
114 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
Les naufragés de la BPCO :
quelle prise en charge au-delà des bou(ff)ées inhalées ?
Actualités dans
LA PRISE EN CHARGE
DE LA BPCO
risque d’être hospitalisé ou de mourir”. L’identifi ca-
tion des phénotypes par des méthodes statistiques
sophistiquées permet tout au plus de valider ce que
l’expérience clinique a intuitivement reconnu. La
prise en charge non médicamenteuse doit donc
s’appuyer sur une clinique nouvelle de la BPCO, en
faisant l’effort de considérer que la défi cience venti-
latoire n’est pas forcément le point central de nos
actions, à l’exception des patients en insuffi sance
respiratoire chronique sévère nécessitant une assis-
tance ventilatoire sophistiquée.
Valoriser le savoir-faire (4, 5)
Quatre des 5 objectifs cardinaux (2-4, 6) de la prise
en charge du patient BPCO (tableau, p. 113) corres-
pondent à la définition et aux buts de la réhabi-
litation (6). C’est dire que chaque pneumologue
est obligatoirement impliqué dans un processus
de réhabilitation et y tient même la position
centrale. Comme le chef de cuisine qui maintient
son réseau de fournisseurs et coordonne les actions
de ses collaborateurs pour faire émerger les goûts,
les odeurs et les textures, le chef d’orchestre de
la maladie chronique respiratoire doit déléguer,
animer et évaluer (goûter). L’analogie n’est pas
triviale, car il s’agit dans les 2 cas de faire coexister
expérience intuitive, rigueur, art et créativité. Quel
secret (recette) pour permettre au patient de tolérer
sa dyspnée une fois que le traitement inhalé l’aura
soulagé partiellement ? Comment rendre un patient
plus actif pour réduire le risque cardiovasculaire et
le handicap, alors que la dyspnée ou le contexte
social sont des obstacles ?
Ce “know how” est une dimension de la médecine
qu’il faut revendiquer et valoriser (7, 8). Depuis de
nombreuses années, des praticiens de terrain ont
conseillé à leur patients dyspnéiques de marcher
tous les jours en écoutant de la musique, mais
c’est en 2010 que des études neurophysiologiques
ont montré une amélioration considérable de la
dyspnée chez des sujets soumis à des interactions
auditives ou visuelles plaisantes (9). Pour pallier ou
compenser la nature souvent empirique du savoir-
faire, les pneumologues peuvent aujourd’hui se doter
d’outils permettant d’évaluer leur pratique médicale
et d’analyser les caractéristiques de leur patientèle
afi n de mettre en place des actions thérapeutiques
ciblées.
La nouvelle génération de pneumologues devra
défendre une clinique holistique des maladies chro-
niques respiratoires, en élaborant une méthodologie
d’évaluation de son savoir-faire et des recomman-
dations scientifi ques, à partir d’outils informatiques
comme les consultations Web (COLIBRI-BPCO,
www.colibro-bpco.fr). Ainsi, nous pourrons promou-
voir, individuellement ou collectivement, des propo-
sitions de soins non médicamenteux réellement
créatives, car émergeant de la clinique quotidienne.
Infl uence
ou éducation thérapeutique ?
Les termes “infl uence” et “éducation” véhiculent
une connotation qui peut faire oublier que ces
procédés ont un objectif commun : pousser le patient
à adopter des attitudes bénéfi ques pour sa santé et
pour sa qualité de vie. Si l’infl uence peut être utilisée
avec empathie et méthode, elle est néanmoins un
pouvoir sans contrôle, ce qui relègue ce procédé
thérapeutique au rang des pratiques inavouables. À
l’inverse, depuis quelques années, l’éducation théra-
peutique est réglementée, et quiconque veut s’en-
gager dans ce processus doit remplir des obligations
dont certaines relèvent de l’éducation proprement
dite, c’est-à-dire de l’apprentissage de la maladie
ou de ses traitements. Néanmoins, les 2 procédés
reposent sur l’idée qu’il faut créer les conditions d’un
changement de comportement durable et favorable
à la santé.
Les programmes d’éducation thérapeutique étant
très peu financés, le médecin est le plus souvent
confronté au choix de laisser faire ou de tenter, à
travers sa relation thérapeutique, d’influencer le
comportement du patient. Parfois, il s’appuiera
sur un rationnel glané empiriquement auprès des
sciences sociales, psychologiques ou de l’éduca-
tion. Le plus souvent, il suivra son intuition clinique
et son propre désir d’intervenir dans le désir de
l’autre. Comme le choix est finalement déter-
miné par les conditions d’exercice, pourquoi ne
pas accepter que la médecine, même spécialisée,
est aussi une histoire qui se joue entre 2 individus,
dont l’un admet que l’autre a une connaissance
sur sa propre personne. Dans cette configura-
tion, le pneumologue doit réfléchir à la manière
dont l’influence thérapeutique peut compléter la
pratique scientifique et rigoureuse de sa spécialité.
L’influence thérapeutique évoquée ici n’est pas
un pouvoir personnel, qui s’apparenterait alors à
une manipulation ou au charlatanisme. C’est au
contraire une posture relationnelle qui a pour objet
de faire accéder le patient à d’autres influences,
sans préjuger de celle qui sera efficace en défini-