été actionné de manière appréciable et conséquente dans la politique de stabilisation et d’ajustement. Il reste à réaliser une seconde réforme dans un cadre plus stratégique pour s’inscrire dans un projet à long terme de restructuration de l’économie et des finances. Les incertitudes et les risques découlant des turbulences de l’ordre économique et social interne comme externe rendent nécessaires une refonte profonde du cadre et des procédures budgétaires. La finalité sera de disposer d’un nouvel instrument qui puisse réguler les fluctuations conjoncturelles, servir de support à l’économie et suivre l’exécution macroéconomique de la stratégie de développement. Ce dernier point sera appelé à prendre une importance considérable au démarrage des grands travaux du Président de la République (Projets du NEPAD, Aménagements infrastructurels. Nouvel aéroport, Université du Futur Africain…). Pour cela, il importe de savoir comment l’analyse économique appréhende les ajustements budgétaires et leurs effets. L’approche keynésienne des finances publiques (R.A. Musgrave) est une référence pour répondre à cette question. En effet, l’augmentation de la dépense met en jeu le mécanisme du multiplicateur qui, amplifiant la variation positive de la demande globale initiale entraîne un effet expansif, c’est-à-dire une variation de même sens et d’importance plus grande du produit global. A l’inverse la réduction des dépenses produit un effet multiplicateur à la baisse qui amplifie la variation négative de la demande globale et entraîne un effet récessif. Il existe d’autres références ( LFFER et autres). Seulement, cette lecture keynésienne simple a déjà permis à certains hommes politiques d’alerter l’opinion publique sur les risques de récession par suite des ajustements de réduction des dépenses budgétaires et des investissements. 6