Le voyage de la Pinta, ou l ’histoire de la syphilis Laurent Mereghetti Département de Microbiologie – Faculté de Médecine de Tours Service de Bactériologie-Virologie – CHRU de Tours La maladie au cours des temps Remèdes, traitements et charlatans La syphilis aujourd’hui Tréponèmes and co. N’est pas syphilis tréponème qui veut Columbus or not Columbus ? La maladie au cours des temps Les débuts de la syphilis 1492 : Charles VIII fait valoir ses droits sur la couronne de Naples 13 février 1493 : départ d’Amboise Armée de 30.000 hommes : mercenaires +++ Siège de Naples : difficile - prostituées/femmes contagieuses expulsées - pape Alexandre VI s’oppose à Charles VIII Charles remonte vers le Nord Novembre 1495 : démobilisation => retour des mercenaires dans toute l’Europe - mal français => Napolitains - mal de Naples => Français - malo de Frantzos => Allemands - french pox => Anglais - spanise Pocken => Flamands - mal espagnol => Maures - mal castillan => Portugais - mal portugais => Indes - mal des Allemands => Polonais (grosse) vérole, morbo gallico, gorre… Régions au Nord de l’Europe plus épargnées : Finlande, Laponie, Islande Diffusion : Afrique, Proche-Orient, Asie Japon : milieu du XVIème siècle Europe : stabilisation de la maladie fin du XVIème siècle Progressivement : tableau clinique moins sévère Nouvelle vague au cours du XVIIème siècle • Au début de l’épidémie : mauvaise réputation rois et empereurs, hommes d’église… contamination par l’air, l’eau bénite, le souffle… maladie « galante » (règne Louis XIV) Cicatrices Cicatrices :: -- port port de de la la perruque perruque -- jabot jabot de de dentelle dentelle -- gants gants -- fard fard -- poudre poudre -- mouche … mouche … • Peur resurgit au XVIIIème siècle séquelles 1 mort précoce Développement d’une théorie de transmissibilité héréditaire = hérédosyphilis … début XXème siècle 3 N’est plus une maladie à déclaration obligatoire depuis 2000 Bilan prénuptial : dépistage de la syphilis n’est plus obligatoire 2 - pape Alexandre VI, cardinal Borgia, plusieurs évêques célèbres… - Charles VIII, Henri II de France, Napoléon Ier… - Henri VIII d’Angleterre, Edouard VI d’Angleterre… - Baudelaire, Maupassant, Rimbaud, Wilde, Flaubert… - Mozart, Beethoven, Paganini, Schubert, Schumann… - Manet, Gauguin, van Gogh, Toulouse Lautrec… - Lénine, Mussolini, Staline, Churchill… - Al Capone, Howard Hughes… Les hommes qui ont « fait » la syphilis • Fernando de Oviedo (1526) : théorie américaine de la syphilis • Girolamo Fracastor (1530) Syphilis sive morbus gallicus Poème racontant en latin l’histoire du berger Syphilis qui, pour avoir outragé Apollon, est frappé par les puissances divines d’un mal douloureux et hideux Père de l’épidémiologie Seminaria contagiosis - contagion inter-humaine directe (gale, lèpre) - contagion indirecte par agents vecteurs (air, animaux) - contagion à distance (peste, variole) => susceptibilité hôte • Fernel (1548) : médecin Diane de Poitiers et Henri II «Le principe venimeux siège dans l’humeur qui lui sert de substratum et de véhicule. Par conséquent le mal vénérien est une maladie qui se contracte… par le contact… » • Balfour (1767) : - distingue la vérole de la gonorrhée - création d’un hôpital pour vénériens en 1785 à Paris… … qui sera ouvert en 1792 ! • Ricord (1830) : inoculation à partir des plaques muqueuses affirme la spécificité de la syphilis • Fournier (fin XIXème siècle) : - description précise de la maladie - tabès, démence, paralysie : origine syphilitique - 1901 : Société française de prophylaxie sanitaire et morale • Roux/Metchnikoff (1903-05) : syphilis expérimentale chez les singes • Schaudinn (1905) : découverte du tréponème pâle => Spirochaeta pallidum • Wassermann/Neisser/Brück (1906) : sérologie 4 Remèdes, traitements et charlatans La prévention • 1497 : s’abstenir de relation sexuelle avec une femme infectée ou avec une femme saine qui a cohabité avec un homme récemment infecté • 1532 : laver les organes génitaux avec de l’eau chaude ou du vin blanc avant et après l’acte Les traitements « non spécifiques » - diète - purge - saignée - ventouses - prière - astrologie ... Les traitements « spécifiques » • Bois de gaïac SAINT BOIS DES AMANTS Plante tropicale (Antilles, Amérique centrale) - infusion/décoction préparée avec poudre - à boire le matin - diète + purgatifs - sudation en chambre chauffée (2 à 3 heures) Cures de 30 à 40 jours 5 • Mercure - frictions, onctions, emplâtres EI : salivation, tremblements, paralysie, chute de dents…. mort - pilules (Matthiole, 1535) - sudation en chambre chauffée - hypodermique, intramusculaire, intraveineuse • Iodure de potassium - dilué en eau de boisson - associé au mercure (phase tertiaire) • Arsenic (atoxyl = sel sodique d’arsenic) - Salvarsan (606ème préparation) développé par Ehrlich en 1910 - Néosalvarsan (914ème préparation) - préparation et utilisation plus faciles - moins toxique… mais moins efficace • Bismuth (1921) La pénicilline - contamination accidentelle de culture de staphylocoques (Fleming, 1928) - extraction et purification de la pénicilline (Florey et Chain, 1941) - production à large échelle et utilisation (1944) - Prix Nobel de Médecine (Fleming, Florey et Chain, 1945) La syphilis aujourd’hui Physiopathologie inoculum dissémination voie hématogène microlésion peau/muqueuse cellules phagocytaires multiplication tissus voie lymphatique colonisation ganglionnaire Clinique • incubation silencieuse : 21 jours • phase primaire : - durée : 4 à 6 semaines - chancre (indolore) + adénopathie - disparition spontanée • phase secondaire : - 2 mois après la contamination - durée : 1 à 2 ans - roséole, lésions cutanées, lésions muqueuses - disparition spontanée syphilides palmaires alopecie syphilides plantaires lésions muqueuses syphilis latente : - durée : 2 à 30 ans - absence de symptomatologie clinique phase tertiaire : - concerne 30% patients - atteintes cutanées (gommes) - atteintes cardio-vasculaires (anévrisme, aortite) - atteintes neurologiques (paralysie générale, tabès) Diagnostic Mise en évidence directe du tréponème • prélèvement : - sur lésions primaires ou secondaires - après nettoyage à l'eau stérile - à l'aide d'un vaccinostyle • examen direct : - au microscope à fond noir : tréponèmes mobiles, à spires régulières et réfringentes - par immunofluorescence sensibilité et spécificité : faibles Techniques sérologiques • réactions à antigènes non tréponémiques = VDRL (veneral disease research laboratory) • réactions à antigènes tréponémiques - réaction d'hémagglutination = TPHA (Treponema pallidum hemagglutination assay) - réaction immunoenzymatique = ELISA (enzyme linked immunosorbent assay) - réaction d'immunofluorescence indirecte = FTA-abs (fluorescent treponemal antibody absorbed) Principe de l’immunofluorescence indirecte (IFI) ANTIGENE Fixation de l’antigène bactérien Ajout du sérum du patient. Si le sérum contient les anticorps anti-tréponème, ils se fixeront sur l’antigène Les anticorps anti-tréponème du patient seront mis en évidence par un anticorps anti-anticorps marqué à la fluorescéine + sérum ANTICORPS * ANTICORPS marqué NOMENCLATURE 2 réactions obligatoires - groupe 1 : VDRL (latex, coloré, charbon) - groupe 2 : TPHA, ELISA, FTA-abs Si réaction positive ou dissociée, titrage Réactions de confirmation - test d'immobilisation des tréponèmes (TIP) = test de Nelson et Mayer - test d'immuno-empreinte (Western blot) Cinétique des anticorps en cas de syphilis non traitée Titre des anticorps TPHA TPI VDRL 0 15 incub 30 chancre 60 90 phase primaire FTA Temps (jours) Epidémiologie - recrudescence depuis 2000 - Europe (France), Etats-Unis, Australie - hommes jeunes, homo- ou bisexuels, co-infectés par VIH - en Europe de l’Est : prostitution… Risque de contamination vénérienne (rapport non protégé) : 60 % Tréponèmes and co. Les « copieurs » - très rares en Europe - régions tropicales et subtropicales • lymphogranulomatose vénérienne (maladie de Nicolas-Favre) : Chlamydia trachomatis (serovars L1, L2 et L3) • chancre mou : Haemophilus ducreyi • donovanose : Klebsiella granulomatis (anciennement Calymmatobacterium granulomatis) Herpes génital ++++++ incubation ulcération adénopathie Syphilis 3 sem unique, circulaire, indolore, dure, propre, b. réguliers 1 ou + LGMV 1-3 sem multiple, indolore lymphadénite => fistulisation Ch. mou 1 sem multiple, douloureuse, molle, sale, inflammatoire ADP douloureuse Donov. 4-8 sem papule/nodule, indolore, bourgeonnante, b. surélevés diffusion sous-cutanée LGV donovanose chancre mou Les « co-locataires » - Chlamydia trachomatis (serovars D à K) - gonocoque (Neisseria gonorrhoeae) urétrite cervicite salpingite Evolution des infection à gonocoque en France (1986-2005) QuickTime™ et un décompresseur TIFF (non compressé) sont requis pour visionner cette image. … et les virus : SIDA, hépatites… N’est pas syphilis tréponème qui veut Classification REGNE EMBRANCHEMENT CLASSE ORDRE Spirochaetales FAMILLE Spirochaetaceae GENRE Treponema ESPECE Tréponèmes à transmission vénérienne - Treponema pallidum subspecies pallidum = agent de la syphilis Tréponèmes à transmission non vénérienne - Treponema pallidum subspecies pertenue = agent du pian (yaws) - Treponema pallidum subspecies endemicum = agent du béjel (« syphilis endémique ») - Treponema carateum = agent de la pinta (ou carate) Tréponématoses non syphilitiques maladie espèce géographie Régions forestières chaudes et humides (Afrique, Caraïbes, Indonésie) Pian Tp pertenue Bejel Tp endemicum Régions semi-désertiques chaudes et sèches (Sahel, désert arabique) Pinta T carateum Régions forestières chaudes et humides (Amérique centrale et du Sud) phase récente phase tardive Chancre («maman pian») Pianomes et pianides Pian crabe Périostite Périostite engainante Gommes Pas de chancre Plaques muqueuses Périostite engainante Gommes Chancre Lésions cutanées inflammatoires Lésions dyschromiques chancre « Mama pian » pianome gomme (gangosa) Pian goundou polydactylie Collections: Pr. Pierre Aubry et I.M.T.S.S.A. Le Pharo (Marseille) ostéite bejel pinta ou carate Distribution géographique des tréponématoses endémiques en 1950, et 20 ans plus tard http://www.asnom.org/ Columbus or not Columbus ? 3 août 1492 : 3 caravelles avec 120 hommes quittent Palos 28 septembre 1492 : Cuba 5 décembre 1492 : Hispaniola 16 janvier 1493 : 2 caravelles repartent pour l’Espagne 31 mars 1493 : arrivée à Séville 7 mai 1493 : Christophe Colomb à Barcelone Alonzo Pinzon : premier malade reconnu meurt peu après arrivée en Europe le corps recouvert de bubons La théorie « colombienne » - Symptomatologie cutanée chez les habitants d’Amérique - Maladie inconnue en Europe - Troupes Charles VIII : mercenaires espagnols - « Explosion » maladie après le retour du Nouveau Monde - Epidémie pan-européenne retour 1er voyage : mars 1493 retour 2nd voyage : 1496 voyages intermédiaires : 1494 et 1495 • Oviedo : surintendant des mines (1513-1523) - maladie connue aux Indes - peu dangereuse chez les autochtones • Diaz de Isla : médecin • Las Casas : prêtre (à partir 1498) - bubas connus chez Indiens - Espagnols non vertueux atteints par la maladie Théorie établie début XVIème siècle La théorie « pré-colombienne » Syphilis déjà présente en Europe Unicité des maladies vénériennes (blénorragie, chancre mou et syphilis) Confondue avec d’autres maladies (lèpre) • Sicile : colonie grecque de Metaponte squelettes de 219 adultes et 53 enfants (580-250 av JC) 47 squelettes : lésions attribuables à tréponématose • Angleterre et Irlande sites archéologiques avec squelettes d’époque médiévale • France (Lisieux et Costebelle) tombes romaines Hackett (1963) ancêtre simien ? mutation mutation T. carateum «« adaptation adaptation »» «« adaptation adaptation »» «« adaptation adaptation »» T. pallidum pertenue T. pallidum sp endemicum T. pallidum sp pallidum pian bejel syphilis zones humides Afrique zones arides Afrique ubiquiste Hudson (1958) tréponème ? pian Afrique équatoriale Formes cliniques évolutives Afrique du Nord béjel Arabie Facteurs environnementaux et socio-culturels caraté Nouveau monde Urbanisation = cause de la syphilis vénérienne Un autre agent ? Agent immuno-suppresseur à incubation courte ramené du nouveau monde par Christophe Colomb ???... « La vérole est comme les Beaux-Arts, on ignore quel en a été l’inventeur » Voltaire Tuskegee syphilis experiment - USA (1932-1972)