Synthèse Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2006 ; 4 (1) : 31-8 Les amnésies transitoires chez le sujet âgé Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. FRANÇOIS SELLAL Centre mémoire de ressources et de recherche, Département de neurologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg et Inserm U692 <[email protected]> Tirés à part : F. Sellal Résumé. Les amnésies transitoires du sujet âgé relèvent essentiellement de deux grandes étiologies, l’ictus amnésique et les amnésies iatrogènes ou toxiques. On peut y rajouter deux étiologies plus rares : les amnésies d’origine vasculaire et celles d’origine épileptique. Les amnésies transitoires psychogènes, observées chez le sujet de moins de 50 ans, sont plutôt rares chez les sujets âgés ou très âgés, du moins au regard de la littérature. L’ictus amnésique est le prototype de l’amnésie transitoire. Il survient avec un pic de fréquence chez le sujet adulte mûr, par définition sans cause précise, même si on accepte la possibilité d’un déclenchement à l’occasion d’une émotion ou d’un traumatisme crânien mineur. Son mécanisme reste sujet à discussion. Les amnésies iatrogènes les plus fréquentes sont imputables à la prise de benzodiazépines ou d’anticholinergiques. Une amnésie d’origine vasculaire doit être particulièrement évoquée lorsqu’existent d’autres signes neurologiques ou que la régression des troubles est lente. Enfin, une épilepsie partielle, le plus souvent temporale, mais parfois frontale, est susceptible d’apparaître chez un sujet âgé sans antécédent épileptique connu et de se traduire par des épisodes amnésiques. Mots clés : ictus amnésique, amnésie transitoire, épilepsie, ischémie cérébrale, amnésie psychogène, sujet âgé Abstract. The two main aetiologies of transient amnesia in the elderly are idiopathic transient global amnesia (TGA) and iatrogenic or toxic amnesia. Vascular and epileptic amnesia are less common. According to the literature, transient psychogenic amnesia, which is a frequent cause of amnesia at age 30 to 50, is very rare in the elderly. TGA is the prototypical picture of transient amnesia. It occurs more often after age 50, with no identified cause, even if some authors accept emotional stress or minor head trauma as occasional precipitants. The mechanism of TGA remains a matter of discussion. It may be the consequence of a spreading depression similar to that described in migraine with aura, but other arguments support an ischemic mechanism. Iatrogenic amnesias are mainly caused by benzodiazepines (BZs) or anticholinergics. The former may occur in a non-anxious subject, who is not a usual consumer of BZ and takes a single dose. The latter are more often due to a hypersensitivity to anticholinergic drugs, in particular in patients presenting with a covert, incipient Alzheimer’s disease. A vascular origin must be considered when amnesia is accompanied by other neurological symptoms, and when the regression of the amnesic disorder is slow, lasting several days. It results from lesions involving various mechanisms and locations, mainly subcortical. Partial seizures, most often mesio-temporal, more rarely frontal, may be the cause of transient amnesia in the elderly, in the absence of a past history of epilepsy. The red flag supportive of an epileptic origin is the repetition of stereotyped amnesic episodes. EEG demonstration of seizures may be difficult and the response to antiepileptic drugs effective on partial seizures is usually good. Key words: transient global amnesia, cerebral ischemia, epilepsy, elderly, drug, psychogenic amnesia L es troubles de la mémoire font partie des dysfonctionnements les plus communs lors d’une souffrance cérébrale. Certaines amnésies se distinguent par une évolution transitoire (en pratique, de quelques minutes à quelques jours), qui en rend le pronostic plus favorable. La diversité des étiologies responsables rend cependant nécessaire une bonne connaissance des caractéristiques sémiologiques qui Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 1, mars 2006 leur sont inhérentes, afin d’améliorer la qualité du diagnostic mais aussi du bilan et de la prise en charge ultérieure des patients. Ictus amnésique L’amnésie transitoire la plus emblématique est réalisée par l’ictus amnésique, au point que, dans la termi- 31 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. F. Sellal nologie médicale anglo-saxonne, il est désigné sous le terme, pourtant moins spécifique, de transient global amnesia (amnésie globale transitoire). La sémiologie de l’ictus amnésique est tellement stéréotypée et caractéristique que le diagnostic peut en être fait rétrospectivement, sur les seules données d’interrogatoire. Il se présente comme une amnésie antérograde massive, avec oubli à mesure, d’installation aiguë ou très rapide. Le sujet en a une certaine conscience car il apparaît le plus souvent inquiet, perplexe, posant de façon incessante la même question sur la date, le lieu ou sur ce qui vient de se passer. L’amnésie peut comporter un débord rétrograde, mais les faits très anciens sont bien préservés et le patient ne perd jamais son identité [1]. Alors que la mémoire explicite est sévèrement détériorée, un apprentissage implicite, donc inconscient, reste possible [2]. Par définition, il n’y a pas d’autre signe neurologique que l’amnésie, tant à l’examen somatique qu’à l’examen neuropsychologique. Le patient est parfaitement alerte, coopérant, et n’a aucun problème de mémoire de travail, de langage ou de raisonnement. Le tableau est spontanément régressif, de façon plus progressive que lors de son installation. L’amnésie antérograde a toujours disparu dans les 24 heures, en laissant pour séquelle une amnésie lacunaire couvrant la durée de l’épisode. Celui-ci est le plus souvent unique dans la vie d’un patient, mais environ 15 % des malades font plus d’un ictus amnésique. Au-delà de trois épisodes d’ictus amnésique il faut remettre en question le diagnostic [3]. Points clés • La grande majorité des amnésies transitoires chez le sujet âgé est liée à un syndrome d’origine inconnue, habituellement bénin, l’ictus amnésique. • La répétition de plusieurs amnésies transitoires ou la présence de signes neurologiques d’accompagnement doit faire soupçonner un mécanisme épileptique ou vasculaire. • La survenue d’amnésies transitoires est fréquente après la prise d’une dose usuelle de benzodiazépine ou d’un médicament anticholinergique, mais nécessite d’éliminer, chez le sujet âgé, une maladie d’Alzheimer sous-jacente. • Les amnésies purement psychogènes paraissent plus rares chez les sujets âgés, mais le déclenchement des ictus amnésiques est très souvent émotionnel. 32 Deux grandes études cas-témoins ont permis de mettre en évidence un certain nombre de facteurs favorisants : forte émotion (confrontation à une mauvaise nouvelle, accident même sans aucun traumatisme physique, visite d’un cimetière, etc.), vive douleur (par exemple à l’occasion d’une douleur abdominale aiguë ou d’une extraction dentaire), relation sexuelle, effort sportif intense, traumatisme crânien mineur (en particulier lors d’activités sportives, comme au football ou au rugby, ce qui est l’apanage d’une population plus jeune). Plus anecdotiques sont les ictus amnésiques décrits après une artériographie, une immersion en eau froide ou chaude [3-5]. D’un point de vue épidémiologique il n’y a pas de nette prépondérance liée au sexe. La répartition par âge montre un pic après l’âge de 50 ans, avec près de 75 % des cas entre 50 et 70 ans. Ainsi, en regroupant 1 082 cas de la littérature, l’âge moyen de survenue était de 60,7 ans, avec une fourchette de 13 à 84 ans [3]. Sur le plan physiopathogénique, les hypothèses épileptiques ou artérielles ischémiques ne sont plus guères retenues [6]. Certains auteurs ont souligné la parenté des phénomènes observés lors d’un ictus amnésique avec le phénomène dit de « dépression envahissante » des auras migraineuses. La dépression envahissante correspond à une onde de dépolarisation de durée brève, qui se propage de proche en proche sur le cortex à une vitesse de 3 à 5 mm/min. Dans le cas de l’ictus amnésique, on peut concevoir qu’une stimulation sensorielle intense ou une forte émotion entraîne un relargage de glutamate dans l’hippocampe et induise une dépression envahissante [7]. L’avènement de l’imagerie fonctionnelle semble confirmer une telle hypothèse, puisqu’elle a permis de mettre en évidence un découplage entre la consommation d’oxygène et la perfusion cérébrale dans certaines régions cérébrales. Ainsi, dans une étude utilisant la tomographie à émission de positons chez un patient au cours d’un ictus amnésique, il a été montré que le débit sanguin cérébral était préservé alors qu’il existait une chute de l’activité métabolique qui prédominait dans le cortex fronto-temporal droit [2]. Cette implication des régions néocorticales plutôt que du système hippocampique est, à première vue, surprenante et n’a été observée que dans quelques cas [2, 8]. Elle reste à confirmer sur de plus grandes populations. Une autre étude a été menée chez 31 patients en utilisant l’IRM en séquences de diffusion. Les examens étaient effectués, pour chaque patient, le jour de l’ictus amnésique puis les deux jours suivants. Dans l’énorme majorité des cas (26 sur 31), des anomalies punctifor- Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 1, mars 2006 Les amnésies transitoires Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. mes furent observées dans les parties latérales des hippocampes. Curieusement, ces anomalies étaient rarement présentes le jour initial mais étaient toujours observées sur l’IRM faite à 48 heures. Ces résultats remettent au premier plan le rôle des hippocampes, mais le profil des anomalies est ainsi bien différent de ce qu’on pourrait observer dans un accident ischémique transitoire. Les auteurs se sont cependant interrogés sur un mécanisme ischémique retardé, impliquant peut-être une oligémie induite par une congestion veineuse [9]. Amnésie épileptique Les crises épileptiques partielles mésio-temporales sont particulièrement susceptibles d’induire des amnésies transitoires. Le plus souvent elles sont secondaires à une lésion hippocampique visible en imagerie, telle qu’une sclérose ou une dysgénésie hippocampiques focales. Elles sont d’autant plus susceptibles de se manifester par une amnésie que les crises ont tendance à se bilatéraliser en miroir, donc d’impliquer l’hippocampe controlatéral. Le dysfonctionnement des deux régions hippocampiques reproduit alors, mais de façon transitoire, celui qui est observé dans l’amnésie permanente après lobectomie bitemporale, bien décrite chez le célèbre malade HM [10]. L’amnésie porte sur la mémoire explicite antérograde, avec un débord rétrograde limité, le plus souvent de quelques mois ou quelques années. Lorsque la décharge ne s’étend pas aux régions du langage, le patient est parfaitement capable de s’exprimer, de comprendre par voie orale comme écrite ; il peut poursuivre des activités en cours et paraître normal à son entourage. Luimême n’a habituellement aucune conscience de son amnésie et ce n’est que a posteriori que celle-ci devient évidente : tout ce qui s’est produit durant la crise est totalement oublié. Dans certains cas, la présentation ressemble plus à celle d’un ictus amnésique, avec un malade perplexe, qui pose sans cesse les mêmes questions. La durée totale de l’amnésie peut excéder la durée de la crise lorsqu’il existe une période de déficit post-critique (phénomène de Todd). On a ainsi pu décrire des amnésies de 10 à 60 minutes chez des sujets faisant des crises qui, en elles-mêmes, n’excédaient pas 2 minutes [11, 12]. La fin de la période amnésique est toujours plus graduelle que le début. Parfois de très discrets signes permettent à l’observateur averti de suspecter une crise d’épilepsie : frottement du nez, mâchonnement, petits gestes automatiques. Selon l’extension de la décharge épileptique à Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 1, mars 2006 partir du foyer initial, d’une crise à l’autre la sémiologie peut s’enrichir et comporter des ruptures de contact. Le diagnostic d’épilepsie est alors grandement facilité. Certes, la situation la plus fréquente concerne des sujets jeunes, dont les crises épileptiques partielles commencent à l’adolescence ou au début de la vie adulte. On sait cependant qu’il existe un pic de fréquence des crises épileptiques chez le sujet âgé. En règle générale, il s’agit de crises partielles d’origine lésionnelle, en particulier (mais non exclusivement) survenant à distance d’accidents vasculaires cérébraux. Une épilepsie partielle mésio-temporale peut donc débuter chez l’adulte d’âge mûr, voire chez la personne âgée et le diagnostic peut alors se révéler difficile pour plusieurs raisons : le patient n’a pas d’antécédent épileptique ou neurologique connu ; les crises évidentes sont parfois trop espacées pour être détectables lors des examens fonctionnels (EEG, tomoscintigraphie, etc.) réalisés au décours immédiat d’un épisode amnésique ; les crises purement hippocampiques sont parfois difficiles à enregistrer à l’aide de techniques classiques d’EEG sur le scalp et sont mises en évidence seulement lors d’enregistrements en vidéo-EEG du sommeil, voire à l’aide d’électrodes intracrâniennes [12, 13] ; la démonstration en IRM d’une lésion hippocampique sous-jacente est plus rare que chez le sujet jeune. Ainsi, certains patients s’adressent-ils à une consultation mémoire et il faut alors reconnaître l’origine épileptique des plaintes mnésiques. C’est ce qui a présidé à l’émergence du concept « d’amnésie épileptique transitoire ». Les caractéristiques d’une amnésie transitoire devant faire évoquer une origine épileptique sont, entre autres, la durée brève des épisodes amnésiques (moins d’une heure), leur survenue après une période de sommeil, leur répétition, la description de mouvements automatiques et stéréotypés, de modifications comportementales lors de certains épisodes, la persistance de légers troubles mnésiques entre les épisodes de franche amnésie [14, 15]. Lorsqu’une épilepsie est suspectée il est nécessaire d’aller plus loin que l’enregistrement d’un EEG intercritique qui, certes, peut montrer des anomalies épileptiques ou un ralentissement temporal, mais qui est souvent normal. Ce n’est alors que la répétition des enregistrements et, surtout, un enregistrement en vidéo-EEG d’une nuit de sommeil qui permet de prouver l’existence de l’épilepsie. L’IRM centrée sur les hippocampes doit être systématiquement demandée à la recherche d’inconstantes anomalies causales [12, 14, 15]. Les traitements anti-épileptiques actifs sur les cri- 33 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. F. Sellal ses partielles ont habituellement une remarquable efficacité sur les crises et les éventuels troubles mnésiques résiduels. Amnésie transitoire et accident vasculaire cérébral Deux singularités de l’amnésie épileptique méritent d’être encore mentionnées. Dans certains cas, toutes les crises hippocampiques ne sont pas cliniquement individualisables ou enregistrables mais, à la longue, leur répétition, jointe à l’existence de périodes d’amnésie post-critique, peut finir par réaliser non plus un tableau d’amnésie transitoire mais celui d’une amnésie durable. Son installation plutôt progressive peut en imposer pour une amnésie d’origine dégénérative et faire porter indûment un diagnostic de maladie d’Alzheimer au stade prédémentiel, d’autant plus que de tels tableaux peuvent débuter chez des sujets de plus de 65 ans sans antécédent épileptique. Une atypie doit particulièrement mettre le clinicien en éveil : les IRM ne montrent habituellement ni atrophie hippocampique, ni diminution du volume hippocampique lors d’un suivi volumétrique. Les EEG aident à rectifier le diagnostic et la réponse au traitement est, là aussi, toujours bonne [16]. La possibilité de trouver un AVC ischémique ou, exceptionnellement hémorragique, à l’origine d’une amnésie transitoire est faible, de l’ordre de 5 %, lorsqu’on cumule dans cette analyse les amnésies isolées (qui pourraient donc être prises pour des ictus amnésiques) et celles qui s’accompagnent d’autres signes neurologiques [18]. Il s’agit habituellement d’AVC sous-corticaux de petite taille et leur démonstration était relativement difficile à l’ère du scanner. Dans un travail prospectif qui consistait en la réalisation systématique d’un scanner cérébral 7 jours après une amnésie transitoire, Bogouslavssky et Regli [19] avaient cependant trouvé 4 patients sur 42 chez lesquels l’amnésie avait pu être imputée à un AVC. L’actuelle généralisation de l’IRM permet une analyse plus précise des lésions responsables. Une amnésie transitoire pure a été décrite après des lésions unilatérales : infarctus ou hémorragie du thalamus, infarctus des ganglions de la base, lacune capsulo-lenticulaire, hématomes superficiels ou profonds temporaux, infarctus rétrosplénial [20, 21]. Les infarctus dans le territoire de l’artère cérébrale postérieure ou dans les territoires jonctionnels peuvent aussi donner une amnésie transitoire ou plus durable, mais elle est toujours associée à d’autres signes neurologiques : sensations ébrieuses, ataxie, diplopie, amputation du champ visuel, paresthésies, déficit moteur, agnosie visuelle, aphasie anomique [20]. Le plus souvent, la lésion responsable est unilatérale, quelle qu’en soit la latéralité. Lorsque la lésion est bilatérale, il s’agit habituellement d’un infarctus bithalamique qui lèse les faisceaux mamillo-thalamiques. L’amnésie s’accompagne alors de paralysies oculomotrices, le plus souvent d’une paralysie de la verticalité du regard, et d’une sensation d’instabilité. Lors de telles lésions bilatérales, il est, en fait, exceptionnel que l’amnésie soit transitoire [22, 23]. L’autre singularité concerne les crises d’épilepsie fronto-basales. Celles-ci sont beaucoup plus rares que les crises hippocampiques. Elles ne vont pas contrarier les phénomènes d’encodage de l’information mais leur rappel. On peut donc assister à des amnésies transitoires consistant en un trouble isolé du rappel, réalisant donc essentiellement une amnésie rétrograde. Les éléments d’alerte sont la durée brève de ces amnésies et leur répétition. Les crises frontales peuvent donner plus facilement des états de mal. On a ainsi pu décrire une patiente qui avait présenté une amnésie rétrograde sévère avec perte de son identité et totale désorientation temporo-spatiale pendant 10 heures. Elle semblait avoir, en outre, une amnésie antérograde, puisqu’elle était également incapable de rappeler des informations apprises quelques minutes auparavant. Les troubles cognitifs ne s’associaient qu’à quelques clignements palpébraux irréguliers. Après la crise, la patiente fut capable de restituer tous les événements survenus lors de l’état de mal, ce qui prouve que pendant la crise elle était capable d’enregistrer (du fait de l’intégrité du système hippocampique) mais incapable de rappeler les informations, qu’elles soient anciennes ou récemment acquises [17]). Bien qu’un tel tableau d’amnésie rétrograde soit rare, nous avons aussi eu l’occasion de l’observer chez des sujets âgés sans antécédent épileptique connu. Là encore, la réponse au traitement antiépileptique est généralement très bonne. 34 La physiopathogénie des amnésies d’origine ischémique est très variable : accident d’origine athéroscléreuse, dissection carotidienne ou vertébrale, dissection aortique, syndrome de Sneddon, complications d’angiographie [20, 24]. De façon plus anecdotique ont aussi été décrites des amnésies transitoires après un hématome temporal [25], un hématome sous-dural [26], une hémorragie sous-arachnoïdienne [20], une vascularite dysimmunitaire [27, 28] ou syphilitique [20]. La récupération des troubles de la mémoire n’est parfois que partielle, comme par exemple dans le cas décrit par Evans et al. [28], qui avait récupéré sa Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 1, mars 2006 Les amnésies transitoires mémoire antérograde mais gardait de sévères troubles de la mémoire rétrograde du fait de multiples lésions néocorticales. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Amnésie transitoire et migraine La description d’épisodes d’amnésie transitoire au cours des crises migraineuses est très rare et les quelques observations décrites suggèrent que les céphalées migraineuses auraient joué le rôle de déclencheur d’un ictus amnésique, au même titre qu’une douleur d’autre origine. Dans cette optique, on a également décrit des ictus amnésiques survenant après une crise de colique néphrétique ou des thermocoagulations du nerf trijumeau [29]. Il n’existe donc pas d’aura amnésique, mais plutôt une succession de deux événements dont l’un est induit par l’autre. Pradalier [30] a également décrit un cas d’ictus amnésique lors d’une crise de migraine compliquée. Le patient avait cependant traité ses céphalées en abusant de vasoconstricteurs et fait, probablement lors de cet accès migraineux, un accident ischémique thalamique droit. Dans un tel cas, il devient difficile de déterminer ce qui, de la douleur intense, de l’abus de vasoconstricteurs ou de l’infarctus thalamique a été déterminant dans la genèse de l’amnésie transitoire. Amnésie iatrogène Deux classes de médicaments sont particulièrement susceptibles de donner une amnésie transitoire : les benzodiazépines et les anticholinergiques. L’imputabilité de ces derniers est parfois plus difficile à évoquer car les anticholinergiques purs sont relativement peu utilisés, sauf dans certaines pathologies extrapyramidales (trihexyphénidyle prescrit contre le tremblement parkinsonien, les dystonies ou comme « correcteur » lors d’un traitement neuroleptique) ou urinaires (oxybutynine contre l’instabilité mictionnelle). Le plus souvent l’effet anticholinergique est masqué, puisqu’on peut avoir affaire à des molécules qui ont un effet anticholinergique accessoire par rapport à leur activité principale. C’est particulièrement le cas des antidépresseurs de première génération (amitryptiline, clomipramine, etc.). L’effet amnésiant des benzodiazépines est connu de longue date puisqu’il a été démontré en pré-anesthésie dès 1965 [31]. On avait alors constaté que 52 % des patients recevant du diazépam en prémédication lors d’une intervention chirurgicale ne gardaient, le lendemain, aucun souvenir de la journée de l’opération. Cet Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 1, mars 2006 effet a été en particulier stigmatisé lors de l’apparition de benzodiazépines à demi-vie brève et pic plasmatique précoce, prescrites comme hypnotiques. Les amnésies les plus spectaculaires ont ainsi été observées chez des consommateurs inhabituels de benzodiazépines prenant une forte dose de triazolam, par exemple pour dormir lors d’un vol transatlantique. Les sujets réveillés alors que la benzodiazépine faisait encore son effet paraissaient normaux à leur entourage mais, le lendemain, avaient perdu tout souvenir du voyage et de leur arrivée à destination [32]. L’effet des benzodiazépines sur la mémoire a été largement étudié. Il est net lorsque la benzodiazépine est prise par un sujet non anxieux et non consommateur habituel de benzodiazépines. On peut alors observer une amnésie antérograde massive avec un oubli à mesure comparable à celui qui est décrit dans l’ictus amnésique. En revanche, le sujet n’a aucune conscience de son trouble et n’exprime pas la moindre inquiétude, même lorsqu’on le confronte à son amnésie, ce qui est bien expliqué par l’effet anxiolytique des benzodiazépines. La mémoire rétrograde est plutôt bien préservée, la mémoire à court terme et les autres fonctions cognitives ne sont pas altérées de façon évidente. L’effet amnésiant est indépendant d’un effet sédatif. La durée de l’amnésie est fonction de la dose administrée, de la voie d’administration et de la nature de la benzodiazépine. Elle est habituellement de quelques heures. Lors de prises répétées de la benzodiazépine, l’amnésie est nettement moins marquée et tend à ne plus se renouveler [33, 34]. Les sujets âgés seraient particulièrement sensibles à l’effet amnésiant des benzodiazépines, puisque des doses de 2,5 mg de diazépam sont susceptibles d’induire des troubles mnésiques, alors que les sujets jeunes en sont indemnes [35]. Ceci peut être lié à une plus grande susceptibilité à l’effet du médicament, mais aussi au niveau de base des sujets testés. D’autres auteurs ont en effet montré que, sous diazépam, les sujets âgés (de 61 à 73 ans) avaient le même décrément de leurs performances mnésiques que des sujets plus jeunes (un groupe de 19 à 28 ans et un autre de 40 à 50 ans), mais des performances mnésiques basales plus faibles. Les troubles mnésiques sont, dans ces conditions, plus aisément détectés [36]. Il existe aussi une sensibilité individuelle particulière aux benzodiazépines, dont le mécanisme est peu connu. Trillet et Laurent [37] ont ainsi décrit une patiente dont le père et la grand-mère paternelle avaient présenté une amnésie globale transitoire comparable à la sienne, après la prise d’un demi-comprimé de triazolam. 35 F. Sellal Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Il convient, enfin, de ne pas généraliser cet effet amnésiant observé chez des volontaires sains ou des sujets non anxieux à l’ensemble des malades prenant des benzodiazépines : l’anxiété est source de troubles de la mémoire qui peuvent être, au contraire, améliorés par une benzodiazépine [38]. La découverte de la déplétion cholinergique dans la maladie d’Alzheimer a suscité dans les années 1980 des travaux sur l’amnésie due aux anticholinergiques, qui a été vue pendant un certain temps comme un modèle, en fait bien simpliste, de cette maladie [39]. Le rôle des voies cholinergiques dans la mémoire a été en particulier souligné par les effets amnésiants voire confusiogènes des anticholinergiques, que ce soit dans la maladie d’Alzheimer, par exemple après administration de scopolamine en collyre [40], ou dans la maladie de Parkinson après prise de trihexyphénidyle [41] ou de procyclidine [37]. Des troubles mnésiques ont ensuite été mis en évidence chez des sujets âgés sains prenant des doses quotidiennes de 4 mg de trihexyphénidyle pendant 4 jours [42], puis chez le volontaire sain jeune recevant des doses sous-cutanées de scopolamine [43] ou de hyoscine [39]. Ces molécules, comme les autres anticholinergiques, induisent une amnésie antérograde explicite qui se traduit par une diminution des capacités d’apprentissage (mauvais rappels libres et indicés, mauvaise reconnaissance), mais avec préservation de la mémoire implicite, que ce soit dans des tâches d’amorçage ou de mémoire procédurale [39, 43]. Les effets des anticholinergiques sont transitoires, mais rarement purs car ils sont susceptibles d’entraîner concomitamment des troubles de la mémoire de travail, de l’attention sélective, de la vigilance, des perturbations des fonctions exécutives, de la perception du temps et des hallucinations [39, 44, 45]. En pratique clinique, des amnésies transitoires sont susceptibles d’être liées à un effet anticholinergique, soit lorsqu’on utilise des anticholinergiques purs, en particulier les médicaments à visée urologique (oxybutynine), soit après prescription de molécules ayant un effet anticholinergique accessoire, le plus souvent des antidépresseurs de première génération (amitryptilline, clomipramine, etc.). Il s’agit parfois d’une amnésie antérograde relativement brève, proche d’un ictus amnésique [46, 47], mais parfois plutôt d’une confusion avec amnésie lacunaire séquellaire. Il faut toujours, dans un tel cas, se poser la question d’une hypersensibilité aux anticholinergiques révélatrice d’une maladie d’Alzheimer débutante. Une telle 36 éventualité peut également se présenter avec des toxiques comme l’alcool, dont l’effet amnésiant peut être potentialisé chez une personne présentant une démence débutante. Amnésie psychogène La nosographie est tentée de tracer une ligne de démarcation claire entre les troubles psychogènes, parfois qualifiés de fonctionnels, et les troubles organiques. Rien ne se révèle plus difficile en pratique que cette séparation de l’âme et du corps. L’assimilation des troubles fonctionnels aux troubles psychogènes vient encore plus obscurcir les découpages. À titre d’illustration, tout le monde s’accordera à dire qu’une amnésie épileptique est fonctionnelle. Or, personne ne se hasarderait à la qualifier de psychogène. A contrario, l’ictus amnésique est toujours classé dans les amnésies neurologiques. Or, nous avons vu que les différentes études épidémiologiques s’accordent à attribuer ce syndrome, dans environ un tiers des cas, à un choc émotionnel, donc à un déclenchement éminemment psychogène [4, 5]. Une même remarque pourrait être faite au sujet des amnésies posttraumatiques, dont on sait qu’elles ne sont pas proportionnelles à l’importance du traumatisme. Or, un traumatisme crânien peut constituer autant un traumatisme psychique que physique et faire la part des choses, par exemple devant une amnésie rétrograde post-traumatique, devient à la fois hasardeux et vain [48, 49]. Quoi qu’il en soit, certains tableaux d’amnésie transitoire sont considérés comme clairement psychogènes et, depuis Janet, sont souvent qualifiés de « réactions dissociatives ». C’est ce terme d’amnésie dissociative qui a été adopté par le DSM-IV [50] pour qualifier trois états différents : l’amnésie dissociative, la fugue dissociative et le trouble dissociatif de l’identité (auparavant appelé personnalité multiple). L’amnésie dissociative se caractérise par la survenue d’un ou plusieurs épisodes durant lesquels le patient est totalement incapable de rappeler des souvenirs personnels importants, habituellement traumatiques ou stressants. Cette incapacité tranche avec une mémoire par ailleurs préservée pour d’autres informations (telles que des informations sémantiques ou personnelles de faible valence émotionnelle). L’amnésie a un caractère lacunaire très singulier, une installation et une résolution brutales, une durée très variable puisqu’elle peut se résoudre en quelques jours [51] ou après plus de Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° 1, mars 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Les amnésies transitoires 16 ans [52]. Elle frappe exceptionnellement le sujet âgé, puisque les cas décrits sont généralement des sujets dans leur 3e à 5e décennie, plus volontiers de sexe féminin, avec des traits de personnalité hystérique [53]. L’absence de personnalité hystérique n’élimine cependant pas une amnésie psychogène ! Dans la fugue dissociative la principale perturbation est un départ soudain et inattendu du domicile ou du lieu de travail habituel. Le sujet étant incapable de se rappeler le passé, y compris son identité personnelle, réalise le tableau du classique « voyageur sans bagage » dont on ne sait ni qui il est ni d’où il vient. Enfin, dans le trouble dissociatif de l’identité, le patient a plusieurs identités avec des personnalités attachées à ces identités qui sont distinctes (chaque identité est associée à des modalités constantes et particulières de perception, de pensée et de relation concernant l’environnement et soi-même). Des études en imagerie fonctionnelle chez le sujet sain ont montré que la récupération des souvenirs épisodiques (donc à forte valence émotionnelle) serait principalement sous la dépendance du cortex préfrontal droit, alors que celle des souvenirs sémantiques serait plutôt sous la dépendance du cortex préfrontal gauche [54, 55]. Il semble que les amnésies rétrogrades psychogènes soient précisément associées à un dys- fonctionnement des régions fronto-temporales droites [56]. Le déterminisme exact de celui-ci, comme les processus neurobiologiques sous-jacents, restent cependant largement spéculatifs. Conclusion Les amnésies transitoires du sujet âgé relèvent essentiellement de deux grandes étiologies, l’ictus amnésique et les amnésies iatrogènes ou toxiques. Ces dernières traduisent souvent une susceptibilité anormale aux médicaments, du fait d’une affection neurologique latente (maladie d’Alzheimer débutante, lésions cérébrales diverses passées inaperçues...). Celle-ci doit donc toujours être cherchée. Les amnésies d’origine vasculaire et les amnésies d’origine épileptique sont plus rares, mais méritent d’être connues car elles débouchent sur des sanctions thérapeutiques. Les amnésies transitoires psychogènes, fréquentes chez le sujet de moins de 50 ans, sont exceptionnellement décrites chez des sujets âgés ou très âgés mais, de même qu’on a mis du temps à réaliser que les crises d’épilepsie sont fréquentes chez le sujet âgé, il ne serait pas surprenant qu’on découvre dans les années à venir que les amnésies psychogènes n’ont aucune raison de devenir rares avec le vieillissement. Références 1. Kritchevsky M, Squire LR, Zouzounis JA. Transient global amnesia : characterization of anterograde and retrograde amnesia. Neurology 1988 ; 38 : 213-9. 2. Eustache F, Desgranges B, Petit-Taboué MC, de la Sayette V, Piot V, Sablé C, et al. Transient global amnesia : implicit/explicit memory dissociation and PET assessment of brain perfusion and oxygen metabolism in the acute stage. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1997 ; 63 : 357-67. 3. Caplan LR. Transient global amnesia : characteristic features and overview. In : Markowitsch HJ, ed. 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