La Lettre du Neurologue • Vol. XVI - n° 10 - décembre 2012 | 329
ÉDITORIAL
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“
L’éducation thérapeutique en question
André Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Paris.
Si on devait expliquer l’éducation thérapeutique à un profane, on dirait
qu’ils’agit d’apprendre au patient à devenir son propre médecin.
Du moins est-ce le but idéal. Si l’on croit vraiment à cet objectif de l’éducation
thérapeutique, il est particulièrement intéressant de se demander comment
sesoignent les médecins compétents en diabétologie lorsqu’ils sont eux-mêmes
diabétiques. À la vérité, ils ressemblent fort aux autres patients diabétiques.
Etc’estfinalement assez rassurant ! Néanmoins, on ne peut qu’être interpellé
parlecomportement de certains, excellents pour soigner les autres et ayant
lesplusgrandes difficultés à se soigner eux-mêmes.
J’ai ainsi enseigné le diabète et son traitement pendant 10ans aux internes
demédecine générale, avec un médecin généraliste. Celui-ci, arrivé à l’âge
delaretraite, me consulte car ses glycémies sont à plus de 2grammes, et me
confie : “Jene prends aucun médicament, je ne pense pas qu’ils sont efficaces.”
J’étais un peu surpris ! Nous avons hospitalisé dans le service, pour un mal
perforant plantaire, un professeur de radiologie spécialisé dans la radiologie
ostéo-articulaire et ayant publié des articles sur l’imagerie de l’ostéo-athropathie
nerveuse diabétique. Il avait complètement oublié qu’il était diabétique ! Le fond
d’œil, fait au lit, montra unerétinopathie proliférante nécessitant un traitement par
laser en urgence. Unchirurgien vasculaire ayant ponté des diabétiques, en ayant
amputé d’autres, lui-même triple ponté coronarien, ne prenait aucun médicament.
Il m’est adressé par les ophtalmologistes pour la découverte d’une rétinopathie
diabétique, et entre dans le box de consultation en levant les mains en l’air :
“Jemerends !” Etcetteophtalmologue qui “lasérisait” la rétine de ses patients
pendant quesonrein se détruisait, jusqu’à ce qu’elle bénéficie d’une double greffe
rein-pancréas… Et tant d’autres…
Que conclure ? Qu’il est bien connu que les cordonniers sont les plus mal
chaussés ? Peut-être… Plus fondamentalement, je pense que, si les médecins
sesoignent souvent mal, c’est que ce sont des gens normaux.
Quatre leçons mesemblent devoir être tirées.
➤La connaissance est nécessaire. Elle est indispensable, mais elle n’est jamais
suffisante pour changer un comportement ou supprimer la pensée magique
quinous fait croire que cela n’arrive qu’aux autres.
➤L’homme est un être de raison, mais il n’est pas qu’un être de raison. Il est
aussiun être de besoins parfois impérieux, et de désirs parfois déraisonnables.
Mais,comme le dit Lacan : “La ruse de la raison consiste à faire croire aux individus
quelesujet sait ce qu’il veut !”
➤Chacun veut bien être différent, mais pas anormal, de peur d’être réduit
àsamaladie, victime de l’arrogance des gens “normaux”, et finalement dévalorisé
aux yeux des autres et à ses propres yeux.
➤Le médecin prenant soin d’un patient atteint d’une maladie chronique devrait
toujours être habité par une double conviction : “Je ne suis pas sûr qu’à sa place
jeferais mieux que lui” ; “Je suis convaincu qu’à nous 2, on pourra faire mieux”.