Épidémiologie, histoire naturelle et anatomopathologie Epidemiology, natural history and anatomical pathology

dossier thématique
Voies excrétrices
urinaires supérieures
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2013
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Épidémiologie, histoire naturelle
et anatomopathologie
Epidemiology, natural history and anatomical pathology
T.P. Ghoneim1, M. Rouprêt2, P. Colin3, P. Camparo4
1 Service d’urologie et
detransplantation rénale,
hôpital Foch, Suresnes.
2 Service universitaire
d’urologie, hôpital de la
Pitié-Salpêtrière,
et université Paris-VI,
Paris.
3 Service universitaire
d’urologie, CHRU de Lille,
et université Lille Nord
deFrance.
4 Centre de pathologie,
Amiens.
Points forts
highlights
»Tumeur rare dont les facteurs de risque diff èrent un peu de
ceux du cancer de la vessie.
»
Penser à un syndrome de Lynch lorsque le patient âgé de
moins de 60 ans a un antécédent personnel et/ou familial
de cancer lié à l’HNPCC.
»
Les localisations urétérales sont plus rares et de stade plus
avancé que les localisations pyélocalicielles, mais la multifocalité
est fréquente.
»
Le carcinome urothélial est le type histologique le plus fréquent.
Mots-clés : Voies excrétrices urinaires supérieures − Carcinome
urothélial − HNPCC − Acide aristolochique.
Rare tumour with risk factors which can slightly differ from
bladder cancer.
Lynch syndrome should be screened for when the patient is under
60 years old and has a personnal or family history of HNPCC
related cancer.
Ureteral localisation is less frequent than the renal pelvis
localisation, and ureteral stage is usually more advanced. But
multifocality is frequent.
Transitionnal cell carcinoma is the most frequent pathological type.
Keywords: Upper urinary tract − Transitionnal cell carcinoma −
HNPCC − Aristolochic acid.
L
es tumeurs des voies excrétrices urinaires supé-
rieures (TVEUS) sont rares. Elles représentent 5 à
10 % des carcinomes urothéliaux. On estime à 7 200
le nombre de nouveaux cas de tumeurs de l’uretère ou des
cavités pyélocalicielles chaque année dans l’Union euro-
péenne (1, 2). Toutefois, l’incidence précise des tumeurs
pyélocalicielles est probablement sous-estimée, car ces
dernières sont souvent incluses dans les séries de tumeurs
rénales selon les études (2, 3).
Lâge moyen au diagnostic d’une TVEUS est d’environ
70 ans, et l’incidence augmente avec lâge (4). Comme
pour le cancer de la vessie, les hommes sont plus fré-
quemment atteints, même si le sex-ratio est plus impor-
tant pour le cancer de la vessie que pour les TVEUS
(3:1 [homme-femme] et 2:1, respectivement). Ces
discordances refl ètent probablement les diff érences
d’exposition aux carcinogènes (5).
Facteurs de risque
Tabac et exposition professionnelle
Linhalation de la fumée du tabac multiplie le risque
relatif (RR) de développer une TVEUS par 2,5 à 7 par
rapport à la population générale. Le nombre de ciga-
rettes par jour et le nombre dannées de tabagisme font
varier ce risque. De nombreux carcinogènes (amines
aromatiques, benzopyrène, diméthylbenzanthracène)
sont contenus dans la fumée du tabac (6). Certaines
industries (teintures, textiles, caoutchouc, pétrochimie,
charbon, coke, goudron) produisent des carcinogènes
chimiques (amines aromatiques, hydrocarbures aroma-
tiques polycycliques, composants organochlorés). Une
durée d’exposition moyenne de 7 ans est nécessaire
pour développer une TVEUS, et l’intervalle entre la fi n
de l’exposition et l’apparition de la TVEUS peut aller
jusqu’à 20 ans.
Néphropathie due à l’acide aristolochique
La présence d’acide aristolochique dans certaines
herbes (Aristolochia fangchi ou Aristolochia clematitis),
utilisées en médecine chinoise et qui poussent égale-
ment dans les Balkans, explique :
la néphropathie due aux herbes chinoises (7, 8) :
il s’agit de lésions tubulaires proximales, avec fi brose
rénale interstitielle, progression lente vers l’insuffi sance
rénale et prévalence élevée de TVEUS ; environ la moitié
des patients atteints développent une tumeur uro-
théliale, qui deviendra dans 90 % des cas une TVEUS ;
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Épidémiologie, histoire naturelle et anatomopathologie
la néphropathie endémique des Balkans (9), par
le biais des farines de blé : les TVEUS y ont une inci-
dence 60 à 100 fois plus élevée que dans le reste du
monde ; cette incidence diminue grâce aux change-
ments technologiques des méthodes de production
de la farine (10, 11).
Maladie du pied noir
Le sud-ouest et le nord-est de Taïwan sont d’autres
régions où la TVEUS est endémique (12, 13). La maladie
du pied noir (blackfoot disease) est une vascularite
causée par l’exposition chronique à l’arsenic présent
dans l’eau des puits artésiens. Un lien entre les TVEUS et
la maladie du pied noir est supposé. Cependant, la pol-
lution par l’arsenic nest pas présente dans le nord-est du
pays, et, souvent, les patients qui présentent une TVEUS
dans le sud-ouest de Taïwan n’ont pas la maladie du
pied noir. Le rôle de larsenic dans la carcinogenèse des
TVEUS nest probablement pas suffi sant pour expliquer
l’incidence plus élevée dans cette île.
Médical
Pendant 40 ans, la phénacétine a été largement utilisée
comme antalgique, mais elle a été abandonnée dans les
années 1980 lorsque son potentiel carcinogène a été
démontré (14). Dans de grandes études cas-témoins, le
risque de TVEUS chez les patients exposés à la phéna-
cétine était 12,2 fois (6,8 à 22,2) plus élevé que pour la
population générale (15). Le délai moyen d’apparition
de la TVEUS après l’exposition est de 22 ans. Lincidence
des TVEUS liées à la phénacétine diminue. Lexposition
chronique à certains agents alkylants (cyclophospha-
mide, ifosfamide) et à certains laxatifs semble impli-
quée dans l’apparition des TVEUS, bien que ces liens
potentiels n’aient été signalés que par de petites études.
Infl ammation chronique
et autres facteurs endogènes
Les infections urinaires chroniques sont peut-être
impliquées dans la carcinogenèse des TVEUS (12). Le
risque relatif par rapport à la population générale est
de 1,5 à 2. Par le biais de linfection chronique, la pré-
sence de calculs dans les voies excrétrices urinaires peut
favoriser la prolifération cancéreuse. L’hypertension
artérielle représente peut-être aussi un risque de TVEUS
– le mécanisme nest pas clair – avec un risque relatif
de 1,3.
Prédispositions génétiques
La prédisposition au cancer colorectal héréditaire sans
polypose (Hereditary Non Polyposis Colorectal Cancer
[HNPCC]), ou syndrome de Lynch, est la prédisposition
mono génique au cancer colorectal la plus fréquente,
et implique en outre un risque élevé de développer
un cancer de l’endomètre, de l’ovaire, de l’intestin
grêle, de lestomac, un cancer hépatobiliaire, de la
peau, du cerveau ou de l’appareil urogénital, surtout
des TVEUS (16, 17). En cas de suspicion d’un cancer
héréditaire (notamment si le patient est jeune), plu-
sieurs tests sont recommandés : analyse des instabilités
microsatellites, immunohistochimie et séquencement
de l’ADN à la recherche d’hMLH1 et d’hMSH2. Un outil
prédictif pour tenter d’identifi er les patients pouvant
présenter un HNPCC a été proposé ; il se fonde sur
des critères cliniques : âge au diagnostic, sexe, anam-
nèse personnelle et familiale d’autres cancers liés à
l’HNPCC (18).
Antécédent de cancer de la vessie
Une récidive dans le haut appareil après un cancer de
la vessie est rare (2 à 5 % des cas) [19]. Elle survient le
plus souvent dans les 3 ans qui suivent la cystectomie
radicale. Plusieurs facteurs de risque ont été identi-
és tels que la présence d’un carcinome in situ dans
la vessie, des antécédents de récidives vésicales et
une cystectomie pour cancer non infi ltrant mais avec
envahissement de l’uretère distal sur la pièce anatomo-
pathologique (19).
Histoire naturelle
Carcinogenèse
Les TVEUS apparaissent après des altérations géné-
tiques ou épigénétiques (20-22). Ces altérations modi-
ent l’expression de gènes suppresseurs de tumeur
ou d’oncogènes induisant la carcinogenèse. Les onco-
gènes les plus connus sont FGFR3 (Fibroblast Growth
Factor Receptor 3) − dont l’inactivation est peut-être
liée à un pronostic plus favorable (23) −, et le récepteur
et le ligand EGF (Epidermal Growth Factor) − dont la
surexpression, présente dans 10 à 55 % des TVEUS, est
peut-être associée à des stades et à des grades plus
avancés. Les gènes suppresseurs de tumeur codent
pour des protéines impliquées dans l’inhibition de la
croissance cellulaire, dans la protection de l’intégrité
génomique ou des interactions cellulaires (24, 25) : p53
(qui favorise l’apoptose des cellules dont les altérations
d’ADN ne sont pas réparables), RB1 et CDH1 sont les
plus connus. Les mutations épigénétiques telles que
les méthylations des îlots CpG (cytosine-phosphate-
guanine) favorisent l’inactivation de certains gènes
suppresseurs de tumeur (21, 22). Linstabilité génomique
est révélée par l’instabilité microsatellitaire (MSI), elle-
même défi nie par l’expansion ou la délétion de 1 ou
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Voies excrétrices
urinaires supérieures
Figure 1. Aspects macroscopiques de tumeurs urothéliales pyélocalicielles.
A
B
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de 2 motifs de répétition de nucléotides. Elle est liée à
la mutation d’un gène de mismatch repair (réparation
des mésappariements de l’ADN) et est dépistée par
PCR sur l’ADN de tissus normaux ou cancéreux. Les
MSI sont présentes dans presque toutes les TVEUS de
HNPCC et dans 25 % des tumeurs sporadiques (26, 27).
Localisation tumorale et multifocalité
Les tumeurs pyélocalicielles (fi gure 1) sont plus fré-
quentes que les lésions urétérales (fi gure 2). Au sein de
l’uretère, les localisations distales sont plus fréquentes.
Cependant, la TVEUS est une pathologie panurothéliale
sujette à la multifocalité (20 % des cas) et à la bilatéralité
(1,6 à 3,1 % des cas). La multifocalité augmente avec
certains facteurs de risque (phénacétine, maladie du
pied noir, néphropathie due à l’acide aristolochique,
récidives multiples de tumeurs de la vessie). Deux
théories permettent d’expliquer la multifocalité : leff et
de champ (fi eld eff ect) des carcinogènes sur les cel-
lules urothéliales, résultant en une oligoclonalité des
lésions, et la théorie de l’essaimage (seed theory) avec
l’expansion intraluminale ou intra-épithéliale d’une
seule cellule monoclonale. Certaines études molé-
culaires suggèrent que la plupart des tumeurs (70 à
80 %) sont plutôt monoclonales (21, 28). L’association
d’une TVEUS et d’un cancer de la vessie est bien décrite :
dans 17 % des cas, un cancer de la vessie est observé.
La récidive vésicale d’une TVEUS survient chez 22 à
47 % des patients (29-31). Le site le plus fréquent de
récidive est le méat urétéral ipsilatéral. Elle survient
le plus souvent dans les 2 ans qui suivent la prise en
charge de la TVEUS, mais, à ce jour, seule la multifocalité
des lésions du haut appareil a été identifi ée comme un
facteur de risque (32).
Extension locale, régionale, lymphatique
et métastatique
La couche musculaire entourant l’urothélium, barrière à
l’extension tumorale, est plus fi ne dans les voies excré-
trices supérieures que dans la vessie. Les tumeurs infi l-
trantes y sont donc plus fréquentes (20, 22). De la même
façon, les lésions de l’uretère sont souvent observées
à un stade plus élevé que celles des cavités pyélocali-
cielles. Le drainage lymphatique de la voie excrétrice
supérieure dépend de la localisation, du grade et du
stade de la tumeur :
cavités pyélocalicielles par les ganglions hilaires, puis
para- et rétrocaves à droite et para-aortiques à gauche ;
les ganglions para- et rétrocaves à droite et para-
aortiques à gauche drainent les cavités pyélocalicielles
ainsi que l’uretère proximal ;
les ganglions pelviens drainent l’uretère distal.
Lextension progresse ensuite vers le canal thora cique,
le médiastin et les ganglions supra-clavi culaires. Les
sites les plus fréquents de métastases distales sont les
os (32 %), les poumons (25 %) et le foie (24 %) [33, 34].
Le grade tumoral, le stade et la présence d’un envahis-
sement lymphovasculaire semblent être les facteurs les
plus prédictifs d’une dissémination métastatique (35).
Anatomopathologie
Les carcinomes urothéliaux représentent la grande
majorité (95 %) des TVEUS. Leur croissance est simi-
laire à celle des carcinomes urothéliaux de la vessie
Figure 2. Aspect macroscopique d’une tumeur urothéliale à développement diverticulaire obstruant la
quasi-totalité de la lumière urétérale.
Figure 3. Tumeur
urothéliale papillaire.
Figure 4.
CIS pagétoïde.
Tableau. Classifi cation TNM (2009) des tumeurs des voies excrétrices
urinaires supérieures.
T – Tumeur primitive
Tx : tumeur primitive non évaluable
T0 : tumeur non retrouvée
Ta : carcinome papillaire non invasif
Tis : carcinome in situ
T1 : tumeur envahissant le chorion
T2 : tumeur envahissant la musculeuse
T3
Bassinet et calices : tumeur dépassant la musculeuse
envahissant la graisse péripyélique ou le parenchyme rénal
Uretère : tumeur dépassant la musculeuse envahissant
lagraisse périurétérale
T4 : tumeur envahissant les organes de voisinage ou la graisse
périrénale à travers le rein
N – Ganglions lymphatiques régionaux
Nx : ganglions non évaluables
N0 : absence de métastase ganglionnaire régionale
N1 : métastase ganglionnaire unique < 2cm
N2 : métastase ganglionnaire unique de2 à5cm
oumétastases ganglionnaires multiples
N3 : métastase(s) ganglionnaire(s) > 5cm
M – Métastases à distance
M0 : absence de métastase à distance
M1 : métastase(s) à distance
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et, ainsi, la plupart (> 85 %) sont des lésions exophy-
tiques (figure 3) plutôt que des lésions planes de
carcinome in situ (fi gure 4) [36, 37]. Les autres types
histologiques sont le carcinome épidermoïde (0,7 à
7 % des TVEUS, il s’agit en général de lésions uniques
au sein des cavités pyélo calicielles et associées à une
infection chronique ou à un calcul), de pronostic défa-
vorable, l’adéno carcinome (< 1 % des TVEUS, 3 types
sont décrits : tubulovilleux, mucineux et papillaire non
intestinal) et les carcinomes neuroendocrines (< 0,5 %
des TVEUS, comprenant les cancers à petites cellules et
à grandes cellules et les lésions carcinoïdes). Ce dernier
type est souvent associé à une composante urothéliale.
Beaucoup plus rares sont les tumeurs bénignes telles
que le polype fi broépithélial ou le neurofi brome et les
sarcomes (léiomyosarcome, rhabdomyosarcome, angio-
sarcome, etc.). Le grade des carcinomes urothéliaux
est établi, comme pour le cancer de la vessie, selon les
systèmes de 1973 et de 2004 de l’OMS (36, 37). La stadi-
cation se fait selon la classifi cation TNM (Tumour, Node,
Metastasis) [tableau] (38). Cela correspond au système
utilisé pour le cancer de la vessie. Il a été proposé que
les cancers T3 des cavités pyélocalicielles soient séparés
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L’auteur déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
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en pT3a pour une infi ltration microscopique du paren-
chyme rénal (< 5 mm) et en pT3b pour une infi ltration
macroscopique du parenchyme rénal ou de la graisse
sinusale. C. Langner et al. ont montré que les patients
souff rant de cancers pT3a et pT3b ont des pronostics
similaires à ceux des patients souff rant de cancers pT2
et pT4, respectivement (39). Une corrélation entre le
stade et le grade a été démontrée, chacune de ces
caractéristiques évoluant dans le même sens.
Conclusion
Les TVEUS sont des cancers rares dont les facteurs
de risque sont très similaires à ceux des tumeurs de
la vessie. Les types histologiques sont aussi à rap-
procher des lésions vésicales. Il ne faut pas négliger
leur histoire naturelle, en raison des variations dues à
diff érents facteurs, notamment la localisation tumo-
rale.
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