DOSSIER Allergologie Rôle du conseiller médical en environnement intérieur Role of medical indoor environment counselor G. Beltramo*, F. de Blay**, P. Bonniaud* G. Beltramo L a prise en charge des allergies respiratoires repose en premier lieu sur l’éviction des pneumallergènes tant que cela est possible. Le rôle potentiel des stratégies d’éviction de ces derniers dans la prévention secondaire des symptômes d’asthme a été étudié à de nombreuses reprises et a conduit à la mise en évidence du rôle de l’environnement intérieur dans le contrôle de la symptomatologie de l’asthme. Ce rôle repose aussi bien sur les pneumallergènes de l’environnement intérieur que sur certains de ses cofacteurs, tels le tabagisme et les polluants chimiques intérieurs, impliqués dans l’apparition ou l’aggravation des symptômes (1). Devant ce constat, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant l’éducation et le suivi des asthmatiques (2), ainsi que les deuxième et troisième Plan national santé environnement (PNSE) [3] ont intégré le rôle des conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI) dans la prise en charge de l’asthme. Également encouragé par la Direction générale de la santé (DGS), le nombre de CMEI est en augmentation ces dernières années. Néanmoins, le site officiel des CMEI (4) estime que, en 2016, seuls 76 des 168 CMEI diplômés en France sont actifs. Formation * Service de pneumologie et soins intensifs respiratoires, CHU de Dijon. ** Pôle de pathologie thoracique, Nouvel Hôpital civil, hôpitaux universitaires de Strasbourg. Créée en 1991 par le Pr de Blay, la profession de CMEI nécessite l’obtention d’un diplôme qui correspondait initialement à un diplôme universitaire. Ce dernier, créé en 2001 à Strasbourg, à l’université Louis-Pasteur, a été remplacé en 2005 par un diplôme interuniversitaire (DIU) de santé respiratoire et habitat (universités de Brest, Montpellier, Paris, Toulouse et Strasbourg). Les CMEI sont généralement employés par différentes structures, notamment institutionnelles, tels les hôpitaux, les mairies, les agences régionales de santé, les conseils généraux, les réseaux Asthme et Allergies, ou encore la Mutualité française. 106 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XX - n° 2 - mars-avril 2017 Rôle des CMEI Le rôle du CMEI est d’établir, en collaboration avec le médecin, un audit de l’environnement intérieur du patient. En effet, sa connaissance des réglementations concernant la qualité de l’air intérieur (QAI) lui permet d’enquêter, après prescription médicale via un formulaire dédié de demande d’intervention, au domicile et/ou sur le lieu de travail des patients en vue de déterminer la qualité de l’environnement intérieur et de réaliser des prélèvements (poussière, moisissures, etc.) et des mesures d’allergènes biologiques et de polluants chimiques dans l’air intérieur. Le rapport de visite rédigé à l’issue de l’audit est remis au patient et au médecin prescripteur. L’enquête est menée via une évaluation rigoureuse et exhaustive des habitudes de vie ainsi qu’une visite de l’ensemble des pièces du domicile et/ou du lieu de travail. L’interrogatoire, réalisé à l’aide d’un questionnaire, porte sur les habitudes de vie, les loisirs, les travaux récents et les sources éventuelles d’exposition aux polluants. Le CMEI peut alors établir un recueil de données sur l’habitat telles que le type de chauffage, la température, la qualité des ventilations, l’hygrométrie, les types de revêtements (sols, murs, plafonds), l’existence de ponts thermiques, etc. Son rôle est également d’évaluer les sources d’allergènes biologiques (acariens, moisissures, allergènes d’animaux, blattes, plantes, etc.), mais aussi les polluants chimiques (composés organiques volatils [COV], formaldéhyde, NO2…) et de faire des mesures et prélèvements. Ces derniers permettent de proposer des mesures d’éviction orientées, notamment dans le cadre de l’allergie aux acariens, grâce à des dispositifs commercialement disponibles permettant des dosages semi-­quantitatifs, qui reposent sur un dosage colorimétrique de la guanine, produit final du catabolisme azoté excrété par les acariens. Une étude française de 2008 (5), Mots-clés Points forts »» Les conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI) enquêtent, sur prescription médicale, sur la qualité de l’environnement intérieur et réalisent des prélèvements (poussière, moisissures, etc.) et des mesures d’allergènes biologiques et de polluants chimiques. »» Cette enquête, ces prélèvements et les conseils donnés au patient peuvent aider le médecin dans son diagnostic et dans la prévention tertiaire, et améliorer le traitement des maladies asthmatiques et ­allergiques liées à l’environnement intérieur. »» Les CMEI peuvent adapter les mesures conseillées aux moyens socio-économiques des patients. »» Le bénéfice clinique et médico-économique a été confirmé par différentes études françaises et américaines. »» Un grand nombre de médecins n’ont pas encore l’habitude de faire appel à des CMEI par méconnaissance de la profession ou des structures disponibles. qui a analysé 650 visites à domicile dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur entre 2002 et 2007, retrouvait, par exemple, la présence de moisissures dans 74,4 % des cas et un dosage semi-quantitatif des acariens positif sur la poussière des matelas dans 56,3 % des cas. La recherche de ces allergènes, notamment des moisissures, permet aussi quelquefois un diagnostic étiologique dans le cadre d’un bilan de pneumopathie d’hypersensibilité (6). Cette enquête et ces prélèvements peuvent parfois aider le médecin dans son diagnostic, orientant alors la recherche de sensibilisations en fonction des allergènes retrouvés. Le CMEI aide ainsi à établir la relation sensibilisation/exposition et/ou symptômes/exposition, à connaître la charge allergique environnementale, mais également à mettre en place et/ou à apprécier l’efficacité des mesures d’éviction. Sa connaissance des différents partenaires techniques et institutionnels, ainsi que de leurs fonctions respectives, susceptibles d’intervenir dans le domaine de l’habitat et de la santé, lui permet un rôle de conseiller pour la mise en œuvre d’éventuelles mesures d’éviction des polluants domestiques ou des allergènes (notamment l’éradication des acariens), et l’adaptation de l’habitat à la pathologie respiratoire ou allergique sous-jacente. Il peut en effet informer les personnes sur les organismes auxquels elles peuvent faire appel, comme l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), les associations départementales d’information sur le logement (ADIL), le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), etc. Cette connaissance des différents partenaires techniques et institutionnels permet également d’adapter les mesures conseillées aux moyens socio-économiques des patients. Les CMEI ont ainsi un rôle dans la prévention tertiaire des maladies allergiques, des pneumopathies d’hypersensibilité et de l’asthme, qu’ils aident à traiter et dont ils préviennent le maintien en mettant en place des techniques d’éviction des allergènes. Enfin, ils peuvent enrichir les données cliniques et environnementales dans le cadre d’études cliniques, épidémiologiques et environnementales. Conseiller médical DOSSIER en environnement Allergologie intérieur Asthme Allergie Polluants intérieurs Éducation thérapeutique Impact de la visite Highlights sur la prise en charge du patient »»Medical Indoor Environment Le rôle des CMEI a été évalué et validé, et le bénéfice clinique a été confirmé par différentes études françaises et américaines (notamment celles de De Blay en 2003 et de Morgan en 2004). L’étude de F. de Blay (7) a, par exemple, démontré l’augmenta­ tion de l’observance des techniques d’éviction des aca­riens et la diminution du taux d’allergènes en cas de conseils délivrés à la fois par le médecin et par le CMEI par rapport à des conseils délivrés seulement par le médecin. Cela était concomitant d’une réduction des symptômes et des exacerbations d’asthme dans l’étude de W.J. Morgan (8). Cet essai contrôlé, randomisé, réalisé entre 1998 et 1999 auprès de 937 enfants de 7 grandes villes américaines, porteurs d’un asthme atopique, visait à étudier l’impact d’une intervention à domicile dans l’éviction globale des allergènes et le contrôle de l’asthme. La charge en allergènes était significativement plus basse à 1 an dans le groupe interventionnel que dans le groupe témoin (par exemple, la charge en Dermatophagoides farinae dans la literie était respectivement de –59 % [extrêmes : –65 ; –51] et –14 % [extrêmes : –27 ; 0,73]), cela étant associé à un nombre de jours avec symptômes significativement plus faible par période de 15 jours (3,39 contre 4,2 jours à 1 an, respectivement). Il existait dans cette étude une corrélation entre le taux de diminution de la charge en allergènes et la réduction de la symptomatologie asthmatique. Comme évoqué dans l’étude de A. Vagner (9), il semblerait que seule l’éviction globale des pneumallergènes soit efficace dans la prise en charge et la réduction de la symptomatologie de l’asthme atopique. Une étude observationnelle anglaise de 2009, menée sur une cohorte d’enfants asthmatiques, a estimé qu’une augmentation des thérapeutiques avait été évitée chez 55 % d’entre eux du fait d’une identification des facteurs de mauvais contrôle de l’asthme, notamment d’une éviction des allergènes qui persistaient dans 33 % des cas (10). Une étude française de 2009, réalisée sur les dossiers de 400 patients et à partir de questionnaires adressés aux 200 derniers patients visités, corrobore ces résultats sur le terrain (11). La satisfaction globale des patients a été Counselors (MIEC) study the quality of the indoor environment and carry out sampling (dust, mold, etc.) and measurements of biological allergens and chemical pollutants in the indoor air. »»This investigation and these samples can help the physician in his diagnosis, orienting the research of sensitization according to the allergens found, and in the tertiary prevention, preventing the maintenance and helping the treatment of asthmatic and allergic diseases. »»MIEC can adapt the recommended measures to the socioeconomic level of the patients. »»The clinical and medicoeconomic benefit has been confirmed by various French and American studies. »»Nevertheless, a large number of doctors are not used to prescribe the investigation of a MIEC because of an insufficient knowledge of the profession or the structures available. Keywords Medical indoor environment counselor Asthma Allergy Indoor pollutants Therapeutic education La Lettre du Pneumologue • Vol. XX - n° 2 - mars-avril 2017 | 107 DOSSIER Allergologie Rôle du conseiller médical en environnement intérieur G. Beltramo, F. de Blay et P. Bonniaud déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. également évaluée dans certaines études et semblait importante, en particulier dans celle de A. Vagner (9) où la prise en charge par les CMEI était notée en moyenne à 9,1/10 par 88 patients (échelle numérique). De même, une étude rétrospective de 2009 de l’équipe du Pr de Blay concernant l’observance et l’efficacité de l’éviction allergénique consécutive à la visite des CMEI menée chez 150 patients (essentiellement asthmatiques) a confirmé ces données à 1 et 2 ans (12). Parmi eux, 73 % étaient sensibilisés aux acariens, 16 % aux moisissures et 17 % aux animaux. Les patients étant évalués par un simple questionnaire téléphonique, il en ressortait que 69 % avaient supprimé leur exposition aux moisissures, deux tiers avaient appliqué 75 % des mesures et 83 % avaient constaté une amélioration de leurs symptômes, permettant une diminution du traitement dans 13 % des cas. Parallèlement, l’étude de A. Vagner (9) retrouvait à 1 an une observance totale des recommandations des CMEI chez 53 % des patients et une amélioration clinique dans 45 % des cas. Concernant l’efficacité de la visite du domicile des patients asthmatiques en termes de coût, une étude américaine de 2005 (13) l’a démontrée lorsque le but de la visite du domicile était la réduction de la symptomatologie asthmatique. Il s’agissait dans cette étude de 1 528 enfants citadins, mono- ou polysensibilisés (47 % avec plus de 3 prick-tests positifs) aux allergènes de l’environnement intérieur, tels acariens, animaux, moisissures, etc. Cela a été confirmé en 2011 avec un gain net estimé à 25 000 € (26 720 $ à l’époque) pour 100 patients après 6 mois de suivi (14). Une étude française d’intervention coût-efficacité des CMEI en France dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique est en cours depuis 2013 (ECENVIR : CHU de Rennes, EHESP [École des hautes études en santé publique], IRSET [Institut de recherche en santé environnement et travail]) et ses résultats devraient être disponibles en 2018. Démarche et coût, rôle du médecin prescripteur Le CMEI intervient seulement à la demande d’un médecin, qui, généralement, le contacte lui-même pour transmettre la demande. Un grand nombre de médecins impliqués dans les maladies allergiques et les maladies dépendantes de l’environnement intérieur n’ont pas encore l’habitude de faire appel à des CMEI par méconnaissance de la profession ou des structures disponibles. Dans l’étude de C. Speyer-Olette et al. (11), 67 % des médecins prescripteurs étaient pneumologues et/ou allergologues. La part des pneumologues et des allergologues au sein des médecins prescripteurs des 100 premières visites des CMEI en Bourgogne, représentait respectivement 45 et 32,5 % dans l’étude de A. Vagner (9). La visite du CMEI n’est pas prise en charge actuellement et l’acte n’est donc pas remboursé, les analyses non plus. Le coût d’une visite varie de 150 à plus de 300 € en fonction des analyses. La visite d’un CMEI n’exerçant pas en libéral est prise en charge grâce à des programmes financiers très variables d’une région à l’autre (hôpitaux, mutuelles, etc.). Il peut être demandé au patient, de manière exceptionnelle, de financer certaines analyses. Conclusion Les CMEI constituent une aide cliniquement prouvée au diagnostic et à la prise en charge des maladies respiratoires et allergiques favorisées ou entretenues par les polluants de l’air intérieur, encore insuffisamment utilisée par les médecins du fait d’une méconnaissance de la profession ou des structures les employant. ■ Références bibliographiques 1. de Blay F, Casset A, Ott M. Éviction des allergènes : où en sommes-nous ? Rev Mal Respir 2007;24(2):23840. 2. Haute Autorité de santé. Recommandations pour le suivi médical des patients asthmatiques adultes et adolescents. 2004. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/recommandations_asthme.pdf 3. Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Deuxième et troisième Plan national santé environnement. http:// social-sante.gouv.fr/ministere/documentation-et-publications-officielles/rapports/sante/article/deuxieme-plan-national-sante-environnement-pnse2-2009-2013 ; http:// social-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/les-plansd-action-nationaux/article/le-plan-national-sante-environnement-pnse3-2015-2019 4. CMEI. http://www.cmei-france.fr 5. Charpin-Kadouch C, Mouche JM, Quéralt J et al. Le conseil habitat-santé dans la prise en charge des maladies allergiques respiratoires. Rev Mal Respir 2008;25(7):821-7. 6. Tiotiu A, Metz-Favre C, Reboux G, Kessler R, de Blay F. Pneumopathie d’hypersensibilité à Penicillium chrysogenum et Streptomyces mésophile : intérêt de l’enquête environnementale à domicile. Rev Pneumol Clin 2013;69(5): 278-82. 7. de Blay F, Fourgaut G, Hedelin G et al.; Scientific Committee of the MIEC study. 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