Prise en charge thérapeutique des hémorragies cérébrales spontanées : ce qui change,

La Lettre du Neurologue Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 | 85
MISE AU POINT
Prise en charge thérapeutique
des hémorragies cérébrales
spontanées : ce qui change,
ce qui ne change pas…
Management of intracerebral hemorrhage:
where are we now?
C. Guidoux*
* Centre d’accueil et de traitement
de l’attaque cérébrale, service de
neurologie, hôpital Bichat- Claude-
Bernard, Paris.
L’hémorragie intracérébrale (HIC) spontanée
est une pathologie grave dont la morbi-
mortalité reste élevée (plus de la moitié des
patients décèdent la première année). Son incidence
mondiale a augmenté depuis les années 1990, même
si elle a diminué en Europe (1). Le diagnostic précoce
par imagerie cérébrale ainsi que la prise en charge
thérapeutique, notamment au cours des premières
heures, sont donc des enjeux majeurs.
Les recommandations européennes (2) et améri-
caines (3), fondées sur les résultats de larges
études récentes, ont été réactualisées, modifiant
nos pratiques sur certains points. Lobjectif de cet
article est de connaître les modalités thérapeutiques
visant à améliorer le pronostic de ces patients.
Les premières heures…
L’admission en unité neurovasculaire (UNV) a montré
un bénéfice en termes de morbimortalité chez les
patients ayant une HIC (4), comparativement à des
services traditionnels. Leur intérêt est notamment d’as-
surer la surveillance neurologique et la mise en place
des traitements de la phase aiguë, et de prévenir les
complications pouvant survenir au décours de l’agres-
sion cérébrale (pneumopathie d’inhalation, thrombose
veineuse profonde, embolie pulmonaire, infections).
Ce qui change :
baisser la pression artérielle ?
Concernant la pression artérielle, les données de la
littérature de ces dernières années ont fait changer
le dogme consistant à “respecter” l’hypertension
artérielle en phase aiguë d’une HIC. Tout d’abord,
des études observationnelles et d’autres fondées sur
l’imagerie cérébrale ont montré que le traitement
de l’hypertension artérielle en phase aiguë d’une
HIC n’était pas délétère sur la perfusion cérébrale
et en termes de mortalité. Létude internationale
prospective INTERACT II (Intensive Blood Pres-
sure Reduction in Acute Cerebral Hemorrhage) [5],
randomisée et multicentrique, a été réalisée chez
2 839 patients dans les 6 heures suivant la survenue
de l’HIC (les patients ayant eu une hémorragie
massive ou étant dans le coma étaient exclus). Elle
visait à comparer une prise en charge convention-
nelle (traitement d’une pression artérielle systo-
lique [PAS] supérieure à 180 mmHg, en lien avec les
recommandations en vigueur à ce moment-là) avec
un traitement intensif visant une PAS inférieure
à 140 mmHg dans l’heure suivant la randomisa-
tion du patient. Le critère principal (mortalité ou
handicap sévère) na pas été atteint (OR = 0,87 ;
IC
95
: 0,75-1,01 ; p = 0,06), mais l’analyse des
critères secondaires a montré un bénéfice du traite-
ment agressif sur des paramètres de handicap fonc-
tionnel et de qualité de vie. Des analyses post hoc
ont par ailleurs montré une association linéaire
et significative entre les variations tensionnelles
et le devenir fonctionnel ainsi qu’une meilleure
récupération neurologique chez les patients ayant
la diminution la plus nette de la PAS au cours de
la première heure. Les recommandations (euro-
péennes et américaines) vont donc désormais dans
le sens, chez des patients dont la PAS initiale est
comprise entre 150 et 220 mmHg, de l’instauration
d’un traitement antihyper tenseur afin d’obtenir
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Points forts
»
L’hémorragie intracérébrale (HIC) spontanée est une pathologie grave dont la morbimortalité reste élevée.
»Des études récentes ont montré que la baisse de la pression artérielle était réalisable, bien tolérée et
probablement efficace en termes de pronostic fonctionnel.
»
Si le patient est sous anticoagulation curative lors de la survenue de l’HIC, l’antagonisation doit être
effectuée en urgence.
»La compression pneumatique intermittente doit être mise en place le plus précocement possible pour
prévenir la survenue des thromboses veineuses profondes.
»L’évacuation chirurgicale des HIC sus-tentorielles n’est pas indiquée, et la place d’une chirurgie moins
invasive reste à être démontrée.
Mots-clés
AVC
Hémorragie cérébrale
Recommandations
Hypertension
Traitement
Highlights
»
Spontaneous intracerebral
hemorrhage (ICH) is associ-
ated with high mortality and
morbidity throughout the
world.
»
Recent randomized clinical
trials have reported that early
intensive blood pressure reduc-
tion can be a safe and feasible
strategy.
»
Urgent measures are needed
to reverse the effects of vitamin
K antagonists and non-vitamin
K antagonist oral anticoagu-
lants for patients with ICH.
»
Intermittent pneumatic
compression reduces the
occurrence of proximal deep
vein thrombosis.
»
The beneficial effects of
surgical management of
supratentorial ICH should be
restricted in specific situations.
Keywords
Stroke
Intracerebral hemorrhage
Guidelines
Hypertension
Therapeutics
une PAS inférieure à 140 mmHg dans l’heure qui
suit l’arrivée à l’hôpital. La Société française neuro-
vasculaire (SFNV) a émis en mars 2015 (6) des
préconisations sur ce sujet. Les traitements antihy-
pertenseurs qui semblent être les plus facilement
utilisables dans cette indication sont l’urapidil et la
nicardipine par voie intraveineuse (dans les études
ci-dessus, la molécule utilisée était au libre choix
du prescripteur).
En 2016, les résultats de l’étude ATACH II (Anti-
hypertensive Treatment of Acute Cerebral Hemor-
rhage) [7] ont été publiés. Mille patients souffrant
d’une HIC ont été randomisés et ont reçu soit un
traitement “standard” avec un objectif de PAS entre
140 et 179 mmHg, soit un traitement plus intensif
avec un objectif de PAS entre 110 et 139 mmHg.
Le traitement (nicardipine) devait être instauré
dans les 4 heures 30 après la survenue de l’HIC.
Le critère principal était le décès ou le handicap
sévère à 3 mois. Il n’a pas été mis en évidence de
différence statistiquement significative entre les
2 groupes. Les effets indésirables survenant dans
les 72 heures étaient les mêmes entre les 2 groupes.
En pratique, l’un des points essentiels de ces études a
été de montrer que la baisse de la pression artérielle
en phase aiguë de l’HIC est réalisable, bien tolérée
et probablement efficace en termes de pronostic
fonctionnel.
Hémorragie intracérébrale
et hémostase
Il est important de déterminer si le patient présente
un trouble de la coagulation dans le cadre de la
prise ou non d’un traitement anticoagulant (anti-
vitamine K [AVK], héparine de bas poids moléculaire
[HBPM] ou anticoagulant oral direct [AOD]), afin
d’adapter la prise en charge. Cette donnée est parfois
difficile à recueillir, en particulier chez les patients
aphasiques ou ayant des troubles de la vigilance. Le
bilan biologique, réalisé en urgence, doit comporter
une NFS-plaquettes, les paramètres de l’hémo stase
(taux de prothrombine-International Normalized
Ratio [TP-INR], temps de céphaline activée [TCA],
temps de thrombine, anti-Xa, héparinémie) ainsi
qu’une évaluation de la fonction rénale. Chez les
patients sous AOD, un dosage spécifique de l’anti-
coagulant peut être effectué. Pour les patients traités
par héparine ou AVK, le traitement en urgence repose
sur l’antagonisation selon les recommandations de la
Haute Autorité de santé (vitamine K-PPSB [facteurs
prothrombine, proconvertine, Stuart et antihémo-
philique B] pour les AVK) [8].
Ce qui change : les patients sous AOD
L’émergence des AOD implique de connaître les
modalités de prise en charge chez les patients
prenant ces traitements et ayant une HIC. Chez ces
sujets, il est également nécessaire de neutraliser
l’effet anticoagulant en urgence. Pour le dabigatran,
l’idarucizumab est l’antidote spécifique et permet
la réversion rapide et complète de l’effet anticoa-
gulant (étude REVERSE-AD) [9]. L’andexanet alfa,
qui n’est pas commercialisé, a montré son efficacité
biologique sur la réversion des “-xabans” chez des
volontaires sains et chez des patients ayant une
hémorragie majeure (10). Il serait donc un traitement
envisageable, à l’avenir, chez les patients traités par
rivaroxaban ou apixaban. Actuellement, chez ces
sujets, le traitement repose sur l’administration de
concentrés de complexe prothrombinique (CCP)
activé ou non (préconisation SFNV, juin 2016) [11].
D’une manière plus générale, il avait été montré que
le facteur VII recombinant n’avait pas d’indication
en phase aiguë d’une HIC. Concernant la transfusion
de plaquettes (chez les patients sous antiagrégants
plaquettaires au moment de l’HIC), 2 études sont
actuellement en cours et leur utilisation, pour le
moment, reste à démontrer en phase aiguë d’une
HIC.
Et la chirurgie ?
Il n’y a pas d’indication à l’évacuation chirurgicale
d’une HIC supratentorielle sauf situations excep-
tionnelles. Plusieurs études suggèrent cependant
l’intérêt de techniques chirurgicales moins inva-
La Lettre du Neurologue Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 | 87
MISE AU POINT
sives (comme l’aspiration par exemple). Létude
multicentrique prospective randomisée MISTIE
II (Minimally Invasive Surgery Plus Recombinant
Tissue-Type Plasminogen Activator for ICH Evacua-
tion Trial) [12] a montré une réduction de la taille de
l’hématome et de l’œdème dans le groupe chirur-
gical (79 patients) comparativement aux sujets
qui n’ont pas été opérés. L’étude randomisée de
phase III − MISTIE III − est en cours. Actuellement,
l’évacuation chirurgicale des HIC sus-tentorielles
n’est donc pas recommandée, en dehors de situa-
tions extrêmes (“sauvetage”). L’hémicrâniectomie
décompressive (avec ou sans évacuation associée
de l’hématome) peut être une option thérapeutique
proposée aux patients présentant des troubles de
la vigilance et un hématome supratentoriel avec un
effet de masse important. Concernant les hémor-
ragies cérébelleuses, la chirurgie est indiquée en
urgence dès lors qu’il y a une aggravation neuro-
logique, une compression du tronc cérébral ou une
hydrocéphalie.
Prise en charge
des complications
Les complications survenant après une HIC sont
les thromboses veineuses profondes, les embo-
lies pulmonaires, la pneumopathie d’inhalation, la
détresse respiratoire, les infections et le sepsis.
Ce qui change : la prévention
des complications thromboemboliques
L’une des principales mesures de prévention consiste
à éviter la survenue des thromboses veineuses
profondes. Plusieurs études (CLOTS 1, 2 et 3) [13]
ont montré qu’il n’y avait pas d’intérêt à mettre en
place des chaussettes/bas de contention, mais que
la compression pneumatique intermittente était
efficace pour prévenir les thromboses veineuses
profondes. Celle-ci doit être mise en place le plus
précocement possible.
Par ailleurs, la question est, chez ces patients, de
déterminer la “meilleure fenêtre” pour instaurer
l’anticoagulation préventive. Les recommandations
américaines (3) préconisent de l’instaurer entre le
premier et le quatrième jour au décours de l’HIC
après avoir objectivé l’arrêt du saignement intra-
crânien. En pratique, la compression pneumatique
intermittente doit être instaurée dès l’admission
du patient et l’anticoagulation préventive est habi-
tuellement débutée, selon l’évolution clinique et
radiologique, dans les 24 à 48 premières heures. En
cas de thrombose veineuse profonde et/ou d’em-
bolie pulmonaire documentée, une anticoagulation
curative ou la mise en place d’un filtre cave sera
discutée selon le délai entre la survenue de l’HIC
et de la complication thrombotique, la taille et la
stabilité de l’HIC, sa localisation (lobaire/profonde)
et la possibilité d’envisager l’ablation du filtre cave
dans un second temps.
Autres complications fréquentes
Les troubles de la déglutition constituent les princi-
paux facteurs de risque d’une pneumopathie d’inha-
lation. Il est donc essentiel d’évaluer la déglutition
avant d’instaurer les traitements per os afin de
prévenir la survenue d’une pneumopathie.
La survenue de crises comitiales précoces chez les
patients ayant une HIC est élevée (14). Il n’y a pas
lieu d’instaurer de manière systématique (traitement
prophylactique) une thérapeutique anticomitiale.
Cependant, celle-ci est recommandée (3) en cas de
survenue d’au moins une crise comitiale ou d’ano-
malies électriques sur l’électroencéphalogramme
(EEG) chez les patients présentant des troubles de
la vigilance.
Les autres complications chez les patients hospi-
talisés pour une HIC peuvent être d’une manière
générale : un infarctus du myocarde, une défail-
lance cardiaque, des arythmies ventriculaires, un
arrêt cardiaque, une insuffisance rénale, une hypo-
natrémie, une hémorragie digestive et une dépres-
sion. Concernant les complications cardiologiques,
il paraît raisonnable de réaliser un électrocardio-
gramme et un dosage des enzymes cardiaques chez
ces patients (3).
Limiter l’aggravation,
rééduquer le handicap
Les mesures médicales habituelles de lutte contre
l’œdème cérébral proposées sont la position proclive
à 30°, l’utilisation d’un traitement anti-œdéma-
teux (mannitol, sérum salé hypertonique), l’hyper-
ventilation et la sédation. La corticothérapie n’a pas
d’indication pour le traitement de l’hypertension
intracrânienne.
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MISE AU POINT Prise en charge thérapeutique des hémorragies cérébrales
spontanées : ce qui change, cequi ne change pas…
La glycémie doit être monitorée. L’hypo- et l’hyper-
glycémie doivent être évitées (sans qu’il ne soit
préconisé de protocole spécifique). Par ailleurs,
l’hyperthermie est un facteur de mauvais pronostic
chez les patients ayant une HIC. L’instauration d’un
traitement antipyrétique n’a pas démontré son effi-
cacité chez ces sujets mais il paraît raisonnable de
maintenir une normothermie en cas d’HIC. D’autre
part, l’hypothermie modérée chez des patients avec
HIC pourrait prévenir l’augmentation de l’œdème
cérébral (étude de 12 patients) [15], mais cela reste à
être démontré chez un plus grand nombre de malades.
La rééducation doit être instaurée dès que possible
chez les patients admis pour HIC. Elle doit être
adaptée au(x) déficit(s) présenté(s) par le patient.
Conclusion
Même si la prise en charge des HIC n’a pas connue
d’avancées majeures en termes de survie ces
dernières années, l’optimisation des traitements
de phase aiguë semblerait permettre d’améliorer
le pronostic fonctionnel de nos patients. Lenjeu
est également de pouvoir agir au mieux en termes
de prévention primaire (meilleure connaissance
de la physiopathologie, équilibration optimale du
traitement antihypertenseur, etc.) et d’adapter les
mesures de prévention secondaire (par exemple de
discuter la fermeture de l’auricule chez un patient en
fibrillation auriculaire ayant un antécédent d’hémor-
ragie cérébrale).
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Travail effectué en collaboration avec le GFHT (Groupe
français d’études sur l’hémostase et la thrombose) sous
la direction de L. Derex, avec la participation de P. Sié,
C. Cordonnier, J.P. Neau, J.M. Olivot, S. Timsit, E. Touzé,
mai 2014 réactualisé en juin 2016.
12. Mould WA, Carhuapoma JR, Muschelli J et al. Minimally
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Références bibliographiques
C. Guidoux déclare avoir des liens
d’intérêts avec Bayer HealthCare
et AstraZeneca.
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