DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 Soins oncologiques de support Supportive care in oncology F. Scotté1 Un peu d’organisation des soins oncologiques de support 1 Oncologie médicale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Un point majeur du Plan cancer 2, présenté cette année par le président de la République, à la suite du rapport du Pr Grünfeld, est la lutte contre les disparités face au cancer. L’American society of clinical oncology (ASCO) s’est engagée dans cette lutte dans le cadre du plan de santé américain (1). Le traitement des cancers évolue actuellement à deux vitesses, selon que l’on peut ou non accéder aux améliorations thérapeutiques et aux progrès réalisés ces dernières années. L’appartenance ethnique est l’un des facteurs déterminants aux États-Unis (comme en France), avec un accès limité aux compagnies d’assurance et aux avancées sanitaires. Les projections statistiques démographiques évaluent à plus de 50 % le poids des minorités en 2050 aux États-Unis. Plusieurs propositions ont été faites : ➤ Accès pour tous à des soins de qualité : – en limitant les conditions d’accès aux assurances santé : un Américain sur 6 n’avait toujours pas de couverture sanitaire en 2009 ; – en cessant de limiter un accès plus facile aux campagnes de prévention, par exemple en facilitant l’accès aux mesures de lutte antitabac ; – en favorisant l’accès aux mesures de dépistage, et notamment en développant les possibilités de traitement en cas de diagnostic de cancer avéré. ➤ Lutter contre les disparités ethniques : – en menant des programmes universitaires de formation sur les différentes cultures et leurs particularités, notamment pour les étudiants du milieu sanitaire et social ; – en créant des groupes de travail sur les barrières santé/culture. ➤ Diversification des acteurs sanitaires et accès à la formation : – en augmentant le nombre de personnes issues de minorités bénéficiant des formations permettant 78 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 de travailler dans le domaine sanitaire, notamment dans les études de médecine ; – en facilitant les conditions d’exercice dans les milieux minoritaires. Il a notamment été montré que l’exercice médical est plus facile dans une minorité pour un acteur issu de cette même classe sociale. ➤ Accès à la recherche clinique : – limiter les disparités entre la recherche publique et la recherche privée, et notamment favoriser la recherche sur les disparités face au cancer (biologiques, culturelles, etc.) ; – faciliter l’accès de toutes les minorités aux essais cliniques. ➤ Améliorer l’adhésion des patients à leurs soins, par exemple en développant les outils d’information dans les différentes langues. Il a été montré qu’une augmentation de l’adhésion aux soins est un marqueur de qualité de ces derniers. Gageons que le travail initié aux États-Unis et contemporain de nos deux Plans cancer aura le même impact en France. La communication entre un patient et son médecin est un aspect fondamental de la prise en charge du malade atteint de cancer, notamment lors de l’annonce de mauvaises nouvelles. Une revue de la littérature concernant ce sujet a permis l’analyse de 24 articles sur 266 initialement repérés sur les bases de données Medline et PsychINFO (2). Le premier article à mettre en avant les conditions d’annonce d’une mauvaise nouvelle a été publié en 1980, écrit par Cassileth et al. Il mettait en évidence le souhait des patients d’être informés des mauvaises nouvelles et de participer aux décisions médicales les concernant. Cinq items spécifiques ont été mis en avant dans cette revue de la littérature : ➤ Le cadre de l’annonce : – globalement, une majorité de patients souhaitent une annonce lors d’une consultation en face à face, avec un temps suffisant accordé à leur discussion, lors d’entretiens dans un cadre personnalisé ; Résumé Dans la lignée des autres années, le développement des soins oncologiques de support s’est poursuivi en 2009, tant sur le plan de l’organisation, que sur ceux de l’évolution des indications des traitements connus et du développement de nouveaux outils thérapeutiques. La prise en charge des nausées et des vomissements induits par la chimiothérapie représente l’un des points les plus importants de cette année 2009. Rien que du bon, en attendant le cru 2010. – 40 à 78 % des patients ont souhaité la présence d’un proche, en majorité des populations asiatiques, à la différence des populations occidentales qui ont préféré un contact seul avec le thérapeute (81 % aux États-Unis) ; – peu de patients souhaitaient la présence d’un autre soignant (0-17,5 %) ; – tous souhaitaient des conditions privilégiées : téléphones et beepers arrêtés, relation de confiance, accueil courtois et personnalisé avant la consultation. ➤ La façon de communiquer : l’ensemble des patients a souhaité des informations claires, honnêtes, facilement compréhensibles et évitant le jargon médical. Une parole délivrée distinctement, un choix attentif du vocabulaire utilisé, une explication avec présentation des résultats biologiques et d’imagerie ont été des thèmes également mis en avant. ➤ Les informations et la quantité à donner : l’immense majorité des patients a souhaité un diagnostic énoncé de cancer (96-98 %), avec un désir d’informations complètes, bonnes et mauvaises (57-95 %). La plupart des patients interrogés ont voulu connaître leurs chances de guérison (91-97 %) et les données d’efficacité du traitement (79-98 %). Peu d’entre eux ont en revanche souhaité aborder le sujet de leur pronostic (27-61 %), notamment chez les populations asiatiques. ➤ Le soutien émotionnel : sur le plan émotionnel, les attentes des malades lors de ces annonces consistent en un contact gentil et doux, le maintien d’un espoir et la limitation des contacts physiques. Le souhait est d’obtenir les informations nécessaires tout en se sentant accompagné dans la décision et en évitant tout sentiment d’abandon. ➤ Les facteurs influençant les préférences face à cette annonce : l’âge (jeune), le niveau d’éducation (élevé), le sexe (féminin) sont des facteurs influençant la volonté d’avoir recours à un soutien émotionnel et de participer aux décisions thérapeutiques ainsi que le désir d’obtenir des informations les plus complètes possibles. L’origine ethnique est également un facteur influençant la communication. Il est intéressant que des items développés dans les cahiers des charges des consultations d’annonce doivent être repris dans ceux du dispositif de sortie. Caractériser des groupes de symptômes derrière une même entité, un même mécanisme, voire une même étiologie, permet d’améliorer la prise en charge du malade en traitant l’ensemble des plaintes plutôt que chaque souffrance prise individuellement. Le bénéfice n’en est que plus grand. Cet exercice de regroupement de symptômes a été mené auprès de 1 366 patients canadiens atteints d’un cancer de stade avancé (3). Tous les patients admis depuis 2005 dans l’unité de prise en charge palliative de l’hôpital Princess Margaret de Toronto ont rempli l’échelle d’Edmonton d’évaluation des symptômes (ESAS). Cette échelle évalue la sévérité de neuf items physiques et psychologiques : douleur, dyspnée, appétit, nausées, fatigue, somnolence, anxiété, dépression et bien-être global. Pour les patients inclus, les cancers digestifs ont été les plus fréquents (27 %), suivis des cancers du poumon (14 %) et du sein (11 %). Plus de 50 % des patients ont présenté l’ensemble des neuf symptômes, dont le plus rapporté a été la fatigue (96 %) et le moins rapporté les nausées (53 %). La fatigue a également été le symptôme le plus important en termes de sévérité, suivi par un mauvais état général et une anorexie. En utilisant l’analyse de corrélation de Spearman, deux groupes de symptômes ont été mis en avant : le premier a rassemblé fatigue, somnolence, nausées, anorexie et dyspnée ; le second a inclus anxiété et dépression. L’anxiété et la dépression ont été retrouvées associées dans la grande majorité des tumeurs solides. La douleur et la somnolence ont été particulièrement mises en avant dans les cancers du système nerveux ainsi que les cancers de la tête et du cou ; l’anorexie et l’altération du bien-être global ont plutôt été mises en avant dans les cancers digestifs, du poumon, du sein, ainsi que les cancers génito-urinaires et gynécologiques. Ces résultats ont un impact thérapeutique direct ; l’association anxiété et dépression est effectivement mieux traitée par des antidépresseurs sérotoninergiques. Pour le second groupe de symptômes, l’association fatigue, somnolence et anorexie s’inscrit dans le syndrome anorexie-cachexie pour lequel un rôle des TNFα, IL-1 et IL-6 a été démontré. Seule la dyspnée n’est pas impliquée dans ce syndrome, mais l’association avec les nausées et les trois précédents symptômes est retrouvée dans les effets secondaires des chimiothérapies, et également en fin de vie. Mots-clés Soins oncologiques de support Cancer Nausées Vomissements Organisation Highlights Following last years development, supportive oncology enhanced in 2009. Organization, confirmation and evolution of current treatments, altogether with the development of new supportive therapies were keypoints of this year. Taking care of the chemotherapy-induced nausea and vomiting has been one of the best therapeutic improvement in 2009. Keywords Supportive care Cancer Oncology Nausea Vomiting Organisation La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 79 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 Soins oncologiques de support L’impact des médications doit également être pris en considération dans la survenue de ces groupes de symptômes. L’objectif futur de la prise en charge des patients, mais également des recherches en traitements de support, sera donc de limiter les traitements symptomatiques en s’orientant vers une prise en compte globale de ces groupes de symptômes. Quelles sont les attentes exprimées par les patients ? Une évaluation des attentes non satisfaites des patients à différentes périodes au cours de leur maladie cancéreuse a été effectuée par une équipe australienne. La revue bibliographique de 57 articles a montré une grande disparité dans l’évaluation des besoins des patients, à n’importe quel moment de leur maladie cancéreuse (4). Il semble que la perception de besoins non satisfaits soit maximale au cours du traitement de la maladie. Les attentes le plus fréquemment relatées ont concerné l’activité quotidienne, le domaine psychologique, l’information, puis les aspects psychosociaux et physiques. Les auteurs ont conclu à la nécessité de mettre en place des évaluations prospectives d’analyses des besoins des patients lors de leur maladie cancéreuse. C’est également à cette question qu’a tenté de répondre une autre équipe australienne (5). Afin de pouvoir mettre en évidence les attentes des patients atteints de cancer au cours de leur suivi, la mise en place d’échelles d’évaluation est indispensable. Les souhaits en termes de prise en charge habituellement rapportés dans la littérature concernent la douleur, la fatigue psychologique et le besoin d’informations. Pourtant, les besoins des patients au cours de leur prise en charge sont rarement recherchés en pratique courante. Une première étape du travail a consisté à établir un ensemble de questions majeures parmi les 340 retrouvées dans les 20 échelles d’évaluation habituelles (EORTC, Edmonton, etc.). Cette sélection a été effectuée par un panel de 41 experts australiens impliqués dans la prise en charge du cancer. Quarante questions réparties au sein de 5 domaines (physique, social, psychologique, information et spirituel) ont ainsi été incluses dans un questionnaire. Cette échelle d’évaluation a alors été utilisée par des infirmières senior auprès de tout nouveau patient du centre. Quatre-vingt-sept patients suivis pour un cancer ont été inclus dans cette analyse. 80 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 Les plaintes principales mises en évidence par cette échelle ont été : – domaine physique : fatigue (52 %) et réaction à la radiothérapie (32 %) ; – domaine social : remboursement des transports (24 %) et certificats médicaux (20 %) ; – domaine psychologique : anxiété (37 %) et dépression (36 %) ; – domaine information : souhait d’informations écrites (37 %), demande d’entretien en face à face (18 %) ; – domaine spirituel : méditation (22 %), prière (15 %). L’utilisation de cette échelle a permis d’orienter le patient vers une prise en charge adaptée, autre que celle développée par une équipe de psycho-oncologie, accepté pour 25 % d’entre eux. L’ensemble des infirmières impliquées dans l’utilisation de cette échelle l’a trouvée utile en pratique courante après une phase d’apprentissage. Il a également été rapporté que ce questionnaire permettait de nouer une discussion avec des patients jusque-là difficiles à appréhender. Satisfaire les attentes des patients consiste-t-il à développer leur accompagnement par des médecines complémentaires intégrées dans les centres ? Sept cent quatre-vingt-deux patients suivis et traités dans 3 centres anticancéreux britanniques ont répondu à un questionnaire d’évaluation de la satisfaction (Measure Yourself Concerns and Wellbeing MYCaW), mené avant et après le traitement de la maladie (6). Deux des centres traitant essentiellement les maladies mammaires, 92 % des patients interrogés étaient des femmes, et leur âge moyen était de 52 ans. Les items émotionnels et psychologiques ont été mis en avant. Soixante-deux pour cent des patients ont ressenti un bénéfice global sur leur bien-être au cours de leur accompagnement. L’une des questions posées en champ libre a été : “Quel a été l’aspect le plus important (au cours de votre prise en charge) ?”. La réponse dans 26 % des cas a porté sur le fait de recevoir des techniques complémentaires, individuelles ou en groupe. Les auteurs concluent à l’importance d’une prise en charge globale du malade, notamment en favorisant l’accès sur site à des médecines complémentaires. Une solution novatrice ? La télémédecine est actuellement en plein essor, notamment dans l’idée de pallier les problèmes démographiques, mais surtout afin d’assurer un DOSSIER THÉMATIQUE lien au domicile du malade. Le téléphone portable est l’outil de communication le plus répandu dans la population. L’impact de son utilisation à travers un système de gestion des symptômes a été évalué dans 5 centres anglais (7). Cent douze patients en cours de chimiothérapie pour des cancers du poumon, du sein ou colorectaux ont été randomisés en deux groupes (intervention et contrôle) et interrogés à l’inclusion puis avant chaque traitement (5 cycles de chimiothérapie). Six principaux symptômes ont été évalués sur leur incidence et leur intensité : nausées, vomissements, fatigue, mucites, syndrome palmo-plantaire et diarrhée. En fonction de la toxicité évoquée et de sa sévérité, un message écrit était envoyé par téléphone, donnant des instructions simples pour limiter les symptômes. En cas d’alerte, un message était adressé au clinicien pour prise de contact avec son patient dans l’heure. Le bras contrôle était évalué selon les méthodes habituelles du centre en se conformant aux référentiels en cours. La fatigue a été retrouvée avec une fréquence et une sévérité plus élevées dans le bras contrôle, alors que le syndrome palmo-plantaire a été plus fréquent dans le bras intervention, cela mettant en avant une meilleure évaluation de l’incidence et de la sévérité des symptômes grâce à l’utilisation du téléphone (évaluation fondée sur les critères de toxicité du National Cancer Institute). Une souffrance négligée ? Les troubles du goût et de l’odorat, bien que peu rapportés, représentent une plainte fréquente des patients, évaluée à 75 %. L’impact est important sur la capacité à cuisiner et à s’alimenter, ainsi que sur l’humeur des patients. Peu d’études ont mesuré cet impact. Dans cet essai prospectif, 87 patientes traitées par chimiothérapie pour des cancers du sein ou des cancers gynécologiques ont été évaluées sur le goût et l’odorat avant, pendant et après (immédiatement et à 3 mois) la chimiothérapie (8). Ces deux sens ont été altérés pendant le traitement, avec un retour complet à la normale à 3 mois. Pour le goût, la perception salée a été la plus affectée durant le traitement. Le type de chimiothérapie est le facteur prédominant dans l’apparition de ces troubles sensoriels, le docétaxel notamment étant mis en cause. Aucune différence liée à l’âge n’a été retrouvée. Des prescriptions de corticothérapie à 75 mg/j jusqu’à J12 ont été proposées, et elles ont présenté un intérêt pour les troubles olfactifs. Des administrations de zinc ont été proposées pour les troubles du goût, avec toutefois un impact non négligeable sur la croissance tumorale dans le cancer du sein. Médecines complémentaires : bénéfices, inconvénients ? Les bouffées de chaleur, appelées également “bouffées vasomotrices” (BV), représentent un symptôme pénible pour le quotidien des patientes traitées pour un cancer du sein. Elles concernent 80 % des patientes sous tamoxifène. Cette étude randomisée avec bras contrôle a testé l’efficacité de séances d’acupuncture traditionnelle chinoise contre placebo auprès de 59 patientes sous hormonothérapie depuis au moins 3 mois dans le cadre d’un cancer du sein traité selon le protocole habituel (9). Toutes étaient ménopausées, et les deux groupes étaient comparables. L’intensité et la fréquence des BV étaient enregistrées sur les 4 semaines avant inclusion. Les patientes prenant des médications interférant avec l’évaluation étaient exclues de l’étude. Le bras placebo, classique avec ce type de technique, correspondait à des séances d’acupuncture sur des points fictifs, sans visée thérapeutique. Les séances étaient menées durant 30 minutes, 2 fois par semaine les 5 premières semaines, puis 1 fois par semaine les 5 semaines suivantes, pour un total de 10 semaines de traitement. L’évaluation des effets du traitement a été poursuivie les 12 semaines suivant l’arrêt de l’acupuncture. La fréquence des BV diurnes a été réduite de 50 % durant la phase de traitement de 10 semaines, avec une réduction supplémentaire de 30 % durant la phase de suivi de 12 semaines. Par rapport à l’inclusion, cette différence a été significative pendant le traitement (p < 0,001) et en suivi (p = 0,017). Elle l’a également été vis-à-vis du bras contrôle (p < 0,001). Le résultat a été similaire sur les BV nocturnes, avec une réduction (60 % pendant le traitement et 30 % supplémentaires en période de suivi) par rapport à l’inclusion en faveur de l’acupuncture traditionnelle et une différence significative versus contrôle (p = 0,009). L’index de Kupperman évalue 11 items correspondant à des plaintes au cours de la ménopause : BV, mais également douleurs, sécheresse vaginale, insomnie, dépression… Une différence largement significative par rapport à l’inclusion, mais également par rapport au bras contrôle a encore été enregistrée. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 81 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 Soins oncologiques de support Les résultats de cette étude randomisée s’opposent à ceux de Deng et al. dans le cancer du sein, qui n’avaient pas retrouvé de différence significative avec le bras contrôle (acupuncture fictive). Dans le bras contrôle de cette étude, l’effet placebo n’a été retrouvé que durant la nuit, avec une différence significative de la fréquence des BV nocturnes par rapport à l’inclusion. Cette différence n’a pas été significative sur la fréquence des BV diurnes, ni sur le score de Kupperman. Il semble donc exister un réel effet positif de l’acupuncture traditionnelle chinoise, tant sur la fréquence des bouffées de chaleur diurnes et nocturnes que sur la souffrance des patientes liée aux symptômes de la ménopause. Cet effet bénéfique est prolongé sur les 12 semaines suivant le traitement. Ces résultats apportent un espoir de soulagement pour les patientes atteintes de cancer du sein et souffrant de symptômes durant la phase d’hormonothérapie. Une revue de la littérature a été menée dans l’objectif de rechercher un impact réel des massages en cancérologie, au travers des publications d’essais dans le domaine (10). Un certain nombre d’items ont été retenus comme critères d’inclusion pour une étude dont : la randomisation, l’évaluation de l’efficacité des massages selon une technique classique (les techniques non classiques étaient exclues de l’évaluation ; acupuncture, réflexologie, shiatsu…). Les résultats de 14 essais regroupant les critères prérequis montrent une efficacité des massages classiques sur plusieurs plaintes : douleur, nausées, anxiété, dépression, peur, fatigue, qualité de vie. En revanche, la méthodologie de ces études a fait l’objet de critiques constantes, les études récentes témoignant toutefois d’une plus grande rigueur. L’auteur avance l’idée d’un impact positif des massages traditionnels en soins de support oncologiques, mais insiste sur la nécessité de mener des études à la méthodologie non critiquable, afin de prouver la réalité et l’impact réel du bénéfice. Quelle place pour les herbes chinoises en soins de support ? Les chimiothérapies peuvent engendrer des douleurs articulaires et musculaires. Le shakuyaku-kanzo-to est une herbe japonaise utilisée en médecine traditionnelle chinoise et qui a démontré son utilité dans les myalgies postpaclitaxel dans les cancers de l’ovaire. Il agit suivant un mécanisme anti-inflammatoire de la voie de la prostaglandine. Cette herbe 82 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 présente également un intérêt dans les dysménorrhées et les douleurs musculaires liées aux convulsions. Une étude randomisée comparative (avec ou sans traitement) a été menée auprès de 50 patients traités par l’association carboplatine-paclitaxel dans le cadre de cancers du poumon (11). Cette association serait responsable dans 60 % des cas d’une symptomatologie à type de myalgies/arthtralgies. Le shakuyaku-kanzo-to a été administré préventivement à la dose orale de 2,5 g × 3/j. L’évaluation du grade de sévérité (Japan Clinical Oncology Group Common Toxicity Criteria ; JCOG-CTC), de la durée des symptômes et du recours à des anti-inflammatoires a été effectuée de J1 à J21 d’un même cycle. La sévérité a été plus importante dans le groupe non traité (p = 0,018) et la durée a été plus courte dans le bras traité que dans le bras contrôle (2,78 ± 2,29 jours versus 5,08 ± 2,89 jours respectivement ; p = 0,002). Les patients traités par le shakuyaku-kanzo-to ont eu moins souvent recours à un anti-inflammatoire (p = 0,036) et ont suivi plus de cycles de chimiothérapie que les autres (3,4 cycles versus 2,4 cycles respectivement). Aucun effet indésirable particulier n’a été retrouvé avec l’herbe. D’autres études randomisées en double aveugle versus placebo sont attendues pour vérifier l’intérêt de cette herbe. Dans le même ordre d’idée, le gingembre semble avoir une place dans la prévention des nausées et des vomissements. Présenté en session orale lors de l’ASCO 2009 à Orlando, il était question d’un impact possible de ce produit sur les nausées. La phase II versus placebo auprès de patients traités par sétron ou aprépitant n’a pas montré d’impact du gingembre sur les nausées et vomissements, qu’ils soient aigus ou retardés (12). Une majoration significative des nausées retardées des patients traités par l’association aprépitant/ gingembre a même été mise en évidence. Cet effet indésirable peut être expliqué par l’augmentation de la motilité gastrique et, de fait, par une moins bonne absorption de l’aprépitant conduisant à limiter son efficacité. Aucun autre événement indésirable n’a été retrouvé en relation avec le gingembre. Il semble même qu’il y ait eu moins d’effets indésirables dans le bras traité avec gingembre, résultat qui pourrait amener les équipes à proposer de nouvelles études avec le produit dans d’autres indications. Toujours est-il que le gingembre ne semble rien apporter dans le contexte des nausées et vomissements chimio-induits. Un nombre croissant d’études utilisent les plantes ancestrales de la médecine chinoise, au même titre que les techniques de relaxation ou autres. Ces stra- DOSSIER THÉMATIQUE tégies sont regroupées sous le nom de “médecines complémentaires”. Elles peuvent avoir une valeur lorsqu’elles sont utilisées en association avec les médecines anticancéreuses traditionnelles, mais leur objectif varie en fonction de la perception qu’en ont les patients. Dans la plupart des situations, il s’agit d’améliorer les symptômes liés à la maladie ou à ses traitements, mais plusieurs attentes ont été décrites par les patients : – amélioration de l’état général ; – majoration de l’énergie vitale ; – restauration de l’équilibre ; – détoxification ou restauration de l’immunité ; – diminution des effets secondaires des traitements ; – allègement de la difficulté liée au suivi des traitements ; – mais, également, la compensation de l’objectif non curatif palliatif des spécialistes… En ce qui concerne ce dernier point, le recours aux médecines complémentaires, notamment les herbes chinoises, augmente lorsque les patients évaluent leur pronostic de survie comme étant inférieur à un an. Le problème se pose alors pour ce type de patients souvent inclus dans des essais thérapeutiques de phase I, avec un risque important d’interactions. Une étude a en effet rapporté un chiffre de 5 % d’effets indésirables en relation avec les herbes chinoises. Une autre évaluerait une incidence beaucoup plus importante de leur toxicité (13). Une seule étude a montré une efficacité significative (p < 0,05) concernant la réduction d’une toxicité parmi 20 plantes chinoises étudiées. Cette revue bibliographique publiée dans Supportive Care in Cancer permet de faire un point sur les toxicités possibles des différentes plantes utilisées par les patients et ainsi d’évaluer les effets secondaires ou inefficacités rencontrées lors de l’utilisation des traitements. La grande majorité des interactions advient par le biais de la voie du cytochrome P450, mais d’autres accidents sont décrits lors de l’usage des médecines chinoises : – réactions immuno-allergiques ; – réactivations microbiennes (surtout virales, VZV, HBV…) ; – contamination par des impuretés, voire des métaux lourds ; – accidents avec les additifs (stéroïdes, etc.). Les toxicités sont multiples, la plus fréquente étant l’hépatotoxicité. On peut également rencontrer des problèmes cardio-vasculaires, neuro-psychiatriques, hématopoïétiques, etc. Plusieurs exemples sont donnés, comme celui du ginseng, déjà présenté comme intéressant dans la lutte contre la fatigue, mais responsable d’HTA, de maux de tête, de saignements vaginaux ou utérins, ou encore de pneumonies en ce qui concerne le panax ginseng. Il est donc recommandé par les auteurs d’être des plus vigilants avec les médications suivies par les patients, non pour les leur interdire, mais pour les mettre en garde contre les effets potentiellement graves induits par ces traitements complémentaires. L’idée d’un suivi étroit en pharmacovigilance, de la création de licences d’utilisation des herbes chinoises et de la constitution d’une base de données des interactions et des effets secondaires est également proposée. Soins de support et nausées-vomissements Quelle prise en charge des symptômes dans les hôpitaux ? Un observatoire sur 4 semaines a été effectué dans un service hospitalier australien. Quatre-vingt-deux patients ont été interrogés sur leurs symptômes (nausées, douleurs, etc.), et leur prise en charge thérapeutique a été analysée (14). Le contrôle antalgique a été considéré comme correct, 71 % des patients n’ayant pas de plainte douloureuse. Un tiers des patients se sont plaints de nausées (32 %), dont 15 % n’avaient aucune prescription d’antiémétiques et 19 % avaient une prescription non observée (par non-administration). Ces chiffres mettent en avant la nécessité d’une formation rigoureuse, répétée et suivie quant à la prise en charge des symptômes dans les services d’hospitalisation. Il en est probablement de même à l’extérieur des services hospitaliers. Il est ainsi indispensable de poursuivre l’effort de développement des soins oncologiques de support, par le biais de formations, d’informations et également de revendications institutionnelles. Tel est l’objectif d’associations comme l’Afsos (Association francophone pour les soins oncologiques de support) et de publications régulières dans des revues telles que La Lettre du cancérologue. À l’égard des nausées et vomissements chimioinduits (NVIC), les résultats de l’étude PN130 ont confirmé le rôle préventif de l’aprépitant dans les chimiothérapies modérément émétisantes à base d’une association anthracycline-cyclophosphamide (AC) [15]. La nouveauté est la démonstration de Références bibliographiques 1. Goss E, Lopez AM, Brown CL et al. American Society of Clinical Oncology Policy statement: disparities in cancer care. J Clin Oncol 2009;27:2881-5. 2. Fujimori M, Uchitomi Y. Preferences of cancer patients regarding communication of bad news: a systematic literature review. Jpn Clin Oncol 2009; 39:201-16. 3. Cheung WY, Le LW, Zimmermann C. Symptom clusters in patients with advanced cancers. Support Care Cancer 2009; 17:1223-30. 4. Harrison JD, Young JM, Price MA et al. What are the unmet supportive care needs of people with cancer? A systematic review. Support Care Cancer 2009;17:1117-28. 5. Pigot C, Pollard A, Thomson K et al. 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Massage therapy for cancer palliation and supportive care: a systematic review of randomised clinical trial. Support Care Cancer 2009;17:333-7. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 83 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 11. Yoshida T, Sawa T, Ishiguro T et al. The efficacy of prophylactic shakuyaku-kanzo-to for myalgia and arthralgia following carboplatin and paclitaxel combination chemotherapy for non-smallcell-lung cancer. Support Care Cancer 2009;17:315-20. 12. Zick SM, Ruffin MT, Lee J et al. Phase II trial of encapsulated Ginger as a treatment for chemotherapy-induced nausea and vomiting. Support Care Cancer 2009;17:563-72. 13. Chiu J, Yau T, Epstein RJ. Complications of traditional Chinese/herbal medicines (TCM)-A guide for perplexed oncologists and other cancer caregivers. Support Care Cancer 2009;17:231-40. 14. Greaves J, Glare P, Kristjanson LJ et al. Undertreatment of nausea and other symptoms in hospitalized cancer patients. Support Care Cancer 2009; 17:461-4. 15. Rapoport BL, Jordan K, Boice JA et al. Aprepitant for the prevention of chemotherapyinduced nausea and vomiting with a broad range of moderately emetogenic chemotherapies and tumor types: a randomized, double-blind study. Support Care Cancer 2009 [epub ahead of print].. 16. Hesketh PJ, Younger J, SanzAltamira P et al. Aprepitant as salvage antiemetic therapy in breast cancer patients receiving doxorubicin and cyclophosphamide. Support Care Cancer 2009; 17:1065-70. Soins oncologiques de support l’intérêt de l’aprépitant, également dans le cadre des chimiothérapies moyennement émétisantes ne relevant pas de l’association AC. L’aprépitant a fait l’objet d’un essai multicentrique de phase III, randomisé en double aveugle et mené auprès de 58 centres à travers 15 pays. Un bras contrôle utilisant le doublet classique sétron et corticoïde a été comparé au bras testé, dans lequel l’aprépitant était ajouté à ce doublet. Huit cent quarante-huit patients naïfs de chimiothérapie ont été inclus dans cet essai. Les chimiothérapies utilisées ont été, en plus des anthracyclines et du cyclophosphamide, des sels de platine (carboplatine, oxaliplatine) et de l’irinotécan. L’objectif principal a consisté en l’évaluation de la proportion de patients n’ayant pas de vomissements durant les 120 heures suivant chaque chimiothérapie. Les patients avaient des caractéristiques semblables dans les deux bras comparés. Les sels de platine ont représenté la proportion la plus importante des schémas non AC (83 %, avec carboplatine 47 % et oxaliplatine 36 %). Les résultats ont montré un impact significatif de l’aprépitant sur l’objectif principal (taux de réponses complètes, à savoir pas d’épisode émétique et pas de recours à un traitement de secours durant les 120 heures suivant chaque chimiothérapie). Une amélioration de 14 % a été apportée par l’aprépitant en termes d’absence de vomissements, dont 8 % en phase aiguë et 11 % d’amélioration en phase retardée. Ainsi, l’absence de vomissements a été retrouvée pour 92 % des patients traités par aprépitant en phase aiguë (contre 84 % dans le bras contrôle) et 78 % en phase retardée (contre 67 % dans le bras contrôle). Ces résultats ont été significatifs (p < 0,01). L’objectif secondaire de réponse complète a également été significatif en faveur du bras avec aprépitant. Quatre-vingt-neuf pour cent des patients sous aprépitant ont eu une réponse complète en phase aiguë (80 % dans le bras contrôle), et 71 % en phase retardée (61 % dans le bras contrôle), pour une réponse globale (les 120 heures suivant la chimiothérapie) de 69 % dans le bras aprépitant contre 56 % dans le bras contrôle. Ces résultats ont, là encore, été significatifs (p < 0,01), avec une amélioration en faveur de l’aprépitant de 9 %, 10 % et 13 % respectivement pour les phases aiguë, retardée et globale. Une amélioration de 8 % de la sensation de nausée a également été retrouvée en faveur du bras traité par aprépitant sur la période 0-120 h. Si l’amélioration a été mise en évidence dans le cadre des protocoles à base d’AC en faveur de l’aprépitant (15 % d’amélioration en l’absence de vomissements 84 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 et 16 % d’amélioration en réponse complète), il est intéressant d’analyser le sous-groupe des traitements non AC. Un bénéfice significatif (p < 0,01) a également été retrouvé en faveur de l’aprépitant dans ces régimes de chimiothérapie non AC. Sur la période globale (0-120 h), 83 % des patients ont eu une absence de vomissements (versus 71 % pour le groupe contrôle) et 74 % ont eu une réponse complète (66 % dans le groupe contrôle), avec, respectivement, une amélioration de 12 % et 8 %. Ce résultat est impressionnant en phase aiguë lors du premier cycle, avec 97 % des patients sans vomissements (92 % dans le bras contrôle) et 93 % en réponse complète (88 % contrôle). Si l’amélioration est plus étroite (5 % sur les deux objectifs, en faveur du bras aprépitant, p < 0,05), le pourcentage voisin des 100 % laisse espérer un parfait contrôle des vomissements en utilisant ce schéma du triplet avec aprépitant. En phase retardée, les résultats sont également importants, avec une absence de vomissements dans 85 % des cas (avec aprépitant), contre 74 % en contrôle, et une réponse complète pour 76 % des malades avec aprépitant, contre 69 % dans le bras contrôle. Ces résultats restent en faveur de l’aprépitant quels que soient les types de tumeurs traitées. Pour ce qui est de la tolérance, les résultats ont été similaires dans les deux bras de traitement, en dehors de la constipation et des céphalées, moins importantes dans le bras avec aprépitant. Les auteurs concluent à une efficacité supérieure et à une bonne tolérance, dans les chimiothérapies modérément émétisantes, du triplet avec aprépitant, sétron et corticoïde, qui devrait devenir un standard de prise en charge. C’est également la conclusion de Paul Hesketh et al., dans leur article consacré à cette étude d’évaluation du traitement par aprépitant en deuxième intention chez les patients ayant eu des NVIC après un premier cycle de chimiothérapie du type AC avec une prévention par une association sétron-corticoïde sans aprépitant (16). Les résultats sont en faveur du bras avec aprépitant et, bien que peu significatifs, ils montrent l’impact important des inhibiteurs de la neurokinine de type 1, y compris en traitement de secours. Les résultats étant cependant inférieurs à ceux de l’étude PN 130, les auteurs recommandent donc l’utilisation de l’aprépitant dès le premier cycle de chimiothérapie. On rappelle que, en bonne pratique clinique, il convient de traiter les patients avec un protocole antiémétique maximal dès le premier cycle de chimiothérapie afin d’éviter les NVIC lors des cycles ultérieurs. ■