Chapitre 1
Vocabulaire probabiliste, notion de
probabilité
La théorie des probabilités est une branche des mathématiques (en pleine efferves-
cence) dont le but vise à fournir un cadre rigoureux pour quantifier le hasard, ou encore
pour modéliser un phénomène aléatoire. On souhaite, une fois les axiomes d’un modèle po-
sés, être capable d’évaluer la chance (ou le risque) que tel ou tel évènement se produise.
On ne prouvera pas qu’une pièce de monnaie donnée est parfaitement équilibrée. Mais, en
décidant qu’elle l’est, on voudra être capable de donner la probabilité pour que sur 100
lancers de cette pièce, on obtienne exactement 50 fois Pile.
1.1 Le modèle probabiliste
Exemple 1.1.1. On s’intéresse à l’expérience aléatoire consistant à lancer un dé à six faces
numérotées de 1à6. L’ensemble des résultats possibles peut être représenté par l’ensemble
Ω = {1,...,6}. Si le dé est supposé équilibré, il est naturel de penser que chacun des
résultats apparaît avec la même probabilité, ici 1
6. On notera : pour tout ω,P({ω}) = 1
6.
On peut aussi s’intéresser à un ensemble de résultats du type : “le nombre obtenu est pair”,
on parlera d’évènement. Il s’agit ici de l’évènement {2,4,6}.
Exemple 1.1.2. On souhaite modéliser l’expérience : “prendre un nombre au hasard dans
[0,1]”. La modélisation est ici plus délicate. Quelle est la probabilité d’obtenir 1
2?
Depuis les travaux d’Andreï Kolmogorov dans les années 1930, le cadre général du
calcul des probabilités s’appuie sur celui de la théorie de la mesure. Il est basé sur un
triplet fondamental (Ω,A,P)
1. est appelé ensemble fondamental (ou univers), il décrit l’ensemble des résultats
possibles d’une expérience aléatoire. Un élément ωest appelé un résultat élé-
mentaire. pourra être fini, dénombrable, R,R2,. . . mais on verra que la plupart du
temps il ne sera pas explicite !
2. Aest un sous-ensemble de P(Ω) appelé ensemble des évènements. Lorsque est fini
ou dénombrable, on prendra souvent A=P(Ω), mais dans des cas plus élaborés, on
verra qu’il conviendra de prendre un sous-ensemble strict de P(Ω). Néanmoins, A
devra obéir avec des règles algébriques simples qui feront de cet ensemble une tribu.
3. Pest une fonction sur A, qui a A A associe un nombre P(A)compris entre 0et 1,
représentant la “chance” que l’évènement Ase réalise (0 = aucune chance et 1 = sûr
à100%). On aura donc P(Ω) = 1.
CHAPITRE 1. VOCABULAIRE PROBABILISTE, NOTION DE PROBABILITÉ
La théorie du calcul des probabilités, et notamment les manipulations sur les évène-
ments, utilise le langage de la théorie des ensembles. Ainsi :
est l’évènement impossible,
est l’évènement certain,
ωAsignifie que le résultat ωest une réalisation possible de l’évènement A,
ABsignifie que la réalisation de Aimplique celle de B,
l’évènement ABest réalisé lorsque Aou Bse réalisent,
l’évènement ABest réalisé lorsque Aet Bse réalisent,
Acest l’évènement contraire de A,
AB=signifie que Aet Bsont incompatibles.
Exemple 1.1.3. On reprend l’exemple du lancer d’un dé. Ici Ω = {1,...,6},A=P(Ω), et P
est la mesure uniforme sur . Si Aest l’évènement “le résultat est pair”, Best “le résultat
est impair” et Cest “le résultat est un nombre premier”, alors Aet Bsont incompatibles,
Ac=B, ou encore AC={2}. On aura P(A) = P(B) = P(C) = 1
2, tandis que P(AB) = 0
et P(AC) = 1
6.
Exercice 1.1.4. On souhaite modéliser l’expérience aléatoire consistant en nlancers suc-
cessifs d’une pièce de monnaie. Donner . Écrire de façon ensembliste l’évènement A=“il
n’y a pas eu de Pile lors des deux premiers lancers”, ainsi que les évènements Li=“on a
obtenu Pile au i-ème lancer”, i= 1, . . . , n. Exprimer Aà l’aide des Li. Exprimer l’évènement
“on a obtenu au moins un Face” à l’aide des Li.
1.2 L’ensemble des évènements
Définition 1.2.1. Soit un ensemble non vide et Aun sous-ensemble de P(Ω). On dira
que Aest une tribu si Acontient et est stable par passage au complémentaire et par
réunion dénombrable. C’est-à-dire :
i) ∈ A,
ii) si A∈ A, alors Ac∈ A,
iii) si (Ai)iN⊂ A, alors SiNAi∈ A.
Lorsque Aest une tribu, le couple (Ω,A)est appelé espace mesurable (ou probabili-
sable).
Exemple 1.2.2.
1. Quelque soit ,P(Ω) est toujours une tribu.
2. Quelque soit ,{∅,}est une tribu, appelée tribu grossière ou du “tout ou rien”.
3. Si Cest un sous-ensemble de P(Ω), alors on montre qu’il existe une unique plus petite
tribu (au sens de l’inclusion) contenant C. [Il suffit de vérifier que l’intersection d’une
famille de tribus est encore une tribu.] Cette tribu est notée σ(C)et est appelée tribu
engendrée par C.
4. Si est muni d’une topologie, on désigne par B(Ω) la tribu borélienne, c’est-à-dire la
tribu engendrée par les ouverts de .
Remarque 1.2.3. De manière générale, lorsque sera fini ou dénombrable, on prendra
A=P(Ω) et lorsque sera Rou un intervalle de R, on prendra la tribu borélienne associée.
1.3. LA PROBABILITÉ
1.3 La probabilité
Une probabilité sur un espace mesurable (Ω,A)est une mesure positive de masse totale
égale à 1.
Définition 1.3.1. Soit (Ω,A)un espace mesurable. Une application P:A → [0,1] est une
probabilité (ou mesure de probabilité, ou loi de probabilité) si :
i) P(Ω) = 1,
ii) (σ-additivité) pour toute suite (Ai)iN A d’évènements deux à deux disjoints (ou
incompatibles), on a
P [
iN
Ai!=X
iN
P(Ai).
Le triplet (Ω,A,P)est alors appelé espace probabilisé. Voici quelques premiers exemples.
Exemple 1.3.2. Soit aRet δala masse de Dirac en adéfinie par, pour tout A∈ B(R),
δa(A) = 1si aA
0sinon .
δaest une probabilité sur (R,B(R)). Elle ne charge que le point a.
Exemple 1.3.3. P=1
3δ1+2
3δ1est une probabilité sur l’espace (R,B(R)), mais aussi sur
l’espace ({−1,1},P({−1,1})).
Exemple 1.3.4. Pour modéliser le lancer d’un dé, on a utilisé la probabilité P=1
6P6
k=1 δk
sur Ω = {1,...,6}muni de P(Ω).
Exemple 1.3.5. Pour modéliser l’expérience “prendre un nombre au hasard dans [0,1]”, on
utilisera le triplet ([0,1],B([0,1]),P)P=λ[0,1] est la mesure de Lebesgue sur [0,1]. On a
donc P([1
3,1
2]) = 1
21
3=1
6, et pour tout ω[0,1],P({ω})=0.
On pourra noter que le deuxième axiome de la définition d’une probabilité ne peut pas
s’étendre aux réunions non-dénombrables d’ensembles car dans le dernier exemple, on a
P([0,1]) = 1 tandis que Px[0,1] P({x}) = 0.
Remarque 1.3.6. En utilisant l’intégrale au sens de Lebesgue (voir cours du 1er semestre),
on utilisera souvent que, si A∈ A,
P(A) = ZA
dP=Z
1AdP.
1.4 Exemples d’espaces probabilisés
Les trois classes d’exemples suivantes sont fondamentales et il sera rare (mais pas du
tout impossible !) que l’on ne soit pas dans l’une de ces classes.
1.4.1 Espaces finis
Si est un ensemble fini, notons Ω = {x1, . . . , xn}, on prendra toujours A=P(Ω). Pour
une mesure de probabilité Psur , on peut toujours écrire P=Pn
i=1 P({xi})δxiet donc Pest
caractérisé par les nvaleurs pi=P({xi}),i= 1, . . . , n. La donnée d’une loi de probabilité
Psur se résume donc à la donnée de p1, . . . , pnréels positifs. Mais attention, pour que P
soit une probabilité il faudra que l’on ait Pn
i=1 pi= 1. C’est aussi, bien sûr, une condition
suffisante et on a la proposition suivante.
CHAPITRE 1. VOCABULAIRE PROBABILISTE, NOTION DE PROBABILITÉ
Proposition 1.4.1. Pest une probabilité sur Ω = {x1, . . . , xn}ssi il existe p1, . . . , pn0tels
que Pn
i=1 pi= 1 et P=Pn
i=1 piδxi.
Exemple 1.4.2. On souhaite truquer un dé de sorte que la probabilité de d’obtenir un
numéro soit proportionnelle à ce numéro. On a alors Ω = {1,...,6}et P=P6
i=1 piδiavec
pour condition, l’existence d’une constante c0telle que pi=c i pour tout i= 1,...,6. De
P6
i=1 pi= 1, on déduit qu’il n’y a qu’une possibilité pour le choix de cqui est c=1
21 .
Exemple 1.4.3. Pour Ω = {x1, . . . , xn}, en prenant pi=1
npour tout i= 1, . . . , n, on définit
une probabilité dite probabilité uniforme (ou équiprobabilité) sur {x1, . . . , xn}. Dans ce
cas (et seulement dans ce cas !), pour tout A∈ P(Ω), on a
P(A) = Card(A)
Card(Ω).
Que l’on résume souvent en : “nombre de cas favorables sur nombre de cas possibles”.
Dans le cas d’une probabilité uniforme sur un espace fini, le calcul de la probabilité
d’un évènement se ramène donc à un problème de dénombrement. On pourra donc revoir
quelques notions de dénombrement (nombre de permutations, coefficients binomiaux (ou
nombre de combinaisons), nombre d’arrangements, ...) si neccessaire !
Exercice 1.4.4. On tire successivement et avec remise 5boules dans une urne contenant
1boule blanche et 2boules noires. Quelle est la probabilité d’obtenir 2boules blanches ?
Exercice 1.4.5. On tire sans remise 3boules dans une urne contenant 4boules blanches
et 2boules noires. Quelle est la probabilité d’obtenir 2boules blanches ?
Exemple 1.4.6. Lorsque Ω = {0,1}(et A=P(Ω)), on parle d’épreuve de Bernoulli. Une
mesure de probabilité Psur ({0,1},P({0,1})) est nécessairement de la forme P= (1p)δ0+
1avec p[0,1].
1.4.2 Espaces dénombrables
Il en est de même pour un ensemble dénombrable (il existe une injection de Ndans
). On considérera toujours A=P(Ω) et on a la proposition suivante.
Proposition 1.4.7. Pest une probabilité sur Ω = {xi|iN}ssi il existe une suite (pi)iN
de réels positifs tels que P
i=0 pi= 1 et P=P
i=0 piδxi.
Démonstration. ) On a nécessairement P=P+
i=0 P({xi})δxi. D’où le résultat avec pi=
P({xi}).
) On vérifie que P=P+
i=0 piδxiest bien une mesure de probabilité.
Exercice 1.4.8. On définit la mesure Psur Ncomme dans la proposition en prenant pk=
C3k
k!. Déterminer Cpour que Psoit une probabilité (la mesure de probabilité obtenue est
appelée loi de Poisson de paramètre 3).
Exercice 1.4.9. Soit 0<p<1. Déterminer une constante C > 0permettant de définir une
probabilité Psur Nde sorte que P({k}) = Cpk. Cette constante est-elle unique ?
1.4. EXEMPLES D’ESPACES PROBABILISÉS
1.4.3 Mesures de probabilité à densité
Considérons le cas de l’espace mesurable (Ω,A)=(R,B(R)).
Proposition 1.4.10. Soit f:RRune fonction intégrable (au sens de Lebesgue) par
rapport à la mesure de Lebesgue λsur R, telle que
(i) fest positive sur R,
(ii) RRf dλ = 1.
Alors l’application P:B(R)Rdéfinie par P(A) = RAf=RRf1Aest une mesure de
probabilité sur (R,B(R)).
La probabilité Painsi définie est appelée probabilité à densité (par rapport à la mesure
de Lebesgue) sur Ret la fonction fest appelée densité de probabilité (par rapport à la
mesure de Lebesgue). On écrit dP=f.
Démonstration. Pest positive par (i) et on a P(R)=1par (ii). La σ-additivité vient du
découpage de l’intégrale sur des supports disjoints.
Exemple 1.4.11. Sur (R,B(R)), la fonction 1[0,1] vérifie (i) et (ii) de la proposition précé-
dente et donc définit une mesure de probabilité sur R. On parle de probabilité uniforme sur
[0,1]. On a P([0,1]) = 1 et P(R\[0,1]) = 0. De plus pour tout a<b[0,1],
P([a, b]) = P(]a, b]) = P([a, b]) = P(]a, b[) = ba.
On a ainsi retrouvé l’exemple 1.3.5.
Exercice 1.4.12. Pour quelle valeur de Cla fonction f(x) = Ce2x1[0,+[est-elle une
densité de probabilité sur R? Soit Pla probabilité de densité f. Calculer P([0,1
2]).
Remarque 1.4.13.
1. Si la probabilité Pest à densité, alors elle est absolument continue par rapport à la
mesure de Lebesgue. C’est-à-dire que pour tout A∈ B(R),λ(A)=0implique P(A)=0.
En particulier, pour tout xR,P({x}) = 0.
2. La réciproque est vraie. Si Pest absolument continue par rapport à la mesure de
Lebesgue alors il existe une densité de probabilité ftelle que Psoit la mesure de
densité f. (Ce résultat est admis ici, mais l’étudiant curieux pourra voir le Théorème
de Radon-Nikodym par exemple dans [Rudin]).
3. Si fet gsont deux densités de probabilité égales λ-presque partout, alors les proba-
bilités de densités respectives fet gsont égales.
4. Si Pest la probabilité de densité f. On a, pour tout a<bR,
P([a, b]) = P(]a, b]) = P([a, b]) = P(]a, b[) = Z[a,b]
fdλ.
Lorsque fest Riemann intégrable (ce qui sera quand même souvent le cas !), on
pourra écrire P([a, b]) = Rb
af(t)dt.
Tout ceci se généralise sur un espace abstrait . Il faut alors spécifier une mesure de
référence µsur (Ω,A). Une densité de probabilité par rapport à µest alors une fonction
µ-intégrable de R+telle que Rf= 1. La mesure Pdéfinie par P(A) = RAfest
une probabilité sur .
Remarque 1.4.14. On peut aussi mélanger mesures de probabilité discrètes et à densité.
Par exemple, si µest la mesure de probabilité de densité f(x)=2x1[0,1](x), la mesure
P=1
3δ0+1
3µ+1
3δ1est une probabilité sur ([0,1],B([0,1]).
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