MISE AU POINT Entre neurologie et psychiatrie : description de l’ictus amnésique idiopathique par Jean Guyotat et Jean Courjon Description of transient global amnesia by Jean Guyotat and Jean Courjon in 1956 F. Eustache1, N. Franck2 L a collaboration entre Jean Guyotat et Jean Courjon, deux universitaires lyonnais, le premier psychiatre et le second neurologue, s’est révélée particulièrement fructueuse. Elle illustre le fait que, d’une part, la pratique de la psychiatrie s’enrichit d’une meilleure compréhension des paramètres cérébraux et, d’autre part, la prise en charge des troubles neurologiques ne peut être optimale sans tenir compte des troubles du vécu et du comportement. L’article de cinq pages consacré par ces auteurs au milieu des années 1950 (1) à un trouble de mémoire transitoire touchant un sujet d’environ 60 ans a fait date. Si la compréhension des mécanismes impliqués dans la production de l’ictus amnésique a progressé grâce à l’utilisation d’outils neuropsychologiques et de neuro-imagerie de plus en plus sophistiqués, la description clinique précise qu’en ont donnée ces auteurs a conservé toute sa valeur. J. Guyotat et J. Courjon ont décrit l’ictus amnésique dans Le Journal de médecine de Lyon en 1956, dans un article où ils ont rapporté 16 observations personnelles. Les premières lignes du résumé précisent les points sémiologiques majeurs : “L’ictus amnésique est un trouble de conscience d’apparition brutale portant essentiellement sur les fonctions mnésiques. Rencontré le plus souvent chez des personnes d’une soixantaine d’années, hyper­ actives, à l’occasion d’un surmenage, il se traduit par une amnésie brutale, surtout de fixation avec une relative conservation des automatismes. Il ne s’accompagne pas de phénomènes délirants et hallucinatoires, ni de troubles parétiques, aphasiques ou apraxiques. Sa durée est d’environ 4 heures. Le malade ne se souvient pas de ce qui s’est passé pendant cette période.” Il est encore précisé plus loin qu’“il doit être distingué des formes psychiques de l’épilepsie ; l’électro-encéphalogramme est, en effet, tout à fait normal dans la plupart des cas. […] L’ictus amnésique semble de pronostic favorable et ne commande qu’une thérapeutique de repos et sédative.” Cinquante-trois ans après la publication de J. Guyotat et J. Courjon, la description princeps de l’ictus amnésique qu’ils ont donnée reste parfaitement d’actualité. Elle est reprise dans tout enseignement consacré aux troubles transitoires de la mémoire. On a d’ailleurs l’impression de relire un cours en parcourant ces quelques lignes ! Des critères de diagnostic précis sont maintenant appliqués par la communauté scientifique et médicale pour différencier l’ictus amnésique idiopathique (ou amnésie globale transitoire) de l’ictus amnésique symptomatique, d’origine généralement psychogène, confusionnelle, épileptique ou ischémique. Parmi ces critères, on retient le début brutal du trouble, son caractère réversible en moins de 12 heures, l’association à une amnésie antérograde (verbale et non verbale) massive, à une amnésie rétrograde d’étendue variable et au fait que le patient pose certaines questions de manière répétitive. Différentes publications ont insisté sur l’importance diagnostique de certains éléments sémiolo- Inserm-EPHE-université de Caen/ Basse-Normandie, unité U923, GIP Cyceron, CHU Côte-de-Nacre, Caen. 1 Centre de neuroscience cognitive UMR 5229 (CNRS), université Lyon-I ; centre hospitalier Le Vinatier, Bron. 2 La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 1 - janvier-février 2010 | 25 Résumé Mots-clés Ictus amnésique Psychiatrie Neurologie Highlights Transient global amnesia is defined by a temporary anterograde amnesia. It is characterized by a total loss of recent memories, generating anxiety, lasting a few hours and with a good prognosis. Keywords Transient global amnesia Psychiatry Neurology L’ictus amnésique se manifeste par une atteinte mnésique brutale. La description que J. Guyotat et J. Courjon en ont fournie en 1956 conserve sa pertinence clinique. L’ictus amnésique idiopathique, qui doit être distingué de l’ictus amnésique secondaire (répondant généralement à une cause vasculaire ou épileptique), se caractérise par un début brutal, une résolution rapide et complète des troubles, ainsi qu’un faible taux de récidive. giques : la désorientation temporelle, les nombreuses questions itératives et une certaine perplexité. Les malades conservent en revanche un comportement adapté, reconnaissent leur entourage, n’ont pas de troubles de l’identité (à l’inverse des cas d’“amnésie psychogène”) et peuvent converser et accomplir des tâches complexes. Le tableau clinique de l’ictus, quasi stéréotypé, est donc bien identifié. Toutefois, même si diverses hypothèses (vasculaire, neurochimique, etc.) ont été proposées, l’étiologie de l’ictus reste débattue et les évaluations menées jusqu’à présent n’ont pas permis de déterminer l’origine précise de ce syndrome. Par ailleurs, le dysfonctionnement hippocampique et thalamique mis en évidence par les études en neuro-imagerie fonctionnelle n’est pas encore parfaitement compris. Le taux de récidive atteint 3 à 5 % par an. Récemment, il a été montré qu’une anxiété trait ou la présence d’une humeur négative pendant l’ictus pouvaient influencer les performances en mémoire épisodique (2). Il semble par ailleurs exister plusieurs types d’ictus (3). Une première catégorie regroupe des patients (principalement des femmes) présentant des facteurs de risque émotionnels (facteurs déclenchants émotionnels, antécédents d’anxiété et de dépression et troubles de la personnalité). Une deuxième catégorie est composée principalement d’hommes pour lesquels un facteur physique est incriminé (effort physique, changement de température, etc.). Enfin, un troisième groupe comprend des patients plus jeunes avec des antécédents de migraine. L’existence de ces différentes catégories de patients associées à des facteurs de risque spécifiques constitue un élément de compréhension de l’étiologie de ce syndrome, situé à la frontière de la neurologie et de la psychiatrie. L’ictus a peu été étudié pendant sa phase aiguë en raison du caractère fugace de l’amnésie ; il n’en constitue pas moins un modèle exceptionnel d’étude de la mémoire humaine. En effet, il s’agit d’un syndrome amnésique massif, survenant chez un sujet en bonne santé qui jouera le rôle de son propre témoin une fois qu’il aura recouvré ses capacités mnésiques. Au moyen d’explorations neuropsychologiques très précises réalisées pendant l’ictus et lors de la phase de récupération, il a par exemple été possible de décrire des liens entre les mécanismes impliqués dans la mémoire de travail et dans la formation des souvenirs épisodiques (4, 5). Dans ce type de recherche, l’ictus devient un modèle d’étude de la mémoire humaine et, au-delà, un outil pour la compréhension de diverses formes d’amnésies. ■ Références bibliographiques 1. Guyotat J, Courjon J. Les ictus amnésiques. Le Journal de Médecine de Lyon 1956;37:697-701. 2. Noël A, Quinette P, Guillery-Girard B et al. Psychopathological factors, memory disorders and transient global amnesia. Br J Psychiatry 2008;193:145-51. 3. Quinette P, Guillery-Girard B, Dayan J et al. What does transient global amnesia really mean? Review of the literature and thorough study of 142 cases. Brain 2006;129:1640-58. 4. Quinette P, Guillery B, Desgranges B, de la Sayette V, Viader F, Eustache F. Working memory and executive func- 26 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 1 - janvier-février 2010 tions in transient global amnesia. Brain 2003;126:1917-34. 5. Quinette P., Guillery-Girard B., Noël A et al. The relationship between working memory and episodic memory disorders in transient global amnesia. Neuropsychologia 2006;44:2508-19.