Introduction
Ahues Isabelle - 2009 5
Introduction
Ces quinze dernières années ont été marquées par l'émergence, sur la scène politique
internationale, des mouvements indigènes. Les institutions internationales se sont
intéressées, dès les années 1980, au sort des indigènes dans les pays latinoaméricains et
dans le monde, mais ceux-ci acquièrent une réelle visibilité à partir de la célébration, en
1992, des cinq cents ans de la découverte de l'Amérique, et des importantes mobilisations
indigènes qui ont eu lieu sur tout le continent contre cette célébration. Cette visibilité est
renforcée lors du soulèvement indigène qui a lieu en janvier 1994 au Chiapas, mené par le
mouvement zapatiste. Ce soulèvement a attiré l'attention de l'opinion publique internationale
sur « la réalité des peuples indigènes et leur importance croissante en tant qu'acteurs
politiques »1. En effet, depuis une vingtaine d'années, on assiste, en Amérique latine,
à l'apparition de mouvements indigènes sur la scène politique, que ce soit à l'échelle
locale, régionale, nationale ou transnationale. Ce phénomène a attiré, dès les années
1980, l'attention des institutions internationales, qui ont commencé à élaborer des outils
pour assurer la défense et la protection des peuples indigènes, dont le plus récent est la
Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes de 2007. Cet intérêt
pour les populations historiquement marginalisées d'Amérique latine s'est aussi traduit dans
les conditions de prêt demandées par la Banque Mondiale.
Cette apparition des indigènes sur la scène politique pose la question de leur intégration
dans les États-nations dans lesquels ils vivent : intégration sociale, économique, mais aussi
et surtout politique. Par intégration sociale, on entend l'inclusion de ces populations à la
vie sociale de leurs pays, et surtout la fin de la discrimination pour des raisons ethniques ;
intégration économique, parce que les indigènes ont été, depuis les indépendances, mis
à l'écart du développement économique de leurs pays. Enfin, une intégration politique
des indigènes signifie non seulement leur participation électorale, mais que leur soit aussi
permise la participation aux prises de décisions politiques.
Le pays qui est arrivé le plus loin dans ce processus d'intégration politique est la Bolivie,
avec l'élection en 2005 d'Evo Morales, leader cocalero d'origine aymara, à la présidence.
Cette situation contraste avec celle de son voisin péruvien, où l'espace politique national
est peu ouvert aux indigènes, comme en témoigne leur sous-représentation au Congrès
notamment, et où les indigènes eux-mêmes ont du mal à s'affirmer comme acteurs politiques
décisifs et incontournables. C'est ce contraste qui a suscité mon intérêt, et m'a déterminée
à choisir ces deux pays comme objets d'étude.
La Bolivie et le Pérou sont deux des trois pays andins où la concentration indigène est
la plus forte. La première est enclavée entre le Brésil, le Paraguay, l'Argentine, le Chili et le
Pérou. D'un point de vue géographique2, la Bolivie se caractérise par trois milieux naturels,
avec à l'ouest les hautes terres andines ; à l'est les grandes plaines de l'Oriente ; enfin au
centre, ce sont les vallées ou yungas, qui constituent le point de contact entre la région
1 Alcántara (Manuel) et al., Reformas económicas y consolidación democrática, Colección Historia Contemporánea de América
Latina, vol. VI : 1980-2006, Editorial Síntesis, Madrid, 2006, p. 54.
2 Les informations géographiques et démographiques qui suivent sont tirées de l'article d'Encyclopaedia Universalis consacré
à la Bolivie.