Une hémorragie bilatérale des surrénales peut révéler

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Cas
clinique
Une hémorragie bilatérale
des surrénales peut révéler
un syndrome des antiphospholipides
Bilateral adrenal hemorrhage as revelation
of antiphospholipid syndrome
Kenza Benomar*, Amélie Ryndack*, Anne Vambergue*
Observation
M. C., âgé de 63 ans, consulte en urgence pour une toux
grasse associée à des hémoptysies. Il a pour antécédents
une hypertension artérielle, une hypothyroïdie autoimmune substituée et un pneumothorax spontané
diagnostiqués en 2004. Il présente un tabagisme actif
estimé à 40 paquets/années.
La radiographie du thorax réalisée aux urgences met en
évidence une opacité du lobe inférieur droit, spiculée,
suspecte de malignité. La fibroscopie avec biopsies
confirme la présence d’un carcinome pulmonaire épidermoïde bien différencié. Le bilan d’extension ne met
pas en évidence de métastases à distance. Le scanner
abdominal ne met pas en évidence d’atteinte surrénalienne (figure 1).
Sur le plan thérapeutique, une lobectomie inférieure
droite et un curage ganglionnaire sont pratiqués. Le
patient rentre chez lui après 8 jours d’hospitalisation.
Il est de nouveau hospitalisé en urgence au bout de
48 heures, car il présente des douleurs abdominales
accompagnées de nausées et de vomissements.
* Service d’endocrinologie, de diabétologie
et métabolisme, hôpital
Claude-Huriez, Lille.
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Figure 1. Tomodensitométrie abdominale en coupe
axiale : absence de lésion surrénalienne.
Sur le plan clinique, le patient est inconscient (Glasgow
8/15). La tension artérielle est mesurée à 60/40 mmHg, la
température est de 38 °C. On observe des diarrhées sanglantes. Le bilan biologique standard met en évidence
une anémie à 10,2 g/dl. La natrémie est de 131 mmol/l,
la kaliémie de 4,7 mmol/l et la protéine C-réactive (CRP)
de 91 mg/l.
Le bilan est complété par un dosage de cortisol, qui
est à 2,6 μg/l à 10 h (N > 9 μg/l), et un dosage d’ACTH
à 60 pg/ml (N : 10-50 pg/ml).
Dans ce contexte d’urgence, un scanner thoracoabdomino-pelvien est réalisé, montrant la présence
de 2 lésions nodulaires surrénaliennes mesurant
37 x 24 mm à droite et 27 x 37 mm à gauche, hypodenses,
correspondant à 2 hématomes surrénaliens (figure 2).
La rectosigmoïdoscopie met en évidence une colite
ischémique de grade II non nécrotique avec présence
d’un thrombus artériel à l’analyse histologique.
Sur le plan thérapeutique, toujours dans ce contexte
d’urgence, M. C. a reçu un traitement en réanimation
par remplissage vasculaire, de la noradrénaline (1 mg/h)
et 100 mg d’hydrocortisone en seringue autopulsée.
Après stabilisation, le patient a été adressé au service
d’endocrinologie pour poursuivre les explorations et
organiser la prise en charge thérapeutique. Les investigations complémentaires ont concerné notamment
les plans biologique et paraclinique (tableau I).
Devant ce tableau clinique, biologique et paraclinique,
le diagnostic qui a été retenu est celui d’une hémorragie bilatérale des surrénales. Cette cause d’insuffisance surrénalienne aiguë a révélé un syndrome des
antiphospholipides (SAPL), probablement paranéoplasique.
La prise en charge a consisté en un traitement spécifique du SAPL par une anticoagulation par héparine de
bas poids moléculaire (HBPM) au long cours, et celui de
l’insuffisance surrénalienne par une hormonothérapie
substitutive à vie par glucocorticoïdes et minéralocorticoïdes. L’éducation du patient sur l’observance
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVIII - n° 6 - juin 2014
Une hémorragie bilatérale des surrénales peut révéler un syndrome des antiphospholipides
Tableau I. Bilan clinique, biologique et paraclinique du patient.
TCA allongé à 42 ms pour un témoin à 32 ms, TP à 80 %,
plaquettes normales
Bilan hormonal
• Cortisol à 8 h : 3 μg/l (n > 9 μg/l)
• ACTH à 8 h : 63 pg/ml
(N : 10-50 pg/ml)
• 17OH progestérone : normal
• SDHEA : normal
• Normalité du dosage des métanéphrines et normétanéphrines
plasmatiques et urinaires et
de la chromagranine A : normaux
Sérologie
VIH, hépatite B, hépatite C, EBV,
CMV, syphilis : négatives
Bilan immunologique
• Anticorps antinucléaires : négatif
• Anticorps anti-ADN natif : négatif
• Anticorps anticoagulant de type
lupique : négatif
• Anticorps anticardiolipine :
négatif
• Anticorps anti-β2gp1 : 53 (N < 3)
• Homocystéine : 17,3 μmol/l
(N < 14)
Scanner thoraco-abdomino-pelvien de contrôle : aspect
stable des hématomes surrénaliens sans aucune autre
anomalie à distance
ACTH : adrénocorticotrophine ; CMV : cytomégalovirus ; EBV : Epstein-Barr virus ;
SDHEA : sulfate de déhydroépiandrostérone TCA : temps de céphaline activée ; TP :
taux de prothrombine
des médicaments, les signes révélateurs d’une décompensation aiguë, le doublement des doses en cas de
stress, d’infection ou de chirurgie, et le port d’une carte
d’insuffisant surrénalien font partie intégrante du traitement afin d’éviter toute décompensation surrénalienne.
Discussion
L’hémorragie bilatérale des surrénales est une étiologie
rare de l’insuffisance surrénalienne aiguë (0,14 à 1,8 %
des séries d’autopsies). Qu’elle soit spontanée ou favorisée par un désordre de l’hémostase, le diagnostic est
difficile lorsque le tableau clinique est celui d’un choc
septique, d’autant que les 2 pathologies peuvent être
associées. La littérature rapporte de nombreuses conditions comme facteurs de risque possibles (1). Les plus
communes sont le stress, une pathologie sous-jacente
(tumeur surrénalienne, sepsis), en postopératoire (en
particulier chirurgie cardiovasculaire ou orthopédique),
un traumatisme (2) ou iatrogène secondaire à l’administration d’adrénocorticotropine (ACTH). D’autres causes
plus rares sont rapportées, comme le syndrome des
SAPL (3).
Figure 2. Tomodensitométrie abdominale en coupe axiale : présence de 2 hématomes surrénaliens.
Dans cette observation, le tableau clinique de collapsus
avec hyponatrémie, hyperkaliémie et douleurs abdominales a été rapidement évocateur d’une insuffisance
surrénalienne aiguë (4). La confirmation a été apportée
par une cortisolémie effondrée, l’imagerie abdominale
qui a mis en évidence les hématomes surrénaliens, et
la réponse spectaculaire au traitement adapté avec
disparition des douleurs abdominales et de la fièvre.
Le diagnostic étiologique de cette insuffisance surrénalienne a été plus compliqué.
Après la lobectomie pratiquée 8 jours auparavant, on
pouvait présumer que le patient avait développé un
sepsis sévère responsable d’une insuffisance surrénalienne (5). Cette cause est en effet retrouvée dans 60 %
des insuffisances surrénaliennes aiguës. Nous avons
écarté ce diagnostic par la négativation de tous les
examens microbiologiques, l’amélioration clinique du
patient sans antibiothérapie et les anomalies hématologiques biologiques nous orientant vers le SAPL.
Le diagnostic de SAPL repose sur la présence d’une
thrombose veineuse ou artérielle ou au moins 2 antécédents de fausses couches pour les femmes et la présence d’un anticoagulant circulant de type lupique,
des anticorps anticardiolipine ou des anticorps antiβ2gp1 (sur 2 déterminations) [tableau II, p. 156] (6).
L’insuffisance surrénalienne est une manifestation
décrite dans le SAPL mais elle reste rare (7). Depuis
sa première description en 1987, une cinquantaine
de cas d’insuffisance surrénalienne ont été rapportés dans la littérature. La physiopathologie supposée
est un infarcissement hémorragique bilatéral consécutif
à une thrombose veineuse induite par l’état d’hypercoagulabilité (8).
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Cas
clinique
Tableau II. Critères du diagnostic du SAPL publiés par Miyakis et al. (6).
Critères cliniques
Thrombose(s) artérielle(s) et/ou veineuse(s) et/ou microvasculaire(s)
Un ou plusieurs épisodes de thrombose dans n’importe quel tissu ou organe. La thrombose
doit être confirmée par l’imagerie ou par les données histopathologiques. Dans ce cas, il ne
doit pas y avoir de signes histologiques de vascularite
Événements obstétricaux
Au moins une mort fœtale (dès 10 semaines d’aménorrhée) inexpliquée par ailleurs ou une
semaine prématurée (avant 34 semaines d’aménorrhée) d’un enfant morphologiquement
normal, liée à une (pré) éclampsie ou une insuffisance placentaire sévère(s) ou au moins
3 avortements précoces (avant 10 semaines d’aménorrhée) consécutifs inexpliqués par ailleurs
Critères biologiques (avec confirmation au-delà de 6 semaines)
Anticorps anticardiolipine IgG ou IgM à titre moyen ou élevé, par un test Elisa standardisé pour
la recherche d’anticorps dépendants de la β2gp1
Anticoagulant circulant lupique dépisté selon les recommandations de l’International Society
on Thrombosis and Halemostasis
Le SAPL est “défini” s’il existe au moins 1 critère clinique et 1 critère biologique
Dans notre observation, la thrombose de la veine surrénalienne et la thrombose colique constituent les critères
cliniques majeurs. L’allongement du temps de céphaline
activée (TCA) et la positivité des anticorps anti-β2gp1
plaident en faveur de ce diagnostic sur le plan biologique.
Le taux d’anticorps du patient a été vérifié 12 semaines
plus tard : ce taux était de 75 (N < 3), ce qui permet
de confirmer le diagnostic d’un authentique SAPL.
Le SAPL est isolé dans la moitié des cas (SAPL primaire)
ou associé à une connectivitée, principalement le
lupus (SAPL secondaire) ; il peut plus rarement être
associé à des infections, des vascularites ou des cancers. Chez notre patient, la découverte du SAPL dans
les suites du cancer pulmonaire évolutif nous a fait
retenir le diagnostic d’un SAPL paranéoplasique (9).
Les tumeurs les plus fréquemment associées au SAPL
sont les hémopathies malignes, les adénocarcinomes
pulmonaires et les carcinomes rénaux (10). L’évaluation
du risque thrombotique chez les patients atteints de
cancer pourrait donc avoir un intérêt pronostique et
thérapeutique, puisque le risque thrombotique est plus
important chez ces patients.
Le traitement du SAPL a pour objectif principal la
prévention de la récidive thrombotique. Il repose
sur une anticoagulation curative par antivitamine K.
La récidive est de l’ordre de 12 % à 1 an, 26 % à 5 ans
et 44 % à 10 ans (11, 12). Les modalités thérapeutiques
(INR [International Normalized Ratio] cible et durée du
traitement) sont discutées selon la gravité du SAPL,
le caractère veineux ou artériel et le profil immunologique du patient (13). Dans ce cas précis du SAPL
paranéoplasique et compte tenu de la présence d’un
cancer actif, nous avons instauré une anticoagulation
par HBPM (14) en association au traitement au long
cours de l’insuffisance surrénalienne. Un suivi régulier
multidisciplinaire a été recommandé pour ce patient.
La prise en charge complémentaire spécifique du
carcinome pulmonaire a été poursuivie.
Conclusion
La présentation du syndrome des antiphospholipides
peut mimer plusieurs pathologies. L’hémorragie bilatérale des surrénales reste une manifestation rare mais très
grave susceptible d’engager le pronostic vital. L’imagerie
abdominale et le bilan immunologique ont permis,
dans notre cas, de poser le diagnostic. La gestion du
traitement anticoagulant dans ce contexte néoplasique
doit être prudente.
■
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