20 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013
Résumé
Chaque médecin ayant à traiter des patients présentant des cancers des voies aérodigestives supérieures a
été confronté à des fins de vie difficiles, avec des appels à l‘aide des patients. Quand les soins de support
ne suffisent plus, reste l’option de l’euthanasie. Celle-ci est une possibilité légale offerte aux patients en
Belgique depuis 2002. Chaque année, depuis lors, nous accompagnons, au sein du service, des patients ayant
fait ce choix difficile. Chaque cas est unique et est toujours débattu en équipe dans le respect strict de la
loi. L’acte d’euthanasie ne peut être réduit à une simple injection létale. L’espace pour la discussion avec le
patient et sa famille fait partie intégrante du processus. Par ailleurs, les problèmes de “conscience” au sein
de l’équipe médicale et paramédicale ne sont pas rares. Notre vécu de ce type de prise en charge ainsi que
notre expérience des problèmes rencontrés pourront servir de base à un débat tant pratique qu’éthique.
Mots-clés
Euthanasie
Loi
Palliatif
Cancer
Voies aérodigestives
supérieures
Summary
Each practitioner treating head
and neck cancer patients, is
often confronted with « end
of life’s » difficulties. When
supportive cares are no more
possible, euthanasia is one
option. Since 2002, eutha-
nasia is allowed in Belgium.
Every year, patients, in such
situation, arrive in our depart-
ment. Each case is different
and is always discussed with
our team in compliance with
the law. Euthanasia can’t be
reduced to a simple lethal
injection. Discussion with the
patient and his family is an
important part of the process.
Moreover, some « conscience »
problems can appear within the
medical team. Our experience
of such management can open
a practical and ethical debate.
Keywords
Euthanasia
Law
Supportive
Cancer
Head and neck
Nous devons dès lors refaire clairement la différence
entre une sédation de fin de vie et l’euthanasie à
proprement parler. En effet, la grande majorité des
décès provoqués, ou plus exactement “non empê-
chés”, relève de ce que l’on peut nommer “sédation
de fin de vie”. Il s’agit en fait d’offrir aux patients en
toute fin de vie un confort maximal. Dans ce cadre,
les antalgiques, voire les sédatifs, sont prescrits
de manière à éviter toute souffrance, en sachant
consciemment que les doses prescrites peuvent
entraîner le décès du malade. Cette sédation de fin
de vie n'entre pas dans le contexte de la loi dépé-
nalisant l’euthanasie. Ce type de prise en charge est
également admis en France sans que le médecin
puisse être inquiété légalement. Le cadre législatif
entourant l’euthanasie comprend une autre caté-
gorie de patients. Il s’agit de malades conscients
de leur situation, mais pas encore dans un état tel
que le décès puisse être attendu à brève échéance.
Euthanasie en Belgique
Situation déontologique et juridique
antérieure à 2002
Avant l’adoption de la loi de dépénalisation de
l’euthanasie, le code pénal belge n’évoquait pas
l’acte consistant à mettre fin à la vie d’un individu
à sa demande. Si un médecin accédait à la requête
d’un malade, il pouvait être accusé d’homicide
volontaire avec préméditation, d’assassinat ou
d’empoisonnement. Les rares poursuites judi-
ciaires ont chaque fois abouti à un non-lieu.
Le médecin belge était confronté à l’interdit
pénal, mais également à l’interdit déontologique.
Ce n’est qu’en 1992 que certains textes du code
de déontologie médicale ont été modifiés, lais-
sant apparaître la notion de “dignité du malade”,
tout en maintenant l’interdit de l’euthanasie
(tableau I) [1].
Face à la pression médicale, sociétale et juridique,
le comité consultatif de bioéthique a été sollicité
par les présidents de la Chambre des représentants
et du Sénat. Le débat était de mettre en balance
une partie de la société qui estimait que l’eutha-
nasie est moralement licite lorsque le patient est
dans une situation médicale sans issue et dans
une souffrance intense, face à une autre partie
qui pensait que la valeur de la vie est telle qu’elle
ne souffre pas d’exception. Quatre propositions
en sont ressorties (tableau II) [1, 2].
Tous les travaux parlementaires et les auditions
ont été retransmis dans leur intégralité à la télévi-
sion, ce qui a renforcé l’impact sociétal et média-
tique du débat.
Tableau I. Réforme du code de déontologie médicale en 1992.
Avant 1992 Après 1992
Article 95 “Provoquer délibérément la mort d’un malade, quelle
qu’en soit la motivation, est un acte criminel”
“Le médecin ne peut provoquer délibérément la mort
d’un malade ni l’aider à se suicider”
Article 96 “Cet acte ne trouve aucune signification dans le fait
qu’il soit sollicité expressément par le malade”
“Lorsqu’un malade se trouve dans la phase terminale
de sa vie, gardant conscience, le médecin lui doit
assistance morale et médicale pour soulager ses souf-
frances morales et physiques et préserver sa dignité”
Tableau II. Les 4 propositions formulées par le comité consultatif de bioéthique.
Proposition 1 Garantir le droit de tout individu de disposer lui-même de sa vie et de vivre selon ses convictions propres,
dans le respect de celles des autres, dans la mesure où l’acte en cause ne constitue pas un danger pour la société
Proposition 2 Une régularisation a posteriori. Instaurer un colloque singulier du malade avec son médecin.
Après l’acte, le médecin est tenu d’informer les autorités judiciaires, via le médecin légiste
Proposition 3 Une régularisation a priori des décisions médicales concernant la fin de vie en concertation collégiale,
impliquant médecin, équipe soignante, famille et un membre du comité d’éthique
Proposition 4 Un maintien pur et simple de l’interdit légal de l’euthanasie