L Dépression du post-partum DOSSIER THÉMATIQUE Postpartum depression

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DOSSIER THÉMATIQUE
Gynécologie-obstétrique
et psy
Dépression du post-partum
Postpartum depression
S. Tebeka*, B. Pignon**, Y. Le Strat*, M. De Pradier*, C. Dubertret*
L
a dépression est une complication fréquente
du post-partum. Sa prévalence est estimée
entre 10 et 20 % (1). Elle est depuis de nombreuses années au centre de la collaboration entre
les gynécologues obstétriciens et les psychiatres. La
présentation clinique de la dépression post-partum
est hétérogène, ce qui explique au moins en partie
qu’elle soit sous-diagnostiquée.
Son dépistage, sa prévention et sa prise en charge
sont indispensables pour éviter le retentissement
de cette pathologie, tant sur la femme que sur le
nouveau-né.
Présentation clinique
* Service de psychiatrie, hôpital
Louis-Mourier, AP-HP, Paris.
** Service de psychiatrie, centre
hospitalier régional universitaire de
Lille.
La dépression postnatale a la particularité de débuter
avant la quatrième semaine qui suit l’accouchement,
selon le Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorders [DSM-IV-TR]) [2] ; cependant, la
littérature scientifique évoque ce diagnostic jusqu’à
1 an après l’accouchement.
Le début est souvent insidieux, après une phase normothymique (humeur normale) ou un baby-blues
Tableau I. Critères DSM de la dépression.
A - Au moins 5 symptômes sur 9 depuis au moins 2 semaines
1. Humeur dépressive
2. Diminution de l’intérêt et du plaisir
3. Perte d’appétit et de poids d’au moins 5 % par mois
4. Insomnie ou hypersomnie (plus rare)
5. Agitation ou retard au niveau psychomoteur
6. Fatigue et perte d’énergie
7. Sentiment de culpabilité ou manque de valorisation de soi
8. Trouble de la concentration
9. Pensée de mort et de suicide
B - Ces symptômes provoquent une détresse chez la personne
ou une diminution du fonctionnement sur le plan social ou au travail
C - Ces symptômes ne sont pas liés à l’utilisation de médicaments
ou d’une substance ni à un problème médical
D - Les symptômes ne sont pas le résultat d’un deuil
30 | La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 prolongé ; elle peut aussi prolonger une dépression
anténatale.
Tableau parfois trompeur
La dépression du post-partum se manifeste par un
tableau classique de syndrome dépressif (tableau I)
[2]. Les représentations (cognitions) sont négatives,
avec notamment une tristesse, une autodévalorisation (3). La patiente peut être ralentie, asthénique, et
ses fonctions instinctuelles – sommeil, alimentation,
libido – sont parfois perturbées. Des idées de mort
peuvent également apparaître, et plus rarement être
associées à des tentatives de suicide (4).
Elle présente quelques particularités cliniques telles
qu’une aggravation vespérale, une labilité émotionnelle, des difficultés marquées d’endormissement,
une perte d’estime du maternage et une anxiété
centrée sur le bébé.
La dépression du post-partum est en général d’intensité modérée. L’anxiété est au premier plan et
précède les signes dépressifs. Les symptômes d’ordre
somatique constituent les motifs les plus fréquents
de consultation. Il s’agit alors d’un moment privilégié
pour le dépistage et l’évocation d’un mal-être.
La culpabilité de ne pas ressentir le bonheur
maternel attendu est centrale. Des phobies d’impulsion peuvent apparaître : crainte de faire du mal à
l’enfant, de le jeter, etc. (5). Il s’agit d’un symptôme
fréquent qui ne signe ni dangerosité ni facteur de
gravité de la pathologie, et la patiente à qui l’on
expliquera cela sera rassurée.
Mélancolie
Classiquement, la forme mélancolique de la dépression du post-partum démarre quelques semaines
après l’accouchement. Les symptômes dépressifs
sont francs : la culpabilité est exacerbée, l’insomnie
et l’anorexie sont toujours présentes. Le tableau est
Points forts
»» La dépression du post-partum est une pathologie fréquente, invalidante pour la mère comme pour l’enfant.
»» Le dépistage est parfois difficile devant des tableaux trompeurs ou paucisymptomatiques.
»» La clinique est polymorphe, allant d’une dépression masquée par des plaintes somatiques à des formes
sévères de mélancolie.
»» Le baby-blues, non pathologique, est le principal diagnostic différentiel.
»» Le modèle étiologique est bio-psycho-social.
»» Une prise en charge collégiale et précoce s’impose pour éviter le retentissement sur la mère et l’enfant.
Une psychothérapie et/ou un traitement antidépresseur peuvent être nécessaires.
dominé par la perte d’énergie vitale, une souffrance
intense, une mésestime de soi et des idées d’incurabilité. L’indifférence éprouvée pour son entourage,
en particulier pour le nouveau-né, est centrale.
Parfois, un délire émaille l’évolution de la mélancolie. Il est dit congruent à l’humeur, c’est-à-dire
à contenu dépressif, négatif. Les thématiques délirantes concernent la culpabilité ou l’indignité de la
mère à s’occuper de son enfant.
Les risques de suicide et d’infanticide sont majeurs,
en particulier en cas de mélancolie délirante.
Dépistage et diagnostics
différentiels
La dépression du post-partum est sous-diagnostiquée : seule la moitié de ces patientes serait dépistée
par le médecin généraliste ou par les autres personnels de santé (6), et ce, pour différentes raisons.
D’une part, les formes cliniques atypiques sont fréquentes (dépression masquée, souriante, névrotique,
etc.). D’autre part, il en coûte beaucoup aux femmes
déprimées de demander de l’aide, tant à cause de
facteurs socioculturels et familiaux que de facteurs
relatifs aux professionnels de santé eux-mêmes (7).
L’attention se porte plus facilement sur le nouveau-
né. Les praticiens comme l’entourage risquent donc
de minimiser le mal-être de la mère.
Un antécédent de dépression, et plus particulièrement de dépression du post-partum, est le facteur
de risque principal. Il impose une grande vigilance
(tableau II).
Dépistage
Le diagnostic repose essentiellement sur un entretien
clinique structuré évaluant l’ensemble de la symptomatologie dépressive. Il est réalisé par un psychiatre
expérimenté dans le domaine de la santé périnatale.
Ces conditions étant rarement réunies en pratique,
des questionnaires spécifiques ont été élaborés afin
de dépister les patientes à risque. Le test le plus utilisé
est l’EPDS (Edinburgh Postnatal Depression Scale) [8],
une échelle fondée sur 10 questions concernant différents symptômes évalués au cours des 7 derniers
jours. Elle permet à la fois le dépistage des sujets à
risque dans les premiers jours du post-partum et celui
des mères déprimées dans les semaines qui suivent
l’accouchement. En cas de score supérieur à 12 sur
30, la consultation d’un spécialiste s’impose pour un
diagnostic. La version validée en français de l’EPDS
(9) est consultable sur Internet (10).
Mots-clés
Dépression
Post-partum
Baby-blues
Trouble de l’humeur
Highlights
»»Postpartum depression is a
major complication of the post
partum period which can have
important consequences on
mother-child relationship and
newborn baby’s development.
»»Screening may be difficult,
giving the various clinical
presentation.
»»Clinical presentation can
range from mainly somatic
symptoms to a melancholic
depression.
»»Non pathological baby blues
is the main differential diagnosis.
»»Postpartum depression’s
etiology is multifactorial and
depends on psychological,
biological and social factors.
»»Care for post partum depression is multidisciplinary and as
early as possible, to prevent any
impact on mother, child and
family functioning. Possible
treatments include antidepressants and/or psychotherapy.
Keywords
Tableau II. Facteurs de risque de la dépression du post-partum.
Depression
Postpartum
Baby blues
Mood disorder
Facteurs psychiatriques
• Antécédents personnels de dépression du post-partum
• Antécédents psychiatriques personnels ou familiaux (dépression)
• Dépression pendant la grossesse
• Baby-blues sévère
Facteurs socio-économiques
• Isolement social
• Conflits conjugaux
• Événements négatifs pendant la grossesse
• Niveau socio-économique bas
• Âge maternel aux extrêmes des périodes de fertilité
Facteurs obstétricaux
• Grossesse non désirée
• Antécédents obstétricaux : mort in utero, malformation fœtale, interruption de grossesse, accouchement prématuré, etc.
• Grossesse pathologique
• Morbidités néonatales Facteurs endocriniens
• Hypothyroïdie
La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 | 31
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Dépression du post-partum
La formation des sages-femmes, des gynécologues et des médecins généralistes est cruciale.
Une collaboration étroite permettra d’améliorer
le dépistage.
Baby-blues : principal diagnostic
différentiel
Le baby-blues est le principal diagnostic différentiel.
Il s’agit d’un épisode affectif sans gravité, dont la
prévalence est estimée entre 50 et 80 %. Il apparaît
classiquement à J3, souvent de façon concomitante à
la montée de lait. Il regroupe une sémiologie dépressive peu intense. Les signes caractéristiques sont une
humeur labile, une anxiété, une irritabilité, ainsi que
des difficultés à trouver le sommeil et des plaintes
somatiques variables. L’évolution est spontanément
favorable dans les 15 jours.
Autres diagnostics différentiels
Les troubles anxieux, très fréquents dans la population générale, ne doivent pas être confondus avec
le syndrome dépressif : la tristesse est absente ou
de faible intensité, les patientes gardent une capacité à prendre du plaisir et l’alimentation est peu
perturbée.
Les psychoses puerpérales surviennent généralement dans les 2 semaines suivant l’accouchement.
Le tableau clinique révèle des manifestations délirantes, telles que des hallucinations, ou parfois un
déni de maternité, des idées de filiation mystique,
ou encore une conviction de substitution de l’enfant.
Une dépressivité de l’humeur et des éléments confusionnels peuvent compléter la clinique. À terme, ce
tableau évolue vers un trouble bipolaire dans 80 %
des cas (11).
Hypothèses étiologiques
Selon plusieurs modèles étiopathogéniques, la
dépression du post-partum résulterait d’événements
de vie stressants, de changements hormonaux particuliers au post-partum et de facteurs de vulnérabilité
génétique (12).
Le post-partum est une période de vulnérabilité
psychique pour la mère, qui est confrontée à de
nouveaux rôles sociaux et familiaux. Par ailleurs,
l’enfant né est toujours différent de l’enfant imaginé
par la mère pendant la grossesse.
32 | La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013
Le postnatal est aussi une période de remaniement
hormonal ; or, de nombreuses hormones ont une
influence sur l’humeur : estradiol, progestérone,
levée de l’inhibition de la prolactine, cortisol, etc.
Un protocole hospitalier de recherche clinique,
coordonné par le service de psychiatrie de l’hôpital Louis-Mourier, à Colombes, explore ainsi les
facteurs génétiques et leurs interactions avec des
événements de vie vécus durant la grossesse, susceptibles d’intervenir dans la genèse de la dépression
du post-partum.
Évolution et complications
Évolution maternelle
L’évolution est le plus souvent favorable. Une minorité de patientes présente toutefois une symptomatologie résiduelle, parfois au-delà de la première
année, ce qui justifie une prise en charge spécifique,
étant donné l’impact de ces formes subsyndromiques sur le fonctionnement général des patientes.
Le risque de récurrence pour les grossesses ultérieures est compris entre 30 et 50 % (13).
Une dépression du post-partum peut signer l’entrée dans un trouble de l’humeur récurrent (trouble
unipolaire ou bipolaire), ou plus rarement dans un
trouble psychotique chronique.
Complications de la maladie
Les conduites suicidaires sont la principale complication : le risque suicidaire est multiplié par 6 par rapport
aux femmes du même âge (14). À chaque consultation,
l’évaluation de l’existence d’idées suicidaires ou d’un
projet de passage à l’acte est indispensable.
Retentissement sur l’enfant
La qualité des premiers échanges mère-bébé est
primordiale pour le devenir psychique de l’enfant.
Les interactions précoces entre une mère déprimée,
souvent moins attentive, et son bébé peuvent être
perturbées et favoriser un mode d’attachement insécure. L’enfant peut alors être sujet à des troubles
du sommeil ou de l’alimentation, une nervosité,
des difficultés de séparation et un développement
psychomoteur perturbé.
Ainsi, la dépression du post-partum a des conséquences délétères sur le développement cognitif et
DOSSIER THÉMATIQUE
comportemental des enfants (15) et constitue alors
un réel problème de santé publique (16).
Prévention et prise en charge
Prévention
Depuis 2005, dans le cadre du plan périnatalité, les
femmes enceintes peuvent bénéficier au quatrième
mois de grossesse d’un entretien non médical permettant une évaluation.
Le dépistage précoce des femmes à risque permet un
encadrement attentif et un suivi des mères : soutien
psychologique, réassurance, éducation anténatale,
préparation aux tâches maternelles, information
et implication du conjoint, prise en charge sociale.
Traitement
La prise en charge de la dépression du post-partum
est coordonnée par le psychiatre et implique une
participation active des gynécologues, psychologues
et médecins traitants (17). Les indications dépendent
de la sévérité du tableau : psychothérapie, traitement
antidépresseur ou une combinaison des 2 (18).
Pour toutes les patientes, un soutien psychologique
est nécessaire, insistant notamment sur la fréquence
de cette maladie. L’information et la mobilisation
du conjoint et de l’entourage sont primordiales pour
favoriser la compliance aux soins et la prise en charge
psychothérapeutique.
Plusieurs formes de thérapies structurées, notamment cognitivo-comportementales, ont montré
une efficacité similaire à celle des traitements
antidépresseurs.
Certains antidépresseurs, en particulier les inhibiteurs
de la recapture de la sérotonine, sont volontiers prescrits dans le cadre d’une dépression du post-partum.
L’instauration du traitement, dont les effets indésirables sont modestes, peut être faite en ambulatoire.
L’efficacité peut être observée au bout de 2 semaines
de traitement, mais 1 mois est souvent nécessaire
pour évaluer la réponse thérapeutique. La poursuite
de l’allaitement est contre-indiquée.
Il est par ailleurs indispensable d’évaluer l’éveil et
la santé psychique du bébé. Tout au long de la prise
en charge, les soignants doivent rester vigilants et
soutenir le lien entre la mère et son enfant. Il faudra
prévoir un accompagnement de l’enfant. Lorsque le
père est présent, on doit également le prendre en
compte, lui donner un rôle et le soutenir.
La prise en charge sociale est souvent centrale.
La gravité du tableau ou un risque suicidaire doivent
imposer une hospitalisation en urgence. Celle-ci se
fait, dans l’idéal, en unité mère-enfant, afin de préserver un lien entre la mère et l’enfant.
Conclusion
Le travail multidisciplinaire est essentiel pour
dépister les femmes à risque, entreprendre des
mesures préventives, diagnostiquer précocement et
prendre en charge de façon adaptée les dépressions
du post-partum. Les sages-femmes, les obstétriciens, les médecins généralistes, les psychologues
et les psychiatres sont autant d’intervenants indispensables dans leur prise en charge.
n
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La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 | 33
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