“ S L’éducation thérapeutique en question ÉDITORIAL

La Lettre du Cancérologue Vol. XXI - n° 10 - décembre 2012 | 485
ÉDITORIAL
Léducation thérapeutique en question
André Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
Si on devait expliquer l’éducation thérapeutique à un profane, on dirait qu’ils’agit
d’apprendre au patient à devenir son propre médecin. Du moins est-ce lebut idéal.
Si l’on croit vraiment à cet objectif de l’éducation thérapeutique,
ilestparticulièrement intéressant de se demander comment sesoignent les médecins
compétents en diabétologie lorsqu’ils sont eux-mêmes diabétiques ? À la vérité,
ilsressemblent fort aux autres patients diabétiques. Etc’estfinalement assez rassurant !
Néanmoins, on ne peut qu’être interpellé parlecomportement de certains, excellents
pour soigner les autres et ayant lesplusgrandes difficultés à se soigner eux-mêmes.
J’ai ainsi enseigné le diabète et son traitement pendant 10ans aux internes
demédecine générale, avec un médecin généraliste. Celui-ci, arrivé à l’âge delaretraite,
me consulte car ses glycémies sont à plus de 2grammes, et me confie : “Jene prends
aucun médicament, je ne pense pas qu’ils sont efficaces”. J’étais un peu surpris !
Nousavons hospitalisé dans le service, pour un mal perforant plantaire, un professeur
de radiologie spécialisé dans la radiologie ostéo-articulaire et ayant publié des articles
sur l’imagerie de l’ostéo-athropathie nerveuse diabétique. Il avait complètement oublié
qu’il était diabétique ! Le fond d’œil, fait au lit, montra unerétinopathie proliférante
nécessitant un traitement par laser en urgence. Unchirurgien vasculaire ayant ponté
desdiabétiques, en ayant amputé d’autres, lui-même triple ponté coronarien, ne prenait
aucun médicament. Il m’est adressé par les ophtalmologistes pour la découverte
d’unerétinopathie diabétique, et entre dans le box de consultation en levant les mains
en l’air : “Jemerends !” Etcetteophtalmologue qui “lasérisait” la rétine de ses patients
pendant quesonrein se détruisait, jusqu’à ce qu’elle bénéficie d’une double greffe rein-
pancréas… Et tant d’autres…
Que conclure ? Qu’il est bien connu que les cordonniers sont les plus mal chaussés ?
Peut-être… Plus fondamentalement, je pense que, si les médecins sesoignent souvent
mal, c’est que ce sont des gens normaux. Quatre leçons mesemblent devoir être tirées.
La connaissance est nécessaire. Elle est indispensable, mais elle nest jamais suffisante
pour changer un comportement ou supprimer la pensée magique quinous fait croire
que cela narrive qu’aux autres.
L’homme est un être de raison, mais il nest pas qu’un être de raison. Il est
aussi unêtre de besoins parfois impérieux, et de désirs parfois déraisonnables.
Mais,commele dit Lacan : “La ruse de la raison consiste à faire croire aux individus
quelesujet sait ce qu’il veut !”
Chacun veut bien être différent, mais pas anormal, de peur d’être réduit àsamaladie,
victime de l’arrogance des gens “normaux”, et finalement dévalorisé aux yeux des autres
et à ses propres yeux.
Le médecin prenant soin d’un patient atteint d’une maladie chronique devrait
toujours être habité par une double conviction : “Je ne suis pas sûr qu’à sa place jeferais
mieux que lui” ; “Je suis convaincu qu’à nous 2, on pourra faire mieux”.
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