Le Courrier des addictions (12) – n ° 1 – janvier-février-mars 2010 24
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est accusé de ne pas aller mieux. Il devient
"dépendant" des autres pour des actes habi-
tuellement faciles à réaliser. Il se sent délaissé
quand les autres ne peuvent pas tout faire à
sa place. Il devient anxieux, colérique et dé-
primé. En un mot, il endosse les habits d’un
douloureux chronique. On retrouve dans ces
caractéristiques des critères de nos patients
dépendants des opiacés. Comment traiter
ces douloureux ? Nous rappellerons les ob-
jectifs: sélectionner les bons produits, doses,
voies d’administration, intervalles entre les
prises et durées du traitement ; effectuer
une titration pour obtenir l’effet maximal ;
prévenir les moments de réapparition de la
douleur ; utiliser des co-analgésiques non
opiacés ; minimiser et traiter les effets secon-
daires. Il ne faut pas avoir peur de "faire mal
à la douleur" (Pain on Pain) et la traiter avec
des opiacés (le traitement idéal ayant un effet
rapide, durée courte, sûr, convient au patient,
effets secondaires acceptables). Face à une
douleur chronique, toujours se demander :
pourquoi a-t-on prescrit des opiacés ? Qu’est-
ce que l’on attend en termes de réduction de
la douleur, d’amélioration fonctionnelle ? Les
effets secondaires et paradoxaux sont-ils "do-
cumentés" ?
Et comme le dit Walter Ling, "se rappeler à
cette occasion que ce qui n’est pas écrit n’ar-
rive jamais et qu’une réputation se fait sur le
médecin que l’on est et pas sur les patients que
l’on a". La douleur aiguë est une menace pour
l’équilibre, souvent précaire du patient dépen-
dant substitué. Elle est amplifiée par les idées
reçues sur la douleur.
Idées reçues sur les patients
dépendants des opiacés
En bref : ces patients ne connaissent pas la
douleur. Ils n’ont pas besoin d’opiacés car
ils reçoivent déjà des doses importantes de
morphiniques. Les traitements antidouleurs
ne fonctionnent pas chez les patients subs-
titués. On ne peut pas prescrire légalement
davantage de traitements. Les traitements de
la douleur entraînent immanquablement des
rechutes. Tout cela est complètement faux,
bien au contraire. Les patients sous TSO font
l’expérience de la douleur. Ils connaissent à
la fois la tolérance aux opiacés et l’hyperalgé-
sie, comme le prouvent des scores plus élevés
concernant la douleur. Leur douleur répond
aux traitements opiacés. Ils ont besoin d’opia-
cés de base (dette en opiacés). Ils nécessitent
de plus fortes doses, une fréquence et une
durée d’administration plus élevée. Premiè-
rement, il faut chercher une cause curable à
la douleur et l’éradiquer. Deuxièmement, en
cas de douleur mesurée grâce à une échelle vi-
suelle analogique (EVA) entre 4 et 7, associer
des antalgiques de niveau I (paracétamol, as-
pirine, AINS) – sauf contre-indication – à un
antalgique de niveau II (néfopam) [EVA 7].
En pratique, pour les patients sous MET:
continuer la MET en répartissant la dose sur
la journée en 3 à 4 prises ; utiliser d’autres
opiacés pour la douleur plutôt que d’ajouter
une dose supplémentaire de MET; se sou-
venir que ces patients ont une hyperalgésie
et ont besoin de doses plus fortes d’opiacés
(4). Utiliser la rotation des opiacés ; adjoindre
d'autres antalgiques; utiliser des moyens non
pharmacologiques ; travailler en équipe et
poursuivre le traitement de l’addiction.
En pratique, pour les patients sous BHD:
continuer la BHD en la fractionnant toutes
les 6 à 8 heures ; ajouter de la BHD ou un
opiacé d’action rapide et forte pour traiter la
douleur aiguë ; changer pour un autre ago-
niste opiacé y compris la MET pendant la
douleur aiguë; revenir à la BHD une fois que
la douleur aiguë est traitée ; ne pas oublier
les autres antalgiques et les traitements non
médicaux ; travailler en équipe et poursuivre
le traitement de l’addiction. En clair et en
résumé, la BHD est un excellent produit qui
a deux types d’action suivant son dosage et
surtout sa fréquence d’administration. En
prise unique et à dose suffisante, c’est un
produit de substitution sûr avec un effet pla-
fond et une longue durée d’action. En prises
fractionnées et doses adaptées, c’est un an-
talgique efficace. Reste que le profil de nos
patients est très particulier (hyperalgésie),
et il est indispensable de garder à l’esprit
que chaque cas est différent et que chaque
prescription se négocie et s’adapte. Par
conséquent, il n’y a pas et il n’y aura jamais
de recette universelle: "Most things work for
something ; nothing works for everything ; a lot
doesn’t work for anything", comme se plait à
le répéter Walter Ling. Il faut fractionner les
doses (passer de la substitution à l’antalgie),
les augmenter et aborder le problème dans
une approche multidisciplinaire.
L’enjeu essentiel
de l’Éducation
Thérapeutique du Patient
Les patients sous MET et sous BHD n’ont
pas les mêmes réactions (Authier, Courty : en
cours). Le traitement de leur douleurs et de
leur anesthésie est donc différent. Quoiqu’il
en soit, il est impératif que ces patients soient
associés à l’élaboration des protocoles, qui
doivent être souples et adaptés. Le rôle de
l’éducation thérapeutique du patient est
primordial. L’adaptation permanente du
soignant à la demande du soigné, dans un
partenariat vraiment interactif autour des
compétences des deux côtés, ne peut se faire
que dans un réel effort de formation des thé-
rapeutes, non seulement à des connaissance
nouvelles, mais aussi à un autre rapport à la
souffrance de l’autre. On le sait bien : les plus
grandes réticences et idées reçues viennent
des prescripteurs. Cela nécessite d’accep-
ter que les patients aient besoin d’un traite-
ment de longue durée. Cela ne semble facile,
ni pour les usagers, ni pour les soignants. Il
faut admettre aussi que nous sommes dans
le registre du soin et non plus dans celui de
l’illégalité ou du traitement de confort d’une
conduite à risque. Il convient là aussi d’être
"les accoucheurs" attentifs de ce travail en
orientant, accompagnant et non pas en impo-
sant ou ordonnant. L’échange, l’acceptation
des différences et des attentes doivent être la
préoccupation des soignants devenant ainsi
des éducateurs thérapeutiques. Car, même si
les patients ont des compétences, le médecin
reste bien le pivot de l’accès aux soins dans
notre système de santé. Néanmoins, il semble
qu’ils soient les plus difficiles à "éduquer" ! Ce
modèle éminemment éducatif, s’il peut s’ap-
pliquer aux usagers de drogues, doit pouvoir
s’adapter sans mal à toutes les autres mala-
dies chroniques. C’est tout l’enjeu de l’avenir
des interrelations patient/éducateur pour la
santé et d’un changement radical de notre ap-
proche du soin.
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Références bibliographiques
1. Conférence de consensus sur les traitements de
substitution aux opiacés, Lyon, 2004 (http://www.
has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/
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2. http://crips.cirm-crips.org/crips/dossiers/chiffre2008.
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3. http://www.invs.sante.fr/beh/2009/37//index.htm
4. Randl K, Courty P, Dubost S et al. Une prise en
charge multidisciplinaire est-elle suffisante pour inci-
ter les usagers de drogue sous traitement de substitu-
tion aux opiacés à traiter leur hépatite chronique C ?
Gastroenterol Clin Biol 2009;33:86.
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