MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 5 - septembre-octobre 2005
L
es taxanes représentent la dernière grande classe de
médicaments cytotoxiques introduite dans la pratique
clinique. Les premiers essais de phase I du paclitaxel
avaient commencé dans les années 1960, mais leur développe-
ment avait été interrompu en raison de toxicités de type aller-
gique en rapport avec le solvant. Repris vers la fin des années
1980, le paclitaxel et le docétaxel semblent aujourd’hui les cyto-
toxiques majeurs dans la plupart des domaines thérapeutiques en
oncologie. Une place essentielle leur est reconnue dans les trai-
tements médicaux des carcinomes du sein, de l’ovaire et de
l’endomètre ; ils ont ouvert le champ dans les cancers prosta-
tiques, pulmonaires et ORL.
Parallèlement, la connaissance biologique des mécanismes de
régulation du métabolisme cellulaire se complète et permet des
approches thérapeutiques beaucoup plus spécifiques, générale-
ment potentialisées par l’application simultanée de chimiothéra-
pie conventionnelle. Encore relativement restreint, le champ
d’application des thérapeutiques ciblées s’élargit à de nombreuses
localisations cancéreuses. Ces développements nous interrogent
sur la place respective des taxanes et de ces thérapies dans
les stratégies médicales en oncologie, et sur le rationnel de leurs
possibles interactions.
Après un bref rappel de la pharmacologie générale des taxanes,
ces deuxièmes “Entretiens du DOM” ont tenté de faire le point
sur :
– la place des taxanes dans le cancer du sein ;
– les apports de la biologie tumorale dans la rationalisation des
indications des taxanes ;
– le bilan des thérapeutiques moléculaires ciblées ;
– les résultats obtenus avec les taxanes dans le traitement médi-
cal du cancer de la prostate au stade d’échappement hormonal.
PHARMACOLOGIE GÉNÉRALE
Les microtubules sont des cylindres de 13 protofilaments com-
posés d’hétérodimères de tubuline α et ß (1). Les microtubules
jouant un rôle primordial dans le processus de la mitose, ils ont
été précocement impliqués comme cible de divers “antimito-
tiques” dénommés poisons du fuseau. Indépendamment de leur
interaction spécifique avec la cible, ces produits ont en commun
de désorganiser la formation du fuseau et la migration des chro-
mosomes de la plaque équatoriale vers chacun des deux pôles
cellulaires. L’histoire des taxanes remonte à 1963, date à laquelle,
pour la première fois, est observée l’activité cytotoxique d’un
extrait d’écorce de l’if de Californie (Taxus brevifolia) sur des
systèmes tumoraux précliniques. En 1979, P.B. Schiff et al. (2)
démontrent que le paclitaxel, isolé de l’extrait, stimule la poly-
mérisation des microtubules, contrairement aux vinca-alcaloïdes
qui induisent une dépolymérisation des microtubules. Les taxanes
induisent en fait une interférence avec la dynamique permanente
des microtubules, empêchant la mitose et bloquant par ce biais
le processus de division cellulaire.
L’action des taxanes étant phase-dépendante (phase G2M du
cycle cellulaire), on pouvait s’attendre à ce que la durée de per-
fusion soit un élément clé de l’efficacité de cette classe de cyto-
toxiques. Des études ont été réalisées pour le docétaxel avec des
perfusions allant de 1 h à 96 h. Aucune différence en termes
d’efficacité n’a été démontrée. Le schéma d’administration en
perfusion courte a donc logiquement été adopté pour le docétaxel.
En revanche, cela n’est probablement pas vrai pour le paclitaxel,
dont la pharmacocinétique n’est pas linéaire. Ces résultats indi-
quent l’existence probable d’autres mécanismes d’action que
l’interaction avec la tubuline, parmi lesquels la production de radi-
caux libres ou la survenue d’une toxicité endothéliale.
Se posait alors la question de la modalité optimale d’administra-
tion. Les principaux schémas étudiés pour le docétaxel ont été
les schémas hebdomadaires et les injections toutes les 3 semaines.
S.D. Baker et al. (3) avaient montré qu’il persistait des concen-
trations actives de docétaxel à J8. En deuxième ligne métasta-
tique dans les cancers du poumon non à petites cellules, les sché-
mas d’administration hebdomadaire et toutes les 3 semaines n’ont
pas montré de différence statistiquement significative en termes
d’efficacité, mais on notait une toxicité hématologique plus éle-
vée dans le schéma toutes les 3 semaines, et une toxicité non
hématologique plus élevée dans le schéma hebdomadaire (4, 5).
Des résultats similaires ont été mis en évidence dans le cancer du
L’ère des taxanes
The taxanes era
C. Le Tourneau*, P. Pouillart*
D’après les deuxièmes Entretiens du département d’oncologie médicale (DOM) de l’Institut Curie.
Orateurs : J. Alexandre, F. Goldwasser (Hôpital Cochin, Paris), G. Baldacci, P. Beuzeboc, V. Diéras, J.Y. Pierga, J.P. Thiery
(Institut Curie, Paris), P. Cottu (Hôpital Diaconèses), S. Delaloge (Institut Gustave-Roussy, Villejuif), J. Gligorov (Hôpital Tenon, Paris)
et J.P. Spano (Hôpital Salpêtrière, Paris).
* Institut Curie, Paris.
sein métastatique (6). En revanche, I.F. Tannock et al. (7) n’ont
pas retrouvé la même efficacité avec le docétaxel hebdomadaire
par rapport au docétaxel toutes les 3 semaines chez les patients
ayant un cancer de la prostate métastatique. En pratique, le schéma
d’administration toutes les 3 semaines du docétaxel est privilégié
par rapport au schéma d’administration hebdomadaire, ce dernier
étant réservé aux patients à risque élevé de toxicité hématologique.
Parmi les facteurs clés de l’efficacité du docétaxel, on retrou-
vait l’aire sous la courbe et le degré d’activité du cytochrome
p450 (8). Dans une étude portant sur 58 patients traités par docé-
taxel pour un cancer solide métastatique, J. Alexandre et al.
(ASCO 2005, abstract 2046) ont retrouvé comme facteurs pré-
dictifs de neutropénie fébrile après un cycle de chimiothérapie,
en analyse univariée, la localisation pulmonaire (versus les autres
localisations), la lymphopénie, l’aire sous la courbe et l’activité
du cytochrome p450. En analyse multivariée, seules la lympho-
pénie et l’aire sous la courbe étaient des facteurs prédictifs sta-
tistiquement indépendants de la survenue d’une neutropénie
fébrile. L’aire sous la courbe est elle-même influencée par l’aug-
mentation des transaminases (> 1,5 N), des phosphatases alca-
lines (> 2,5 N) et du cytochrome p450, qui s’accompagne d’une
diminution de la clairance du docétaxel. Cela confirme l’intérêt
du test au midazolam pour adapter les doses de docétaxel à l’acti-
vité du cytochrome p450 (9).
De nombreux mécanismes de résistance au docétaxel ont déjà
été mis en évidence, incluant les mutations de la tubuline, la
résistance MDR, une diminution de l’apoptose, des altérations
de la signalisation cellulaire, une diminution de l’expression de
la p27, une diminution de l’affinité du docétaxel au site de liai-
son ou encore le rôle de mTOR et de PTEN.
Une des spécificités des poisons du fuseau est l’absence de
résistance croisée entre les vinca-alcaloïdes et les taxanes.
L’hypothèse de F. Cabral (10) repose sur l’existence d’un
équilibre entre la tubuline soluble et la tubuline polymérisée.
Une diminution de la tubuline soluble entraînerait une dimi-
nution de la sensibilité aux taxanes, tandis qu’une diminution
de la tubuline polymérisée entraînerait une diminution de la
sensibilité aux vinca-alcaloïdes. Sur différents modèles, il est
observé qu’une injection de vinca-alcaloïdes induit une aug-
mentation de la sensibilité aux taxanes, et inversement. Paral-
lèlement, il existe une sensibilité plus grande aux dérivés de la
pervenche en cas de résistance aux taxanes. Ces constatations
soulèvent la question de l’intérêt d’un éventuel traitement
séquentiel.
La résistance MDR a aussi beaucoup été étudiée. Selon
B.J. Trock (11), elle est induite par le traitement lui-même.
L’intérêt des modulateurs de MDR comme le vérapamil reste
à définir. Cependant, jusqu’à présent, tous les essais anti-MDR
se sont révélés décevants.
Enfin, R. Rouzier et al. (12) ont montré qu’un taux bas de
protéine τétait un facteur prédictif de réponse histologique
complète après traitement néoadjuvant par taxanes dans
les cancers du sein. La protéine τfavorise en effet la polymé-
risation de la tubuline et stabilise les microtubules. Il serait
intéressant de confirmer cette observation dans des essais
prospectifs.
TAXANES ET CANCER DU SEIN
Les taxanes ont tout d’abord été développés en situation méta-
statique, après échec aux anthracyclines, puis en première ligne
métastatique, en monothérapie ou en association avec les anthra-
cyclines. Leur niveau d’activité important a conduit à les intro-
duire aux stades plus précoces de la maladie.
Situation adjuvante
Les taxanes ont déjà été étudiés dans plusieurs essais de
phase III en situation adjuvante (tableau) (13-16 ; D.A. Yard-
ley, SABCS 2004, abstract 28 ; L. Gianni, ASCO 2005, abs-
tract 513 ; S.E. Jones, ASCO 2003, abstract 59 ; L.J. Gold-
stein, ASCO 2005, abstract 512 ; H. Roche, SABCS 2004,
abstract 27). Bien que globalement hétérogènes en termes
d’objectifs principaux et de populations, l’ensemble de ces
essais montre que l’administration de taxanes en situation adju-
vante chez les patientes N+ améliore significativement le taux
de survie sans progression et le taux de survie globale. Ce
résultat est acquis au prix d’une toxicité hématologique et neu-
rologique importante. Les essais NSABP B30 et BCIRG 005,
en cours, comparent le schéma séquentiel taxane-anthracycline
à l’association des deux, tandis que les essais ECOG 1199 et
CALGB 9741 comparent le paclitaxel au docétaxel et les sché-
mas d’administration hebdomadaire et toutes les 3 semaines.
La question de l’intérêt des taxanes en situation adjuvante chez
les patientes N- reste débattue ; les essais sont en cours.
MISE AU POINT
Tableau. Essai de phase III des taxanes dans les cancers du sein en
situation adjuvante.
Auteur Essai Nombre Schémas Survie
de patientes et
caractéristiques
Mamounas NSABP B28 3 060 N+ 4 AC puis 4 T SSP : S
2005 versus 4 AC SG : NS
Henderson CALGB 9344 3 121 N+ 4 AC puis 4T SSP : S
2003 versus 4 AC SG : S
Buzdar MDACC 524 T1-3 8 FAC versus 4 T SSR : NS
2002 puis 4 FAC SG : NS
Loesch 1830 4 AC puis 4 T SSR : S
2004 versus 4 AT SG : NS
puis 12 T hebdo.
Gianni 2005 ECTO 1 355 4 A puis 4 CMF SSP : S
T > 2 cm versus 4 AT SG : NS
puis 4 CMF
Martin 2005 BCIRG 01 1 491 N+ 6 FAC versus SSP : S
6TAC SG: S
Roché 2004 PACS 01 1 999 6 FEC versus SSR : S
3FEC puis 3 D SG : S
Goldstein ECOG 2197 2 958 0-3 N+ 4 AC versus
2003 4AT
Jones 2003 1016 stade I-III 4 AC versus SSR : NS
4DC SG : NS
A: adriamycine ; C : cyclophosphamide ; D : docétaxel ; E : épirubicine ; F : 5-FU ; M : mitoxantrone ;
T : paclitaxel ; S = significatif ; NS = non significatif.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 5 - septembre-octobre 2005
Situation néoadjuvante
L’essai B18 du NSABP a étudié l’intérêt d’une chimiothérapie
néoadjuvante par 4 cycles de doxorubicine + cyclophosphamide
par rapport au même traitement administré en situation adjuvante
(17). Il n’y a pas eu de différence statistiquement significative
entre les deux bras en termes de survie sans récidive et de survie
globale. En revanche, le traitement néoadjuvant permettait une
augmentation du taux de conservation mammaire (68 % versus
60 %) et un downstagingganglionnaire (40 % versus 60 %). L’ana-
lyse en sous-groupes semblait montrer un avantage en survie
globale pour les femmes jeunes. Ce premier grand essai randomisé
a validé l’approche néoadjuvante en démontrant que, sur les para-
mètres de survie, cette approche n’était pas délétère, qu’il y avait
une augmentation du taux de traitements conservateurs, mais que
surtout l’obtention d’une réponse histologique complète était
corrélée à la survie globale (p = 0,0008). La réponse histologique
complète peut donc être considérée comme un marqueur d’effi-
cacité. L’objectif des essais suivants a donc été d’augmenter le taux
de réponse histologique complète, notamment par l’introduction
des taxanes.
L’essai d’Aberdeen a introduit le docétaxel en situation néoadju-
vante, avec 4 cycles de cyclophosphamide + vincristine + adriam-
cine prednisone CVAP suivis de 4 cycles de docétaxel en cas de
non-réponse et une randomisation entre 4 cycles de CVAP et 4
cycles de docétaxel en cas de réponse (figure 1) (18). En cas de
réponse aux anthracyclines, l’administration de docétaxel amélio-
rait statistiquement le taux de réponse histologique complète et le
taux de traitements conservateurs. Bien qu’il s’agisse d’un essai
avec un faible effectif de patientes, un avantage en survie sans réci-
dive et en survie globale a été démontré.
L’essai B27 du NSABP a comparé un traitement néoadjuvant par
adriamycine + cyclophosphamide (AC) (bras A), un traitement
néoadjuvant par AC puis par docétaxel (bras B) et un traitement
néoadjuvant par AC suivi d’un traitement adjuvant par docétaxel
(bras C) (figure 2) (19). Le taux de conservation mammaire n’était
pas statistiquement différent entre les bras A + C versus B. La sur-
vie sans progression et la survie globale n’étaient pas statistique-
ment différentes entre les bras de traitements. En revanche, la sur-
vie sans récidive était meilleure dans le bras avec docétaxel (B)
que dans le bras sans docétaxel (A). Le taux de réponse histolo-
gique complète était meilleur dans le bras B, et le taux d’envahis-
sement ganglionnaire plus faible. La réponse histologique complète
était associée à une meilleure survie sans récidive et à une meilleure
survie globale. Mais l’absence d’impact sur la survie globale de
l’amélioration du taux de réponse histologique complète est déce-
vante. Cela pourrait-il s’expliquer par une interaction avec un trai-
tement par tamoxifène ? Il est difficile de répondre à cette ques-
tion, puisque, chez 50 % des patientes, le statut des récepteurs
hormonaux n’était pas connu.
Dans plusieurs essais, l’introduction des taxanes entraîne une aug-
mentation du taux de réponse histologique complète. Comme en
situation adjuvante, l’objectif principal actuel est de mieux caracté-
riser les tumeurs susceptibles de répondre à ce traitement. La place
des taxanes existe-t-elle pour un certain sous-groupe de patientes ?
J.C. Chang et al. (20) ont trouvé une signature de 92 gènes corré-
lée à la réponse au docétaxel en situation néoadjuvante chez
24 patientes traitées pour un cancer du sein. De leur côté, J. Han-
nemann et al. (21) ont essayé de voir si les patientes qui recevaient
un schéma AC ou adriamycine + paclitaxel (AT) en situation
néoadjuvante avaient des profils d’expression génique différents.
À partir de seulement 24 patientes dans chaque bras, aucun profil
d’expression génique discriminant n’a été identifié.
Association aux thérapeutiques moléculaires ciblées
Avec l’arrivée des thérapeutiques moléculaires ciblées, les taxanes
ont été étudiés en association avec ces nouveaux médicaments.
M.D. Pegram et al. (22) ont montré qu’il existait un effet additif
du trastuzumab avec les anthracyclines et le paclitaxel, et un effet
synergique avec le carboplatine, le cyclophosphamide, le docé-
taxel et la vinorelbine. Ils ont aussi montré que l’administration
du trastuzumab réversait la résistance au cisplatine. Par ailleurs,
S. Lee et al. (23) ont montré que les patientes ayant une tumeur
surexprimant HER2 avaient une résistance aux taxanes. Mais
s’agit-il vraiment d’une résistance, ou tout simplement du fait
que les schémas “classiques” de chimiothérapie ne sont plus suf-
fisants pour inverser le mauvais pronostic des tumeurs HER2+ ?
De nombreux essais de phase II ont prouvé l’efficacité de l’asso-
ciation du trastuzumab avec les taxanes (24-25). Les essais ran-
domisés en situation métastatique comparant docétaxel seul ver-
sus docétaxel + trastuzumab chez les patientes ayant une tumeur
surexprimant HER2 ont montré un gain statistiquement signifi-
catif en survie globale (26, 27). En situation adjuvante, les résul-
Figure 2.
Schéma d’étude du NSABP B27.
AC x 4
Chirurgie
AC x 4
Chirurgie
Docétaxel x 4
AC x 4
Docétaxel x 4
Randomisation
Chirurgie
CVAP
4 cycles
Docétaxel x 4
Docétaxel x 4
CVAP x 4
Pas de réponse
Réponse
R
a
n
d
o
m
i
s
a
t
i
o
n
Figure 1. Schéma de l’étude Aberdeen.
223
La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 5 - septembre-octobre 2005
tats précoces des essais NSABP B31, NCCTG N9831 et HERA
présentés à l’ASCO cette année ont démontré l’intérêt majeur du
trastuzumab pendant 1 an associé aux taxanes, avec une dimi-
nution d’environ 50 % du taux de rechute. En situation néoadju-
vante, A.U. Buzdar et al. (28)ont retrouvé aussi un intérêt majeur
de l’association, avec un taux de réponse histologique complète
de 65,2 % versus 26,3 %.
Dans tous les traitements adjuvants et néoadjuvants, les sché-
mas thérapeutiques comprenaient des anthracyclines, et le
trastuzumab n’était pas introduit avec les anthracyclines étant
donné sa cardiotoxicité. Or, plus le trastuzumab est admi-
nistré tôt, meilleurs sont les résultats. Il serait donc intéres-
sant d’étudier dans ces situations des schémas sans anthra-
cycline qui permettraient de mettre en route le trastuzumab
le plus rapidement possible. L’essai du BCIRG 006 attendu
à San Antonio devrait répondre à cette question.
Après échec des taxanes, d’autres molécules ont prouvé
leur efficacité, comme la vinorelbine, la capécitabine et la gem-
citabine. D’autres molécules sont actuellement en cours de déve-
loppement, en particulier de nouveaux poisons du fuseau.
Le RPR 109881 est un nouveau taxane dérivé du docétaxel, qui
montre, en préclinique, une absence de résistance croisée et un
passage de la barrière hémato-méningée, avec un profil de tolé-
rance très satisfaisant, notamment une absence de rétention
hydrique et de neuropathie. L’étude de phase II de V. Diéras et
al. (ASCO 2005, abstract 565) retrouvait un taux de réponse de
19,4 % chez les patientes considérées comme résistantes aux
taxanes, et de 41,9 % chez les patientes considérées comme non
résistantes. Un essai de phase III comparant le RPR 109881 à la
capécitabine après échec des taxanes est en cours.
AbraxaneTM AB1007 est une nouvelle formulation sans cremo-
phor du paclitaxel préparée par homogénéisation à haute pres-
sion de paclitaxel en présence d’albumine sérique humaine, abou-
tissant en une suspension colloïdale de nanoparticules (29).
AbraxaneTM a montré des résultats encourageants en première et
deuxième ligne métastatique (J. O’Shaughnhessy, SABCS 2003,
abstract 44), avec un taux de réponse de 33 % et une survie sans
progression médiane de 21,9 mois. Les doses limitantes toxiques
(DLT) sont les neuropathies, les stomatites et les kératites.
Les épothilones appartiennent à la famille des taxanes.
L’ixabépilone, un analogue semi-synthétique de l’épothilone B,
a montré une activité dans les modèles précliniques résistants
au paclitaxel (30). Il existait aussi une synergie avec le
trastuzumab dans les modèles BT474. Les essais de phase II
ont retrouvé des taux de réponse variant de 12 à 44 % (E. Tho-
mas, ASCO 2003, abstract 30 ; H. Roche, ASCO 2003, abstract
69 ; 31). Les toxicités de grades 3-4 retrouvées étaient la neu-
tropénie (35 %), la diarrhée (11 %) et la neuropathie (4 à 23 %).
Une étude néoadjuvante a retrouvé un taux de réponse histolo-
gique complète de 21 % aps 4 cycles (A. Llombart-Cussac,
ASCO 2005, abstract 586). D’autres épothilones sont en cours
d’investigation.
Un des intérêts majeurs des épothilones et du RPR est le
passage de la barrière hémato-méningée, alors qu’il semble que
l’incidence des métastases cérébrales augmente (principalement
chez les patientes traitées par trastuzumab, dont le premier
événement métastatique se situe dans 20 à 30 % des cas au
niveau cérébral).
De nouvelles molécules ciblées sont aussi en cours de développe-
ment. Le pertuzumab inhibe l’hétérodimérisation de HER1 et HER2
(32-35). Son site de fixation sur HER2 est donc distinct de celui
du trastuzumab (36, 37). Des essais de phase II sont en cours.
Le GW 572016 ou lapatinib, quant à lui, est un inhibiteur de
tyrosine kinase HER1 et HER2 administré par voie orale. En
monothérapie dans le cancer du sein métastatique multitraité,
le taux de réponse objective était de 5 %, mais avec un taux
de stabilisation de 24 % (K.L. Blackwell, ASCO 2005, abs-
tract 3004). La tolérance était marquée par les rashs cutanés,
la diarrhée, les nausées et la fatigue. Par ailleurs, son asso-
ciation avec l’hormonothérapie s’est avérée synergique
(Q. Chu, ASCO 2005, abstract 3001). Enfin, des essais de
phase I d’association avec le trastuzumab dans des popula-
tions prétraitées ont retrouvé des taux de réponse objective
de 29 % et des taux de stabilisation de 29 % (Storniolo, ASCO
2005, abstract 559).
Le SU 112248 est un inhibiteur de VEGF, PDGF, c-kit et
FLT 3R également administré par voie orale. K.D. Miller et al.
(ASCO 2005, abstract 563) ont retrouvé un taux de réponse
objective de 14 % dans une population de patientes présentant
un cancer du sein métastatique ayant déjà été traité par anthra-
cyclines et taxanes.
Enfin, le rationnel ayant conduit à l’étude des inhibiteurs de
mTOR comme le temsirolimus (CCI-779) ou l’everolimus
(RAD001) est l’amplification d’AKT, la perte des hétérozy-
goties de PTEN et la suractivation de PI3K. Avec ces traite-
ments, la tolérance est marquée par l’hyperglycémie, l’HTA,
l’hyperlipidémie, l’asthénie, la stomatite et la thrombopénie.
Les essais précliniques ont retrouvé une synergie avec l’hormono-
thérapie, les inhibiteurs des récepteurs aux tyrosines kinases, le
trastuzumab et le pertuzumab, les inhibiteurs de IGF1R (effet
supra-additif), le cisplatine et la gemcitabine. L’essai de
phase II de S. Chan (38) a retrouvé un taux de réponse objec-
tive de 9,2 %. Tous ces agents semblent très prometteurs pour
certaines tumeurs “triples négatives” (RO- RP- HER2-) très
agressives et résistantes à la chimiothérapie.
TAXANES ET TRANSFERT
Alors que les taxanes se développent dans des stratégies de traite-
ment conventionnel, les premières thérapeutiques ciblées arrivent.
L’utilisation de ces thérapeutiques adaptées à une cible spécifique
implique de définir la sous-population concernée au sein de la
population globale des patients. Le risque est en effet de diluer les
effets positifs d’une thérapeutique en l’appliquant à une population
non ciblée. L’échec du gefitinib dans les cancers bronchiques en
est l’un des exemples les plus flagrants. C’est dans cette démarche
que le transfert, c’est-à-dire la collaboration entre les équipes de
recherche et les équipes médicales, trouve toute sa place.
Il s’agit tout d’abord d’identifier la maladie, les cibles, et de
comprendre les circuits de signalisation. Il faut ensuite identifier
les marqueurs pharmacocinétiques et de stratification basés sur
la cible (surexpression, mutation, activation…). Les approches
MISE AU POINT
224
La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 5 - septembre-octobre 2005
de “preuve du concept” doivent être accélérées par l’utilisation
de biomarqueurs dans les essais cliniques. Il faut enfin identifier
des hypothèses pour générer les associations de thérapeutiques
moléculaires ciblées, le but ultime étant d’administrer au plus vite
des traitements efficaces à des sous-populations ciblées.
Pour identifier les cibles, la technique des puces à ADN s’est
récemment beaucoup développée. S.L. Mc Donald et al. (39)
ont ainsi montré que l’amplification 7q (gène candidat MDR1)
et la délétion 10q (gène candidat PTEN) étaient des facteurs de
risque de résistance aux taxanes.
Actuellement, la technique d’identification d’une signature passe
par trois étapes. La première consiste à diviser l’échantillon
d’étude en deux : un échantillon d’apprentissage à partir duquel
une signature est mise en évidence et un échantillon test
sur lequel sera validée la signature. La seconde étape consiste
à classifier les gènes d’importance (constituant donc la signature)
mis en évidence par un algorithme pour distinguer les sous-
populations représentant des catégories pronostiques ou des
réponses à des traitements différents. Enfin, la troisième étape
consiste à valider la signature sur d’autres populations. À défaut
de le faire sur d’autres populations, la technique consiste à recréer
de façon aléatoire de multiples échantillons à partir de la popu-
lation de base pour vérifier que la même signature est bien retrou-
vée (technique de rééchantillonnages aléatoires répétés).
Ces dernières années, de nombreuses publications ont mis en
évidence des signatures pronostiques ou prédictives de réponse
à certains traitements. C. Hill et al. (40) ont repris toutes
les études pronostiques de survie en cancérologie avec puces
à ADN où plus de 60 patients étaient inclus publiées entre 1995
et 2003 (41-48). Dans chacune de ces études, où seules les deux
premières étapes avaient été réalisées, C. Hill a appliqué une
technique de rééchantillonnages aléatoires répétés et a conclu
que, dans 5 des 7 études, les patients n’avaient pas été mieux
classifiés que par le hasard. Elle souligne donc l’importance de
la validation des signatures identifiées par les deux premières
étapes par une technique de rééchantillonnages aléatoires
répétés. D. Tsafir et al. (49) expliquent cela simplement par le
fait que, d’un point de vue statistique, le nombre de patients à
inclure dans ces études doit être au moins égal au nombre de gènes
étudiés pour que l’on puisse espérer obtenir des résultats valides.
Enfin, il faut noter que de nombreuses études n’ont pas retrouvé
de signature du tout. La validation de l’utilisation des nouvelles
technologies comme les puces est donc fondamentale avant de
se lancer dans des essais de grande envergure (exemple de l’essai
MINDACT).
CONCLUSION
Les taxanes sont des cytotoxiques majeurs en cancérologie solide.
L’ère des taxanes n’est pas terminée. Bien au contraire, avec les
résultats prometteurs des thérapeutiques moléculaires ciblées,
c’est une nouvelle ère qui s’ouvre, et ces dernières doivent être
intégrées aux cytotoxiques dits “classiques” dont font partie les
taxanes. Pour cela, le transfert est primordial, pour que les décou-
vertes de la biologie soient appliquées le plus rapidement pos-
sible en pratique clinique.
R
ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Rev Cancer 2004;4(4):253-65.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 5 - septembre-octobre 2005
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