L Rôle du conseiller médical en environnement intérieur DOSSIER

106 | La Lettre du Pneumologue Vol. XX - n° 2 - mars-avril 2017
DOSSIER
Allergologie
Rôle du conseiller médical
en environnement intérieur
Role of medical indoor environment counselor
G. Beltramo*, F. de Blay**, P. Bonniaud*
* Service de pneumologie et soins
intensifs respiratoires, CHU de Dijon.
** Pôle de pathologie thoracique,
Nouvel Hôpital civil, hôpitaux uni-
versitaires de Strasbourg.
L
a prise en charge des allergies respiratoires repose
en premier lieu sur l’éviction des pneumaller-
gènes tant que cela est possible. Le rôle poten-
tiel des stratégies d’éviction de ces derniers dans la
prévention secondaire des symptômes d’asthme a
été étudié à de nombreuses reprises et a conduit à la
mise en évidence du rôle de l’environnement intérieur
dans le contrôle de la symptomatologie de l’asthme.
Ce rôle repose aussi bien sur les pneumallergènes
de l’environnement intérieur que sur certains de ses
cofacteurs, tels le tabagisme et les polluants chimiques
intérieurs, impliqués dans l’apparition ou l’aggravation
des symptômes (1).
Devant ce constat, les recommandations de la Haute
Autorité de santé (HAS) concernant l’éducation et le
suivi des asthmatiques (2), ainsi que les deuxième
et troisième Plan national santé environnement
(PNSE) [3] ont intégré le rôle des conseillers médicaux
en environnement intérieur (CMEI) dans la prise en
charge de l’asthme. Également encouragé par la Direc-
tion générale de la santé (DGS), le nombre de CMEI est
en augmentation ces dernières années. Néanmoins, le
site officiel des CMEI (4) estime que, en 2016, seuls 76
des 168 CMEI diplômés en France sont actifs.
Formation
Créée en 1991 par le Pr de Blay, la profession de
CMEI nécessite l’obtention d’un diplôme qui cor-
respondait initialement à un diplôme universitaire.
Ce dernier, créé en 2001 à Strasbourg, à l’univer-
sité Louis-Pasteur, a été remplacé en 2005 par un
diplôme interuniversitaire (DIU) de santé respi-
ratoire et habitat (universités de Brest, Montpel-
lier, Paris, Toulouse et Strasbourg). Les CMEI sont
généralement employés par différentes structures,
notamment institutionnelles, tels les hôpitaux, les
mairies, les agences régionales de santé, les conseils
généraux, les réseaux Asthme et Allergies, ou encore
la Mutualité française.
Rôle des CMEI
Le rôle du CMEI est d’établir, en collaboration avec
le médecin, un audit de l’environnement intérieur
du patient. En effet, sa connaissance des régle-
mentations concernant la qualité de l’air intérieur
(QAI) lui permet d’enquêter, après prescription
médicale via un formulaire dédié de demande d’in-
tervention, au domicile et/ou sur le lieu de travail
des patients en vue de déterminer la qualité de
l’environnement intérieur et de réaliser des pré-
lèvements (poussière, moisissures, etc.) et des
mesures d’allergènes biologiques et de polluants
chimiques dans l’air intérieur. Le rapport de visite
rédigé à l’issue de l’audit est remis au patient et
au médecin prescripteur.
Lenquête est menée via une évaluation rigoureuse
et exhaustive des habitudes de vie ainsi qu’une
visite de l’ensemble des pièces du domicile et/ou
du lieu de travail. L’interrogatoire, réalisé à l’aide
d’un questionnaire, porte sur les habitudes de vie,
les loisirs, les travaux récents et les sources éven-
tuelles d’exposition aux polluants. Le CMEI peut
alors établir un recueil de données sur l’habitat
telles que le type de chauffage, la température, la
qualité des ventilations, l’hygrométrie, les types
de revêtements (sols, murs, plafonds), l’existence
de ponts thermiques, etc.
Son rôle est également d’évaluer les sources d’aller-
gènes biologiques (acariens, moisissures, allergènes
d’animaux, blattes, plantes, etc.), mais aussi les
polluants chimiques (composés organiques vola-
tils [COV], formaldéhyde, NO2…) et de faire des
mesures et prélèvements. Ces derniers permettent
de proposer des mesures d’éviction orientées,
notamment dans le cadre de l’allergie aux acariens,
grâce à des dispositifs commercialement dispo-
nibles permettant des dosages semi- quantitatifs,
qui reposent sur un dosage colorimétrique de la
guanine, produit final du catabolisme azoté excrété
par les acariens. Une étude française de 2008 (5),
G. Beltramo
La Lettre du Pneumologue Vol. XX - n° 2 - mars-avril 2017 | 107
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Allergologie
Points forts
»
Les conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI) enquêtent, sur prescription médicale,
surlaqualité de l’environnement intérieur et réalisent des prélèvements (poussière, moisissures, etc.)
etdes mesures d’allergènes biologiques et de polluants chimiques.
»
Cette enquête, ces prélèvements et les conseils donnés au patient peuvent aider le médecin dans
son diagnostic et dans la prévention tertiaire, et améliorer le traitement des maladies asthmatiques
et allergiquesliées à l’environnement intérieur.
»Les CMEI peuvent adapter les mesures conseillées aux moyens socio-économiques des patients.
»
Le bénéfice clinique et médico-économique a été confirmé par différentes études françaises et américaines.
»
Un grand nombre de médecins n’ont pas encore l’habitude de faire appel à des CMEI par méconnaissance
de la profession ou des structures disponibles.
Mots-clés
Conseiller médical
en environnement
intérieur
Asthme
Allergie
Polluants intérieurs
Éducation
thérapeutique
Highlights
»
Medical Indoor Environment
Counselors (MIEC) study the
quality of the indoor environ-
ment and carry out sampling
(dust, mold, etc.) and measure-
ments of biological allergens
and chemical pollutants in the
indoor air.
»
This investigation and these
samples can help the physi-
cian in his diagnosis, orienting
the research of sensitization
according to the allergens
found, and in the tertiary
prevention, preventing the
maintenance and helping the
treatment of asthmatic and
allergic diseases.
»
MIEC can adapt the recom-
mended measures to the socio-
economic level of the patients.
»
The clinical and medico-
economic benefit has been
confirmed by various French
and American studies.
»
Nevertheless, a large number
of doctors are not used to pre-
scribe the investigation of a
MIEC because of an insufficient
knowledge of the profession or
the structures available.
Keywords
Medical indoor environment
counselor
Asthma
Allergy
Indoor pollutants
Therapeutic education
qui a analysé 650 visites à domicile dans la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur entre 2002 et 2007,
retrouvait, par exemple, la présence de moisissures
dans 74,4 % des cas et un dosage semi-quantitatif
des acariens positif sur la poussière des matelas dans
56,3 % des cas.
La recherche de ces allergènes, notamment des
moisissures, permet aussi quelquefois un diag-
nostic étiologique dans le cadre d’un bilan de
pneumopathie d’hypersensibilité (6). Cette
enquête et ces prélèvements peuvent parfois aider
le médecin dans son diagnostic, orientant alors
la recherche de sensibilisations en fonction des
allergènes retrouvés. Le CMEI aide ainsi à établir
la relation sensibilisation/exposition et/ou symp-
tômes/exposition, à connaître la charge allergique
environnementale, mais également à mettre en
place et/ou à apprécier l’efficacité des mesures
d’éviction.
Sa connaissance des différents partenaires tech-
niques et institutionnels, ainsi que de leurs fonc-
tions respectives, susceptibles d’intervenir dans le
domaine de l’habitat et de la santé, lui permet un
rôle de conseiller pour la mise en œuvre d’éven-
tuelles mesures d’éviction des polluants domes-
tiques ou des allergènes (notamment l’éradication
des acariens), et l’adaptation de l’habitat à la
pathologie respiratoire ou allergique sous-jacente.
Il peut en effet informer les personnes sur les
organismes auxquels elles peuvent faire appel,
comme l’Agence nationale de l’habitat (ANAH),
les associations départementales d’information
sur le logement (ADIL), le Conseil d’architecture,
d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), etc.
Cette connaissance des différents partenaires
techniques et institutionnels permet également
d’adapter les mesures conseillées aux moyens
socio-économiques des patients.
Les CMEI ont ainsi un rôle dans la prévention
tertiaire des maladies allergiques, des pneumo-
pathies d’hypersensibilité et de l’asthme, qu’ils
aident à traiter et dont ils préviennent le maintien
en mettant en place des techniques d’éviction des
allergènes.
Enfin, ils peuvent enrichir les données cliniques et
environnementales dans le cadre d’études cliniques,
épidémiologiques et environnementales.
Impact de la visite
sur la prise en charge du patient
Le rôle des CMEI a été évalué et validé, et le béné-
fice clinique a été confirmé par différentes études
françaises et américaines (notamment celles de De
Blay en 2003 et de Morgan en 2004). Létude de
F. de Blay (7) a, par exemple, démontré l’augmenta-
tion de l’observance des techniques d’éviction des
aca riens et la diminution du taux d’allergènes en
cas de conseils délivrés à la fois par le médecin
et par le CMEI par rapport à des conseils délivrés
seulement par le médecin. Cela était concomitant
d’une réduction des symptômes et des exacerba-
tions d’asthme dans l’étude de W.J. Morgan (8).
Cet essai contrôlé, randomisé, réalisé entre 1998
et 1999 auprès de 937 enfants de 7 grandes villes
américaines, porteurs d’un asthme atopique, visait à
étudier l’impact d’une intervention à domicile dans
l’éviction globale des allergènes et le contrôle de
l’asthme. La charge en allergènes était significati-
vement plus basse à 1 an dans le groupe interven-
tionnel que dans le groupe témoin (par exemple, la
charge en Dermatophagoides farinae dans la literie
était respectivement de –59 % [extrêmes : –65 ; –51]
et –14 % [extrêmes : –27 ; 0,73]), cela étant associé
à un nombre de jours avec symptômes significa-
tivement plus faible par période de 15 jours (3,39
contre 4,2 jours à 1 an, respectivement). Il existait
dans cette étude une corrélation entre le taux de
diminution de la charge en allergènes et la réduc-
tion de la symptomatologie asthmatique. Comme
évoqué dans l’étude de A. Vagner (9), il semblerait
que seule l’éviction globale des pneumallergènes soit
efficace dans la prise en charge et la réduction de la
symptomatologie de l’asthme atopique.
Une étude observationnelle anglaise de 2009, menée
sur une cohorte d’enfants asthmatiques, a estimé
qu’une augmentation des thérapeutiques avait été
évitée chez 55 % d’entre eux du fait d’une identifi-
cation des facteurs de mauvais contrôle de l’asthme,
notamment d’une éviction des allergènes qui persis-
taient dans 33 % des cas (10). Une étude française
de 2009, réalisée sur les dossiers de 400 patients
et à partir de questionnaires adressés aux 200 der-
niers patients visités, corrobore ces résultats sur le
terrain (11). La satisfaction globale des patients a été
DOSSIER
Allergologie
Rôle du conseiller médical enenvironnement intérieur
également évaluée dans certaines études et semblait
importante, en particulier dans celle de A. Vagner (9)
où la prise en charge par les CMEI était notée en
moyenne à 9,1/10 par 88 patients (échelle numérique).
De même, une étude rétrospective de 2009 de l’équipe
du Pr de Blay concernant l’observance et l’efficacité de
l’éviction allergénique consécutive à la visite des CMEI
menée chez 150 patients (essentiellement asthma-
tiques) a confirmé ces données à 1 et 2 ans (12). Parmi
eux, 73 % étaient sensibilisés aux acariens, 16 % aux
moisissures et 17 % aux animaux. Les patients étant
évalués par un simple questionnaire téléphonique, il en
ressortait que 69 % avaient supprimé leur exposition
aux moisissures, deux tiers avaient appliqué 75 % des
mesures et 83 % avaient constaté une amélioration
de leurs symptômes, permettant une diminution du
traitement dans 13 % des cas. Parallèlement, l’étude de
A. Vagner (9) retrouvait à 1 an une observance totale
des recommandations des CMEI chez 53 % des patients
et une amélioration clinique dans 45 % des cas.
Concernant l’efficacité de la visite du domicile des
patients asthmatiques en termes de coût, une étude
américaine de 2005 (13) l’a démontrée lorsque le
but de la visite du domicile était la réduction de la
symptomatologie asthmatique. Il s’agissait dans cette
étude de 1 528 enfants citadins, mono- ou polysensi-
bilisés (47 % avec plus de 3 prick-tests positifs) aux
allergènes de l’environnement intérieur, tels acariens,
animaux, moisissures, etc. Cela a été confirmé en
2011 avec un gain net estimé à 25 000 € (26 720 $ à
l’époque) pour 100 patients après 6 mois de suivi (14).
Une étude française d’intervention coût-efficacité
des CMEI en France dans le cadre d’un programme
hospitalier de recherche clinique est en cours depuis
2013 (ECENVIR : CHU de Rennes, EHESP [École des
hautes études en santé publique], IRSET [Institut de
recherche en santé environnement et travail]) et ses
résultats devraient être disponibles en 2018.
Démarche et coût,
rôle du médecin prescripteur
Le CMEI intervient seulement à la demande d’un
médecin, qui, généralement, le contacte lui-même
pour transmettre la demande.
Un grand nombre de médecins impliqués dans les
maladies allergiques et les maladies dépendantes de
l’environnement intérieur nont pas encore l’habi-
tude de faire appel à des CMEI par méconnaissance
de la profession ou des structures disponibles. Dans
l’étude de C. Speyer-Olette et al. (11), 67 % des
médecins prescripteurs étaient pneumologues et/ou
allergologues. La part des pneumologues et des
allergologues au sein des médecins prescripteurs
des 100 premières visites des CMEI en Bourgogne,
représentait respectivement 45 et 32,5 % dans
l’étude de A. Vagner (9).
La visite du CMEI n’est pas prise en charge actuelle-
ment et l’acte n’est donc pas remboursé, les analyses
non plus. Le coût d’une visite varie de 150 à plus de
300 € en fonction des analyses. La visite d’un CMEI
n’exerçant pas en libéral est prise en charge grâce
à des programmes financiers très variables d’une
région à l’autre (hôpitaux, mutuelles, etc.). Il peut
être demandé au patient, de manière exceptionnelle,
de financer certaines analyses.
Conclusion
Les CMEI constituent une aide cliniquement prouvée
au diagnostic et à la prise en charge des maladies
respiratoires et allergiques favorisées ou entretenues
par les polluants de l’air intérieur, encore insuffi-
samment utilisée par les médecins du fait d’une
méconnaissance de la profession ou des structures
les employant.
G. Beltramo, F. de Blay et
P.Bonniaud déclarent ne pas
avoir de liens d’intérêts.
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Références bibliographiques
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