Oncologie EVIDENCE-BASED MEDICINE Quelles sont les indications actuelles de la chirurgie dans le cancer de l’œsophage ? Pierre Cattan* L’ Ce qu’il faut retenir Une sélection optimale des patients pour la chirurgie du cancer de l’œsophage, en termes de risque opératoire et de bénéfice attendu sur le plan carcinologique, participe à l’amélioration de ses résultats. C’est à ce prix que la résection chirurgicale gardera une place centrale dans le traitement curatif de ce cancer. Une décision d’abstention chirurgicale est le plus souvent prise face à une contre-indication carcinologique ou opératoire formelle, mais aussi de manière plus nuancée en fonction du risque opératoire et du pronostic carcinologique, ce d’autant qu’existent des alternatives thérapeutiques potentiellement curatives. Situations particulières Cancers superficiels (T1) La résection endoscopique par mucosectomie ou dissection sous-muqueuse est une option curative pour certains cancers superficiels. Cependant, en raison du risque métastatique ganglionnaire, la chirurgie est indiquée (de première intention ou après résection endoscopique) en cas de tumeur peu différenciée, d’emboles lymphatiques ou vasculaires ou d’envahissement pariétal > sm1 (partie superficielle de la sous-muqueuse : 500 μm) pour les adénocarcinomes (risque d’envahissement ganglionnaire : 44 % pour les sm2 ou sm3) et > m2 (envahissement de la muqueuse) pour les épidermoïdes (risque d’envahissement ganglionnaire : 8 à 18% pour les m3 (envahissement de la musculaire-muqueuse). Il est à noter que la stratégie visant à adjoindre une radiochimiothérapie adjuvante à la résection endoscopique de tumeur T1 à haut risque ganglionnaire est une pratique courante au Japon (2) et qu’elle tend à être considérée comme une alternative possible à la chirurgie en Europe (3). niveau de preuve indication de résection chirurgicale d’un cancer de l’œsophage dépend de la résécabilité tumorale et de l’opérabilité du patient. Elle ne sera portée que chez 15 à 20 % des patients, pour une survie dépassant rarement 40 % à 5 ans (1), au terme d’une approche souvent multimodale. Les patients porteurs de métastases viscérales ou d’adénopathies sus-claviculaires ou lomboaortiques, ainsi que ceux porteurs d’un cancer associé non curable, ne seront jamais opérés en vue d’une résection, quelle que soit l’évolution de la maladie après traitement systémique et/ ou locorégional. Il en est de même des patients dont la tumeur est classée ycT4b (envahissement de l’aorte, de l’arbre trachéobronchique, du nerf récurrent gauche ou d’un corps vertébral), au terme d’un traitement néo­a djuvant. Dans toutes les autres situations, y compris en présence d’adénopathies du tronc cœliaque ou de la région cervicale si elles sont résécables, une intervention de résection doit être discutée en fonction de l’opérabilité du patient. Les contreindications opératoires absolues et définitives sont une cirrhose décompensée ou avec varices œsophagiennes, une cardiopathie évolutive, une insuf­f isance rénale chronique (débit de filtration glomérulaire < 60 ml/mn/1,73 m 2) et une insuffisance respiratoire (VEMS [volume expiratoire maximal par seconde] < 1 L). Certaines contre-indications opératoires peuvent être levées, tel un état de dénutrition sévère ou une insuffisance coronarienne susceptible d’être traitée par un geste de revascularisation. L’âge avancé n’est pas une contre-indication, mais l’avis d’un oncogériatre est utile pour juger du bien-fondé de l’intervention. En l’absence de contre-indication opératoire, un pronostic carcinologique sombre associé à un risque opératoire élevé peut conduire à une remise en question de l’indication opératoire. 1 * Service de chirurgie générale, digestive et endocrinienne, hôpital SaintLouis, Paris. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 137 EVIDENCE-BASED MEDICINE Oncologie Question non résolue Diagnostic 50 % Contre-indication carcinologique »» L’intérêt d’une résection chirurgicale en cas de réponse clinique complète après traitement néo-adjuvant reste débattu. Cette question fait actuellement l’objet d’une étude contrôlée. 25 % Contre-indication opératoire – Cirrhose hépatique – Varices œsophagiennes – Insuffisance rénale chronique – Insuffisance respiratoire – Cardiopathie évolutive – M1 (N+ lombo-aortiques et sus-claviculaires) – N+ ou T4b non résécables après traitement néo-adjuvant – Cancer associé non curable Traitement symptomatique Pas de chirurgie palliative (R1-R2) Traitement potentiellement curatif – RCT exclusive – Résection endoscopique + RCT pour T1 à haut risque ganglionnaire Exérèse chirurgicale Situations particulières – Réponse clinique complète – Œsophagectomie de sauvetage – Absence de réponse à la RCT M1 : métastases viscérales à distance N+ : adénopathies métastatiques T1 : cancer superficiel ; RCT : radio-chimiothérapie R1-R2 : radicalité de la résection : marges de résection < 1 mm ou absente. Figure. Algorithme thérapeutique. Réponse complète clinique (RCC) après traitement néoadjuvant Parmi les patients en RCC après radio-chimio­thérapie (RCT) [disparition endoluminale de la tumeur avec biopsies négatives, absence de progression des lésions visibles en imageries et Standard Uptake Value < 4 en TEP-TDM], il n’existe pas d’outil permettant de discerner les patients en réponse pathologique complète susceptibles de ne tirer aucun bénéfice d’une résection chirurgicale. En réponse à cette situation, l’essai PRODIGE 32 – ESOSTRATE (FFCD 1401) évalue les résultats de 2 stratégies : la chirurgie systé­matique et la surveillance versus la chirurgie de recours après RCC à la RCT. Dans l’attente des conclusions de cet essai prévues en 2023, ces 2 stratégies sont possibles et discutées en réunion de concertation pluridisciplinaire, en prenant en compte le risque opératoire. Absence de réponse après RCT L’analyse du devenir des 192 patients non répondeurs à la RCT de l’essai FFCD 9102 a établi que l’œsophagectomie était associée à une médiane de survie supérieure à celle des patients non répondeurs et non opérés (17 versus 5,5 mois), et identique à celle des patients répondeurs à la RCT (4). L’indication de résection chez les patients non répondeurs est donc licite, si la tumeur est résécable et le patient opérable. Œsophagectomie de sauvetage après RCT exclusive Une étude européenne a comparé le devenir de 308 patients ayant eu une œsophagectomie de sauvetage pour persistance ou récidive tumorale après RCT exclusive à celui de 540 patients opérés après RCT néoadjuvante (5). Il n’était pas mis en évidence de différence en termes de mortalité ou de survie à long terme entre les 2 groupes. Le pronostic carcinologique était cependant moins bon lorsque l’indication d’œsophagectomie de sauvetage était une persistance plutôt qu’une récidive tumorale. ■ Références bibliographiques 1. Shapiro J, van Lanschot JJ, Hulshof MC et al. Neo­adjuvant chemoradiotherapy plus surgery versus surgery alone for oesophageal or junctional cancer (CROSS): long-term results of a randomised controlled trial. Lancet Oncol 2015;16(9):1090-8. 2. Yamashina T, Ishihara R, Nagai K et al. Long-term outcome and metastatic risk after endoscopic resection of superficial esophageal squamous cell carcinoma. Am J Gastroenterol 2013;108(4):544-51. 3. Pimentel-Nunes P, Dinis-Ribeiro M, Ponchon T et al. Endoscopic submucosal dissection: Euro | La of Lettre de l'Hépato-gastroentérologue - n° 3 - mai-juin 2017 • Vol. XX2015;47(9):829-54. pean Society Gastrointestinal Endoscopy (ESGE) Guideline. Endoscopy 138 4. Vincent J, Mariette C, Pezet D. et al. Early surgery for failure after chemoradiation in operable thoracic oesophageal cancer. Analysis of the nonrandomized patients in FFCD 9102 phase III trial: Chemoradiation followed by surgery versus chemoradiation alone. Eur J Cancer 2015;51(13):1683-93. 5. Markar S, Gronnier C, Duhamel A et al. Salvage surgery after chemoradiotherapy in the management of oesophageal cancer: Is it a viable therapeutic option? J Clin Oncol 2015;33:3866-73. Oncologie EVIDENCE-BASED MEDICINE À qui prescrire une chimiothérapie néo-adjuvante dans l’adénocarcinome gastrique ? Thomas Aparicio* L * Service de gastroentérologie et oncologie digestive, hôpital Saint-Louis (AP-HP) ; université Paris 7, Sorbonne Paris Cité, Paris. Ce qu’il faut retenir Une chimiothérapie péri-opératoire à base de sels de platine permet d’améliorer la survie des patients atteints d’un adénocarcinome gastrique opérable. Ce traitement n’est pas indiqué en cas de tumeur superficielle. Le bénéfice du traitement péri-opératoire est essentiellement apporté par le traitement préopératoire. disponible. La majorité des patients inclus dans ces 2 études avait un adénocarcinome de stade avancé (T3-T4 : 57 %, N+ : 66 à 71 %). Le Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD) [www.tncd.org] recommande une chimiothérapie péri-opératoire pour tous les malades de stade supérieur à IA avec un niveau élevé de recommandation (grade A) [figure]. Niveau de preuve e cancer gastrique reste un cancer fréquent en France, avec une incidence de 6 585 cas en 2015, dont 48 % après 75 ans. Le pronostic des adénocarcinomes gastriques opérés reste mauvais, avec un taux élevé de récidive. Depuis maintenant une dizaine d’années, le concept de chimiothérapie péri-opératoire s’est imposé. La chimiothérapie périopératoire est administrée en préopératoire et en postopératoire. La chimiothérapie préopératoire a pour but de réduire la taille tumorale, ce qui va augmenter le taux de résection R0, mais également de traiter les micrométastases pour diminuer le risque de récidive. En effet, la chimiothérapie est plus facilement administrée en préopératoire qu’en postopératoire. Deux grandes études randomisées de phase III ont comparé la chimiothérapie périopératoire à la chirurgie seule (1, 2). Dans la première étude, le schéma ECF associant épirubicine, 5-fluorouracil (5-FU) et cisplatine (3 cures espacées de 3 semaines avant et après la chirurgie) a permis d’obtenir 36 % de survie à 5 ans versus 23 % en l’absence de chimiothérapie (HR : 0,75 ; IC95 : 0,600,93 ; p = 0,009). Dans la seconde, avec le schéma associant 5-FU et cisplatine (2 ou 3 cures espacées de 4 semaines avant et après la chirurgie), on observe 38 % de survie à 5 ans versus 24 % en l’absence de chimiothérapie (HR : 0,69 ; IC 95 : 0,50-0,95 ; p = 0,02). Dans ces 2 études, 86 % et 87 % des patients ont pu recevoir le traitement protocolaire préopératoire, alors que seulement 55 % et 50 % d’entre eux ont pu bénéficier de la chimiothérapie postopératoire. Le bénéfice semblait s’appliquer à toutes les tranches d’âge et quel que soit l’état général des patients, aux 2 sexes, et à toutes les localisations dans l’étude britannique. Aucune étude de sous-groupes concernant le stade, le type histologique ou le nombre de cures reçues n’est 1 Scanner thoraco-abdomino-pelvien injecté Sténose ou hémorragie non contrôlable N+ et/ou ≥ T3 N0 et < T3 Résection chirurgicale Chimiothérapie péri-opératoire Échoendoscopie N0 et < T2 N+ et/ou ≥ T2 Figure. Arbre décisionnel pour l’adénocarcinome gastrique opérable. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 139 EVIDENCE-BASED MEDICINE Questions non résolues »» La chimiothérapie péri-opératoire est-elle bénéfique pour les patients atteints d’une tumeur à cellules indépendantes ou avec instabilité des microsatellites ? »» La chimiothérapie néo-adjuvante est-elle indiquée pour tous les patients âgés ? Oncologie Cependant, les schémas de chimiothérapie proposés dans les études FFCD-FNCLCC et MAGIC sont des schémas responsables d’une toxicité importante. Il a été montré par plusieurs études en situation métastatique que les chimiothérapies à base d’oxaliplatine étaient mieux tolérées que celles à base de cisplatine, notamment chez les patients de plus de 65 ans. Une étude rétrospective française de l’AGEO (Association des gastro-entérologues oncologues) a montré de bons résultats pour le taux de résection R0, la survie sans récidive et la survie globale avec une chimiothérapie péri-opératoire par FOLFOX bimensuel (3). Les patients recevaient un nombre médian de 6 cures de chimiothérapie au total, dont 4 en préopératoire. La chimiothérapie péri-opératoire par FOLFOX est maintenant une option reconnue par le TNCD. Il faut noter que l’âge médian des patients inclus dans les études (62 ans dans l’étude MAGIC, 63 ans dans l’étude FFCD-FNCLCC et 66 ans dans l’étude AGEO) est inférieur à l’âge au diagnostic du cancer de l’estomac, qui est proche de 70 ans. Une évaluation gériatrique peut être nécessaire pour aider à prendre la décision d’une chimiothérapie pré­ opératoire. En effet, une chimiothérapie sous-dosée par crainte des effets indésirables risque de ne pas être efficace et une chimiothérapie normalement dosée peut être responsable de toxicités ou d’alté­ ration de l’état nutritionnel pouvant retarder le geste chirurgical. Certaines caractéristiques tumorales ont été récemment rapportées comme pouvant influer sur l’efficacité de la chimiothérapie péri-opératoire. Ainsi, l’instabilité microsatellitaire présente dans environ 20 % des adénocarcinomes gastriques et probablement plus fréquemment chez les patients de plus de 75 ans est associée à un meilleur pronostic spontané et à une plus faible efficacité de la chimiothérapie, selon des données rétrospectives (4). D’autre part, les patients atteints par le sous-type histologique des tumeurs à cellules indépendantes paraissent également ne pas tirer bénéfice d’une chimiothérapie néo-adjuvante, selon les résultats d’une grande étude rétrospective française (5). En outre, il n’est pas encore établi, pour les tumeurs surexprimant HER-2, que l’inhibition de ce récepteur améliore les résultats de la chimiothérapie péri-opératoire. Les résultats d’études prospectives sont attendus prochainement. Enfin, les patients dont la tumeur est responsable d’hémorragies significatives doivent être opérés d’emblée. Pour les patients présentant une intolérance alimentaire importante et dénutris, la renutrition sera le premier temps thérapeutique. Une discussion multidisciplinaire approfondie devra avoir lieu pour décider, selon le cas, soit d’une chimio­ thérapie néo-adjuvante avec assistance nutritionnelle, soit d’une chirurgie d’emblée. En conclusion, la chimiothérapie péri-opératoire est une avancée significative dans le traitement des adénocarcinomes gastriques localisés. Tous les dossiers des patients doivent être présentés en réunion de concertation pluridisciplinaire après le diagnostic d’un adénocarcinome gastrique pour discuter la meilleure stratégie thérapeutique au cas par cas. Des interrogations sont apparues concernant le bénéfice apporté par la chimiothérapie péri-opératoire dans certains sous-groupes de patients et doivent faire l’objet d’études prospectives spécifiques. ■ Références bibliographiques 1. Cunningham D, Allum WH, Stenning SP et al. 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The impact of perioperative chemotherapy on survival in patients with gastric signet ring cell adenocarcinoma: a multicenter comparative study. Ann Surg 2011;254(5):684-93. Oncologie EVIDENCE-BASED MEDICINE Quand peut-on envisager le traitement local des métastases hépatiques dans le cancer colorectal ? Michel Rivoire* D Ce qu’il faut retenir La place des traitements locaux (résection et ablation par voie chirurgicale ou percutanée) des métastases hépatiques (MH) du cancer colorectal n’a cessé de s’accroître au cours des 15 dernières années. La définition de la résection a changé. Alors que dans les années 1990 elle était réservée aux patients porteurs de moins de 4 MH, l’approche actuelle se concentre sur la quantité de foie sain conservable et la possibilité d’un nouveau traitement local en cas de récidive. L’utilisation de chimiothérapies péri-opératoires et de chimiothérapies de conversion est maintenant mieux codifiée. Dans ce cadre, les techniques d’ablation avec ou sans résection sont considérées comme une alternative efficace de prise en charge pour les patients porteurs de MH non résécables préalablement contrôlées par une chimiothérapie. des MH résécables et des critères carcinologiques défavorables, une chimiothérapie péri-opératoire par FOLFOX est recommandée (1, B), sans adjonction d’une thérapie ciblée (2, E). La chimiothérapie péri-opératoire est préconisée chez les patients ayant des critères carcinologiques défavorables et une résécabilité borderline ainsi que chez les patients porteurs d’un cancer colorectal avec MH synchrones (4, B). La chimio­thérapie adjuvante n’est pas recommandée chez les patients ayant des critères pronostiques favorables (sauf s’ils n’ont jamais reçu de chimiothérapie par oxali­platine) [2, C], alors que les patients présentant des critères défavorables peuvent bénéficier d’un tel traitement (3, B). Chez les patients porteurs de MH potentiel­ lement résécables, une chimiothérapie première permettant d’obtenir une forte réduction de taille tumorale (chimiothérapie de conversion) est recommandée (2, A). Son efficacité doit être évaluée après 4 cures. Les options dépendent des caractéristiques moléculaires de la tumeur. Pour une tumeur RAS sauvage, les 3 options sont une bichimiothérapie associée à un anti-EGFR, une trichimiothérapie associée à du bévacizumab ou, plus rarement, une Niveaux de preuve urant les 15 dernières années, les stratégies de traitement local des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique (CCRm) ont beaucoup évolué et permis une amélioration des résultats cliniques. La discussion des dossiers en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), dans des centres spécialisés, est une nécessité pour l’évaluation de la résécabilité (métastases hépatiques [MH] résécables, potentiellement résécables ou définitivement non résécables) et la définition de la stratégie thérapeutique (niveau de preuve 4, grade de recommandation B). Elle est fondée sur des critères techniques (chirurgicaux) et carcinologiques (pronostiques). La définition moderne de la résécabilité technique est basée sur la possibilité d’une résection complète des MH (R0) laissant en place plus de 30 % de foie sain fonctionnel (ou un rapport poids du foie restant/ poids du corps supérieur à 0,5). Le taux de récidive d’environ 50 % à 3 ans rend nécessaire l’utilisation de critères carcinologiques pour évaluer les chances de survie sans récidive et de guérison (4, B). Les principaux facteurs de risque validés dans des études rétrospectives sont le nombre et la taille des MH, la présence de métastases extrahépatiques, le stade de la tumeur primitive et l’intervalle libre sans maladie, ainsi que le dosage des marqueurs tumoraux (ACE, CA 19-9). Le score de Fong (Clinical Risk Score) est le plus utilisé (1). La résection hépatique est le standard de traitement des MH isolées. Elle assure les meilleurs taux de survie, qu’elle soit réalisée en 1 temps, en 2 temps ou de manière itérative (4, B). Chez les patients présentant des MH résécables et des critères carcinologiques favorables (en particulier MH métachrones), la résection d’emblée ou la chimiothérapie péri-opératoire sont les 2 options (1, C). En effet, dans l’étude EPOC, la survie globale à 5 ans du groupe chimio­ thérapie péri-opératoire était de 51 % contre 48 dans le groupe chirurgie d’emblée (RR = 0,88 ; IC95 : 0,68-1,14 ; p = 0,34) [2]. Chez les patients présentant 1-4 * Département de chirurgie, centre Léon-Bérard, Lyon. La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 | 141 EVIDENCE-BASED MEDICINE Oncologie bichimiothérapie associée à du bévacizumab. Pour une tumeur RAS mutée, les 2 options sont une triou une bichimiothérapie associéé à du bévacizumab. Il est probable que l’utilisation d’une chimiothérapie intra-artérielle par oxaliplatine devienne dans un avenir proche une option dans les 2 groupes de patients. Si la résection est contre-indiquée du fait des comorbidités du patient et/ou des caractéristiques des MH, les techniques d’ablation (radiofréquence et micro-ondes), utilisées seules ou en association avec d’autres traitements locaux et systémiques, représentent une alternative qui permet d’améliorer la survie par rapport à la chimiothérapie seule. L’étude CLOCC (phase II randomisée) a montré l’intérêt de la radiofréquence (RFA) avec ou sans résection après chimiothérapie chez des patients porteurs d’un maximum de 10 MH isolées non résécables (2, B) [3]. La plupart des patients du groupe RFA avec ou sans résection ont été traités par laparotomie. Leur survie globale a été améliorée par rapport à celle du groupe chimiothérapie seule (survie à 8 ans, 36 % contre 9, RR= 0,58 ; IC 95 : 0,38-0,88 ; p < 0,01). L’étude prospective ARF 2003 (phase II multicentrique) a montré un taux de survie sans récidive à 3 ans de 10 % et une survie globale à 5 ans de 43 % après la RFA ± résection (4). Une méta-analyse (12 études rétrospectives et 1 étude prospective) a montré que la résection était supérieure à la RFA en termes de survie globale (RR = 1,47 ; IC95 : 1,28-1,69) et de survie sans récidive à 5 ans (RR = 2,23 ; IC95 : 1,82-2,72) [5]. Cette différence persistait dans les analyses en sous-groupes (MH < 3 cm, unique, RFA par laparotomie). Il est donc recommandé de limiter l’utilisation de la RFA pour le traitement des MH non résécables inférieures à 3 cm, situées à plus de 1 cm des voies biliaires et des vaisseaux, en utilisant une marge de traitement supérieure à 1 cm (4, C). ■ Questions non résolues »» Quelles sont les stratégies permettant de réduire la morbidité de la résection des MH (réhabilitation accélérée après chirurgie hépatique, pré-habilitation des patients porteurs de MH, place de l’analgésie péridurale en chirurgie hépatique, place de la résection cœlioscopique, etc.) ? »» Quelle est la place de la chimiothérapie intra-artérielle par oxaliplatine dans la stratégie de prise en charge des MH isolées (études OSCAR et SULTAN) ? »» Quelle est la place des techniques d’ablation (RFA, micro-ondes et électroporation irréversible) pour les MH résécables (étude prospective randomisée LAVA [RFA], études prospectives HELARC, MAVERRIC [micro-ondes], COLDFIRE-2 [électroporation irréversible]) ? Références bibliographiques 1. Fong Y, Fortner J, Sun RL, Brennan MF, Blumgart LH. Clinical score for predicting recurrence after hepatic resection for metastatic colorectal cancer: analysis of 1001 consecutive cases. Ann Surg 1999;230(3):309-18. 2. Nordlinger B, Sorbye H, Glimelius B et al. Perioperative FOLFOX4 chemotherapy and surgery versus surgery alone for resectable liver metastases from colorectal c ancer (EORTC 40983): long-term results of a randomised, controlled, phase 3 trial. Lancet Oncol 2013;14:1208-15. 3. Ruers T, Punt C, Van Coevorden F et al. Radiofrequency ablation combined with systemic treatment versus systemic treatment alone in patients with non-resectable colorectal liver metastases: a randomized EORTC Intergroup phase II study (EORTC 40004). Ann Oncol 2012;23(10):2619-26. 142 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XX - n° 3 - mai-juin 2017 4. Evrard S, Rivoire M, Arnaud J et al. 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