DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ Les Beaux Jours d’Aranjuez OD ON Peter Handke – Luc Bondy GLAUBE LIEBE HOFFNUNG Foi Amour Espérance Ödön von Horváth et Lukas Kristl – Christoph Marthaler LA BARQUE LE SOIR Tarjei Vesaas – Claude Régy o Lettre N 1 Odéon-Théâtre de l’Europe septembre 2012 2 3 DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ Les Beaux Jours d’Aranjuez 12 - 15 septembre 2012 / Odéon 6 e DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ Les Beaux Jours d’Aranjuez de Peter Handke mise en scène Luc Bondy en allemand, surtitré scénographie Amina Handke costumes Eva Dessecker lumière Dominique Bruguière son David Müllner dramaturgie Klaus Missbach avec Dörte Lyssewski et Jens Harzer production Wiener Festwochen Burgtheater – Vienne créé le 15 mai 2012 aux Wiener Festwochen à lire Les Beaux Jours d’Aranjuez. Un dialogue d’été de Peter Handke, version originale française de l’auteur, Le Bruit du temps, 2012. Les Beaux Jours d'Aranjuez est une partition, dit Luc Bondy, au fil de laquelle on peut se laisser porter comme par une rivière – et puis que l’on peut reprendre encore et encore, pour en découvrir sans cesse d’autres méandres et de nouvelles harmonies. Toute la pièce est traversée de tensions discrètes et changeantes. Non seulement entre lecture et spectacle (comme toute œuvre théâtrale, Aranjuez naît de l’écart entre être lu et être vu) mais aussi entre les deux langues de son écriture. Ou entre les pays qui s’y donnent rendez-vous, de l’Espagne à l’Allemagne. Entre temps de l’action, urbain, brutal, mécanique, et temps du loisir auprès d’arbres invisibles et sous un ciel rayé d’oiseaux. Et bien entendu, entre «l’homme» et «la femme» qui conduisent leur échange dense et léger à la fois, simple et complexe, improvisé et secrètement préparé, tenant de l’interrogatoire, du poème, de la confession, de la parade séductrice ou guerrière – et parfois du théâtre, évidemment. Ce moment suspendu au creux de l’été est-il pareil à une trêve unique et fragile où plutôt à une fête ? Le dialogue se déploie-t-il sur fond de complicité amicale ou d’irrémédiable malentendu amoureux ? Ces deux voix masculine et féminine se répondent-elles, restent-elles à jamais à l’écart l’une de l’autre, ou finissent-elles par se rejoindre en un certain point mystérieux, précisément à force de rester parallèles ? Dörte Lyssewski et Jens Harzer font mieux que répondre à ces questions. En grands interprètes qu’ils sont, ils les aiguisent, les incarnent et sous nos yeux, passant à chaque seconde d’un pôle à l’autre, ne cessent intensément de les mettre en jeu. Comme un jardin à l’abri du monde : entretien avec Luc Bondy Le discours amoureux est aujourd’hui d’une extrême solitude. Roland Barthes Comment entre-t-on dans un texte comme Les Beaux Jours d’Aranjuez ? © Ruth Walz vagues du sang dans le corps, mais c’est aussi le mouvement qui fait avancer les vagues du récit, phrase après phrase, musicalement. Et à un Il y a d’abord l’approche du lecteur. À moment, cet aller-retour, ce balancier première vue, tout paraît simple. En tout cas, le cadre est bien tracé : un jar- qui conduit jusqu’à la première extase devient aussi ce que la femme appelle din, une terrasse, une table en été. Dans les «mouvements d’une autre balance cadre, un homme et une femme se çoire», et qui la portent de l’effroi à la parlent. À première vue, il ne se passe douceur, puis de nouveau à l’effroi, et pas grand-chose. Cela ne « se » passe ainsi de suite. Donc, ça circule, ça se pas, cela passe. Et ce qui passe, c’est le vent dans les branches, ce sont des propage comme des ondes, du dehors buses ou des milans dans le ciel, un vers le dedans, ou du corps vers l’âme rouge-gorge qui se pose sur l’herbe. Et – pour le dire vite, parce que justement, parfois des pensées passent comme si ça se propage ainsi de l’un à l’autre, cela, elles aussi, dans la conversa- c’est que le «corps» et l’«âme» sont tion : comme des souffles, ou comme noués de façon spéciale et ne se laisdes oiseaux. C’est très délicat, atmos- sent plus distinguer aussi simplement. phérique. À la lecture, en tête-à-tête Et ça passe aussi d’un instant donné, avec le livre, c’est superbe, la touche d’un incident singulier, à une perspecde Handke est légère, pleine de sug- tive plus large, celle d’une expérience gestion, glissant sans jamais peser… acquise, irrévocable, par laquelle une petite fille de dix ans quitte l’enfance Je suis d’abord un lecteur comme un et devient, comme elle dit, «une reine autre, et comme tous ceux qui aiment Handke, je me laisse séduire par une exilée». Seule avec ce qu’elle a vécu. musique qui lui est propre. Elle tient à C’est très beau, très fin – et c’est la la fois à sa façon particulière d’enchaî- phrase, c’est le phrasé de Handke qui ner les phrases, les sensations, les ins- tracent ces lignes, où le swing est à tants, les silences, et à cette espèce de la fois ce dont on parle, l’énergie qui sixième sens qu’il a pour donner forme porte et emporte celle qui parle, le à la solitude. On en trouverait des illus- rythme ballotté de ses paroles et des trations à chaque page. expériences qu’elle éprouve, et cette chose sans nom qui circule entre tous ces plans, qui les fait communiquer et Par exemple ? les nourrit les uns des autres. Cela ne passe que par la parole, par l’écriture, Dès le début, la femme raconte sa première extase – un orgasme, si l’on cela n’a pas d’autre lieu, mais en même veut, mais de tels mots ne sont jamais temps c’est ce qui la sous-tend, sa part prononcés, car nous sommes dans un immergée. autre ordre d’expérience. Elle avait dix ans, elle se balançait sur une balan- C’est pour cela que vous parlez de çoire, et dans son récit, elle emploie silence à propos de Handke ? le mot Schwung, que Handke a rendu en français par «élan», et qu’on tradui- Je ne suis pas le seul ! L’héroïne des rait sans doute par swing en anglais. Beaux Jours d’Aranjuez dit d’ailleurs Cet «élan», c’est à la fois le mouve- de très belles choses sur le silence : ment rythmé de la balançoire qui est «Juste avant qu’on se mette à parler, toi en train de se convertir en rythme et moi, j’ai eu, entourée par le silence, intérieur, comme le ballottement des la sensation de l’arrivée, non, plutôt de la descente d’un silence, non, plutôt d’une tranquillité additive, non, plutôt complémentaire, sur cette région et pas seulement sur la région, mais sur la terre entière. La terre entière, avec cette descente de tranquillité profonde, se transformait tout doucement – en disque comme elle avait été imaginée jadis par nos ancêtres ? – non, plutôt en cuvette ou en bassin. Grâce au silence profond, la terre gagne en profondeur» (p. 22-23). Voilà, c’est typique du phrasé de Handke : cette femme parle du silence comme d’un milieu où elle était immergée, et puis elle se met à chercher les mots les plus justes pour désigner une sensation spéciale, mais les mots les plus précis n’effacent pas tout à fait les précédents, et le «silence», même s’il devient «tranquillité» en cours de route, finit par revenir à la fin, comme si chemin faisant, de correction en correction, il avait pris une autre saveur ou un autre poids… En tout cas, une «profondeur» qui est pour ainsi dire contagieuse, puisqu’elle creuse le monde et que par ce «silence profond», c’est toute la terre qui «gagne en profondeur»… J’ai entendu Claude Régy, il y a trois jours, parler de l’auteur qu’il va me faire découvrir prochainement dans notre saison, Tarjei Vesaas. Il a cité à ce propos une belle phrase de Nathalie Sarraute à propos de l’écriture comme moyen de donner sa matière au silence. Chaque auteur a la sienne, sa propre matière silencieuse, comme chaque peintre a ses couleurs, et je m’aperçois après coup que notre rentrée théâtrale à l’Odéon offre une sorte de petite anthologie d’accès contemporains au silence : Handke, Pinter ; Vesaas, que Régy va nous révéler, lui qui a monté les deux précédents – Beckett, bien sûr, et Pommerat, évidemment, Pommerat qui est tellement sensible à ce qui respire entre les mots qu’il ne veut 4 plus que l’on distingue dans son travail entre la part de l’auteur et celle du metteur en scène… Cela dit, parler du silence de Handke à propos des Beaux Jours d’Aranjuez, cela peut paraître paradoxal : après tout, la pièce n’est qu’un long dialogue. Mais à y regarder de plus près, le silence est partout, en amont du texte et dès la première didascalie, où Handke précise que ses deux personnages écoutent longtemps, sans se regarder, la rumeur de la nature autour d’eux. Et cela se prolonge tout au long de la pièce : de temps en temps, la femme refuse de répondre à une question qui viole l’une des règles du jeu dont ils ont convenu… Quelles sont ces règles ? Cela reste un peu mystérieux. Mais si de telles règles sont mentionnées, cela implique qu’avant le présent dialogue, un autre doit avoir eu lieu. Une négociation, peut-être, au cours de laquelle le protocole de la discussion à laquelle nous assistons a été fixé d’un commun accord… Le non-dit peut en quelque sorte accompagner les paroles, leur être simultané comme une sorte de contre-chant, mais il peut aussi leur être antérieur : avant les mots, avant le temps, d’autres mots et d’autres temps. Un temps biographique, voire historique... C’est ce qu’on découvre peu à peu à mesure que l’échange progresse. Mais quoi qu’il en soit, avec cette histoire de règles, nous passons à une autre dimension de l’écriture de Handke, celle qui lui donne son caractère dramatique. Et cela réclame une autre approche. Après le pur lecteur, le metteur en scène ? Voilà. Car une chose est de ressentir le complexe d’idées, d’émotions, d’images qu’un texte peut soulever en vous, et une autre est de déployer ce complexe sur un plateau, avec et par les acteurs. Le lecteur peut feuilleter, revenir en arrière, s’arrêter pour méditer ou rêver. La représentation, c’est une autre affaire : il faut de la suite dans les idées, il faut organiser, orienter, construire, articuler, même et surtout si cela ne se voit pas. Pour cela, on repart du texte, on essaie de ponctuer ses moments, et peu à peu on voit se dégager une architecture. Il y a un premier souvenir d’enfance, celui de la balançoire. Puis un deuxième souvenir, une rencontre amoureuse dans une saline abandonnée. À chaque fois, ces souvenirs suscitent des commentaires, des réflexions, et des retours au présent nuancent l’interrogatoire. Puis les choses se compliquent : les expériences amoureuses de la femme ne sont plus individualisées, elle les raconte désormais au pluriel, comme si les événements singuliers, les «premières fois», s’effaçaient devant le sentiment global de certaines périodes ou époques de la vie. Et on se rend compte alors que ce dont il est question, c’est aussi des rapports entre masculin et féminin, de la façon dont chacun perçoit et vit ces rapports – et qu’au fond de tout cela, il y a chez cette femme qui parle une exigence, un désir inextinguibles. Audelà de la guerre des sexes, de l’usure, de la banalité, du besoin de vengeance ou que sais-je, il reste le sens de la 5 singularité tranchante, de l’appel ou de la trouée que l’amour produit, le sens de cette ouverture que la beauté impose dans le monde – cette femme dit quelque part que seule la beauté qui donne est beauté, et proclame qu’elle ne renoncera jamais à son rêve d’être souveraine d’un royaume inventé «à partir d’une matière, la matière du désir». Or c’est à peu près à ce moment-là que l’homme s’exclame «Aranjuez !»… et va se mettre à parler, lui, «des signes et insignes d’un royaume d’un autre temps». C’est très étrange, et en même temps, c’est ce qu’il faut faire ressentir comme limpide – non pas expliquer, surtout ne pas expliquer, mais rendre sensible : la femme parle d’un «autre empire» où elle serait reine, et qui semble s’enraciner dans l’expérience de l’enfance – c’est là qu’elle parle d’être reine pour la première fois –, tandis que l’homme parle des dernières traces vivantes d’un royaume disparu, qu’il rencontre loin des sentiers battus, dans les sousbois à l’écart d’un château royal. Ce château se trouve à Aranjuez, résidence d’été de Philippe II… Justement, comment comprenez-vous le titre de la pièce, peut-être un peu énigmatique pour le public français ? Pour des oreilles allemandes, l’allusion est assez nette. Le titre de Handke renvoie explicitement au premier vers du Don Carlos de Schiller : Die schönen Tage in Aranjuez sind nun zu Ende, «Les Beaux Jours d’Aranjuez sont passés»… Don Carlos, à Aranjuez, a pu vivre silencieusement à proximité de sa bien-aimée, que son propre père, le roi, lui a ravie pour l’épouser. Il faut à présent revenir à la capitale, quitter l’été, retomber dans la cruauté et l’impureté de l’existence ici-bas, dans l’engagement, dans le souci des autres, dans la politique. Quitter Aranjuez, c’est un peu quitter la dernière trace du paradis. Non pas le paradis même, qui n’est pas de ce monde : même à Aranjuez, le malheur règne, la bien-aimée est déjà condamnée à rester inaccessible. Mais au moins on s’y trouvait ensemble, loin du monde, dans le silence profond des jardins… Cela dit, il est impossible d’y rester trop longtemps. On peut le tenter, le temps d’un rendez-vous intime l’après-midi ou d’une soirée au théâtre, et c’est un peu comme si Handke était revenu au silence de ce temps-là, que Schiller désigne en amont de son propre drame sans jamais nous le faire entendre. Il y revient comme par un mouvement de balancier, dès ses deux premières phrases : «Et de nouveau un été. De nouveau un beau jour d’été». Nous sommes suspendus dans ce retour, le temps d’un jour ou d’une heure. Loin de l’univers quotidien du travail, loin de l’action. Handke le note clairement dans son texte, avec un certain humour : dès que l’action intervient, c’est le monde extérieur qui menace d’envahir ce havre de paix où l’homme et la femme se parlent… L’action, c’est le bruit, un bruit qui couvre la possibilité de certaines paroles. Tant pis pour le metteur en scène et les acteurs : à eux de voir comment tirer de l’absence d’action une action d’un autre ordre !... Handke a toujours lancé des défis aux gens de théâtre. Il a formé les interprètes qu’il lui fallait, en quelque sorte, et cela continue : comme toujours chez les grands auteurs, l’écriture ne s’épuise pas une fois qu’on a trouvé des «solutions de mise en scène»… Harzer dans le rôle de « l’homme » et Dörte Lyssewski Comment donc avez-vous relevé le défi d’Aranjuez ? jouer qui peut aller jusqu’au slapstick. Avec leurs voix qui Pour qu’une femme et un homme rêvent côte à côte comme il le faut dans un tel texte, parfois ensemble et parfois non, il faut varier les couleurs. Leur rêverie est comme une confession, une introspection à deux, une enquête ou un jeu – le jeu de la vérité, ou de la fiction-vérité. Par instants, les personnages semblent même avoir conscience d’être précisément cela, des personnages. Ils peuvent glisser d’un statut à l’autre. Le silence de la lecture leur permet cette souplesse, cette indécision. Mais au théâtre, les interprètes doivent accomplir un tour de force : il leur faut incarner ces personnages de façon singulière et en même temps ne pas les couper de leur halo de possibilités, de cet arrièrefond flou qui fait qu’ils ne réduisent jamais entièrement à leur présence ici et maintenant, mais qu’ils ont toujours un pied dans le souvenir de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils auraient pu être et de ce qu’ils attendent et rêvent encore... C’est aussi pour cela, sans doute, que mon collaborateur Geoffrey Layton a dit que Les Beaux Jours d’Aranjuez est profondément une pièce sur le temps. Sur l’épaisseur de nos vies, leur étoffe doublée de mémoire et d’attente. Il faut trouver un équivalent théâtral d’un tel état. Inventer une façon de donner, si l’on veut, à la fois le texte de l’existence, fixé noir sur blanc, et la marge blanche qui l’entoure : non vécue, non écrite, non dite et pourtant là. Pour un metteur en scène, l’écriture de Handke est un peu comme certaines laques précieuses : pour obtenir cette surface qui semble lisse et un peu transparente, il faut laisser sécher chaque couche, puis la poncer avant d’en appliquer une autre et recommencer, des dizaines de fois s’il le faut. Je n’en ai pas fini encore. La dernière a lieu à Vienne ce soir. D’ici la reprise à Paris, je compte bien retravailler encore. poésie du pathos. Avec insolence, toute honte bue. Il tire dans celui de « la femme » rendent cadeau pour cadeau à Handke. Avec leur plaisir énorme du jeu, une joie de donnent la chair de poule. […] Bondy brise la d’un presque-rien un presque-tout. Michaela Mottinger, Kurier, 16 mai 2012 © Ruth Walz «Les vrais livres ne meurent pas» Trois questions à Antoine Jaccottet, éditeur des Beaux Jours d’Aranjuez Handke a souhaité confier son texte aux éditions Le Bruit du temps, qu’Antoine Jaccottet dirige avec une exigence exemplaire. Mince et d’une sobre beauté, le volume est de ceux que l’on glisse dans sa poche pour s’en approprier la matière n’importe où, en rêvant si Propos recueillis par Daniel Loayza, Paris, 7 juin 2012 possible dans un parc ou un jardin... À quoi la maison d’édition que vous dirigez doit-elle son nom ? Peter Handke © Wolfgang Zajc www.lebruitdutemps.com Le Bruit du temps a été créé il y a quatre ans avec cette conviction que les « vrais livres », ceux dont Ruskin dit qu’ils sont des « livres pour tous les temps », ne meurent pas. Placer cette maison d’édition sous le signe de Mandelstam, dont nous avons publié tout récemment une nouvelle traduction du livre qui a donné son nom à notre maison, c’était une façon d’affirmer à quel point nous sommes conscients de la force de la parole poétique, mais aussi de son essentielle fragilité, sans cesse menacée par des forces qui cherchent à la réduire au silence. Quelles sont vos orientations éditoriales ? Le goût des grandes œuvres mais aussi le goût pour les traductions — j’ai moi-même exercé un peu ce métier — et l’attention portée à leur qualité ; la forte présence de la littérature anglaise, et des littératures de l’est de l’Europe ; la volonté de construire un catalogue où les œuvres se répondent, dessinent peu à peu des constellations, indépendamment des classifications par genre. Nous publions aussi bien de la poésie que des romans ou des essais. C’est pourquoi, alors même que tant d’éditeurs s’en détournent, nous n’avons jamais rechigné à publier des œuvres écrites pour le théâtre : La Mer et le Miroir d’Auden (que Bruno Bayen, son co-traducteur, a brillamment monté il y a peu au Conservatoire), Auguste, tragédie bourgeoise pour marionnettes, d’Anne Weber, Henry VIII de Shakespeare dans la traduction d’André du Bouchet. Comment en êtes-vous venu à publier Peter Handke ? Il y a bien sûr, chez moi, une admiration ancienne pour l’auteur de La Leçon de la Sainte-Victoire et de La Perte de l’image. Jamais, cependant, je n’avais rêvé avoir la chance de publier un jour un contemporain de cette stature. Mais, et c’est là un des grands bonheurs de ce métier, les fils qui relient entre elles les œuvres d’un catalogue se nouent peu à peu, et comme naturellement. J’avais publié Anne Weber, par l’entremise de Pierre Pachet. C’est elle qui m’a encouragé à demander les droits des deux livres de Handke que nous publierons cet automne : Toujours la tempête, que traduit Olivier Le Lay (pour cette pièce, Peter Handke vient de se voir décerner le prix de l’« auteur dramatique de l’année » en Allemagne) et Une année dite par la nuit, un recueil de phrases intriguantes notées au sortir du sommeil. Des liens d’amitié se sont tissés. Peter Handke m’a lui-même proposé de publier Les Beaux Jours d’Aranjuez, qu’il avait écrit directement en français. Ces livres paraissent donc chez nous, aux côtés des œuvres d’un poète qu’il a toujours défendu et aimé, le Polonais Zbigniew Herbert. 6 GLAUBE LIEBE HOFFNUNG Foi Amour Espérance 7 14 - 21 septembre 2012 / Berthier 17e GLAUBE LIEBE HOFFNUNG Foi Amour Espérance d’Ödön von Horváth et Lukas Kristl mise en scène Christoph Marthaler en allemand, surtitré collaboration à la mise en scène Gerhard Alt scénographie Anna Viebrock en collaboration avec Blanka Radoczy costumes Sarah Schittek lumière Phoenix (Andreas Hofer) et Johannes Zotz musique Clemens Sienknecht, Martin Schütz, Christoph Marthaler, Uli Fussenegger son Klaus Dobbrick dramaturgie Stefanie Carp et Malte Ubenauf avec Jean-Pierre Cornu, Olivia Grigolli, Irm Hermann, Ueli Jäggi, Josef Ostendorf, Sasha Rau, Clemens Sienknecht, Bettina Stucky, Ulrich Voß, Thomas Wodianka avec le Festival d’Automne à Paris production Volksbühne am RosaLuxemburg-Platz – Berlin Wiener Festwochen Schauspielhaus – Zürich Odéon-Théâtre de l’Europe Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg créé le 13 juin 2012 aux Wiener Festwochen à lire Foi, Amour, Espérance d’Ödön von Horváth, in Théâtre complet 4, traduit par Henri Christophe, L’Arche, 1996. © Walter Mair 8 9 « La femme la plus tragique » notes sur Glaube Liebe Hoffnung Reconnais-toi toi-même ! Reconnais-toi toi-même ! Afin d’accéder à cette sérénité qui Comme dans toutes mes pièces, cette fois encore je n’ai te rend plus facile ta lutte dans la vie, dans la mort, cette rien embelli, rien enlaidi. Quiconque entreprend, avec toute chère sincérité te plaçant non pas certes au-dessus de toi l’attention requise, de peindre l’homme, sera sans doute amené (ce serait illusoire), mais à côté et en-dessous de toi, de à constater (à condition d’avoir fait sa connaissance de façon sorte que tu puisses te contempler non pas de haut, mais Ödön von Horváth appelait sa pièce une petite danse de mort. Il l’écrivit en 1932. Sa création, dans une mise en scène de Hans Hilpert, fut interdite par les nazis en 1933. Elle eut finalement lieu quatre ans plus tard sous le titre de Liebe, Pflicht und Hoffnung (« amour, devoir et espérance »). Comme toutes les pièces de Horváth, elle fut écrite dans l’entre-deux-guerres. À la fin, une jeune femme s’est suicidée et les hommes partent pour le défilé. Une jeune femme est menée à la mort par une société d’hommes d’ores et déjà prête pour une nouvelle guerre. À ces hommes, elle propose d’abord son cadavre, puis des soutiens-gorge. Elle est poussée à l’illégalité. Elle échoue sans s’en rendre compte, pas à pas, à force de se heurter aux « paragraphes imprimés en petits caractères » que contrairement à elle les préparateurs, les officiers judiciaires et les policiers maîtrisent si bien. directe) que l’expression de ses sentiments est empruntée, tout de même de devant, de derrière, de côté et d’en bas !... c’est-à-dire : faussée, minimisée, masochistement avide de La Foi, l’amour, l’espérance – chacune de mes pièces pour- compassion, sans doute en raison d’une indolence feinte rait s’appeler ainsi. À chacune de mes pièces j’aurais pu mais valorisante… quiconque cherche donc honnêtement mettre ce passage de la bible en exergue : à peindre l’homme, peindra toujours seulement des images réfléchies, et je m’empresse de préciser à cet endroit : «Yahvé respira l’agréable odeur et se dit en lui-même : «Je jamais je n’ai peint, jamais je ne peindrai des images réflé- ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce chies facétieuses, car je regrette toute parodie. que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance ; plus jamais je ne frapperai tous les vivants Comme dans toutes mes pièces, cette fois encore j’ai tenté comme je l’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et d’aller sans égards contre la bêtise et le mensonge ; cette moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne brutalité représente peut-être l’aspect le plus noble de la cesseront plus.» tâche d’un homme de lettres qui se plaît à croire parfois qu’il écrit pour que les gens se reconnaissent eux-mêmes. Ödön von Horváth (cité et traduit par Heinz Schwarzinger in Repères biographiques, Christian Bourgois, 1988, pp. 61-62). © Walter Mair <Christoph Marthaler est> peut-être, avec Martin Kušej, le plus subtil des exégètes de Horváth dans le théâtre contemporain. […] Marthaler élève cette «petite danse de mort», traitée avec une fantaisie scénique débordante, aux dimensions d’une de ces pièces médiévales de «Jugement Dernier» où le monde comparaît devant le tribunal de Dieu – une version ici sécularisée, ironico-sceptique, et qui ne vaut pas seulement pour les années 1930 du XXe siècle. Pour y parvenir, il brise d’une part le texte standard au moyen de répétitions, de fragmentations, d’effets de miroir, tout en introduisant d’autre part sur scène des passages tirés d’autres œuvres de Horváth, qui tiennent lieu en quelque sorte de métatexte. Au début, des messieurs très honorables célèbrent le succès de leur 27e Congrès pour la Lutte contre la Traite des Blanches (une scène extraite du fragment Le Congrès) ; à la fin, c’est la vision d’avenir d’une Arcadie aussi idyllique qu’hypocrite qui est invoquée (tirée de Vers les Cieux) ; on y jouit paisiblement de l’existence non plus dans le cadre d’un système étatique, mais au sein d’une «association chorale». Et entre début et fin, dans une pluie de trouvailles bizarres, énigmatiques, poétiques, Marthaler déploie un tohu-bohu de figures typiquement horvathiennes : beaufs médiocres, parfois tout bonnement hilarants, et d’une honnêteté catastrophique. […] En somme : […] une nouvelle interprétation de Horváth pleine d’originalité et prenant le poète au mot, avec une troupe tout simplement formidable. Hilde Haider-Pregler, Wiener Zeitung, 15 juin 2012 © Walter Mair Dans les textes de Horváth, les répliques et les événements ont toujours une double valeur. Telle action peut être la métaphore de telle autre chose. Quand Élisabeth, au cours du premier tableau, propose à l’Institut Anatomique sa future dépouille mortuaire, la scène est chargée de significations sexuelles et historiques. Les métaphores funèbres qui hantent la pièce ne concernent pas seulement la mort de l’individu. Lorsqu’Élisabeth se tient devant des portes fermées, on entend dès le premier tableau, à en croire une didascalie, la marche funèbre de Chopin. L’intrigue commence au printemps et s’achève à l’automne. Si le policier tombe amoureux d’Élisabeth, c’est parce que son visage lui rappelle « une défunte bien-aimée », et c’est un bouquet d’asters1 qu’il offre à sa fiancée. Tandis qu’ils font connaissance, quelqu’un est abattu au cours de la guerre civile qui sous-tend l’action. Le baron est en deuil et porte une fleur pour le marquer. Il a tué une femme ; son meurtre est couvert par la police et par les préparateurs anatomiques. La fatalité qui préside aux tableaux permet d’anticiper quel sort est réservé à Élisabeth et à tant d’autres. Derrière la porte de l’Institut d’Anatomie gisent les corps et les fragments de corps, « les doigts et les gorges, disséminés ici et là, que c’en est un vrai plaisir. » Derrière la porte du magasin de lingerie dont Élisabeth s’enfuit et s’enfuit encore, les mannequins sans vêtements attendent, pareils à des cadavres nus. Devant le bureau des services sociaux, les invalides et les chômeurs, tous ceux qui on ne sait trop comment vivotent encore, sont repoussés. Derrière la façade des institutions qui organisent l’exclusion d’Élisabeth, on devine les cadavres de la guerre à venir, du massacre en masse de tous ceux qui se retrouvent enfermés dehors. Cette guerre-là, Horváth ne l’a pas connue. Il a décrit l’ignominie quotidienne des futurs morts, le caractère dérangeant, inquiétant, de l’activisme militant d’une société qui a déjà ouvert une première brèche dans la civilisation. Une autre chaîne thématique qui traverse le texte est celle de l’animal, qu’il soit exposé, mort, ou domestiqué. Horváth s’appuie sur son étonnant intérêt pour les animaux en vue de thématiser un autre trait dérangeant de son époque : la catégorisation et la hiérarchisation des espèces, le mépris et la mise à l’écart de l’autre, de l’étranger, du sans-valeur ou prétendu tel. Le préparateur invite Élisabeth à voir son terrarium ; il possède aussi un aquarium et une collection de papillons. Dans la première version de sa pièce, Horváth expédie ses personnages au zoo, où ils rendent visite à des antilopes africaines, à des hyènes, à des singes. Dans Casimir et Caroline, l’on trouvait déjà exposés – de façon plus nette – des spécimens d’humanité tératologique et des « négresses à plateau ». Dans Glaube Liebe Hoffnung, la jeune femme est comparée à des bêtes exotiques, traitée en insecte, rabaissée, ravalée au rang d’objet sexuel par les hommes. Horváth n’a pas vécu assez longtemps pour voir sur quoi débouchait cette classification hiérarchisante, à prétention apparemment objective, des formes de vie – mais il l’a pressenti, et il l’a exprimé en posant certains thèmes, en traçant certains rapports entre images. Élisabeth veut vivre, comme toutes les figures de femme que Horváth a inventées dans ses pièces de théâtre ou dans ses textes en prose, et auxquelles il accorde toute sa sympathie. Elle est peut-être la femme la plus tragique, celle qui se heurte au destin, lui oppose ses revendications, et perd la partie. La femme active professionnellement, celle qui se fixe pour but une vie meilleure, qui travaille dans un bureau ou dans une usine, comme employée de maison voire comme vendeuse de soutien-gorge, qui vit seule, se veut indépendante, et cherche avec plus ou moins de talent à saisir sa chance. Du point de vue sociologique, les jeunes femmes qui cherchaient sans aucun appui familial à se faire une place sur le marché du travail constituaient encore dans l’entre-deux-guerres un phénomène relativement nouveau. Ces femmes-là sont sobres, elles savent ce qu’il en est, elles ne sont pas sentimentales. « Elle ne voulait pas être nostalgique et quand il lui arrivait de l’être quand même, tout lui semblait insipide », écrit Horváth à propos de mademoiselle Pollinger. Si Caroline perd son compagnon au chômage parmi les baraques de la Fête de la Bière, c’est parce qu’elle voudrait bien se donner les moyens de « voir l’avenir en rose ». Marianne, dans les Légendes de la forêt viennoise, est une jeune femme « perdue » ; Christine, dans Le Belvédère (qui se trouve face à une machine masculine analogue, en moins dangereux, à celle à laquelle se heurte Élisabeth), prend la résolution de partir. Elle est la seule qui ait la possibilité de s’émanciper. Le kitsch caractérise nombre de ces femmes, non moins que l’enfant illégitime et la pauvreté. Elles ne veulent pas se prostituer et cependant se voient contraintes, si elles veulent survivre, de s’offrir quand même aux hommes d’une façon ou d’une autre. Élisabeth est de toutes la plus tragique. Le kitsch, elle ne connaît pas. Elle voit clair à travers son aliénation avec une lucidité de sismographe. Elle est aussi de toutes ces jeunes femmes celle qui est le plus constamment sexualisée. Elle propose aux préparateurs son corps mort, rend visite au préparateur dans son terrarium, vend des dessous affriolants, passe une nuit avec un monsieur dans une grange, décline les offres du baron mais croit pouvoir survivre aux côtés d’un policier amoureux. Les hommes, eux, sont solidement sanglés dans leurs hiérarchies et leurs carrières. Le policier trahit ses sentiments, qu’il sacrifie à sa carrière. Horváth donne à voir, dans son fonctionnement bureaucratique et économique, dans ses rouages de pouvoir et de violence, une société d’hommes qui fait de la mort – et par-delà la mort d’une exclue, de la guerre même – un objet sexuel. Stefanie Carp 1 En allemand : Herbstastern, litt. « asters d’automne » (n. d. t.) 10 LA BARQUE LE SOIR 11 27 septembre - 3 novembre 2012 Berthier 17e LA BARQUE LE SOIR de Tarjei Vesaas mise en scène Claude Régy création traduction Régis Boyer scénographie Sallahdyn Khatir lumière Rémi Godfroy vidéo Erwan Huon son Philippe Cachia avec Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian avec le Festival d’Automne à Paris production Les Ateliers Contemporains Odéon-Théâtre de l’Europe Festival d’Automne à Paris Centre Dramatique National d’Orléans-Loiret-Centre Théâtre National de Toulouse MidiPyrénées (avec le Théâtre Garonne) La Comédie de Reims à lire La Barque le soir de Tarjei Vesaas, traduit par Régis Boyer, José Corti, 2002 (réédition prévue en septembre 2012). Dans le désordre de Claude Régy, Actes Sud, « Le temps du théâtre », 2011. Claude Régy © Benjamin Luc Bondy Chelly La voie du manque entretien avec Claude Régy Après Brume de Dieu, pièce tirée du roman Les Oiseaux, vous poursuivez votre exploration de l’écriture de Tarjei Vesaas avec La Barque le soir. D’où est venu le désir de prolonger votre travail sur Vesaas ? La lecture de La Barque le soir m’a beaucoup frappé. L’écriture y est très différente de celle de ses romans antérieurs. D’œuvre en œuvre, l’écriture de Vesaas n’a cessé de se chercher, de se transformer ; elle ne s’est jamais fossilisée dans un « style ». On a l’impression que pour lui, chaque œuvre nécessitait l’invention d’une nouvelle langue. La Barque le soir est son dernier livre, et là, il atteint l’épure. Je crois que c’est cette avancée qui m’a donné envie de poursuivre, d’essayer moi aussi – avec lui – d’aller plus loin. Ce qui m’a convoqué en premier lieu dans La Barque le soir, c’est le caractère de l’écriture – pleine de sautes, de soubresauts. Ce caractère fragmentaire se manifeste aussi bien au niveau du livre lui-même – composé de textes juxtaposés – que dans le rythme des phrases et le rapport des images. Pour lire Vesaas, il faut accepter de se perdre, attendre que se perçoivent les fils par quoi les choses se raccordent. Ce qui est surprenant, c’est que Vesaas donne à ce livre le nom de « roman », alors que formellement, on dirait plutôt des nouvelles : ce sont des morceaux de souvenirs personnels, une traversée de son être par éclats, qui parvient à toucher quelque chose d’un au-delà de l’inconscient. Je crois que Lacan parlait d’une région au-delà de l’inconscient qui resterait un mystère. C’est de cette région-là que Vesaas s’occupe – cherchant à en laisser affleurer quelque chose dans ses mots. Dans La Barque le soir, l’écriture se fait extrêmement secrète, elle va plus loin que jamais dans l’exploration des régions enfouies de l’être. Ce qui m’a frappé également, c’est le refus d’opposer les contraires. Rien n’est univoque. Les choses s’inversent sans cesse. Dans le texte que j’ai choisi de traiter, Voguer parmi les miroirs – il est issu du livre La Barque le soir – on suit une conscience qui coule, qui touche le fond – on est emporté avec elle, happé par une force qui nous précipite dans une eau sombre, asphyxiante... Mais, sans que l’on sache comment, un courant finit par faire remonter l’homme à la surface, où il s’accroche à un tronc d’arbre qui flotte là. Vesaas invente alors une navigation étrange, entre deux eaux : la dérive d’un être qui n’est plus tout à fait conscient – qui est qualifié de « demi-mort ». Une vie à peine maintenue hors de la mort... C’est cet état ambigu, qui m’a attiré, fait de mort et de vie, d’obscurité et de lumière, unifiant le fond et la surface. Toujours entre. L’individu anonyme qui dérive ainsi n’a plus de forces, sa conscience erre de sensation en sensation, entrevoit des lumières, entend des bruits. Sa parole même est perdue : à un moment, il entend un chien, et il en vient à lui répondre en aboyant. Même à cet endroit – celui du langage – le texte des- sine une frontière vacillante entre l’humain et l’animal, le silence et la parole... Cet état qui intéresse Vesaas produit une béance du sujet : à mesure que la conscience rationnelle s’amenuise, l’univers perceptif s’élargit à un monde parallèle fait de reflets, d’illusions... Oui, le noyé plus ou moins rescapé a des visions, il entend des bruits. Il bascule entièrement du côté de l’imaginaire. L’écriture cherche à restituer ce passage très fragile entre « l’imaginaire pur » et ce qu’on appelle le réel, ou entre la « normalité » et ce qu’on appelle la folie. En effet, comme dans Les Oiseaux, on retrouve là – à un autre niveau, moins lisible, plus enfoui – cette friabilité qui m’intéresse beaucoup entre la maladie mentale et l’état dit «normal » de l’esprit, ce qu’on appelle la normalité. Cette frontière, il s’agit de la faire vibrer : la conscience vacille au bord de l’hallucination. Dans l’univers de Vesaas, on a souvent le sentiment d’être à la lisière entre un « être-là » des choses, une présence obsédante de la réalité, et la tension vers un au-delà, comme un horizon inatteignable. Oui, un au-delà : on pourrait parler d’un au-delà du langage, mais on pourrait presque dire un au-delà de tout. À partir d’un monde apparemment simple, Vesaas nous renvoie à la part la plus indéchiffrable de nous-mêmes. L’état prolongé d’extrême proximité avec la mort – dépeint dans ce texte – permet d’approcher quelque chose comme un secret absolu – à la frontière du connu et de l’inconnu. En dilatant les bords de la vie, Vesaas nous fait entrevoir ce qui reste habituellement invisible. Du coup, c’est une exploration tout à fait unique à laquelle je convie les spectateurs. Bien entendu, il faut que les spectateurs désirent vivre cette expérience – qui ne sera pas de l’ordre de l’agrément ou du divertissement, mais de la recherche : en essayant de comprendre comment l’écriture se fait, s’invente, se régénère, le spectateur est invité à écrire lui-même une part de l’œuvre. J’espère qu’à partir de choses qui ont l’air très personnelles à l’étrange navigateur, des recoupements auront lieu, des correspondances avec nos vies, la complexité de notre nature. Ce qui est frappant dans cette écriture, c’est que les correspondances que vous évoquez émergent par les liens manquants, par les vides. Oui, c’est très important, il faut insister là-dessus. C’est une écriture qui repose sur le manque. Cela m’attire parce que je pense faire un théâtre fondé sur le manque. Selon moi, il faut qu’il y ait un manque dans la représentation pour toucher à la réalité du théâtre. La question est : comment représenter, comment transmettre quelque chose si on se prive des moyens de la représentation ? J’ai envie de répondre : en se privant des moyens habituels de la communication, Vesaas invente une voie d’expression tout à fait unique, une voie que j’aimerais emprunter à mon tour. Brume de Dieu était un monologue, pour lequel vous aviez extrait un fragment du roman Les Oiseaux. Comment avez-vous procédé avec La Barque le soir, et quel rapport au texte s’en dégage ? Le travail des gens de théâtre – qu’ils soient acteurs, metteurs en scène, scénographes, créateurs lumière – porte essentiellement sur les différents niveaux imaginaires du texte, sur la manière de les révéler, de les faire entendre. Mais en creusant la matière de La Barque le soir je me suis aperçu que le théâtre exigeait de ne pas épuiser les facultés réceptives et créatives du spectateur. J’ai donc décidé de procéder à une sorte d’adaptation, qui s’est faite progressivement, par étapes. Pour qu’il soit possible d’entrer dans cette écriture, une brièveté relative du texte est tout à fait essentielle. La beauté du spectacle se manifeste à partir du texte, mais pour aller au-delà – dans les manques, les blancs, les silences. Il faut rétablir ce temps de non-écriture, ce temps où on « parle avec le silence » ; réussir à créer les conditions nécessaires pour que les mots préparent le terrain à « un silence qui parle ». D’où la nécessité de faire des syncopes, d’opérer des coupes, d’accentuer l’expression par le silence. C’est un aspect que soulève Régis Boyer, le traducteur de Tarjei Vesaas : les peuples scandinaves ont un rapport très particulier au silence. Ils peuvent rester ensemble des jours entiers sans qu’une parole ne soit dite. Pour eux, le silence est une forme de langage. Comme dirait Henri Meschonnic, ce n’est pas un « arrêt » du langage, mais bien une catégorie à part entière du langage. Cela peut paraître très théorique, mais c’est pourtant un aspect que l’on peut éprouver matériellement, physiquement au théâtre. Le travail du texte concerne trop souvent le débit, la virtuosité, le jeu, l’agitation – ce que certains appellent le rythme, mais qu’ils confondent avec la vitesse... On a pu se moquer dans mon travail de cette extrême lenteur, de ce goût du silence. Pour ma part, j’ai choisi d’être du côté de la non-expression voire de la non-représentation, et de me servir essentiellement de la lumière, du son, du texte – donc de l’acteur – et du silence. Régis Boyer cite cette autre belle phrase de Vesaas : « à qui parlons-nous lorsque nous nous taisons ? » J’entends là, secrètement, une analogie avec votre travail théâtral. À la fois un silence qui parle, et une adresse indécise. Je crois que le silence a une force très grande. Je ne peux travailler que dans le silence. Il est très important que les gens qui sont là, avec moi, ne fassent pas de bruit, qu’il n’y ait pas 12 de conversations. Pour Brume de Dieu, j’avais même demandé aux ouvreurs et aux ouvreuses d’obtenir le silence avant que la représentation ne commence. C’est une véritable préparation au spectacle. Si les spectateurs abandonnent le brouhaha de la vie quotidienne, les problèmes qui les agitent, je pense qu’ils peuvent pénétrer beaucoup plus profondément dans l’univers de Vesaas. Je ne voudrais pas que cela paraisse abusif ; c’est plutôt un sas permettant de véritablement écouter : écouter ce langage qui, par des bribes, exprime des pans entiers de l’être. À propos de silence, le jeu de l’acteur dans Brume de Dieu était très radical : on avait l’impression qu’il arrachait chaque mot au silence, à l’issue d’un effort presque surhumain. Brume de Dieu a été un processus très particulier. En un sens, le jeune acteur avec lequel j’ai travaillé, Laurent Cazanave, m’a dépassé dans la lenteur. En l’écoutant, j’ai d’abord pensé que ce débit serait insupportable, que l’on cesserait de comprendre. Et petit à petit, je me suis laissé imprégner, et je l’ai laissé travailler à son propre rythme. Je crois qu’il a senti d’instinct que s’il disait le texte autrement, il risquait de le massacrer, c’est-à-dire de ne pas laisser s’exprimer ce qui y est déposé – qui ne remonte à la surface qu’à condition de n’opposer aucune résistance. C’est une indication majeure que je lui ai donnée : au lieu de vouloir faire, se laisser traverser. Laisser faire les mots, le rythme, les sons, ne pas essayer à tout prix « d’avoir des idées ». C’est une chose que Jon Fosse – lui-même disciple de Vesaas, et que j’ai plusieurs fois mis en scène – explique très bien : l’essentiel, lorsqu’on se met à sa table de travail pour écrire, c’est d’écouter. Ne surtout pas chercher à remplir. Jon Fosse ajoute que le metteur en scène, comme l’écrivain, doit écouter avant d’agir – ainsi que l’acteur. C’est une très grande leçon de théâtre. Remplacer l’activité par la passivité. Reconnaître une vertu créatrice à la passivité. Laisser des choses arriver, se condenser, se manifester. Pour La Barque le soir, vous avez décidé de travailler avec plusieurs acteurs. Comment se manifeste cette pluralité : allez-vous travailler à la manière d’une structure chorale, faisant ressortir différents niveaux d’interprétation du texte ? Non. À vrai dire, les autres acteurs seront des présences muettes, ayant valeur de signes : des démultiplications du sujet qui parle – mais aussi des démultiplications des spectateurs ou des lecteurs. Pour moi, cela signifie que le travail se fait à plusieurs, qu’il est tramé d’échos atteignant une collectivité. Ces acteurs, on peut les voir comme une sorte de Chœur muet, un Chœur de reflets en miroir. Par ailleurs, je voudrais travailler aussi avec des images. Ce ne seront pas des images fixes, réalistes, mais des images flottantes, non reconnaissables, construisant une sorte de monde sous-marin où des formes apparaissent et se transforment ; comme un écho au texte, où l’on ne sait jamais si ce qui se produit est réel, imaginaire, halluciné... 13 Tout le texte est fondé sur un état semi-conscient, proche du sommeil, peuplé de processus inconscients. J’aimerais que le public sorte du spectacle en ayant l’impression d’avoir rêvé. Quand nous nous souvenons de nos rêves – sans savoir si le souvenir est exact ou déformé – c’est souvent avec étonnement, avec l’impression que ces images nous sont étrangères. Il y a en nous un être sans manifestations tangibles, visibles. Tout l’enjeu du théâtre est de se laisser aller à l’écoute de cet être. Cet être au-delà du conscient, Henri Michaux l’appelait le «lobe à monstres »... C’est une belle expression. Je voudrais créer un univers qui évoque la possibilité de monstres intérieurs. Après le travail avec Laurent Cazanave sur Brume de Dieu, comment avez-vous choisi l’acteur pour La Barque le soir ? Il s’agit de Yann Boudaud, un acteur qui a travaillé avec moi pendant six ans – par exemple dans La Mort de Tintagiles, Holocauste, Mélancholia, Quelqu’un va venir. L’écriture de Vesaas, qu’il ne connaissait pas, l’a énormément attiré. Nous avons commencé à explorer le texte ensemble avec plus d’un an d’avance. Laurent Cazanave © D. R. BRUME DE DIEU un film d’Alexandre Barry Lundi 22 octobre 2012 à 20h Cinéma Nouvel Odéon BRUME DE DIEU d’après Les Oiseaux de Tarjei Vesaas un film d'Alexandre Barry On a souvent le sentiment en lisant cette écriture que quelque chose d’imminent se prépare – un événement «presque-là », qui ne cesse de vouloir se manifester sans jamais « arriver ». Ce sentiment me semble assez proche de votre manière d’aborder la scène comme un horizon : une approche sans finalité, dont le but resterait voilé... Oui, la thématique de l’approche – quel que soit le nom donné à ce que l’on approche. La sensation de se trouver au seuil. À la bordure des choses. Il y a une phrase dans Les Oiseaux qui, pour moi, incarne ce flottement, cette lisière : « il entrevit quelque chose qu’il ne comprenait absolument pas ». Il entrevit – toujours prudent – quelque chose – c’est très vague – qu’il ne comprenait absolument pas. Je l’interprète comme l’idée qu’il peut y avoir une perception au-delà de la compréhension. Il me semble que la volonté de sens à tout prix limite la perception. Ce qu’on ne comprend pas, malgré tout, parle et nous dit quelque chose. C’est par la fréquentation de l’inconnu qu’on peut ouvrir certaines portes dont on n’avait pas forcément conscience. Si les spectateurs ne comprennent pas tout dès les cinq premières minutes, ce n’est pas grave. Il faut apprendre la patience. Dans une période de retour à l’amusement, ou à une violence exacerbée, il me paraît très important de ménager des espaces où rien n’est donné à l’avance. Des espaces où le non-résolu prédomine. Des espaces où le public demeure dans une possibilité d’imagination personnelle. Propos recueillis par Gilles Amalvi pour le Festival d'Automne à Paris réalisé à partir de la mise en scène de Claude Régy, Brume de Dieu, créée le 9 novembre 2010 au Théâtre National de Bretagne – Rennes avec Laurent Cazanave Claude Régy a toujours farouchement interdit toute captation de son travail. Parce qu’il sait mieux que personne que la matière de son travail est invisible, parce qu’il sent mieux que quiconque que l’impalpable de la représentation et les courants souterrains qui la traversent ne peuvent exister dans un espace qui serait réduit à celui d’une boîte de télévision. Parce qu’il croit encore au suprême échange du contact vivant, à la circulation de la vie entre des êtres situés dans un même espace, celui de l’expérience de la représentation. durée 95 mn production LGM Télévision en coproduction avec M-Media, les Ateliers Contemporains, avec le soutien du Ministère de la Culture et du Centre National du Cinéma rencontre à l'issue de la projection avec Claude Régy et Alexandre Barry, animée par Daniel Loayza Nouvel Odéon 6 rue de l’École de Médecine, Paris 6e 01 46 33 43 71 Tarifs 9,50€ 7,50€ pour les abonnés de l’Odéon Tarjei Vesaas © Aage Storløkken / Aktuell / NTB scanpix Et peut-être parce qu’au-delà de tout, l’idée qu’une création par définition éphémère puisse être mise en conserve lui a toujours semblé sacrilège, voire indécente. Pourtant, une fois, il a dérogé à cette règle à l’occasion d’un film que j’ai réalisé sur et avec lui, Claude Régy, la brûlure du monde (2005). Pour ce portrait, il m’a autorisé, en toute liberté, à filmer des extraits de Comme un chant de David, spectacle créé à partir des Psaumes, avec Valérie Dréville. Spectacle pour lequel je l’avais assisté, pendant plusieurs mois de répétitions, pour la mise en scène. En découvrant les images nous avons senti, ensemble, qu’aux antipodes de la captation télévisuelle, il était possible d’inventer une manière de restituer, pour l’image, un travail élaboré pour le plateau. Et que pour cela, il fallait chercher comment, avec les moyens du cinéma, transposer la matière vivante en une matière filmique sans en altérer le souffle. S’interroger donc, chercher, non pas capter, mais recréer. Conditions sine qua non pour ne rien trahir. Sur les images de ce film, sans qu’on puisse l’expliquer, comme une grâce, sur le visage de Valérie Dréville cadré en plan très rapproché se lisait l’intégralité du spectacle. On sait que Claude Régy axe son travail sur le jeu de l’acteur en le menant vers des contrées inexplorées de l’être, loin du réalisme psychologique et du naturalisme conventionnel. On ignorait que sa recherche sur la théâtralité du langage, de l’espace et de la lumière pouvait aussi, en condensé frémissant, se refléter dans un regard, une main qui s’élève ou le silence qui entoure un corps immobile. C’est cette expérience qui nous a amenés à imaginer un film qui serait issu du spectacle Brume de Dieu. C’est surtout parce qu’en découvrant la maquette de l’espace scénographique et les premières recherches sur la nature de la lumière, il m’a semblé évident qu’il fallait entreprendre un film. Le premier et sans doute le seul qui restituerait l’intégralité d’un travail de Régy. Le spectacle créé par Claude Régy est constitué d’un dispositif scénographique de douze mètres d’ouverture. Un espace à la fois brut et extrêmement élaboré, sol de verre noir évoquant les eaux profondes d’un lac dont les reflets laissent entrevoir la possibilité d’une autre réalité, obscure et sans fond, celle d’une autre conscience et d’un autre rapport au monde. Des murs latéraux de pierres, clairs, condensent cet espace et le propulsent dans une perspective infinie, irréelle qui se perd dans l’éclat de son propre reflet. Un espace mental, peut-être, où la lumière et l’obscurité se mêlent sans s’altérer. Un cadre de scène très bas, noir, vient découper nettement l’image et en accentuer la profondeur. L’écran est large, le format extrêmement cinématogra- phique. L’acteur traverse cet espace comme on franchit les membranes de ténèbres invisibles pour venir se fixer à l’avant-scène. Et sur l’image une autre dimension apparaît. L’espace devient alors la chambre d’échos d’une conscience en mouvements. C’est ce contact extrêmement rapproché du spectateur avec l’acteur qui permet la transmission de la matière de l’écriture et qui fait du visage de l’acteur une table de lecture où peuvent se lire les mouvements intérieurs, ceux, infimes, de la conscience. Un visage devenu paysage et qui va se perdre lui aussi dans d’autres paysages, ceux que la lumière va créer dans cet espace sans limite du dispositif. Ces paysages de lumières aux intensités et aux couleurs mouvantes envahissent le corps et le visage de l’acteur jusqu'à en effacer parfois les contours, ne laissant apparaître alors qu’une présence lumineuse, traversée de reflets et de rémanences. Le centre du film c’est donc la mise en scène de Claude Régy. C’est aussi une rencontre à plusieurs, celle de Claude avec le poète Tarjei Vesaas, rencontre comme une évidence. Puis, la rencontre de cette évidence avec l’acteur Laurent Cazanave ; Claude Régy poursuivant avec lui un travail de recherche engagé il y a quelques années dans le cadre d’un atelier de formation. Le film à été imaginé comme la fusion d’un immense metteur en scène au sommet de son art et la poésie bouleversante d’un géant de la sensation. Comme la surimpression de leurs sensibilités mêlées, radicales dans un chaos limpide. Comme un rêve de cinéma. Alexandre Barry 14 15 Tournées LA BARQUE LE SOIR Devenez mécène de l’Odéon Abonnements Formule de rentrée Le Cercle de l’Odéon rassemble des spectateurs passionnés de théâtre, désireux de se retrouver autour d’un des Notre programmation a d’ores et déjà remporté un très vif succès, 9 500 abonnements ayant été souscrits avant l’été. Certains spectacles (principalement les séries courtes en langue étrangère) sont désormais complets. D’autres, et non des moindres, ont été programmés sur des durées assez longues afin de satisfaire les dernières demandes. Nous vous proposons une Formule de rentrée regroupant 4 spectacles : 18 octobre - 23 décembre 2012 / Odéon 6e 22 mars - 5 mai 2013 / Odéon 6e LE RETOUR création LE PRIX MARTIN création de Harold Pinter – mise en scène Luc Bondy d’Eugène Labiche – mise en scène Peter Stein avec Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, avec Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani, Jérôme Kircher, Micha Lescot, Emmanuelle Seigner Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes, Il suffit d’entrer chez Pinter pour passer dans un autre monde, Laurent Stocker, Jacques Weber au verso de nous-mêmes, du côté de notre part secrète, en un Ferdinand Martin et Agénor Montgommier jouent au bésigue, point où se rejoignent le rêve et l’insomnie. Voyez Le Retour, qui paisiblement, comme à leur habitude. Les deux vieux amis sont s’ouvre sur le silence d’un individu lisant le journal. En quelques aussi inséparables que Bouvard et Pécuchet. Bien entendu, il scènes, ce trompe-l’œil va devenir une toile de Lucian Freud ou de y a un hic : Ferdinand est marié, et Agénor trompe Ferdinand. Francis Bacon – « une île de la solitude », dit Luc Bondy – et cela Quoique à vrai dire, il se débarrasserait bien de Madame... La uniquement par le rapport des corps, le tranchant des paroles, la donnée paraît banale. Mais dès que Labiche a mis le feu aux foyers majeurs de la création européenne et de s’inscrire CERCLE D E L’OD ON du 13 au 24 novembre 2012 Théâtre National de Toulouse (avec le Théâtre Garonne) du 5 au 8 décembre 2012 Comédie de Reims du 18 au 25 janvier 2013 CDDB Théâtre de Lorient du 6 au 15 février 2013 Centre Dramatique National Orléans-Loiret-Centre activement dans l’histoire de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. À travers leurs dons, les membres du Cercle réaffirment GLAUBE LIEBE HOFFNUNG Foi Amour Espérance l’importance de la création dans la société, participent au développement artistique de l’Odéon et soutiennent à partir du 27 septembre 2012 présenté et inscrit au répertoire de la Volksbühne de Berlin des actions innovantes à destination du public jeune ou éloigné de la culture. Tout au long de l’année, le Cercle de l’Odéon vous propose des événements autour de la programmation artistique du théâtre : rencontres avec les artistes et créateurs, visites Contact des coulisses, suivi du processus de création d’une pièce, Pauline Legros invitations à des soirées privées… 01 44 85 40 19 Devenez membre du Cercle de l’Odéon à partir de 200€ [email protected] (soit 68€ après déduction fiscale)*. Vous connaissez un proche que le théâtre passionne ou devrait passionner ? Offrez-lui donc l’Odéon : faites de lui un mécène ! * En vertu de la loi du 1er août 2003 en faveur du mécénat, les dons versés à l’Odéon donnent droit à une déduction fiscale pour les particuliers, à hauteur de 66 % du montant du don. charge d’une violence comprimée à l’extrême. À une telle parti- poudres, nos héros, arrachés au confort feutré de leur salon parition, il faut des interprètes qui sachent tenir les mille nuances sien, vont se retrouver engagés dans une sourde lutte à mort… d’un registre qui s’étend de la vague allusion à la menace la plus Une fois encore, le génie singulier de Labiche parvient à concilier précise, du sous-entendu presque anodin à l’attaque frontale. la critique sociale et une théâtralité toute en vitesse, coq-à-l’âne Pour aborder la subtile musique de chambre pintérienne, Bondy et tête-à-queue. Peter Stein est l’un de ses grands admirateurs. en a commandé une version nouvelle à un traducteur qui parle C’est avec lui, et à l’Odéon, qu’il a choisi de mettre en scène couramment tous les dialectes de la tension : Philippe Djian. pour la première fois du théâtre en langue française, quarante ans après sa création allemande de La Cagnotte. 10 janvier - 10 février 2013 / Odéon 6 e FIN DE PARTIE 22 mai - 29 juin 2013 / Odéon 6e de Samuel Beckett – mise en scène Alain Françon LE MISANTHROPE avec Serge Merlin, Gilles Privat, Michel Robin, de Molière – mise en scène Jean-François Sivadier Isabelle Sadoyan avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vin- « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » : par la grâce de cent Guédon, Anne-Lise Heimburger, Norah Krief, LA FÊTE DE L’INSTANT Luc Bondy cette extraordinaire réplique inaugurale, Fin de partie entre dans Christophe Ratandra, Christelle Tual Dialogues avec Georges Banu l’histoire du théâtre comme la goutte qui fait déborder un très D’ordinaire, Alceste est irritable. Aujourd’hui, il est irrité. Quelque vieux vase dramaturgique. Selon Roger Blin, Beckett « voyait Fin chose ou quelqu’un ne tourne plus très rond… Ce Misanthrope de partie comme un tableau de Mondrian». Analogie d’autant selon Sivadier est d’abord une mise en crise, du théâtre non plus intéressante que Beckett a puisé une part de son inspira- moins que de la société. Alceste est peut-être un malade, affligé tion dans l’univers des échecs. Cette vision qu’il avait de son à son insu d’un excès de bile noire. Mais la critique qu’il adresse œuvre comme abstraction soumise à des règles rigoureuses, à l’humanité n’est pas qu’un symptôme. Sivadier aime « l’étrand’ordre pictural ou logique, explique en partie qu’il en ait contrôlé geté de cette pièce très politique justement parce qu’elle a l’air de très près la création théâtrale. Ici plus qu’ailleurs, le passage de s’en tenir à la sphère privée ». Il aime aussi l’énergie sombre du livre au plateau est donc affaire d’exécution. Alain Françon, d’un héros où il voit « une part de chacun d’entre nous », éternelpareil à un chef recrutant minutieusement son orchestre, a réuni lement en guerre contre notre autre part : le très sociable Philinte, autour du texte des acteurs qui ont conféré à cette Fin de partie accommodant au risque de la compromission… Jean-François la force et l’évidence d’un classique. Sivadier et Nicolas Bouchaud se retrouvent avec d’autres com- Nouvelle édition revisitée Actes Sud~Papiers, Collection « Le temps du théâtre » La Fête de l’instant ou l’autoportrait de Luc Bondy, metteur en scène au carrefour du théâtre et de l’opéra, de la littérature et du cinéma. Célébré de Paris à Berlin et de Bruxelles à Salzbourg, ce « bohémien de luxe » témoigne à travers les dialogues avec Georges Banu de son aversion pour l’excès du théâtre et, polémiquement, affirme sa quête d’un « théâtre sans théâtre ». Théâtre réfractaire aux dogma- tismes de tous ordres qui laisse éclore la vérité des êtres, personnages et comédiens confondus. Le théâtre de l’apesanteur. Luc Bondy transporte d’un lieu à l’autre son « théâtre privé » où se retrouvent ensemble le grand-père de Prague et les personnages de Schnitzler, la passion du présent et le bonheur des futurs spectacles à venir. Ludique et inclassable, Luc Bondy décline son art à la première personne. De Michel Piccoli à Peter Stein, les témoignages de ses amis et partenaires, la plupart réunis par l’Académie Expérimentale des Théâtres, apportent ici des éclairages de l’inté-rieur sur Luc Bondy et son travail qui se dérobe à toute sécurité afin de s’accomplir sans appuis superflus et d’honorer en confiance la « fête de l’instant ». à paraître en septembre 2012 disponible en version numérique pagnons, dont Norah Krief, pour attaquer ensemble – une fois encore à l’Odéon – une nouvelle étape de leur périple théâtral. Formule de rentrée 88 € au lieu de 136 € (48 € pour les moins de 26 ans) Bulletin à télécharger sur theatre-odeon.eu à partir du 28 août 2012 Au sommaire de la Lettre de l'Odéon N°2 -Entretiensavec Philippe Djian, traducteur du Retour de Harold Pinter ; avec Grzegorz Jarzyna, metteur en scène de Nosferatu de Bram Stoker ; avec Anna Viebrock, scénographe des spectacles de Christoph Marthaler. -Exils, cycle de lectures et de rencontres avec de grands écrivains, animé par Paula Jacques. En partenariat avec France Inter. -Les Scènes imaginaires, portraits de grands metteurs en scène, et un cycle de rencontres philosophiques, proposé et animé par Raphaël Enthoven. En partenariat avec France Culture. 12 - 15 septembre / Odéon 6 e DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ Les Beaux Jours d’Aranjuez de Peter Handke mise en scène Luc Bondy 12/13 14 - 21 septembre / Berthier 17 e GLAUBE LIEBE HOFFNUNG Foi Amour Espérance d’Ödön von Horváth et Lukas Kristl mise en scène Christoph Marthaler Ouverture de la location DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ Les Beaux Jours d’Aranjuez GLAUBE LIEBE HOFFNUNG Foi Amour Espérance le mardi 28 août 2012 LA BARQUE LE SOIR le jeudi 6 septembre 2012 27 septembre - 3 novembre / Berthier 17 e LA BARQUE LE SOIR de Tarjei Vesaas mise en scène Claude Régy 18 octobre - 23 décembre / Odéon 6 e LE RETOUR de Harold Pinter mise en scène Luc Bondy 16 - 23 novembre / Berthier 17 e NOSFERATU d’après Dracula de Bram Stoker mise en scène Grzegorz Jarzyna 11 - 16 décembre / Berthier 17 e MEINE FAIRE DAME. EIN SPRACHLABOR My Fair Lady. Un laboratoire de langues mise en scène Christoph Marthaler 10 janvier - 10 février / Odéon 6 e FIN DE PARTIE de Samuel Beckett mise en scène Alain Françon 17 janvier - 3 mars / Berthier 17 e LA RÉUNIFICATION DES DEUX CORÉES une création théâtrale de Joël Pommerat 20 - 23 février / Odéon 6 e DER WEIBSTEUFEL Le Diable fait femme de Karl Schönherr mise en scène Martin Kušej 19 mars - 14 avril / Berthier 17 e JEUX DE CARTES 1: PIQUE d’Ex Machina mise en scène Robert Lepage 22 mars - 5 mai / Odéon 6 e LE PRIX MARTIN d’Eugène Labiche mise en scène Peter Stein Tarifs Théâtre de l’Odéon 34€ - 26€ - 16€ - 12€ - 6€ (séries 1, 2, 3, 4, debout) Ateliers Berthier de 6€ à 30€ Représentations du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi theatre-odeon.eu – 01 44 85 40 40 23 - 27 avril / Berthier 17 e couverture © Walter Mair / graphisme © Werner Jeker / Licence d’entrepreneur de spectacles 1039306 et 1039307 FRAGMENTE Fragments un projet de Lars Norén et Sofia Jupither 22 mai - 29 juin / Odéon 6 e LE MISANTHROPE de Molière mise en scène Jean-François Sivadier 23 mai - 29 juin / Berthier 17 e CENDRILLON une création théâtrale de Joël Pommerat Odéon 6 e EXILS cycle de lectures, en partenariat avec France Inter Odéon 6 e LES SCÈNES IMAGINAIRES ET RENCONTRES PHILOSOPHIQUES en partenariat avec France Culture Monsieur Pierre Bergé, AXA France et Dailymotion sont mécènes de la saison 2012-2013 Renseignements et location Par téléphone 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30 Par internet theatre-odeon.eu ; fnac.com ; theatreonline.com Au guichet du Théâtre de l’Odéon du lundi au samedi de 11h à 18h Contacts Abonnement individuel, jeune, et Carte Odéon 01 44 85 40 38 [email protected] Groupe d’adultes, groupe d’amis, associations, comité d’entreprise 01 44 85 40 37 [email protected] Groupe des publics jeunes de l’enseignement (Teatrio et Duo) 01 44 85 40 39 [email protected] Toute correspondance est à adresser à Odéon-Théâtre de l’Europe – 2 rue Corneille – 75006 Paris Théâtre de l’Odéon Place de l’Odéon Paris 6 e Métro Odéon RER B Luxembourg Ateliers Berthier 1 rue André Suarès (angle du Bd Berthier) Paris 17e 34 Bd Berthier Paris 17e (petite salle) Métro et RER C Porte de Clichy Salles accessibles aux personnes à mobilité réduite, nous prévenir impérativement au 01 44 85 40 37