Synthèse
Les amnésies transitoires
chez le sujet âgé
FRANÇOIS SELLAL
Centre mémoire de
ressources et de recherche,
Département de neurologie,
Hôpitaux universitaires
de Strasbourg et Inserm U692
<Francois.Sellal@chru-
strasbourg.fr>
Tirésàpart:
F. Sellal
Résumé. Les amnésies transitoires du sujet âgé relèvent essentiellement de deux grandes
étiologies, l’ictus amnésique et les amnésies iatrogènes ou toxiques. On peut y rajouter
deux étiologies plus rares : les amnésies d’origine vasculaire et celles d’origine épileptique.
Les amnésies transitoires psychogènes, observées chez le sujet de moins de 50 ans, sont
plutôt rares chez les sujets âgés ou très âgés, du moins au regard de la littérature. L’ictus
amnésique est le prototype de l’amnésie transitoire. Il survient avec un pic de fréquence
chez le sujet adulte mûr, par définition sans cause précise, même si on accepte la possibilité
d’un déclenchement à l’occasion d’une émotion ou d’un traumatisme crânien mineur. Son
mécanisme reste sujet à discussion. Les amnésies iatrogènes les plus fréquentes sont
imputables à la prise de benzodiazépines ou d’anticholinergiques. Une amnésie d’origine
vasculaire doit être particulièrement évoquée lorsqu’existent d’autres signes neurologiques
ou que la régression des troubles est lente. Enfin, une épilepsie partielle, le plus souvent
temporale, mais parfois frontale, est susceptible d’apparaître chez un sujet âgé sans anté-
cédent épileptique connu et de se traduire par des épisodes amnésiques.
Mots clés : ictus amnésique, amnésie transitoire, épilepsie, ischémie cérébrale, amnésie
psychogène, sujet âgé
Abstract. The two main aetiologies of transient amnesia in the elderly are idiopathic tran-
sient global amnesia (TGA) and iatrogenic or toxic amnesia. Vascular and epileptic amnesia
are less common. According to the literature, transient psychogenic amnesia, which is a
frequent cause of amnesia at age 30 to 50, is very rare in the elderly. TGA is the prototypical
picture of transient amnesia. It occurs more often after age 50, with no identified cause,
even if some authors accept emotional stress or minor head trauma as occasional precipi-
tants. The mechanism of TGA remains a matter of discussion. It may be the consequence of
a spreading depression similar to that described in migraine with aura, but other arguments
support an ischemic mechanism. Iatrogenic amnesias are mainly caused by benzodiazepi-
nes (BZs) or anticholinergics. The former may occur in a non-anxious subject, who is not a
usual consumer of BZ and takes a single dose. The latter are more often due to a hypersen-
sitivity to anticholinergic drugs, in particular in patients presenting with a covert, incipient
Alzheimer’s disease. A vascular origin must be considered when amnesia is accompanied
by other neurological symptoms, and when the regression of the amnesic disorder is slow,
lasting several days. It results from lesions involving various mechanisms and locations,
mainly subcortical. Partial seizures, most often mesio-temporal, more rarely frontal, may be
the cause of transient amnesia in the elderly, in the absence of a past history of epilepsy.
The red flag supportive of an epileptic origin is the repetition of stereotyped amnesic
episodes. EEG demonstration of seizures may be difficult and the response to antiepileptic
drugs effective on partial seizures is usually good.
Key words:transient global amnesia, cerebral ischemia, epilepsy, elderly, drug,
psychogenic amnesia
Les troubles de la mémoire font partie des dys-
fonctionnements les plus communs lors d’une
souffrance cérébrale. Certaines amnésies se
distinguent par une évolution transitoire (en pratique,
de quelques minutes à quelques jours), qui en rend le
pronostic plus favorable. La diversité des étiologies
responsables rend cependant nécessaire une bonne
connaissance des caractéristiques sémiologiques qui
leur sont inhérentes, afin d’améliorer la qualité du dia-
gnostic mais aussi du bilan et de la prise en charge
ultérieure des patients.
Ictus amnésique
L’amnésie transitoire la plus emblématique est réa-
lisée par l’ictus amnésique, au point que, dans la termi-
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nologie médicale anglo-saxonne, il est désigné sous le
terme, pourtant moins spécifique, de transient global
amnesia (amnésie globale transitoire). La sémiologie
de l’ictus amnésique est tellement stéréotypée et carac-
téristique que le diagnostic peut en être fait rétrospecti-
vement, sur les seules données d’interrogatoire. Il se
présente comme une amnésie antérograde massive,
avec oubli à mesure, d’installation aiguë ou très rapide.
Le sujet en a une certaine conscience car il apparaît le
plus souvent inquiet, perplexe, posant de façon inces-
sante la même question sur la date, le lieu ou sur ce qui
vient de se passer. L’amnésie peut comporter un
débord rétrograde, mais les faits très anciens sont bien
préservés et le patient ne perd jamais son identité [1].
Alors que la mémoire explicite est sévèrement détério-
rée, un apprentissage implicite, donc inconscient, reste
possible [2]
. Par définition, il n’y a pas d’autre signe
neurologique que l’amnésie, tant à l’examen somatique
qu’à l’examen neuropsychologique. Le patient est par-
faitement alerte, coopérant, et n’a aucun problème de
mémoire de travail, de langage ou de raisonnement. Le
tableau est spontanément régressif, de façon plus pro-
gressive que lors de son installation. L’amnésie antéro-
grade a toujours disparu dans les 24 heures, en laissant
pour séquelle une amnésie lacunaire couvrant la durée
de l’épisode. Celui-ci est le plus souvent unique dans la
vie d’un patient, mais environ 15 % des malades font
plus d’un ictus amnésique. Au-delà de trois épisodes
d’ictus amnésique il faut remettre en question le dia-
gnostic [3]
.
Deux grandes études cas-témoins ont permis de
mettre en évidence un certain nombre de facteurs favo-
risants : forte émotion (confrontation à une mauvaise
nouvelle, accident même sans aucun traumatisme phy-
sique, visite d’un cimetière, etc.), vive douleur (par
exemple à l’occasion d’une douleur abdominale aiguë
ou d’une extraction dentaire), relation sexuelle, effort
sportif intense, traumatisme crânien mineur (en parti-
culier lors d’activités sportives, comme au football ou
au rugby, ce qui est l’apanage d’une population plus
jeune). Plus anecdotiques sont les ictus amnésiques
décrits après une artériographie, une immersion en
eau froide ou chaude [3-5].
D’un point de vue épidémiologique il n’y a pas de
nette prépondérance liée au sexe. La répartition par
âge montre un pic après l’âge de 50 ans, avec près de
75 % des cas entre 50 et 70 ans. Ainsi, en regroupant
1 082 cas de la littérature, l’âge moyen de survenue
était de 60,7 ans, avec une fourchette de 13 à 84 ans [3].
Sur le plan physiopathogénique, les hypothèses
épileptiques ou artérielles ischémiques ne sont plus
guères retenues [6]. Certains auteurs ont souligné la
parenté des phénomènes observés lors d’un ictus
amnésique avec le phénomène dit de « dépression
envahissante » des auras migraineuses. La dépression
envahissante correspond à une onde de dépolarisation
de durée brève, qui se propage de proche en proche
sur le cortex à une vitesse de3à5mm/min.Danslecas
de l’ictus amnésique, on peut concevoir qu’une stimu-
lation sensorielle intense ou une forte émotion entraîne
un relargage de glutamate dans l’hippocampe et
induise une dépression envahissante [7]. L’avènement
de l’imagerie fonctionnelle semble confirmer une telle
hypothèse, puisqu’elle a permis de mettre en évidence
un découplage entre la consommation d’oxygène et la
perfusion cérébrale dans certaines régions cérébrales.
Ainsi, dans une étude utilisant la tomographie à émis-
sion de positons chez un patient au cours d’un ictus
amnésique, il a été montré que le débit sanguin céré-
bral était préservé alors qu’il existait une chute de
l’activité métabolique qui prédominait dans le cortex
fronto-temporal droit [2]. Cette implication des régions
néocorticales plutôt que du système hippocampique
est, à première vue, surprenante et n’a été observée
que dans quelques cas [2, 8]. Elle reste à confirmer sur
de plus grandes populations.
Une autre étude a été menée chez 31 patients en
utilisant l’IRM en séquences de diffusion. Les examens
étaient effectués, pour chaque patient, le jour de l’ictus
amnésique puis les deux jours suivants. Dans l’énorme
majorité des cas (26 sur 31), des anomalies punctifor-
Points clés
La grande majorité des amnésies transitoires chez
le sujet âgé est liée à un syndrome d’origine incon-
nue, habituellement bénin, l’ictus amnésique.
La répétition de plusieurs amnésies transitoires ou
la présence de signes neurologiques d’accompagne-
ment doit faire soupçonner un mécanisme épilepti-
que ou vasculaire.
La survenue d’amnésies transitoires est fréquente
après la prise d’une dose usuelle de benzodiazépine
ou d’un médicament anticholinergique, mais néces-
site d’éliminer, chez le sujet âgé, une maladie
d’Alzheimer sous-jacente.
Les amnésies purement psychogènes paraissent
plus rares chez les sujets âgés, mais le déclenche-
ment des ictus amnésiques est très souvent émo-
tionnel.
F. Sellal
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mes furent observées dans les parties latérales des
hippocampes. Curieusement, ces anomalies étaient
rarement présentes le jour initial mais étaient toujours
observées sur l’IRM faite à 48 heures. Ces résultats
remettent au premier plan le rôle des hippocampes,
mais le profil des anomalies est ainsi bien différent de
ce qu’on pourrait observer dans un accident ischémi-
que transitoire. Les auteurs se sont cependant interro-
gés sur un mécanisme ischémique retardé, impliquant
peut-être une oligémie induite par une congestion vei-
neuse [9].
Amnésie épileptique
Les crises épileptiques partielles mésio-temporales
sont particulièrement susceptibles d’induire des amné-
sies transitoires. Le plus souvent elles sont secondaires
à une lésion hippocampique visible en imagerie, telle
qu’une sclérose ou une dysgénésie hippocampiques
focales. Elles sont d’autant plus susceptibles de se
manifester par une amnésie que les crises ont ten-
dance à se bilatéraliser en miroir, donc d’impliquer
l’hippocampe controlatéral. Le dysfonctionnement des
deux régions hippocampiques reproduit alors, mais de
façon transitoire, celui qui est observé dans l’amnésie
permanente après lobectomie bitemporale, bien
décrite chez le célèbre malade HM [10]. L’amnésie
porte sur la mémoire explicite antérograde, avec un
débord rétrograde limité, le plus souvent de quelques
mois ou quelques années. Lorsque la décharge ne
s’étend pas aux régions du langage, le patient est par-
faitement capable de s’exprimer, de comprendre par
voie orale comme écrite ; il peut poursuivre des activi-
tés en cours et paraître normal à son entourage. Lui-
même n’a habituellement aucune conscience de son
amnésie et ce n’est que a posteriori que celle-ci devient
évidente : tout ce qui s’est produit durant la crise est
totalement oublié. Dans certains cas, la présentation
ressemble plus à celle d’un ictus amnésique, avec un
malade perplexe, qui pose sans cesse les mêmes ques-
tions. La durée totale de l’amnésie peut excéder la
durée de la crise lorsqu’il existe une période de déficit
post-critique (phénomène de Todd). On a ainsi pu
décrire des amnésies de 10 à 60 minutes chez des
sujets faisant des crises qui, en elles-mêmes, n’excé-
daient pas 2 minutes [11, 12]. La fin de la période
amnésique est toujours plus graduelle que le début.
Parfois de très discrets signes permettent à l’observa-
teur averti de suspecter une crise d’épilepsie : frotte-
ment du nez, mâchonnement, petits gestes automati-
ques. Selon l’extension de la décharge épileptique à
partir du foyer initial, d’une crise à l’autre la sémiologie
peut s’enrichir et comporter des ruptures de contact. Le
diagnostic d’épilepsie est alors grandement facilité.
Certes, la situation la plus fréquente concerne des
sujets jeunes, dont les crises épileptiques partielles
commencent à l’adolescence ou au début de la vie
adulte. On sait cependant qu’il existe un pic de fré-
quence des crises épileptiques chez le sujet âgé. En
règle générale, il s’agit de crises partielles d’origine
lésionnelle, en particulier (mais non exclusivement)
survenant à distance d’accidents vasculaires céré-
braux. Une épilepsie partielle mésio-temporale peut
donc débuter chez l’adulte d’âge mûr, voire chez la
personne âgée et le diagnostic peut alors se révéler
difficile pour plusieurs raisons : le patient n’a pas
d’antécédent épileptique ou neurologique connu ; les
crises évidentes sont parfois trop espacées pour être
détectables lors des examens fonctionnels (EEG,
tomoscintigraphie, etc.) réalisés au décours immédiat
d’un épisode amnésique ; les crises purement hippo-
campiques sont parfois difficiles à enregistrer à l’aide
de techniques classiques d’EEG sur le scalp et sont
mises en évidence seulement lors d’enregistrements
en vidéo-EEG du sommeil, voire à l’aide d’électrodes
intracrâniennes [12, 13] ; la démonstration en IRM
d’une lésion hippocampique sous-jacente est plus rare
que chez le sujet jeune.
Ainsi, certains patients s’adressent-ils à une
consultation mémoire et il faut alors reconnaître l’ori-
gine épileptique des plaintes mnésiques. C’est ce qui
a présidé à l’émergence du concept « d’amnésie épi-
leptique transitoire ». Les caractéristiques d’une
amnésie transitoire devant faire évoquer une origine
épileptique sont, entre autres, la durée brève des épi-
sodes amnésiques (moins d’une heure), leur surve-
nue après une période de sommeil, leur répétition, la
description de mouvements automatiques et stéréo-
typés, de modifications comportementales lors de
certains épisodes, la persistance de légers troubles
mnésiques entre les épisodes de franche amnésie [14,
15]
. Lorsqu’une épilepsie est suspectée il est néces-
saire d’aller plus loin que l’enregistrement d’un EEG
intercritique qui, certes, peut montrer des anomalies
épileptiques ou un ralentissement temporal, mais qui
est souvent normal. Ce n’est alors que la répétition des
enregistrements et, surtout, un enregistrement en
vidéo-EEG d’une nuit de sommeil qui permet de prou-
ver l’existence de l’épilepsie. L’IRM centrée sur les hip-
pocampes doit être systématiquement demandée à la
recherche d’inconstantes anomalies causales [12, 14,
15]. Les traitements anti-épileptiques actifs sur les cri-
Les amnésies transitoires
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ses partielles ont habituellement une remarquable effi-
cacité sur les crises et les éventuels troubles mnési-
ques résiduels.
Deux singularités de l’amnésie épileptique méritent
d’être encore mentionnées. Dans certains cas, toutes
les crises hippocampiques ne sont pas cliniquement
individualisables ou enregistrables mais, à la longue,
leur répétition, jointe à l’existence de périodes d’amné-
sie post-critique, peut finir par réaliser non plus un
tableau d’amnésie transitoire mais celui d’une amnésie
durable. Son installation plutôt progressive peut en
imposer pour une amnésie d’origine dégénérative et
faire porter indûment un diagnostic de maladie
d’Alzheimer au stade prédémentiel, d’autant plus que
de tels tableaux peuvent débuter chez des sujets de
plus de 65 ans sans antécédent épileptique. Une atypie
doit particulièrement mettre le clinicien en éveil : les
IRM ne montrent habituellement ni atrophie hippocam-
pique, ni diminution du volume hippocampique lors
d’un suivi volumétrique. Les EEG aident à rectifier le
diagnostic et la réponse au traitement est, là aussi,
toujours bonne [16].
L’autre singularité concerne les crises d’épilepsie
fronto-basales. Celles-ci sont beaucoup plus rares que
les crises hippocampiques. Elles ne vont pas contrarier
les phénomènes d’encodage de l’information mais leur
rappel. On peut donc assister à des amnésies transitoi-
res consistant en un trouble isolé du rappel, réalisant
donc essentiellement une amnésie rétrograde. Les élé-
ments d’alerte sont la durée brève de ces amnésies et
leur répétition. Les crises frontales peuvent donner
plus facilement des états de mal. On a ainsi pu décrire
une patiente qui avait présenté une amnésie rétrograde
sévère avec perte de son identité et totale désorienta-
tion temporo-spatiale pendant 10 heures. Elle semblait
avoir, en outre, une amnésie antérograde, puisqu’elle
était également incapable de rappeler des informations
apprises quelques minutes auparavant. Les troubles
cognitifs ne s’associaient qu’à quelques clignements
palpébraux irréguliers. Après la crise, la patiente fut
capable de restituer tous les événements survenus lors
de l’état de mal, ce qui prouve que pendant la crise elle
était capable d’enregistrer (du fait de l’intégrité du sys-
tème hippocampique) mais incapable de rappeler les
informations, qu’elles soient anciennes ou récemment
acquises [17]). Bien qu’un tel tableau d’amnésie rétro-
grade soit rare, nous avons aussi eu l’occasion de
l’observer chez des sujets âgés sans antécédent épilep-
tique connu. Là encore, la réponse au traitement anti-
épileptique est généralement très bonne.
Amnésie transitoire
et accident vasculaire cérébral
La possibilité de trouver un AVC ischémique ou,
exceptionnellement hémorragique, à l’origine d’une
amnésie transitoire est faible, de l’ordre de 5 %,
lorsqu’on cumule dans cette analyse les amnésies iso-
lées (qui pourraient donc être prises pour des ictus
amnésiques) et celles qui s’accompagnent d’autres
signes neurologiques [18]. Il s’agit habituellement
d’AVC sous-corticaux de petite taille et leur démonstra-
tion était relativement difficile à l’ère du scanner. Dans
un travail prospectif qui consistait en la réalisation sys-
tématique d’un scanner cérébral 7 jours après une
amnésie transitoire, Bogouslavssky et Regli [19]
avaient cependant trouvé 4 patients sur 42 chez les-
quels l’amnésie avait pu être imputée à un AVC.
L’actuelle généralisation de l’IRM permet une analyse
plus précise des lésions responsables. Une amnésie
transitoire pure a été décrite après des lésions unilaté-
rales : infarctus ou hémorragie du thalamus, infarctus
des ganglions de la base, lacune capsulo-lenticulaire,
hématomes superficiels ou profonds temporaux,
infarctus rétrosplénial [20, 21]. Les infarctus dans le
territoire de l’artère cérébrale postérieure ou dans les
territoires jonctionnels peuvent aussi donner une
amnésie transitoire ou plus durable, mais elle est tou-
jours associée à d’autres signes neurologiques : sensa-
tions ébrieuses, ataxie, diplopie, amputation du champ
visuel, paresthésies, déficit moteur, agnosie visuelle,
aphasie anomique [20]. Le plus souvent, la lésion res-
ponsable est unilatérale, quelle qu’en soit la latéralité.
Lorsque la lésion est bilatérale, il s’agit habituellement
d’un infarctus bithalamique qui lèse les faisceaux
mamillo-thalamiques. L’amnésie s’accompagne alors
de paralysies oculomotrices, le plus souvent d’une
paralysie de la verticalité du regard, et d’une sensation
d’instabilité. Lors de telles lésions bilatérales, il est, en
fait, exceptionnel que l’amnésie soit transitoire [22, 23].
La physiopathogénie des amnésies d’origine isché-
mique est très variable : accident d’origine athérosclé-
reuse, dissection carotidienne ou vertébrale, dissection
aortique, syndrome de Sneddon, complications
d’angiographie [20, 24]. De façon plus anecdotique ont
aussi été décrites des amnésies transitoires après un
hématome temporal [25], un hématome sous-dural
[26], une hémorragie sous-arachnoïdienne [20], une
vascularite dysimmunitaire [27, 28] ou syphilitique [20].
La récupération des troubles de la mémoire n’est par-
fois que partielle, comme par exemple dans le cas
décrit par Evans et al. [28], qui avait récupéré sa
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mémoire antérograde mais gardait de sévères troubles
de la mémoire rétrograde du fait de multiples lésions
néocorticales.
Amnésie transitoire et migraine
La description d’épisodes d’amnésie transitoire au
cours des crises migraineuses est très rare et les quel-
ques observations décrites suggèrent que les cépha-
lées migraineuses auraient joué le rôle de déclencheur
d’un ictus amnésique, au même titre qu’une douleur
d’autre origine. Dans cette optique, on a également
décrit des ictus amnésiques survenant après une crise
de colique néphrétique ou des thermocoagulations du
nerf trijumeau [29]. Il n’existe donc pas d’aura amnési-
que, mais plutôt une succession de deux événements
dont l’un est induit par l’autre. Pradalier [30] a égale-
ment décrit un cas d’ictus amnésique lors d’une crise
de migraine compliquée. Le patient avait cependant
traité ses céphalées en abusant de vasoconstricteurs et
fait, probablement lors de cet accès migraineux, un
accident ischémique thalamique droit. Dans un tel cas,
il devient difficile de déterminer ce qui, de la douleur
intense, de l’abus de vasoconstricteurs ou de l’infarctus
thalamique a été déterminant dans la genèse de
l’amnésie transitoire.
Amnésie iatrogène
Deux classes de médicaments sont particulière-
ment susceptibles de donner une amnésie transitoire :
les benzodiazépines et les anticholinergiques. L’impu-
tabilité de ces derniers est parfois plus difficile à évo-
quer car les anticholinergiques purs sont relativement
peu utilisés, sauf dans certaines pathologies extrapyra-
midales (trihexyphénidyle prescrit contre le tremble-
ment parkinsonien, les dystonies ou comme « correc-
teur » lors d’un traitement neuroleptique) ou urinaires
(oxybutynine contre l’instabilité mictionnelle). Le plus
souvent l’effet anticholinergique est masqué, puisqu’on
peut avoir affaire à des molécules qui ont un effet anti-
cholinergique accessoire par rapport à leur activité
principale. C’est particulièrement le cas des antidépres-
seurs de première génération (amitryptiline, clomipra-
mine, etc.).
L’effet amnésiant des benzodiazépines est connu de
longue date puisqu’il a été démontré en pré-anesthésie
dès 1965 [31]. On avait alors constaté que 52 % des
patients recevant du diazépam en prémédication lors
d’une intervention chirurgicale ne gardaient, le lende-
main, aucun souvenir de la journée de l’opération. Cet
effet a été en particulier stigmatisé lors de l’apparition
de benzodiazépines à demi-vie brève et pic plasmati-
que précoce, prescrites comme hypnotiques. Les
amnésies les plus spectaculaires ont ainsi été obser-
vées chez des consommateurs inhabituels de benzo-
diazépines prenant une forte dose de triazolam, par
exemple pour dormir lors d’un vol transatlantique. Les
sujets réveillés alors que la benzodiazépine faisait
encore son effet paraissaient normaux à leur entourage
mais, le lendemain, avaient perdu tout souvenir du
voyage et de leur arrivée à destination [32]. L’effet des
benzodiazépines sur la mémoire a été largement étu-
dié. Il est net lorsque la benzodiazépine est prise par un
sujet non anxieux et non consommateur habituel de
benzodiazépines. On peut alors observer une amnésie
antérograde massive avec un oubli à mesure compara-
ble à celui qui est décrit dans l’ictus amnésique. En
revanche, le sujet n’a aucune conscience de son trou-
ble et n’exprime pas la moindre inquiétude, même
lorsqu’on le confronte à son amnésie, ce qui est bien
expliqué par l’effet anxiolytique des benzodiazépines.
La mémoire rétrograde est plutôt bien préservée, la
mémoire à court terme et les autres fonctions cogniti-
ves ne sont pas altérées de façon évidente. L’effet
amnésiant est indépendant d’un effet sédatif. La durée
de l’amnésie est fonction de la dose administrée, de la
voie d’administration et de la nature de la benzodiazé-
pine. Elle est habituellement de quelques heures. Lors
de prises répétées de la benzodiazépine, l’amnésie est
nettement moins marquée et tend à ne plus se renou-
veler [33, 34].
Les sujets âgés seraient particulièrement sensibles
à l’effet amnésiant des benzodiazépines, puisque des
doses de 2,5 mg de diazépam sont susceptibles
d’induire des troubles mnésiques, alors que les sujets
jeunes en sont indemnes [35]. Ceci peut être lié à une
plus grande susceptibilité à l’effet du médicament,
mais aussi au niveau de base des sujets testés.
D’autres auteurs ont en effet montré que, sous diazé-
pam, les sujets âgés (de 61 à 73 ans) avaient le même
décrément de leurs performances mnésiques que des
sujets plus jeunes (un groupe de 19 à 28 ans et un autre
de 40 à 50 ans), mais des performances mnésiques
basales plus faibles. Les troubles mnésiques sont, dans
ces conditions, plus aisément détectés [36]. Il existe
aussi une sensibilité individuelle particulière aux ben-
zodiazépines, dont le mécanisme est peu connu. Trillet
et Laurent [37] ont ainsi décrit une patiente dont le père
et la grand-mère paternelle avaient présenté une
amnésie globale transitoire comparable à la sienne,
après la prise d’un demi-comprimé de triazolam.
Les amnésies transitoires
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