Fin de vie des patients souffrant d’un cancer avancé des voies aérodigestives

La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 334 - juillet-août-septembre 2013 | 19
MISE AU POINT
Fin de vie des patients
souffrant d’un cancer avancé
des voies aérodigestives
supérieures. Expérience
d’une équipe dans un pays
où l’euthanasie est légalisée
Difficult end of life in ENT cancer patients:
experience of euthanasia in a country where it is legalized
P. Demez*, P. Ransy*, P. Moreau*
* Service d’ORL et de chirurgie
cervico-faciale, CHU Sart-Tilman,
Liège (Belgique) ; domaine universi-
taire du Sart-Tilman, Liège (Belgique).
M
algré l’évolution des traitements offerts
aux patients présentant des cancers des
voies aérodigestives supérieures, le taux
de décès reste élevé. Par ailleurs, ces différents
traitements ont des implications importantes sur
la qualité de vie. L’alimentation, la respiration, la
phonation sont autant de fonctions qui peuvent
être nettement altérées. Des douleurs sont régu-
lièrement rapportées, les récidives sont également
monnaie courante. Ces patients avec une altération
nette de la qualité de vie peuvent présenter des souf-
frances psychiques et physiques très importantes,
voire insurmontables. La récidive peut représenter
pour certains malades une épreuve infranchissable.
Cet état de souffrance peut entraîner un sentiment
de lassitude et une volonté d’en finir. C’est donc à
ce type de malades que s’adresse la loi dont nous
allons parler, qui leur permet de choisir l’endroit et
le moment de leur décès avec l’aide du personnel
médical.
Avertissements
Tout au long de cet article, nous parlerons d’eutha-
nasie. D’emblée, nous voudrions porter à la connais-
sance du lecteur qu’il ne s’agit en aucun cas d’une
revue de la littérature, mais simplement de la des-
cription (plus clinique et plus humaine que scien-
tifique) de notre expérience personnelle dans ce
domaine. Le débat éthique ou philosophique que
peut entraîner l’acte d’euthanasie n’est pas non plus
le sujet de cet article, qui n’est pas rédigé pour faire
l’apologie ou le procès de l’euthanasie. Les auteurs
ont d’emblée choisi de rester neutres et de ne porter
aucun jugement de valeur sur le débat que peut
entraîner l’acte en lui-même. Ce débat dépasse évi-
demment le cadre d’un article aussi court et ne peut
donc être résumé à ces quelques lignes.
Définition
Pour comprendre clairement le sujet de cet article, il
est indispensable de donner une définition précise de
l’euthanasie. D’après le Petit Larousse, l’euthanasie
est “l’acte d’un médecin qui provoque la mort d’un
malade incurable pour abréger ses souffrances ou son
agonie. D’après le législateur belge, l’euthanasie
est “l’acte pratiqué par un tiers, qui met intention-
nellement fin à la vie d’une personne à la demande
de celle-ci”.
20 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 334 - juillet-août-septembre 2013
Résumé
Chaque médecin ayant à traiter des patients présentant des cancers des voies aérodigestives supérieures a
été confronté à des fins de vie difficiles, avec des appels à l‘aide des patients. Quand les soins de support
ne suffisent plus, reste l’option de l’euthanasie. Celle-ci est une possibilité légale offerte aux patients en
Belgique depuis 2002. Chaque année, depuis lors, nous accompagnons, au sein du service, des patients ayant
fait ce choix difficile. Chaque cas est unique et est toujours débattu en équipe dans le respect strict de la
loi. L’acte d’euthanasie ne peut être réduit à une simple injection létale. L’espace pour la discussion avec le
patient et sa famille fait partie intégrante du processus. Par ailleurs, les problèmes de “conscience” au sein
de l’équipe médicale et paramédicale ne sont pas rares. Notre vécu de ce type de prise en charge ainsi que
notre expérience des problèmes rencontrés pourront servir de base à un débat tant pratique qu’éthique.
Mots-clés
Euthanasie
Loi
Palliatif
Cancer
Voies aérodigestives
supérieures
Summary
Each practitioner treating head
and neck cancer patients, is
often confronted with « end
of life’s » difficulties. When
supportive cares are no more
possible, euthanasia is one
option. Since 2002, eutha-
nasia is allowed in Belgium.
Every year, patients, in such
situation, arrive in our depart-
ment. Each case is different
and is always discussed with
our team in compliance with
the law. Euthanasia can’t be
reduced to a simple lethal
injection. Discussion with the
patient and his family is an
important part of the process.
Moreover, some « conscience »
problems can appear within the
medical team. Our experience
of such management can open
a practical and ethical debate.
Keywords
Euthanasia
Law
Supportive
Cancer
Head and neck
Nous devons dès lors refaire clairement la différence
entre une sédation de fin de vie et l’euthanasie à
proprement parler. En effet, la grande majorité des
décès provoqués, ou plus exactement “non empê-
chés”, relève de ce que l’on peut nommer “sédation
de fin de vie”. Il s’agit en fait d’offrir aux patients en
toute fin de vie un confort maximal. Dans ce cadre,
les antalgiques, voire les sédatifs, sont prescrits
de manière à éviter toute souffrance, en sachant
consciemment que les doses prescrites peuvent
entraîner le décès du malade. Cette sédation de fin
de vie n'entre pas dans le contexte de la loi dépé-
nalisant l’euthanasie. Ce type de prise en charge est
également admis en France sans que le médecin
puisse être inquiété légalement. Le cadre législatif
entourant l’euthanasie comprend une autre caté-
gorie de patients. Il s’agit de malades conscients
de leur situation, mais pas encore dans un état tel
que le décès puisse être attendu à brève échéance.
Euthanasie en Belgique
Situation déontologique et juridique
antérieure à 2002
Avant l’adoption de la loi de dépénalisation de
l’euthanasie, le code pénal belge névoquait pas
l’acte consistant à mettre fin à la vie d’un individu
à sa demande. Si un médecin accédait à la requête
d’un malade, il pouvait être accusé d’homicide
volontaire avec préméditation, d’assassinat ou
d’empoisonnement. Les rares poursuites judi-
ciaires ont chaque fois abouti à un non-lieu.
Le médecin belge était confronté à l’interdit
pénal, mais également à l’interdit déontologique.
Ce n’est qu’en 1992 que certains textes du code
de déontologie médicale ont été modifiés, lais-
sant apparaître la notion de “dignité du malade”,
tout en maintenant l’interdit de l’euthanasie
(tableau I) [1].
Face à la pression médicale, sociétale et juridique,
le comité consultatif de bioéthique a été sollicité
par les présidents de la Chambre des représentants
et du Sénat. Le débat était de mettre en balance
une partie de la société qui estimait que l’eutha-
nasie est moralement licite lorsque le patient est
dans une situation médicale sans issue et dans
une souffrance intense, face à une autre partie
qui pensait que la valeur de la vie est telle qu’elle
ne souffre pas d’exception. Quatre propositions
en sont ressorties (tableau II) [1, 2].
Tous les travaux parlementaires et les auditions
ont été retransmis dans leur intégralité à la télévi-
sion, ce qui a renforcé l’impact sociétal et média-
tique du débat.
Tableau I. Réforme du code de déontologie médicale en 1992.
Avant 1992 Après 1992
Article 95 “Provoquer délibérément la mort d’un malade, quelle
qu’en soit la motivation, est un acte criminel”
“Le médecin ne peut provoquer délibérément la mort
d’un malade ni l’aider à se suicider”
Article 96 “Cet acte ne trouve aucune signification dans le fait
qu’il soit sollicité expressément par le malade”
“Lorsqu’un malade se trouve dans la phase terminale
de sa vie, gardant conscience, le médecin lui doit
assistance morale et médicale pour soulager ses souf-
frances morales et physiques et préserver sa dignité”
Tableau II. Les 4 propositions formulées par le comité consultatif de bioéthique.
Proposition 1 Garantir le droit de tout individu de disposer lui-même de sa vie et de vivre selon ses convictions propres,
dans le respect de celles des autres, dans la mesure où l’acte en cause ne constitue pas un danger pour la société
Proposition 2 Une régularisation a posteriori. Instaurer un colloque singulier du malade avec son médecin.
Après l’acte, le médecin est tenu d’informer les autorités judiciaires, via le médecin légiste
Proposition 3 Une régularisation a priori des décisions médicales concernant la fin de vie en concertation collégiale,
impliquant médecin, équipe soignante, famille et un membre du comité d’éthique
Proposition 4 Un maintien pur et simple de l’interdit légal de l’euthanasie
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 334 - juillet-août-septembre 2013 | 21
MISE AU POINT
Cadre juridique de la loi du 28 mai 2002
relative à la dépénalisation
de l’euthanasie : explications
Après avoir défini l’euthanasie, il convient de
reprendre les aspects principaux de la loi. Même si
le respect de l’autonomie du patient en est à la base,
la seule demande du patient d’y accéder ne suffit
pas : il faut que le médecin, en collaboration avec
le patient, arrive à la conclusion que les conditions
posées par la loi sont remplies (tableau III) [3, 4].
Le patient (qui doit être majeur) est au centre de
cette loi : s’il n’en fait pas la demande, il n’y a pas
d’euthanasie. La législation est claire et ne permet
pas de considérer des découragements temporaires
ou des pressions extérieures.
Importance de la relation médecin-malade : si le
patient est le mieux placé pour juger de son état de
souffrance, le médecin peut contrôler de manière
efficace les douleurs physiques, mais reste fréquem-
ment impuissant par rapport aux douleurs psy-
chiques, éminemment subjectives. Même si l’équipe
soignante n’a aucun pouvoir décisionnel, le médecin
est invité à collaborer et s’entretenir avec elle. Si le
médecin “soignant” se sent trop proche du patient,
la loi recommande l’expertise d’un médecin consul-
tant. Celui-ci doit être spécialisé dans la pathologie
concernée et doit examiner le patient ainsi que le
dossier médical afin de d’assurer du caractère grave
et incurable de l’affection.
Récusation des termes de “phase terminale” ou
“patient terminal”. Il n’y a pas de liste de ces affec-
tions. Cela permet de garder le caractère unique
de chaque patient et de considérer la demande au
cas par cas.
Si le patient présente une souffrance (physique
ou psychique) intolérable (selon lui), mais si son
décès n’est, a priori, pas imminent à brève ou à
moyenne échéance, il peut demander à bénéficier
d’une euthanasie. Dans ce cas, un troisième médecin
doit impérativement être consulté et un délai de
1 mois doit être respecté entre la demande et l’acte
d’euthanasie.
Par ailleurs, comment considérer la question de la
personne inconsciente ? Dans un tel cas, la situation
médicale doit répondre aux conditions sus-men-
tionnées et une déclaration anticipée d’euthanasie
doit avoir été rédigée et signée par le patient (5).
Le législateur s’est montré très intransigeant quant
à cette déclaration. D’une part, tout majeur doit la
rédiger en bonne et due forme. Ensuite, elle doit être
signée par 2 témoins dont l’un ne doit avoir aucun
intérêt au décès du demandeur. Elle doit également
avoir été rédigée 5 ans avant l’acte d’euthanasie et
le déclarant peut l’abroger ou la modifier à tout
moment.
Dans les 4 jours ouvrables suivant le décès, le
médecin remplit une déclaration et l'envoie à la
commission fédérale de contrôle, composée de
médecins et de juristes. L’anonymat de tous les inter-
venants est respecté. Ce n’est qu’en cas de litige et
de non-respect des conditions de la loi que le dossier
est transféré au procureur du roi.
Le dernier aspect essentiel établi par le législateur
est le respect du médecin dans le processus d’eutha-
nasie. Aucun médecin n’est tenu de pratiquer une
euthanasie et nul nest obligé d’y participer. Si le
praticien refuse pour quelque raison que ce soit, il se
doit d’en informer en temps utile son patient et de
le référer à un confrère. Même s’il doit préciser les
raisons de son refus au patient concerné (convictions
philosophiques, insuffisamment formé ou informé,
etc.), il n'a pas pour autant le devoir de se justifier.
Postérieurement à la loi, le code de déontologie
médicale a également été révisé (2003). L’interdit
de l’euthanasie et du suicide assisté a disparu. Le
médecin est tenu d’expliquer au patient les initia-
tives possibles et lui demander, éventuellement, de
rédiger une déclaration en temps utile. Le soignant
doit aider son patient dans la rédaction et la conser-
vation des formalités administratives.
Bilan
En 10 ans, 5 573 euthanasies déclarées ont été réa-
lisées (15 % d’augmentation par an). Aucun rapport
de la commission n’a relevé de vice de procédure.
Davantage de statistiques sont reprises dans le
tableau IV, p. 22 (6-8).
Il faut par ailleurs rappeler que la loi a 2 objectifs
majeurs à atteindre : d’une part, supprimer la pra-
tique clandestine de l’euthanasie et, d’autre part,
permettre à l’individu de mourir avec dignité. Il est
en effet peu probable que le médecin pratique, sans
le déclarer, une véritable euthanasie qui nécessite
une prescription dont l’intention létale est évidente.
Permettre de mourir en dignité, c’est aussi respecter
Tableau III. Conditions essentielles relatives à la demande d’euthanasie.
Cond. 1 La demande est volontaire, réfléchie et réitérée, formulée indépendamment de toute
pression extérieure et émanant d’un patient compétent, c’est-à-dire majeur et lucide
Cond. 2 Le patient doit faire état d’une souffrance physique et psychique insupportable
Cond. 3 Le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue, et ce à la suite
d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable
22 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 334 - juillet-août-septembre 2013
MISE AU POINT Fin de vie des patients souffrant d’un cancer avancé des voies aérodigestives
supérieures. Expérience d’une équipe dansun pays oùl’euthanasie est légalisée
certaines règles fondamentales pour une pratique
correcte de l’euthanasie (tableau V). Il est égale-
ment nécessaire de connaître les doses efficaces et
leurs voies d’administration.
Notre expérience
Depuis 2002 et la promulgation de la loi dépéna-
lisant l’euthanasie, nous avons introduit cette pra-
tique au sein de notre service. Depuis, 1 ou 2 patients
ont été admis annuellement dans le service d’ORL
afin d'en bénéficier.
Étapes
Le médecin qui suit le malade, et qui est habituel-
lement le chirurgien cervico-facial qui l’a pris en
charge dès son diagnostic, a la tâche souvent ardue
d'accompagner son patient durant l’ensemble de ces
différentes démarches.
Discussion
La première étape de ce processus est une phase
de discussion au cours de laquelle le médecin peut
évoquer avec son patient les différentes possibi-
lités légales envisageables. Celui-ci a alors l’occasion
de rapporter à son médecin ses souffrances tant
psychologiques que physiques. Le praticien doit
évaluer l’importance de ces plaintes, leur carac-
tère insoutenable et une éventuelle impossibilité
de soulagement. Il a aussi le devoir de s’assurer que
la demande d’euthanasie formulée par le patient est
strictement volontaire. Pour ce faire, une rencontre
avec la famille est généralement d’abord proposée,
puis le malade est vu de manière isolée afin qu’il ne
subisse aucune pression de son entourage. À partir
du moment où cette discussion donne au médecin
l’intime conviction qu’aucune autre solution que
celle de l’euthanasie ne peut être proposée au
malade, les démarches peuvent être enclenchées.
Demande écrite
Le patient est invité à rédiger une demande écrite
dans laquelle non seulement il notifie qu’il souhaite
recourir à l’euthanasie, mais il donne également les
raisons de son choix. Idéalement, cette demande
écrite est rédigée devant 2 témoins et est réitérée
environ 1 mois plus tard. Ces demandes sont remises
au médecin responsable, qui les introduit dans le
dossier du patient. De cette manière, le souhait du
malade est officialisé et l’acte d’euthanasie en lui-
même peut être programmé.
Réunion d’équipe
L’acte d’euthanasie se déroulant au sein même du
service d’hospitalisation d’ORL, il est important que
l’équipe paramédicale soit avertie de l’arrivée du
patient. Le médecin responsable a la charge d’ex-
pliquer clairement la situation à cette équipe et de
détailler les motivations du malade. Celui-ci est géné-
ralement connu de l’équipe puisqu’il aura très proba-
blement séjourné dans le service au moins 1 fois, voire
à plusieurs reprises. Des liens auront été créés durant
ces séjours qui pourront rendre la prise en charge
plus difficile encore lors de l’arrivée du patient. Cette
réunion d’équipe est dès lors extrêmement impor-
tante afin que l’accompagnement se passe au mieux
pour tous. Lécoute permet généralement d’anticiper
d’éventuels problèmes en intégrant le psychologue à
la discussion si cela semble être nécessaire.
Arrivée et accueil du patient dans le service
Il s’agit d’un moment toujours très difficile pour
l’équipe soignante. En effet, habituellement, un
Tableau IV. Données relatives à l’euthanasie.
83 % des cas sont des cancers généralisés après
plusieurs lignées de traitement
7 % sont des affections neuromusculaires
98 % ont été pratiquées sur demande
consciente
2 % chez des patients inconscients sur la base
d’une déclaration anticipée
93 % ont été pratiquées alors que le décès était
prévu à brève échéance
7 % alors que le décès n’était pas prévu à brève
échéance (maladies neuromusculaires)
75 % des demandes concernaient des patients
entre 40 et 79ans
60 % de demandes émanent de femmes
45 % ont été pratiquées au domicile des patients 54 % en milieu hospitalier
90 % ont été pratiquées par solution
intraveineuse
10 % par solution buvable
Tableau V. Pratiques de l’euthanasie.
Garantir L’intimité du patient
Une voie d’accès intraveineuse
Que les personnes concernées aient été contactées
Que le personnel médical et paramédical soit disponible
Que les préparations soient correctement réalisées
Une présence médicale “jusqu’au bout”
De ne pas déléguer l’acte
De consigner la procédure dans le dossier
Proscrire L’arrêt de l’hydratation
L’augmentation progressive et élevée des antalgiques (confusion)
L’impatience, l’indisponibilité
Les options “violentes” (chlorure de potassium)
Médicament Voie intraveineuse disponible :
–1 à 3 g de thiopental suivis de 20 mg de bromure de pancuronium
Voie intraveineuse indisponible :
– 9 g de pentobarbital sodique dans 10 ml d’alcool, 10 ml de propylène
glycol et 15 ml d’eau aromatisée, en solution per os suivis de 20 mg
de pancuronium par voie intramusculaire
–une ampoule de métoclopramide par voie intramusculaire
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale 334 - juillet-août-septembre 2013 | 23
MISE AU POINT
patient est accueilli dans le service afin de bénéficier
de soins médicaux ou chirurgicaux, mais toujours
dans le but de lui apporter une amélioration cli-
nique. Ici, la situation est totalement inhabituelle.
Le patient entre à l’hôpital dans le but d’y mourir
volontairement. Ce simple fait peut être difficile à
admettre, voire apparaître comme choquant. Tous
les membres de l’équipe doivent faire un réel travail
sur eux-mêmes de manière à ce que cet accueil soit
le plus chaleureux et le plus normal possible. Le
patient est installé dans une chambre privée en com-
pagnie de sa famille ou de ses proches. Le temps est
alors laissé à chacun de s’installer posément.
Visite du médecin responsable
Même si ce nest pas à lui qu’incombe la respon-
sabilité de l’injection létale, le médecin ORL qui
a pris en charge le patient depuis le début de son
histoire se doit d’être présent dans ce moment. La
discussion qui s’engage peut être difficile pour le
soignant puisqu’il s’agit en quelque sorte d’une
visite d’adieu. En outre, le médecin a également à
sa charge de s’assurer que le patient n’a pas changé
d’avis. Si tel était le cas, la procédure s’arrêterait
immédiatement, ce dont le patient a été tenu au
courant précédemment.
Arrivée du médecin des soins palliatifs
Le reste de la prise en charge est assuré par l’équipe
médicale du service des soins palliatifs. L’un des
médecins de ce service perfuse le patient de manière
à ce que l’on puisse avoir une voie veineuse aisée.
C’est tout à fait volontairement qu’un praticien
extérieur au traitement dont a déjà bénéficié le
patient est choisi pour cet acte. En effet, il n’existe
alors aucun lien affectif entre le patient et ce dernier
médecin.
Traitement létal
Il s’agit soit d’une injection intraveineuse rapide
létale (le décès intervient dès lors extrêmement
rapidement), soit de l’absorption per os de pento-
barbital (la mort est plus lente et, dès lors, plus
acceptable aux yeux de l’entourage ou du corps
médical). Pourtant, le patient choisit plus réguliè-
rement l’injection intraveineuse. Le médecin est tenu
de rester au chevet du patient jusqu’à son décès.
Décès du patient et accompagnement
de la famille
Pour comprendre à quel point le cheminement
du patient a pu être complet, il faut remarquer
qu’il n’est pas rare que le malade ait choisit les
vêtements qu’il voulait porter lors de son décès
afin d’être le plus présentable possible à sa famille.
Dans ces conditions, la mort peut sembler plus
naturelle.
Il va sans dire que la famille est soutenue tout
au long du processus, tant par l’équipe soignante
qu’éventuellement par une équipe de psycho-
logues appartenant au service des soins pallia-
tifs. Même dans les jours, voire les semaines, qui
suivent le décès, le médecin responsable reste dis-
ponible pour cette famille. Il n’est d’ailleurs pas
rare que des contacts soient repris après quelques
semaines.
Debriefing en équipe
Après chaque procédure d’euthanasie au sein du
service, une réunion de service s’avère indispen-
sable. Chacun peut expliquer comment il a vécu cet
épisode souvent douloureux. Cette réunion permet
également d’éventuellement visualiser clairement
les problèmes rencontrés afin d’améliorer la prise
en charge des patients à venir. Le psychologue est
souvent présent lors de cette réunion, ce qui permet
à certains membres de l’équipe de décharger le trop-
plein émotionnel.
Problèmes rencontrés
Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous
n’avons jamais rencontré de problèmes avec le
patient lui-même. En effet, celui-ci a été soigneu-
sement préparé. Il a bénéficié de tout le soutien
indispensable à la prise de décision et a fait ce
choix en pleine connaissance de cause. Il est éton-
nant de se rendre compte à quel point toute la
procédure peut se faire dans une ambiance calme
et paisible. Généralement, il ressort de ces expé-
riences une impression de grande sérénité de la
part du malade.
Nous n’avons pas non plus rencontré de grandes dif-
ficultés avec la famille. Il est évident que cette pro-
cédure est plus difficile pour cette famille que pour
le patient lui-même. La famille a parfois beaucoup
de mal à comprendre ce qu’il se passe. Dès lors, une
prise en charge psychologique est parfois nécessaire
et souvent proposée par le soignant. Les reproches
le plus souvent formulés par l’entourage du malade
sont à mettre en relation avec la rapidité de mise en
œuvre du processus létal. En effet, généralement, la
famille souhaite que tout soit fait le plus rapidement
possible et que le décès du patient intervienne aussi
vite que possible. Depuis que nous avons instauré ce
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !