Entre neurologie et psychiatrie : description de l’ictus amnésique et Jean Courjon

La Lettre du Psychiatre Vol. VI - n° 1 - janvier-février 2010 | 25
MISE AU POINT
Entre neurologie et psychiatrie :
description de lictus amnésique
idiopathique par Jean Guyotat
et Jean Courjon
Description of transient global amnesia by Jean Guyotat
and Jean Courjon in 1956
F. Eustache1, N. Franck2
1 Inserm-EPHE-université de Caen/
Basse-Normandie, unité U923, GIP
Cyceron, CHU Côte-de-Nacre, Caen.
2 Centre de neuroscience cogni-
tive UMR 5229 (CNRS), université
Lyon-I ; centre hospitalier Le Vina-
tier, Bron.
L
a collaboration entre Jean Guyotat et Jean
Courjon, deux universitaires lyonnais, le
premier psychiatre et le second neurologue,
s’est révélée particulièrement fructueuse. Elle illustre
le fait que, d’une part, la pratique de la psychia-
trie s’enrichit d’une meilleure compréhension des
paramètres braux et, d’autre part, la prise en
charge des troubles neurologiques ne peut être opti-
male sans tenir compte des troubles du vécu et du
comportement. Larticle de cinq pages consacré
par ces auteurs au milieu des années 1950 (1) à un
trouble de mémoire transitoire touchant un sujet
d’environ 60 ans a fait date. Si la compréhension
des mécanismes impliqués dans la production de
l’ictus amnésique a progressé grâce à l’utilisation
d’outils neuropsychologiques et de neuro-imagerie
de plus en plus sophistiqués, la description clinique
précise qu’en ont donnée ces auteurs a conservé
toute sa valeur.
J. Guyotat et J. Courjon ont décrit l’ictus amnésique
dans Le Journal de médecine de Lyon en 1956, dans un
article où ils ont rapporté 16 observations person-
nelles.
Les premières lignes du résumé précisent les
points sémiologiques majeurs : “L’ictus amné-
sique est un trouble de conscience d’apparition
brutale portant essentiellement sur les fonctions
mnésiques. Rencontré le plus souvent chez des
personnes d’une soixantaine d’années, hyper-
actives, à l’occasion d’un surmenage, il se traduit
par une amnésie brutale, surtout de fixation avec
une relative conservation des automatismes. Il ne
s’accompagne pas de phénomènes délirants et hallu-
cinatoires, ni de troubles parétiques, aphasiques
ou apraxiques. Sa durée est d’environ 4 heures. Le
malade ne se souvient pas de ce qui s’est passé
pendant cette période.” Il est encore précisé plus
loin qu’“il doit être distingué des formes psychiques
de l’épilepsie ; l’électro-encéphalogramme est, en
effet, tout à fait normal dans la plupart des cas. […]
L’ictus amnésique semble de pronostic favorable
et ne commande qu’une thérapeutique de repos
et sédative.
Cinquante-trois ans après la publication de
J. Guyotat et J. Courjon, la description princeps de
l’ictus amnésique qu’ils ont donnée reste parfaite-
ment d’actualité. Elle est reprise dans tout ensei-
gnement consacré aux troubles transitoires de la
mémoire. On a d’ailleurs l’impression de relire un
cours en parcourant ces quelques lignes !
Des critères de diagnostic pcis sont mainte-
nant appliqués par la communauté scientifique et
médicale pour différencier l’ictus amnésique idio-
pathique (ou amnésie globale transitoire) de l’ictus
amnésique symptomatique, d’origine généralement
psychogène, confusionnelle, épileptique ou isché-
mique. Parmi ces critères, on retient le début brutal
du trouble, son caractère réversible en moins de
12 heures, l’association à une amnésie antérograde
(verbale et non verbale) massive, à une amnésie
rétrograde d’étendue variable et au fait que le patient
pose certaines questions de manière répétitive.
Différentes publications ont insisté sur l’impor-
tance diagnostique de certains éléments sémiolo-
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Résumé
giques : la désorientation temporelle, les nombreuses
questions itératives et une certaine perplexité. Les
malades conservent en revanche un comportement
adapté, reconnaissent leur entourage, nont pas de
troubles de l’identité (à l’inverse des cas d’“amnésie
psychogène”) et peuvent converser et accomplir des
tâches complexes. Le tableau clinique de l’ictus, quasi
stéréotypé, est donc bien identifié. Toutefois, même
si diverses hypothèses (vasculaire, neurochimique,
etc.) ont été proposées, l’étiologie de l’ictus reste
débattue et les évaluations menées jusqu’à présent
n’ont pas permis de déterminer l’origine précise de
ce syndrome. Par ailleurs, le dysfonctionnement
hippocampique et thalamique mis en évidence par
les études en neuro-imagerie fonctionnelle n’est pas
encore parfaitement compris. Le taux de récidive
atteint 3 à 5 % par an.
Récemment, il a été montré qu’une anxiété trait ou
la présence d’une humeur négative pendant l’ictus
pouvaient influencer les performances en mémoire
épisodique (2). Il semble par ailleurs exister plusieurs
types d’ictus (3). Une première catégorie regroupe
des patients (principalement des femmes) présen-
tant des facteurs de risque émotionnels (facteurs
déclenchants émotionnels, antécédents d’anxiété
et de dépression et troubles de la personnalité). Une
deuxième catégorie est composée principalement
d’hommes pour lesquels un facteur physique est
incriminé (effort physique, changement de tempé-
rature, etc.). Enfin, un troisième groupe comprend
des patients plus jeunes avec des antécédents de
migraine. Lexistence de ces différentes catégories
de patients associées à des facteurs de risque spéci-
fiques constitue un élément de compréhension de
l’étiologie de ce syndrome, situé à la frontière de
la neurologie et de la psychiatrie.
L’ictus a peu été étudié pendant sa phase aiguë
en raison du caractère fugace de l’amnésie ; il
n’en constitue pas moins un modèle exceptionnel
d’étude de la mémoire humaine. En effet, il s’agit
d’un syndrome amnésique massif, survenant chez un
sujet en bonne santé qui jouera le rôle de son propre
témoin une fois qu’il aura recouvré ses capacités
mnésiques. Au moyen dexplorations neuropsycho-
logiques très précises réalisées pendant l’ictus et lors
de la phase de récupération, il a par exemple été
possible de décrire des liens entre les mécanismes
impliqués dans la mémoire de travail et dans la
formation des souvenirs épisodiques (4, 5). Dans ce
type de recherche, l’ictus devient un modèle d’étude
de la mémoire humaine et, au-delà, un outil pour la
compréhension de diverses formes d’amnésies.
L’ictus amnésique se manifeste par une atteinte mnésique brutale. La description que J. Guyotat
et J. Courjon en ont fournie en 1956 conserve sa pertinence clinique. L’ictus amnésique idio-
pathique, qui doit être distingué de l’ictus amnésique secondaire (répondant généralement
à une cause vasculaire ou épileptique), se caractérise par un début brutal, une résolution
rapide et complète des troubles, ainsi qu’un faible taux de récidive.
Mots-clés
Ictus amnésique
Psychiatrie
Neurologie
Highlights
Transient global amnesia is
defined by a temporary antero-
grade amnesia. It is character-
ized by a total loss of recent
memories, generating anxiety,
lasting a few hours and with a
good prognosis.
Keywords
Transient global amnesia
Psychiatry
Neurology
1. Guyotat J, Courjon J. Les ictus amnésiques. Le Journal de
Médecine de Lyon 1956;37:697-701.
2. Noël A, Quinette P, Guillery-Girard B et al. Psychopa-
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transient global amnesia really mean? Review of the literature
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4. Quinette P, Guillery B, Desgranges B, de la Sayette V,
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tions in transient global amnesia. Brain 2003;126:1917-34.
5. Quinette P., Guillery-Girard B., Noël A et al. The rela-
tionship between working memory and episodic memory
disorders in transient global amnesia. Neuropsychologia
2006;44:2508-19.
Références bibliographiques
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