Actualités dans LA PRISE EN CHARGE DE LA BPCO Les naufragés de la BPCO : quelle prise en charge au-delà des bou(ff)ées inhalées ? At the rescue of drowning COPD patients: approaches beyong the life-vest B. Aguilaniu* E * Faculté de médecine, université Joseph-Fourrier, Grenoble ; department of physical education, McGill university, Montréal. n raison de son acronyme réducteur, la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive) est envisagée essentiellement comme une maladie bronchique obstructive, parfois accompagnée d’une destruction alvéolaire. En conséquence, les médecins et les patients considèrent que l’essentiel du traitement de la maladie consiste à administrer des substances bronchodilatatrices qui soulagent le symptôme cardinal : la dyspnée (1). Par ailleurs, plusieurs études convergent pour attribuer à ces médicaments (relaxant le muscle lisse bronchique ou inhibant sa contraction) des effets bénéfiques sur l’incidence des exacerbations, qui semble réduite de 20 à 30 % lorsque la bronchodilatation est optimisée. Chez les patients qui présentent plus de 2 exacerbations par an, les corticoïdes inhalés semblent apporter un avantage supplémentaire pour prévenir la survenue d’une exacerbation inflammatoire, au prix d’un risque accru de contracter une pneumopathie infectieuse (2). Enfin, l’oxygéno thérapie continue concernera les cas les plus sévères, qui représentent environ 15 % de la population globale. Ce résumé de la BPCO et de son traitement, s’il correspond aux données des études observationnelles et interventionnelles, ne reflète pas toute la réalité des patients vus en consultation externe ou au cours d’une hospitalisation. En effet, même si la BPCO est une maladie très courante dont la déficience fonctionnelle (le trouble obstructif) est globalement bien prise en charge, sa gestion intégrée n’est en fait pas codifiée. Car, pour certains patients, la BPCO est une maladie systémique, grevée de comorbidités cumulées, et dont le handicap s’aggrave au fil du temps, en dépit d’un traitement inhalé adapté. 112 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 Par “systémique”, il faut comprendre que les déficiences anatomiques et fonctionnelles constatées au niveau des voies aériennes ne sont que les maillons initiateurs d’une chaîne morbide qui comprendra tôt ou tard une réduction de la masse et de la fonction musculaires et une altération des fonctions cognitives conduisant à une incidence d’anxiété et de dépression plus de 2 fois supérieure à celle des sujets d’âge comparable. À ces déficiences identifiées s’ajoute sournoisement, chez environ 20 % des patients, un état d’inflammation chronique de bas grade que la biologie courante actuelle ne sait pas déceler. Ce silencieux désordre est très probablement un déterminant des fréquentes morbidités métaboliques (diabète, syndrome métabolique) et cardiovasculaires. Par “handicap”, il faut comprendre l’appauvrissement des activités de la vie quotidienne et la diminution drastique du temps consacré à ces activités (appelé aussi “participation” ou “performance”), dont la plus commune et la plus affectée est le temps de marche journalier (1). Ce sont ces patients, dont le déclin n’est pas uniquement ventilatoire, qu’il faut considérer comme des “naufragés de la BPCO”, car l’optimisation des traitements inhalés ne parvient pas à endiguer la dérive de leur qualité de vie, de leur état de santé, et du coût socio-économique liée à la maladie. On voit que l’ambition de prendre en charge une patientèle BPCO hétérogène, en prenant en compte toutes les dimensions de la maladie, est démesurée pour un pneumologue isolé dans sa consultation ambulatoire (libérale ou hospitalière), sachant que le temps consacré au patient, en dehors de la réalisation de la fonction respiratoire, est en moyenne de 15-20 minutes 2 fois par an ! Points forts » Une médecine holistique de la BPCO commence là où les médicaments ont atteint leur maximum d’efficacité. » Elle est basée sur le partage des savoir-faire, car le pneumologue ne peut pas, à lui seul, résoudre toutes les facettes de la chronicité. » L’influence est une posture médicale pour amener le patient à des interactions susceptibles d’initier le désir de changement. » Les savoir-faire informels, l’influence thérapeutique et la coordination des soins sont des domaines propices à l’évaluation, au même titre que les médicaments. » Une consultation web de la BPCO pour mieux gérer toutes les dimensions de la maladie chronique : www.colibri-bpco.fr Pour quel patient, pour quel pourcentage de sa patientèle le pneumologue doit-il être le coordonnateur des soins de la BPCO ? Il nous semble légitime de prendre cette position de coordonnateur lorsque la BPCO s’accompagne d’un handicap significatif, d’exacerbations répétées, ou lorsque l’évolution (jugée avec un recul de 3 ans au moins) est marquée par un déclin de la fonction respiratoire ou de la qualité de vie. On peut estimer (en l’absence de données observationnelles en vraies vies) que ces conditions concernent environ 30 % des patients BPCO tout-venant avec une proportion plus importante de patients en GOLD III et IV, même si un pourcentage non précisément connu de GOLD II est concerné par ces critères. Il faut aussi rappeler que le déclin du VEMS ne concerne en définitive que 38 % des patients traités. En conséquence, le pneumologue devrait être aussi attentif à détecter une accentuation du handicap (dont les principaux déterminants ne sont pas respiratoires), qu’à mesurer les variations de la fonction respiratoire (1, 3). La thérapeutique non médicamenteuse de la BPCO Comme pour toute maladie chronique, la thérapeutique non médicamenteuse de la BPCO se fonde sur une planification et une gestion des mesures bénéfiques pour la santé. Aussi, le médecin doit déterminer des objectifs thérapeutiques parmi les 4 cibles identifiées pour la BPCO en général (tableau) et décider lesquels sont nécessaires et possibles pour chaque patient. Chacun sait en effet que certains patients très obstructifs ne présentent pas ou peu de handicap, tandis que d’autres, atteints de dyspnée légère ou dont la fonction respiratoire est peu altérée, réduisent drastiquement leurs activités journalières. Dès lors, comment prendre en charge le handicap si la dyspnée n’est pas le déterminant majeur ou si le traitement bronchodilatateur, en soulageant la dyspnée, n’empêche pas le déclin de la qualité de vie ? En d’autres termes, quel est “l’indispensable soin” qui rend possible la réussite de la prise en charge et… justifie que le pneumologue s’occupe Tableau. Les 4 objectifs cardinaux de la prise en charge d’un patient BPCO. 1. Réduire le handicap (selon OMS 2002) - Soulager les symptômes (dyspnée) - Améliorer les déficiences fonctionnelles respiratoires, musculaires, cardiocirculatoires - Favoriser la participation aux activités - Développer les activités 2. Réduire les exacerbations et les hospitalisations 3. Maintenir une qualité de vie satisfaisante 4. Traiter efficacement les comorbidités métaboliques et cardiovasculaires 5. Prévenir les comorbidités de la BPCO ? S’agit-il de prescrire des médicaments ou de “prendre soin” au sens développé par la réhabilitation ou les théories du “care” ? Si l’on souhaite “prendre soin” des patients BPCO, les questions viennent en cascade ; par exemple : – Dois-je assurer une prise en charge intégrée ou limiter mon action à l’optimisation du traitement respiratoire ? – Comment coordonner avec le médecin référent le diagnostic et la prise en charge des comorbidités ? En d’autres termes, qui s’occupe de quoi, et de quelle manière ? – Comment détecter les patients dont la qualité de vie et le handicap ont une propension à se dégrader et cela est-il utile ? – Comment évaluer les déterminants du handicap et quelles sont les conséquences pratiques à le faire ? – Si je peux évaluer à chaque consultation l’efficacité d’un traitement bronchodilatateur par la fonction respiratoire et l’interrogatoire, comment et à quel rythme dois-je évaluer la qualité de vie, le handicap et les comorbidités ? Mots-clés BPCO Réhabilitation Savoir-faire Handicap Web BPCO Highlights » Holistic treatment of COPD starts at the point where drugs have attained their maximum effectiveness. » This type of treatment is based on shared competence, since the respirologist alone cannot treat all the chronic manifestations of the disease. » Influence is a medical attitude aiming to incite the patient to engage in interactions likely to awaken a desire for change. » “Know how”, therapeutic influence and treatment coordination are suitable evaluation strategies, in the same way as drugs. Keywords COPD Disease management Care Know how Web COPD La littérature fournit à ces interrogations des réponses partielles et qui concernent le plus souvent des populations non représentatives de la patientèle habituelle en pneumologie. On y lit aussi des évidences telles que “plus on est dénutri ou incapable de marcher à plus de 3 km.h-1 en 6 minutes, plus on La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 | 113 Actualités dans LA PRISE EN CHARGE DE LA BPCO Les naufragés de la BPCO : quelle prise en charge au-delà des bou(ff)ées inhalées ? risque d’être hospitalisé ou de mourir”. L’identification des phénotypes par des méthodes statistiques sophistiquées permet tout au plus de valider ce que l’expérience clinique a intuitivement reconnu. La prise en charge non médicamenteuse doit donc s’appuyer sur une clinique nouvelle de la BPCO, en faisant l’effort de considérer que la déficience ventilatoire n’est pas forcément le point central de nos actions, à l’exception des patients en insuffisance respiratoire chronique sévère nécessitant une assistance ventilatoire sophistiquée. Valoriser le savoir-faire (4, 5) Quatre des 5 objectifs cardinaux (2-4, 6) de la prise en charge du patient BPCO (tableau, p. 113) correspondent à la définition et aux buts de la réhabilitation (6). C’est dire que chaque pneumologue est obligatoirement impliqué dans un processus de réhabilitation et y tient même la position centrale. Comme le chef de cuisine qui maintient son réseau de fournisseurs et coordonne les actions de ses collaborateurs pour faire émerger les goûts, les odeurs et les textures, le chef d’orchestre de la maladie chronique respiratoire doit déléguer, animer et évaluer (goûter). L’analogie n’est pas triviale, car il s’agit dans les 2 cas de faire coexister expérience intuitive, rigueur, art et créativité. Quel secret (recette) pour permettre au patient de tolérer sa dyspnée une fois que le traitement inhalé l’aura soulagé partiellement ? Comment rendre un patient plus actif pour réduire le risque cardiovasculaire et le handicap, alors que la dyspnée ou le contexte social sont des obstacles ? Ce “know how” est une dimension de la médecine qu’il faut revendiquer et valoriser (7, 8). Depuis de nombreuses années, des praticiens de terrain ont conseillé à leur patients dyspnéiques de marcher tous les jours en écoutant de la musique, mais c’est en 2010 que des études neurophysiologiques ont montré une amélioration considérable de la dyspnée chez des sujets soumis à des interactions auditives ou visuelles plaisantes (9). Pour pallier ou compenser la nature souvent empirique du savoirfaire, les pneumologues peuvent aujourd’hui se doter d’outils permettant d’évaluer leur pratique médicale et d’analyser les caractéristiques de leur patientèle afin de mettre en place des actions thérapeutiques ciblées. La nouvelle génération de pneumologues devra défendre une clinique holistique des maladies chroniques respiratoires, en élaborant une méthodologie 114 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013 d’évaluation de son savoir-faire et des recommandations scientifiques, à partir d’outils informatiques comme les consultations Web (COLIBRI-BPCO, www.colibro-bpco.fr). Ainsi, nous pourrons promouvoir, individuellement ou collectivement, des propositions de soins non médicamenteux réellement créatives, car émergeant de la clinique quotidienne. Influence ou éducation thérapeutique ? Les termes “influence” et “éducation” véhiculent une connotation qui peut faire oublier que ces procédés ont un objectif commun : pousser le patient à adopter des attitudes bénéfiques pour sa santé et pour sa qualité de vie. Si l’influence peut être utilisée avec empathie et méthode, elle est néanmoins un pouvoir sans contrôle, ce qui relègue ce procédé thérapeutique au rang des pratiques inavouables. À l’inverse, depuis quelques années, l’éducation thérapeutique est réglementée, et quiconque veut s’engager dans ce processus doit remplir des obligations dont certaines relèvent de l’éducation proprement dite, c’est-à-dire de l’apprentissage de la maladie ou de ses traitements. Néanmoins, les 2 procédés reposent sur l’idée qu’il faut créer les conditions d’un changement de comportement durable et favorable à la santé. Les programmes d’éducation thérapeutique étant très peu financés, le médecin est le plus souvent confronté au choix de laisser faire ou de tenter, à travers sa relation thérapeutique, d’influencer le comportement du patient. Parfois, il s’appuiera sur un rationnel glané empiriquement auprès des sciences sociales, psychologiques ou de l’éducation. Le plus souvent, il suivra son intuition clinique et son propre désir d’intervenir dans le désir de l’autre. Comme le choix est finalement déterminé par les conditions d’exercice, pourquoi ne pas accepter que la médecine, même spécialisée, est aussi une histoire qui se joue entre 2 individus, dont l’un admet que l’autre a une connaissance sur sa propre personne. Dans cette configuration, le pneumologue doit réfléchir à la manière dont l’influence thérapeutique peut compléter la pratique scientifique et rigoureuse de sa spécialité. L’influence thérapeutique évoquée ici n’est pas un pouvoir personnel, qui s’apparenterait alors à une manipulation ou au charlatanisme. C’est au contraire une posture relationnelle qui a pour objet de faire accéder le patient à d’autres influences, sans préjuger de celle qui sera efficace en défini- Actualités dans LA PRISE EN CHARGE DE LA BPCO tive. Cette posture est guidée par une réflexion élaborée autour de chaque patient, à partir des objectifs thérapeutiques rappelés plus haut. Elle doit mener le patient à d’autres interactions qui initieront le désir de changement. Les prescriptions formelles (par exemple l’entraînement à l’exercice ou les séances de massage) sont, en plus de leur bénéfice potentiel, l’occasion d’interactions avec des personnes, des lieux et des perceptions. C’est surtout l’effet de la “déterritorialisation” de la maison au cabinet médical, en déclenchant des “agencements désirants”, qui induira peut-être une volonté de changement (10). Sur ce moment à saisir, d’autres thérapeutiques complémentaires (non médicamenteuses) pourront être proposées qui, en plus de leurs actions physiologiques supposées, compléteront le maillage propice à un changement de comportement prolongé. Les thérapeutiques non médicamenteuses de la BPCO mettent le pneumologue face à un triple défi : ➤ être le coordonnateur des soins des patients BPCO “naufragés” qui nécessitent prioritairement une expertise pneumologique ; ➤ développer des savoir-faire et acquérir les moyens de les évaluer ; ➤ et donc évaluer les caractéristiques (phénotypes) de sa patientèle. ■ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Aguilaniu B, Plaindoux A, Brosson C, Jeanmart M, Maitre J, Diab S. Mécanismes intégrés de la dyspnée et du handicap au cours de la BPCO. Presse Med 2009;38(3):413-20. 2. Crim C, Calverley PM, Anderson JA et al. Pneumonia risk in COPD patients receiving inhaled corticosteroids alone or in combination: TORCH study results. Eur Respir J 2009;34(3): 641-7. 3. Vestbo J, Edwards LD, Scanlon PD et al.; ECLIPSE Investigators. Changes in forced expiratory volume in 1 second over time in COPD. N Engl J Med 2011;365(13):1184-92. 4. Nelson K, Nelson RR. The cumulative advance of human know-how. Philos Trans A Math Phys Eng Sci 2003; 361(1809):1635-53. 5. Mulhall A. Bridging the research-practice gap: breaking new ground in health care. Int J Palliat Nurs 2001;7(8): 389-94. 6. Aguilaniu B, Ouksel H, Desplan J, Gindre D, Grosbois JM. Question 1. Respiratory therapy for chronic obstructive pulmonary disease. Rev Mal Respir 2005; 22(5 Pt 3):7S15-7S6. 7. Paley J. Clinical cognition and embodiment. Int J Nurs Stud 2004;41(1):1-13. 8. Kayes NM, McPherson KM. Human technologies in rehabilitation: ’Who’ and ’How’ we are with our clients. Disabil Rehabil 2012;34(22):1907-11. 9. Schön D, Dahme B, von Leupoldt A. Associations between the perception of dyspnea, pain, and negative affect. Psychophysiology 2008;45(6):1064-7. 10. Roberts M. Time, human being and mental health care: an introduction to Gilles Deleuze. Nurs Philos 2005;6(3):161-73. EDIMARK éditeur de la nouvelle publication de l’AFDET 01 Octobre-Novembre-Décembre 2013 Premier numéro déjà disponible Nouvelle formule Découvrez le premier numéro sur http://education-therapeutique.edimark.fr Former, informer ! Éducation thérapeutique : comment vous former et informer vos patients Publication à destination de tous les professionnels de santé Société éditrice : EDIMARK SAS CPPAP et ISSN : en cours Trimestriel Octobre-Novembre-Décembre 2013 20 € Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique Association régie selon la loi de 1901 Publication trimestrielle * Abonnez-vous au 01 46 67 62 74 / 87