LA DEPRESSION DU POST-PARTUM Docteur Claire DI PAOLA Psychiatre, Praticien Hospitalier Unité parents-bébés, Saint Cyr l’Ecole Mardi 4 mars 2014 LE « BABY BLUES » N’est pas une dépression du post-partum Affection du post-partum légère et transitoire Pleurs, labilité émotionnelle, irritabilité, anxiété Ce n’est pas une maladie. Touche 80 % des accouchées. Survient entre le 1er et 10ème jour du post-partum. Fréquent le 3ème jour. Disparaît rapidement, en quelques jours. Aucun traitement (soutien, sollicitude, empathie) Si > 10 jours → dépression postnatale. Dépression du post-partum 1 accouchée sur 7 (10 à 20 %) 10 % des pères 2 à 4 % des mères déprimées sont traitées Episode dépressif > 15 jours 2 pics de fréquence : 4 à 6 semaines du post-partum 9ème et 15ème mois Evolution et pronostic favorables si traitement Répercussions sur : le lien parent-bébé, le développement de l’enfant La mère, la famille, le couple SEMIOLOGIE Début souvent insidieux Asthénie intense, épuisement Tristesse (modérée ou absente), humeur variable, pleurs « sans raison » Troubles anxieux fréquents (++ le soir) Troubles du sommeil (endormissement) Baisse de l’appétit Plaintes somatiques multiples (céphalées, douleurs abdominales…) Impatience, irritabilité ⇨ conflits conjugaux ou familiaux (agressivité dirigée vers l’époux ou les autres enfants de la fratrie) Découragement, sentiment d’incapacité et inquiétudes centrées sur les soins à donner au nourrisson Absence de plaisir à s’occuper du bébé, manque d’intérêt pour la vie courante Tendance à l’isolement, crainte de sortir Sentiment de culpabilité, d’impuissance Troubles de la mémoire et de la concentration Baisse de la libido Forte culpabilité : - les femmes et leur entourage estiment qu’il s’agit d’un « évènement heureux » +++ - « la mauvaise mère » Culpabilité, sentiment de honte, peur des reproches empêchent les femmes d’exprimer leurs sentiments ⇨ Banalisation ou dénégation des troubles ⇨ Souffrance maternelle fréquemment masquée AIDE AU DEPISTAGE L’EPDS (COX, 1987) Edinburgh postnatal Depression Scale Auto-questionnaire Echelle de 10 items Passation en quelques minutes Vers 6 semaines Si score ≥ 12, risque de dépression du post-partum SEMIOLOGIE DU BEBE Difficultés d’alimentation : anorexie, régurgitations, vomissements Prise de poids insuffisante Pathologies dermatologiques Consultations répétées en médecine générale et en pédiatrie, sans motif apparent Pleurs fréquents, bébé inconsolable Bébé peu souriant, ↓ échanges vocaux et visuels Troubles du sommeil Attachement insécure, évitant Echelle Alarme Détresse Bébé (ADBB), (Guedeney, 2004) LES INTERACTIONS PRECOCES MERE-BEBE Parfois la dépression post-natale peut ne s’exprimer qu’au travers des interactions mère-enfant : S’occuper du bébé d’une façon mécanique, opératoire, sans affect Echanges pauvres et discontinus Mauvais accordage affectif Hypostimulation/hyperstimulation Comportement intrusif et hostile Désengagement et évitement des relations ALTÉRATION DES RELATIONS MÈRE-BÉBÉ ET DEVELOPPEMENT DE L’ENFANT Répercussions à court terme Dépression du nourrisson Attachement insécure, difficultés de séparation (Murray, 1992) Troubles du sommeil, irritabilité, problèmes d’alimentation Répercussions à long terme Troubles du comportement, faible estime de soi, agressivité (3-5 ans, 30, Olié, 2003) Développement cognitif faible, ↓ QI (Nulman, 2002) Retard dans l’acquisition du langage (Nulman, 2002) Dépression, troubles anxieux de l’adulte CONSEQUENCES GRAVES Pour la femme Pour l’enfant +++ Récidive Suicide maternel Troubles du développement Dépression Négligence / maltraitance Infanticide Au niveau de la cellule familiale Difficultés conjugales ou familiales, dépression du conjoint, divorce Fratrie FACTEURS DE RISQUE Facteurs génétiques, hormonaux, environnementaux Antécédents personnels de dépression postnatale Isolement, manque de soutien, relations conflictuelles conjugales ou familiales Deuil non résolu Traumatismes durant l’enfance ou l’adolescence Séparation mère-bébé Un bébé « difficile » PMA Grossesse multiple, non désirée… STRESS ET DEPRESSION La grossesse : bénéfices cérébraux ↑ épines dendritiques 20 % ↑ apprentissage, mémoire, l’humeur Le stress chronique pendant la grossesse : ↓ épines dendritiques Facteur prédictif majeur de la dépression B. Leuner, P. Fredericks, Mood Disorders: Animal Models of Stress and Depression, Neuroscience 2012, Oct. 13-16; 893-4261. ETUDE Rats femelles en gestation stressés 2 fois/ jour Signes classiques des effets du stress (perte de poids, ↑ cortisol…) Petits de moindre poids ↓ interactions physiques des mères avec leurs petits Pas d’↑ des épines dendritiques dans l'hippocampe et le cortex préfrontal des rates B. Leuner, P. Fredericks, Mood Disorders: Animal Models of Stress and Depression, Neuroscience 2012, Oct. 13-16; 893-4261. IMPACTS DE LA DÉPRESSION 46 mères déprimées chroniques Troubles anxieux, oppositionnels de l’enfant 103 mères non déprimées 61 % 15 % Taux ocytocine salivaire mère, père, enfant bas normaux Empathie, lien social enfant bas normaux 63 % 35 % Gène rs2254298 GG Y. Apter-Levy & coll., Impact of maternal depression across the first 6 years of life on the child’s mental health, social engagement, and empathy: the moderating role of oxytocin, Am J Psychiatry 2013; 170:1161-1168. OCYTOCINE Hormone : effet anxiolytique, antidépressif, ↑ attachement, liens sociaux, confiance, empathie Dépression : cortisol ↑, ocytocine ↓ (malgré ATD) Taux ocytocine plasmatique bas pendant la grossesse → difficultés d’adaptation à la maternité → dépression du post-partum M. Skrundz, coll., Plasma oxytocin concentration during pregnancy is associated with development of postpartum depression, Neuropsychopharmacology 2011, 36, 1886-1893. EVOLUTION Evolution spontanée de 3 à 6 mois pour 50 % (Kumar,1984) Dépression plus traînante, de l’ordre d’un an (Kumar, 1994) Risque de chronicisation Récidive lors d’une prochaine grossesse : 30 % (Murray, 1995), hors grossesse : 50 % Effets sur le développement de l’enfant TRAITEMENT Aide, soutien social et affectif Chimiothérapie Antidépresseur à dose efficace, même en cas d’allaitement (Yoshida et Kumar, 1996 ; Boulanger, 2003) – Zoloft, Deroxat Traitement psychothérapeutique Repos Implication de la famille pour la garde de l’enfant Groupes de soutien, groupes de pairs Aide ménagère ou travailleuse familiale… Thérapie individuelle, de couple, avec l’enfant, familiale, groupale Approche corporelle Relaxation, gymnastique douce, massage, balnéothérapie Soins esthétiques… TRAITEMENT DE LA RELATION MERE-BEBE INDISPENSABLE Pas immédiat, relais auprès du bébé Importance +++ d’une intervention thérapeutique pour améliorer la qualité des interactions même si amélioration clinique de la mère Psychothérapie parents-bébé Psychomotricité Massage des bébés (Glover, 2002) CONCLUSION ☞ Problème majeur de santé publique ☞ Diagnostic précoce + soins appropriés Information Dépistage des dépressions gravidiques et post-natales Intervention précoce Favoriser la rencontre mèreenfant Les dépressions périnatales, J. Dayan, Masson, 2008 Tremblements de mères, coll, L’instant présent, 2010 La dépression postnatale, sortir du silence, N. Nanzer, Favre, 2009 « Maman, pourquoi tu pleures ? », J. Dayan, Odile Jacob, 2002 Post partum support international (http://www.postpartum.net/) Maman Blues (http://www.maman-blues.fr/) Allo ParentsBébé (http://www.alloparentsbebe.org/ http://www.babycenter.fr/ Vignettes cliniques Docteur Mathilde BLONDON Pédopsychiatre, Praticien Hospitalier Unité Parents-Bébés, Saint Cyr l’Ecole Mardi 4 mars 2014 Mr et Mme S et leurs jumeaux Marléne et Nathan Grossesse gémellaire III pare, II geste. 1 fils de 4 ans. ANTCD psychologiques: TOC associée à une personnalité obsessionnelle. Relation négative à sa propre mère Bonne insertion socioprofessionnelle. Mari soutenant Événements déstabilisateurs: ->découverte de la grossesse gémellaire -> MAP -> Petit poids de naissance d’un des deux nourrissons Dépression sévère du post-partum -> orientation vers un psychiatre libéral: Antidépresseur et psychothérapie. -> réorientation vers la PMI-> soutien à domicile. -> Crèche ->cantine -> Suivi pédopsychiatrique. Répercussion sur les enfants: -> Erwan, 5 ans , défenses obsessionnelles, retrait relationnel, Tristesse de l’humeur, trouble du sommeil, énurésie nocturne secondaire. -> Mylène, 1 an attachement d’allure Secure. -> Nathan, 1 an attachement d’allure insécure. Au total DPP avec répercussions: -> dynamique familiale (isolement social, distensions dans couple). -> relation parents-enfants => développement psychique de ces derniers. Patiente pas toujours en capacité de demander de l’aide. Persistance des troubles de la relation malgré amélioration thymique maternelle. Mr et Mme J et leur fils Antonin Suspicion de trouble autistique. Primipare, primigeste. Grossesse : RAS, accouchement par Forceps. Nystagmus congénital. Antécédents maternels : -> dépression avec traitement antidépresseur et suivi psychothérapeutique pendant 10 ans. -> arrêt brutal en début de grossesse. Evénements de vie négatifs autour de la naissance : -> cancer thyroïdien paternel -> découverte de pathologies cancéreuses chez les GPM Atmosphère anxiogène et dépressiogène. Parents au bord du burn out. Antonin : pas de trouble autistique -> retard dans les acquisitions avec retrait relationnel -> répond à la stimulation -> symptômes séquellaires d’une dépression précoce du bébé ? Au total : Effet sur un nourrisson de manque d’attention et d’atmosphère négative => répercussions sur développement psychomoteur. Mr et Mme B et leur Fille Nina Adressés par équipe de psychiatrie adulte. Trouble du sommeil majeur de l’enfant avec pleurs inconsolables. Primipare, seconde geste. IVG 4 ans auparavant. Maman, 24 ans étudiante ; Papa, 29 ans bibliothécaire. Vécu traumatique des parents des premiers mois de vie de leur enfant. Multiplication des Cs médicales et passages aux urgences. Une H en pédiatrie. Epuisement parental majeur. Isolée à l’arrivée sur Versailles. Peu de soutien familial. Absence de rituels de passage lors de la naissance. ANTCD maternels : -> maltraitance physique et psychologique durant l’enfance de la part de sa mère -> suivi psychologique durant l’adolescence. Nina Hypervigilante et hyper réactive à l’environnement. Lutte contre l’endormissement. Déambule sans cesse. Trop tonique pour son âge. A du mal à fixer son attention de façon un peu soutenu sur un jeux. Labile dans l’interaction. Difficultés maternelles dans le portage : se tortille avec hyper extension. Perçue par ces parents comme « un être étrange » => modalités relationnelles très particulières. Au total ANTCD de maltraitance durant enfance-> impact négatif sur la relation Parent-bébé => développement psychique de ce dernier : boucle interactionnelle « Vicieuse ». Ne pas banaliser lorsque des parents ont du mal à gérer les pleurs de leur bébé. Être attentif à la multiplication des Cs aux urgences. Exprime bien souvent une demande d’aide.