ON OD Lettre N 1

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DIE SCHÖNEN TAGE
VON ARANJUEZ
Les Beaux Jours
d’Aranjuez
OD ON
Peter Handke – Luc Bondy
GLAUBE LIEBE
HOFFNUNG
Foi Amour
Espérance
Ödön von Horváth et Lukas Kristl – Christoph Marthaler
LA BARQUE
LE SOIR
Tarjei Vesaas – Claude Régy
o
Lettre N 1
Odéon-Théâtre de l’Europe
septembre 2012
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DIE SCHÖNEN TAGE
VON ARANJUEZ
Les Beaux Jours
d’Aranjuez
12 - 15 septembre 2012 / Odéon 6 e
DIE SCHÖNEN TAGE
VON ARANJUEZ
Les Beaux Jours d’Aranjuez
de Peter Handke
mise en scène Luc Bondy
en allemand, surtitré
scénographie
Amina Handke
costumes
Eva Dessecker
lumière
Dominique Bruguière
son
David Müllner
dramaturgie
Klaus Missbach
avec
Dörte Lyssewski et Jens Harzer
production
Wiener Festwochen
Burgtheater – Vienne
créé le 15 mai 2012
aux Wiener Festwochen
à lire Les Beaux Jours d’Aranjuez.
Un dialogue d’été de Peter Handke,
version originale française de l’auteur,
Le Bruit du temps, 2012.
Les Beaux Jours d'Aranjuez est une partition, dit Luc Bondy, au fil de laquelle on peut se laisser porter comme par une rivière – et puis que l’on peut reprendre encore et encore, pour en
découvrir sans cesse d’autres méandres et de nouvelles harmonies. Toute la pièce est traversée de tensions discrètes et changeantes. Non seulement entre lecture et spectacle (comme
toute œuvre théâtrale, Aranjuez naît de l’écart entre être lu et être vu) mais aussi entre les
deux langues de son écriture. Ou entre les pays qui s’y donnent rendez-vous, de l’Espagne
à l’Allemagne. Entre temps de l’action, urbain, brutal, mécanique, et temps du loisir auprès
d’arbres invisibles et sous un ciel rayé d’oiseaux. Et bien entendu, entre «l’homme» et
«la femme» qui conduisent leur échange dense et léger à la fois, simple et complexe,
improvisé et secrètement préparé, tenant de l’interrogatoire, du poème, de la confession, de la parade séductrice ou guerrière – et parfois du théâtre, évidemment. Ce
moment suspendu au creux de l’été est-il pareil à une trêve unique et fragile où plutôt à une fête ? Le dialogue se déploie-t-il sur fond de complicité amicale ou d’irrémédiable malentendu amoureux ? Ces deux voix masculine et féminine se répondent-elles,
restent-elles à jamais à l’écart l’une de l’autre, ou finissent-elles par se rejoindre en un
certain point mystérieux, précisément à force de rester parallèles ? Dörte Lyssewski et
Jens Harzer font mieux que répondre à ces questions. En grands interprètes qu’ils sont,
ils les aiguisent, les incarnent et sous nos yeux, passant à chaque seconde d’un pôle à
l’autre, ne cessent intensément de les mettre en jeu.
Comme un jardin à l’abri du monde :
entretien avec Luc Bondy
Le discours amoureux est aujourd’hui d’une extrême solitude. Roland Barthes
Comment entre-t-on dans un texte
comme Les Beaux Jours d’Aranjuez ?
© Ruth Walz
vagues du sang dans le corps, mais
c’est aussi le mouvement qui fait
avancer les vagues du récit, phrase
après phrase, musicalement. Et à un
Il y a d’abord l’approche du lecteur. À
moment, cet aller-retour, ce balancier
première vue, tout paraît simple. En
tout cas, le cadre est bien tracé : un jar- qui conduit jusqu’à la première extase
devient aussi ce que la femme appelle
din, une terrasse, une table en été. Dans
les «mouvements d’une autre balance cadre, un homme et une femme se
çoire», et qui la portent de l’effroi à la
parlent. À première vue, il ne se passe
douceur, puis de nouveau à l’effroi, et
pas grand-chose. Cela ne « se » passe
ainsi de suite. Donc, ça circule, ça se
pas, cela passe. Et ce qui passe, c’est
le vent dans les branches, ce sont des
propage comme des ondes, du dehors
buses ou des milans dans le ciel, un
vers le dedans, ou du corps vers l’âme
rouge-gorge qui se pose sur l’herbe. Et – pour le dire vite, parce que justement,
parfois des pensées passent comme
si ça se propage ainsi de l’un à l’autre,
cela, elles aussi, dans la conversa- c’est que le «corps» et l’«âme» sont
tion : comme des souffles, ou comme
noués de façon spéciale et ne se laisdes oiseaux. C’est très délicat, atmos- sent plus distinguer aussi simplement.
phérique. À la lecture, en tête-à-tête
Et ça passe aussi d’un instant donné,
avec le livre, c’est superbe, la touche
d’un incident singulier, à une perspecde Handke est légère, pleine de sug- tive plus large, celle d’une expérience
gestion, glissant sans jamais peser… acquise, irrévocable, par laquelle une
petite fille de dix ans quitte l’enfance
Je suis d’abord un lecteur comme un
et devient, comme elle dit, «une reine
autre, et comme tous ceux qui aiment
Handke, je me laisse séduire par une
exilée». Seule avec ce qu’elle a vécu.
musique qui lui est propre. Elle tient à
C’est très beau, très fin – et c’est la
la fois à sa façon particulière d’enchaî- phrase, c’est le phrasé de Handke qui
ner les phrases, les sensations, les ins- tracent ces lignes, où le swing est à
tants, les silences, et à cette espèce de
la fois ce dont on parle, l’énergie qui
sixième sens qu’il a pour donner forme
porte et emporte celle qui parle, le
à la solitude. On en trouverait des illus- rythme ballotté de ses paroles et des
trations à chaque page.
expériences qu’elle éprouve, et cette
chose sans nom qui circule entre tous
ces plans, qui les fait communiquer et
Par exemple ?
les nourrit les uns des autres. Cela ne
passe que par la parole, par l’écriture,
Dès le début, la femme raconte sa
première extase – un orgasme, si l’on
cela n’a pas d’autre lieu, mais en même
veut, mais de tels mots ne sont jamais
temps c’est ce qui la sous-tend, sa part
prononcés, car nous sommes dans un
immergée.
autre ordre d’expérience. Elle avait dix
ans, elle se balançait sur une balan- C’est pour cela que vous parlez de
çoire, et dans son récit, elle emploie
silence à propos de Handke ?
le mot Schwung, que Handke a rendu
en français par «élan», et qu’on tradui- Je ne suis pas le seul ! L’héroïne des
rait sans doute par swing en anglais. Beaux Jours d’Aranjuez dit d’ailleurs
Cet «élan», c’est à la fois le mouve- de très belles choses sur le silence :
ment rythmé de la balançoire qui est «Juste avant qu’on se mette à parler, toi
en train de se convertir en rythme
et moi, j’ai eu, entourée par le silence,
intérieur, comme le ballottement des
la sensation de l’arrivée, non, plutôt
de la descente d’un silence, non, plutôt d’une tranquillité additive, non, plutôt complémentaire, sur cette région
et pas seulement sur la région, mais
sur la terre entière. La terre entière,
avec cette descente de tranquillité
profonde, se transformait tout doucement – en disque comme elle avait été
imaginée jadis par nos ancêtres ? – non,
plutôt en cuvette ou en bassin. Grâce
au silence profond, la terre gagne en
profondeur» (p. 22-23). Voilà, c’est
typique du phrasé de Handke : cette
femme parle du silence comme d’un
milieu où elle était immergée, et puis
elle se met à chercher les mots les
plus justes pour désigner une sensation spéciale, mais les mots les plus
précis n’effacent pas tout à fait les
précédents, et le «silence», même s’il
devient «tranquillité» en cours de route,
finit par revenir à la fin, comme si chemin faisant, de correction en correction, il avait pris une autre saveur ou
un autre poids… En tout cas, une «profondeur» qui est pour ainsi dire contagieuse, puisqu’elle creuse le monde
et que par ce «silence profond», c’est
toute la terre qui «gagne en profondeur»… J’ai entendu Claude Régy, il
y a trois jours, parler de l’auteur qu’il
va me faire découvrir prochainement
dans notre saison, Tarjei Vesaas. Il a
cité à ce propos une belle phrase de
Nathalie Sarraute à propos de l’écriture comme moyen de donner sa
matière au silence. Chaque auteur
a la sienne, sa propre matière silencieuse, comme chaque peintre a ses
couleurs, et je m’aperçois après coup
que notre rentrée théâtrale à l’Odéon
offre une sorte de petite anthologie
d’accès contemporains au silence :
Handke, Pinter ; Vesaas, que Régy va
nous révéler, lui qui a monté les deux
précédents – Beckett, bien sûr, et
Pommerat, évidemment, Pommerat
qui est tellement sensible à ce qui
respire entre les mots qu’il ne veut
4
plus que l’on distingue dans son travail entre la part de l’auteur et celle
du metteur en scène… Cela dit, parler du silence de Handke à propos
des Beaux Jours d’Aranjuez, cela peut
paraître paradoxal : après tout, la
pièce n’est qu’un long dialogue. Mais
à y regarder de plus près, le silence
est partout, en amont du texte et dès
la première didascalie, où Handke précise que ses deux personnages écoutent longtemps, sans se regarder,
la rumeur de la nature autour d’eux.
Et cela se prolonge tout au long de la
pièce : de temps en temps, la femme
refuse de répondre à une question qui
viole l’une des règles du jeu dont ils
ont convenu…
Quelles sont ces règles ?
Cela reste un peu mystérieux. Mais si
de telles règles sont mentionnées, cela
implique qu’avant le présent dialogue,
un autre doit avoir eu lieu. Une négociation, peut-être, au cours de laquelle
le protocole de la discussion à laquelle
nous assistons a été fixé d’un commun
accord… Le non-dit peut en quelque
sorte accompagner les paroles, leur
être simultané comme une sorte de
contre-chant, mais il peut aussi leur
être antérieur : avant les mots, avant
le temps, d’autres mots et d’autres
temps. Un temps biographique, voire
historique... C’est ce qu’on découvre
peu à peu à mesure que l’échange progresse. Mais quoi qu’il en soit, avec
cette histoire de règles, nous passons
à une autre dimension de l’écriture de
Handke, celle qui lui donne son caractère
dramatique. Et cela réclame une autre
approche.
Après le pur lecteur, le metteur en
scène ?
Voilà. Car une chose est de ressentir le complexe d’idées, d’émotions,
d’images qu’un texte peut soulever
en vous, et une autre est de déployer
ce complexe sur un plateau, avec et
par les acteurs. Le lecteur peut feuilleter, revenir en arrière, s’arrêter pour
méditer ou rêver. La représentation,
c’est une autre affaire : il faut de la
suite dans les idées, il faut organiser,
orienter, construire, articuler, même
et surtout si cela ne se voit pas. Pour
cela, on repart du texte, on essaie de
ponctuer ses moments, et peu à peu
on voit se dégager une architecture.
Il y a un premier souvenir d’enfance,
celui de la balançoire. Puis un deuxième souvenir, une rencontre amoureuse dans une saline abandonnée. À
chaque fois, ces souvenirs suscitent
des commentaires, des réflexions, et
des retours au présent nuancent l’interrogatoire. Puis les choses se compliquent : les expériences amoureuses
de la femme ne sont plus individualisées, elle les raconte désormais au
pluriel, comme si les événements singuliers, les «premières fois», s’effaçaient devant le sentiment global de
certaines périodes ou époques de la
vie. Et on se rend compte alors que
ce dont il est question, c’est aussi des
rapports entre masculin et féminin, de
la façon dont chacun perçoit et vit ces
rapports – et qu’au fond de tout cela,
il y a chez cette femme qui parle une
exigence, un désir inextinguibles. Audelà de la guerre des sexes, de l’usure,
de la banalité, du besoin de vengeance
ou que sais-je, il reste le sens de la
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singularité tranchante, de l’appel ou
de la trouée que l’amour produit, le
sens de cette ouverture que la beauté
impose dans le monde – cette femme
dit quelque part que seule la beauté
qui donne est beauté, et proclame
qu’elle ne renoncera jamais à son
rêve d’être souveraine d’un royaume
inventé «à partir d’une matière, la
matière du désir». Or c’est à peu près
à ce moment-là que l’homme s’exclame «Aranjuez !»… et va se mettre à
parler, lui, «des signes et insignes d’un
royaume d’un autre temps». C’est très
étrange, et en même temps, c’est ce
qu’il faut faire ressentir comme limpide – non pas expliquer, surtout ne
pas expliquer, mais rendre sensible : la
femme parle d’un «autre empire» où elle
serait reine, et qui semble s’enraciner
dans l’expérience de l’enfance – c’est
là qu’elle parle d’être reine pour la
première fois –, tandis que l’homme
parle des dernières traces vivantes
d’un royaume disparu, qu’il rencontre
loin des sentiers battus, dans les sousbois à l’écart d’un château royal. Ce
château se trouve à Aranjuez, résidence d’été de Philippe II…
Justement, comment comprenez-vous
le titre de la pièce, peut-être un peu
énigmatique pour le public français ?
Pour des oreilles allemandes, l’allusion
est assez nette. Le titre de Handke renvoie explicitement au premier vers du
Don Carlos de Schiller : Die schönen
Tage in Aranjuez sind nun zu Ende, «Les
Beaux Jours d’Aranjuez sont passés»…
Don Carlos, à Aranjuez, a pu vivre
silencieusement à proximité de sa
bien-aimée, que son propre père, le roi,
lui a ravie pour l’épouser. Il faut à présent revenir à la capitale, quitter l’été,
retomber dans la cruauté et l’impureté
de l’existence ici-bas, dans l’engagement, dans le souci des autres, dans
la politique. Quitter Aranjuez, c’est un
peu quitter la dernière trace du paradis. Non pas le paradis même, qui n’est
pas de ce monde : même à Aranjuez, le
malheur règne, la bien-aimée est déjà
condamnée à rester inaccessible. Mais
au moins on s’y trouvait ensemble, loin
du monde, dans le silence profond des
jardins… Cela dit, il est impossible d’y
rester trop longtemps. On peut le tenter, le temps d’un rendez-vous intime
l’après-midi ou d’une soirée au théâtre,
et c’est un peu comme si Handke était
revenu au silence de ce temps-là,
que Schiller désigne en amont de
son propre drame sans jamais nous
le faire entendre. Il y revient comme
par un mouvement de balancier, dès
ses deux premières phrases : «Et de
nouveau un été. De nouveau un beau
jour d’été». Nous sommes suspendus
dans ce retour, le temps d’un jour ou
d’une heure. Loin de l’univers quotidien du travail, loin de l’action. Handke
le note clairement dans son texte, avec
un certain humour : dès que l’action
intervient, c’est le monde extérieur
qui menace d’envahir ce havre de paix
où l’homme et la femme se parlent…
L’action, c’est le bruit, un bruit qui
couvre la possibilité de certaines
paroles. Tant pis pour le metteur en
scène et les acteurs : à eux de voir
comment tirer de l’absence d’action
une action d’un autre ordre !... Handke
a toujours lancé des défis aux gens de
théâtre. Il a formé les interprètes qu’il
lui fallait, en quelque sorte, et cela
continue : comme toujours chez les
grands auteurs, l’écriture ne s’épuise
pas une fois qu’on a trouvé des «solutions de mise en scène»…
Harzer dans le rôle de « l’homme » et Dörte Lyssewski
Comment donc avez-vous relevé le
défi d’Aranjuez ?
jouer qui peut aller jusqu’au slapstick. Avec leurs voix qui
Pour qu’une femme et un homme
rêvent côte à côte comme il le faut
dans un tel texte, parfois ensemble et
parfois non, il faut varier les couleurs.
Leur rêverie est comme une confession, une introspection à deux, une
enquête ou un jeu – le jeu de la vérité,
ou de la fiction-vérité. Par instants, les
personnages semblent même avoir
conscience d’être précisément cela,
des personnages. Ils peuvent glisser
d’un statut à l’autre. Le silence de la
lecture leur permet cette souplesse,
cette indécision. Mais au théâtre, les
interprètes doivent accomplir un tour
de force : il leur faut incarner ces personnages de façon singulière et en
même temps ne pas les couper de leur
halo de possibilités, de cet arrièrefond flou qui fait qu’ils ne réduisent
jamais entièrement à leur présence
ici et maintenant, mais qu’ils ont toujours un pied dans le souvenir de ce
qu’ils ont été, de ce qu’ils auraient
pu être et de ce qu’ils attendent et
rêvent encore... C’est aussi pour
cela, sans doute, que mon collaborateur Geoffrey Layton a dit que Les
Beaux Jours d’Aranjuez est profondément une pièce sur le temps. Sur
l’épaisseur de nos vies, leur étoffe
doublée de mémoire et d’attente. Il
faut trouver un équivalent théâtral d’un
tel état. Inventer une façon de donner,
si l’on veut, à la fois le texte de l’existence, fixé noir sur blanc, et la marge
blanche qui l’entoure : non vécue, non
écrite, non dite et pourtant là. Pour un
metteur en scène, l’écriture de Handke
est un peu comme certaines laques
précieuses : pour obtenir cette surface qui semble lisse et un peu transparente, il faut laisser sécher chaque
couche, puis la poncer avant d’en
appliquer une autre et recommencer,
des dizaines de fois s’il le faut. Je n’en
ai pas fini encore. La dernière a lieu à
Vienne ce soir. D’ici la reprise à Paris,
je compte bien retravailler encore.
poésie du pathos. Avec insolence, toute honte bue. Il tire
dans celui de « la femme » rendent cadeau pour cadeau à
Handke. Avec leur plaisir énorme du jeu, une joie de
donnent la chair de poule. […] Bondy brise la
d’un presque-rien un presque-tout.
Michaela Mottinger, Kurier, 16 mai 2012
© Ruth Walz
«Les vrais livres ne meurent pas»
Trois questions à Antoine Jaccottet, éditeur
des Beaux Jours d’Aranjuez
Handke a souhaité confier son texte aux éditions Le Bruit du temps, qu’Antoine Jaccottet
dirige avec une exigence exemplaire. Mince et d’une sobre beauté, le volume est de ceux
que l’on glisse dans sa poche pour s’en approprier la matière n’importe où, en rêvant si
Propos recueillis par Daniel Loayza, Paris,
7 juin 2012
possible dans un parc ou un jardin...
À quoi la maison d’édition que vous
dirigez doit-elle son nom ?
Peter Handke © Wolfgang Zajc
www.lebruitdutemps.com
Le Bruit du temps a été créé il y a
quatre ans avec cette conviction que
les « vrais livres », ceux dont Ruskin
dit qu’ils sont des « livres pour tous
les temps », ne meurent pas. Placer
cette maison d’édition sous le signe de
Mandelstam, dont nous avons publié
tout récemment une nouvelle traduction du livre qui a donné son nom à notre
maison, c’était une façon d’affirmer à
quel point nous sommes conscients
de la force de la parole poétique,
mais aussi de son essentielle fragilité,
sans cesse menacée par des forces
qui cherchent à la réduire au silence.
Quelles sont vos orientations
éditoriales ?
Le goût des grandes œuvres mais
aussi le goût pour les traductions — j’ai
moi-même exercé un peu ce métier —
et l’attention portée à leur qualité ;
la forte présence de la littérature
anglaise, et des littératures de l’est de
l’Europe ; la volonté de construire un
catalogue où les œuvres se répondent,
dessinent peu à peu des constellations,
indépendamment des classifications
par genre. Nous publions aussi bien
de la poésie que des romans ou des
essais. C’est pourquoi, alors même
que tant d’éditeurs s’en détournent,
nous n’avons jamais rechigné à publier
des œuvres écrites pour le théâtre :
La Mer et le Miroir d’Auden (que Bruno
Bayen, son co-traducteur, a brillamment monté il y a peu au Conservatoire), Auguste, tragédie bourgeoise
pour marionnettes, d’Anne Weber,
Henry VIII de Shakespeare dans la traduction d’André du Bouchet.
Comment en êtes-vous venu à publier
Peter Handke ?
Il y a bien sûr, chez moi, une admiration ancienne pour l’auteur de La Leçon
de la Sainte-Victoire et de La Perte de
l’image. Jamais, cependant, je n’avais
rêvé avoir la chance de publier un jour
un contemporain de cette stature.
Mais, et c’est là un des grands bonheurs de ce métier, les fils qui relient
entre elles les œuvres d’un catalogue
se nouent peu à peu, et comme naturellement. J’avais publié Anne Weber,
par l’entremise de Pierre Pachet. C’est
elle qui m’a encouragé à demander les
droits des deux livres de Handke que
nous publierons cet automne : Toujours
la tempête, que traduit Olivier Le Lay
(pour cette pièce, Peter Handke vient
de se voir décerner le prix de l’« auteur
dramatique de l’année » en Allemagne)
et Une année dite par la nuit, un recueil
de phrases intriguantes notées au sortir du sommeil. Des liens d’amitié se
sont tissés. Peter Handke m’a lui-même
proposé de publier Les Beaux Jours
d’Aranjuez, qu’il avait écrit directement en français. Ces livres paraissent
donc chez nous, aux côtés des œuvres
d’un poète qu’il a toujours défendu et
aimé, le Polonais Zbigniew Herbert.
6
GLAUBE LIEBE
HOFFNUNG
Foi Amour
Espérance
7
14 - 21 septembre 2012 / Berthier 17e
GLAUBE LIEBE HOFFNUNG
Foi Amour Espérance
d’Ödön von Horváth et Lukas Kristl
mise en scène Christoph Marthaler
en allemand, surtitré
collaboration à la mise en scène
Gerhard Alt
scénographie
Anna Viebrock en collaboration avec
Blanka Radoczy
costumes
Sarah Schittek
lumière
Phoenix (Andreas Hofer) et
Johannes Zotz
musique
Clemens Sienknecht, Martin Schütz,
Christoph Marthaler, Uli Fussenegger
son
Klaus Dobbrick
dramaturgie
Stefanie Carp et Malte Ubenauf
avec
Jean-Pierre Cornu, Olivia Grigolli,
Irm Hermann, Ueli Jäggi,
Josef Ostendorf, Sasha Rau,
Clemens Sienknecht, Bettina Stucky,
Ulrich Voß, Thomas Wodianka
avec le Festival d’Automne à Paris
production
Volksbühne am RosaLuxemburg-Platz – Berlin
Wiener Festwochen
Schauspielhaus – Zürich
Odéon-Théâtre de l’Europe
Grand Théâtre de la Ville
de Luxembourg
créé le 13 juin 2012
aux Wiener Festwochen
à lire Foi, Amour, Espérance
d’Ödön von Horváth, in Théâtre complet 4,
traduit par Henri Christophe, L’Arche,
1996.
© Walter Mair
8
9
« La femme la plus tragique »
notes sur Glaube Liebe Hoffnung
Reconnais-toi toi-même !
Reconnais-toi toi-même ! Afin d’accéder à cette sérénité qui
Comme dans toutes mes pièces, cette fois encore je n’ai
te rend plus facile ta lutte dans la vie, dans la mort, cette
rien embelli, rien enlaidi. Quiconque entreprend, avec toute
chère sincérité te plaçant non pas certes au-dessus de toi
l’attention requise, de peindre l’homme, sera sans doute amené
(ce serait illusoire), mais à côté et en-dessous de toi, de
à constater (à condition d’avoir fait sa connaissance de façon
sorte que tu puisses te contempler non pas de haut, mais
Ödön von Horváth appelait sa pièce
une petite danse de mort. Il l’écrivit
en 1932. Sa création, dans une mise en
scène de Hans Hilpert, fut interdite par
les nazis en 1933. Elle eut finalement
lieu quatre ans plus tard sous le titre
de Liebe, Pflicht und Hoffnung (« amour,
devoir et espérance »). Comme toutes
les pièces de Horváth, elle fut écrite
dans l’entre-deux-guerres. À la fin,
une jeune femme s’est suicidée et les
hommes partent pour le défilé. Une
jeune femme est menée à la mort par
une société d’hommes d’ores et déjà
prête pour une nouvelle guerre. À ces
hommes, elle propose d’abord son
cadavre, puis des soutiens-gorge. Elle
est poussée à l’illégalité. Elle échoue
sans s’en rendre compte, pas à pas, à
force de se heurter aux « paragraphes
imprimés en petits caractères » que
contrairement à elle les préparateurs,
les officiers judiciaires et les policiers
maîtrisent si bien.
directe) que l’expression de ses sentiments est empruntée, tout de même de devant, de derrière, de côté et d’en bas !...
c’est-à-dire : faussée, minimisée, masochistement avide de
La Foi, l’amour, l’espérance – chacune de mes pièces pour-
compassion, sans doute en raison d’une indolence feinte
rait s’appeler ainsi. À chacune de mes pièces j’aurais pu
mais valorisante… quiconque cherche donc honnêtement
mettre ce passage de la bible en exergue :
à peindre l’homme, peindra toujours seulement des images
réfléchies, et je m’empresse de préciser à cet endroit :
«Yahvé respira l’agréable odeur et se dit en lui-même : «Je
jamais je n’ai peint, jamais je ne peindrai des images réflé- ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce
chies facétieuses, car je regrette toute parodie.
que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès
son enfance ; plus jamais je ne frapperai tous les vivants
Comme dans toutes mes pièces, cette fois encore j’ai tenté
comme je l’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et
d’aller sans égards contre la bêtise et le mensonge ; cette
moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne
brutalité représente peut-être l’aspect le plus noble de la
cesseront plus.»
tâche d’un homme de lettres qui se plaît à croire parfois
qu’il écrit pour que les gens se reconnaissent eux-mêmes.
Ödön von Horváth (cité et traduit par Heinz Schwarzinger in Repères biographiques,
Christian Bourgois, 1988, pp. 61-62).
© Walter Mair
<Christoph Marthaler est> peut-être, avec Martin Kušej, le plus subtil des exégètes de
Horváth dans le théâtre contemporain. […]
Marthaler élève cette «petite danse de mort», traitée avec une fantaisie scénique débordante, aux dimensions d’une de ces pièces médiévales de «Jugement Dernier» où le monde
comparaît devant le tribunal de Dieu – une version ici sécularisée, ironico-sceptique,
et qui ne vaut pas seulement pour les années 1930 du XXe siècle. Pour y parvenir, il brise
d’une part le texte standard au moyen de répétitions, de fragmentations, d’effets de
miroir, tout en introduisant d’autre part sur scène des passages tirés d’autres œuvres de
Horváth, qui tiennent lieu en quelque sorte de métatexte. Au début, des messieurs très honorables célèbrent le succès de leur 27e Congrès pour la Lutte contre la Traite des Blanches
(une scène extraite du fragment Le Congrès) ; à la fin, c’est la vision d’avenir d’une Arcadie
aussi idyllique qu’hypocrite qui est invoquée (tirée de Vers les Cieux) ; on y jouit paisiblement de l’existence non plus dans le cadre d’un système étatique, mais au sein d’une
«association chorale».
Et entre début et fin, dans une pluie de trouvailles bizarres, énigmatiques, poétiques,
Marthaler déploie un tohu-bohu de figures typiquement horvathiennes : beaufs médiocres,
parfois tout bonnement hilarants, et d’une honnêteté catastrophique. […]
En somme : […] une nouvelle interprétation de Horváth pleine d’originalité et prenant le
poète au mot, avec une troupe tout simplement formidable.
Hilde Haider-Pregler, Wiener Zeitung, 15 juin 2012
© Walter Mair
Dans les textes de Horváth, les
répliques et les événements ont toujours une double valeur. Telle action
peut être la métaphore de telle autre
chose. Quand Élisabeth, au cours du
premier tableau, propose à l’Institut
Anatomique sa future dépouille mortuaire, la scène est chargée de significations sexuelles et historiques. Les
métaphores funèbres qui hantent la
pièce ne concernent pas seulement
la mort de l’individu. Lorsqu’Élisabeth
se tient devant des portes fermées,
on entend dès le premier tableau, à
en croire une didascalie, la marche
funèbre de Chopin. L’intrigue commence au printemps et s’achève à l’automne. Si le policier tombe amoureux
d’Élisabeth, c’est parce que son visage
lui rappelle « une défunte bien-aimée »,
et c’est un bouquet d’asters1 qu’il
offre à sa fiancée. Tandis qu’ils font
connaissance, quelqu’un est abattu au
cours de la guerre civile qui sous-tend
l’action. Le baron est en deuil et porte
une fleur pour le marquer. Il a tué
une femme ; son meurtre est couvert
par la police et par les préparateurs
anatomiques. La fatalité qui préside
aux tableaux permet d’anticiper quel
sort est réservé à Élisabeth et à tant
d’autres. Derrière la porte de l’Institut
d’Anatomie gisent les corps et les
fragments de corps, « les doigts et les
gorges, disséminés ici et là, que c’en
est un vrai plaisir. » Derrière la porte
du magasin de lingerie dont Élisabeth
s’enfuit et s’enfuit encore, les mannequins sans vêtements attendent,
pareils à des cadavres nus. Devant
le bureau des services sociaux, les
invalides et les chômeurs, tous ceux
qui on ne sait trop comment vivotent
encore, sont repoussés. Derrière la
façade des institutions qui organisent
l’exclusion d’Élisabeth, on devine les
cadavres de la guerre à venir, du massacre en masse de tous ceux qui se
retrouvent enfermés dehors. Cette
guerre-là, Horváth ne l’a pas connue.
Il a décrit l’ignominie quotidienne
des futurs morts, le caractère dérangeant, inquiétant, de l’activisme militant d’une société qui a déjà ouvert une
première brèche dans la civilisation.
Une autre chaîne thématique qui traverse le texte est celle de l’animal,
qu’il soit exposé, mort, ou domestiqué. Horváth s’appuie sur son étonnant intérêt pour les animaux en vue
de thématiser un autre trait dérangeant de son époque : la catégorisation et la hiérarchisation des espèces,
le mépris et la mise à l’écart de
l’autre, de l’étranger, du sans-valeur
ou prétendu tel. Le préparateur invite
Élisabeth à voir son terrarium ; il possède aussi un aquarium et une collection de papillons. Dans la première
version de sa pièce, Horváth expédie
ses personnages au zoo, où ils rendent
visite à des antilopes africaines, à des
hyènes, à des singes. Dans Casimir et
Caroline, l’on trouvait déjà exposés
– de façon plus nette – des spécimens d’humanité tératologique et des
« négresses à plateau ». Dans Glaube
Liebe Hoffnung, la jeune femme est
comparée à des bêtes exotiques, traitée en insecte, rabaissée, ravalée au
rang d’objet sexuel par les hommes.
Horváth n’a pas vécu assez longtemps
pour voir sur quoi débouchait cette
classification hiérarchisante, à prétention apparemment objective, des
formes de vie – mais il l’a pressenti, et il
l’a exprimé en posant certains thèmes,
en traçant certains rapports entre
images. Élisabeth veut vivre, comme
toutes les figures de femme que
Horváth a inventées dans ses pièces
de théâtre ou dans ses textes en prose,
et auxquelles il accorde toute sa sympathie. Elle est peut-être la femme la
plus tragique, celle qui se heurte au
destin, lui oppose ses revendications,
et perd la partie. La femme active professionnellement, celle qui se fixe pour
but une vie meilleure, qui travaille dans
un bureau ou dans une usine, comme
employée de maison voire comme vendeuse de soutien-gorge, qui vit seule,
se veut indépendante, et cherche
avec plus ou moins de talent à saisir
sa chance. Du point de vue sociologique, les jeunes femmes qui cherchaient sans aucun appui familial à
se faire une place sur le marché du
travail constituaient encore dans
l’entre-deux-guerres un phénomène
relativement nouveau. Ces femmes-là
sont sobres, elles savent ce qu’il en
est, elles ne sont pas sentimentales.
« Elle ne voulait pas être nostalgique
et quand il lui arrivait de l’être quand
même, tout lui semblait insipide »,
écrit Horváth à propos de mademoiselle Pollinger. Si Caroline perd son
compagnon au chômage parmi les
baraques de la Fête de la Bière, c’est
parce qu’elle voudrait bien se donner
les moyens de « voir l’avenir en rose ».
Marianne, dans les Légendes de la forêt
viennoise, est une jeune femme « perdue » ; Christine, dans Le Belvédère (qui
se trouve face à une machine masculine analogue, en moins dangereux, à
celle à laquelle se heurte Élisabeth),
prend la résolution de partir. Elle est la
seule qui ait la possibilité de s’émanciper. Le kitsch caractérise nombre
de ces femmes, non moins que l’enfant illégitime et la pauvreté. Elles ne
veulent pas se prostituer et cependant
se voient contraintes, si elles veulent
survivre, de s’offrir quand même aux
hommes d’une façon ou d’une autre.
Élisabeth est de toutes la plus tragique.
Le kitsch, elle ne connaît pas. Elle voit
clair à travers son aliénation avec une
lucidité de sismographe. Elle est aussi
de toutes ces jeunes femmes celle
qui est le plus constamment sexualisée. Elle propose aux préparateurs
son corps mort, rend visite au préparateur dans son terrarium, vend des dessous affriolants, passe une nuit avec un
monsieur dans une grange, décline les
offres du baron mais croit pouvoir survivre aux côtés d’un policier amoureux.
Les hommes, eux, sont solidement sanglés dans leurs hiérarchies et leurs carrières. Le policier trahit ses sentiments,
qu’il sacrifie à sa carrière. Horváth
donne à voir, dans son fonctionnement
bureaucratique et économique, dans
ses rouages de pouvoir et de violence,
une société d’hommes qui fait de la
mort – et par-delà la mort d’une exclue,
de la guerre même – un objet sexuel.
Stefanie Carp
1
En allemand : Herbstastern, litt. « asters d’automne » (n. d. t.)
10
LA BARQUE LE SOIR
11
27 septembre - 3 novembre 2012
Berthier 17e
LA BARQUE LE SOIR
de Tarjei Vesaas
mise en scène Claude Régy
création
traduction
Régis Boyer
scénographie
Sallahdyn Khatir
lumière
Rémi Godfroy
vidéo
Erwan Huon
son
Philippe Cachia
avec
Yann Boudaud,
Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian
avec le Festival d’Automne à Paris
production
Les Ateliers Contemporains
Odéon-Théâtre de l’Europe
Festival d’Automne à Paris
Centre Dramatique National
d’Orléans-Loiret-Centre
Théâtre National de Toulouse MidiPyrénées (avec le Théâtre Garonne)
La Comédie de Reims
à lire La Barque le soir de Tarjei Vesaas,
traduit par Régis Boyer, José Corti, 2002
(réédition prévue en septembre 2012).
Dans le désordre de Claude Régy,
Actes Sud, « Le temps du théâtre », 2011.
Claude Régy © Benjamin
Luc Bondy
Chelly
La voie du manque
entretien avec Claude Régy
Après Brume de Dieu, pièce tirée du
roman Les Oiseaux, vous poursuivez votre exploration de l’écriture de
Tarjei Vesaas avec La Barque le soir.
D’où est venu le désir de prolonger
votre travail sur Vesaas ?
La lecture de La Barque le soir m’a
beaucoup frappé. L’écriture y est très
différente de celle de ses romans antérieurs. D’œuvre en œuvre, l’écriture de
Vesaas n’a cessé de se chercher, de
se transformer ; elle ne s’est jamais
fossilisée dans un « style ». On a l’impression que pour lui, chaque œuvre
nécessitait l’invention d’une nouvelle
langue. La Barque le soir est son dernier livre, et là, il atteint l’épure. Je
crois que c’est cette avancée qui m’a
donné envie de poursuivre, d’essayer
moi aussi – avec lui – d’aller plus loin.
Ce qui m’a convoqué en premier lieu
dans La Barque le soir, c’est le caractère de l’écriture – pleine de sautes,
de soubresauts. Ce caractère fragmentaire se manifeste aussi bien au
niveau du livre lui-même – composé de
textes juxtaposés – que dans le rythme
des phrases et le rapport des images.
Pour lire Vesaas, il faut accepter de
se perdre, attendre que se perçoivent
les fils par quoi les choses se raccordent. Ce qui est surprenant, c’est que
Vesaas donne à ce livre le nom de
« roman », alors que formellement, on
dirait plutôt des nouvelles : ce sont des
morceaux de souvenirs personnels,
une traversée de son être par éclats,
qui parvient à toucher quelque chose
d’un au-delà de l’inconscient. Je crois
que Lacan parlait d’une région au-delà
de l’inconscient qui resterait un mystère. C’est de cette région-là que
Vesaas s’occupe – cherchant à en laisser affleurer quelque chose dans ses
mots. Dans La Barque le soir, l’écriture se fait extrêmement secrète, elle
va plus loin que jamais dans l’exploration des régions enfouies de l’être.
Ce qui m’a frappé également, c’est le
refus d’opposer les contraires. Rien
n’est univoque. Les choses s’inversent
sans cesse.
Dans le texte que j’ai choisi de traiter,
Voguer parmi les miroirs – il est issu
du livre La Barque le soir – on suit une
conscience qui coule, qui touche le
fond – on est emporté avec elle, happé
par une force qui nous précipite dans
une eau sombre, asphyxiante... Mais,
sans que l’on sache comment, un courant finit par faire remonter l’homme à
la surface, où il s’accroche à un tronc
d’arbre qui flotte là. Vesaas invente
alors une navigation étrange, entre
deux eaux : la dérive d’un être qui n’est
plus tout à fait conscient – qui est qualifié de « demi-mort ». Une vie à peine
maintenue hors de la mort... C’est cet
état ambigu, qui m’a attiré, fait de mort
et de vie, d’obscurité et de lumière, unifiant le fond et la surface. Toujours
entre. L’individu anonyme qui dérive
ainsi n’a plus de forces, sa conscience
erre de sensation en sensation, entrevoit des lumières, entend des bruits. Sa
parole même est perdue : à un moment,
il entend un chien, et il en vient à lui
répondre en aboyant. Même à cet
endroit – celui du langage – le texte des-
sine une frontière vacillante entre l’humain et l’animal, le silence et la parole...
Cet état qui intéresse Vesaas produit
une béance du sujet : à mesure que la
conscience rationnelle s’amenuise,
l’univers perceptif s’élargit à un monde
parallèle fait de reflets, d’illusions...
Oui, le noyé plus ou moins rescapé a
des visions, il entend des bruits. Il bascule entièrement du côté de l’imaginaire. L’écriture cherche à restituer
ce passage très fragile entre « l’imaginaire pur » et ce qu’on appelle le réel,
ou entre la « normalité » et ce qu’on
appelle la folie. En effet, comme
dans Les Oiseaux, on retrouve là – à
un autre niveau, moins lisible, plus
enfoui – cette friabilité qui m’intéresse
beaucoup entre la maladie mentale et
l’état dit «normal » de l’esprit, ce qu’on
appelle la normalité. Cette frontière, il
s’agit de la faire vibrer : la conscience
vacille au bord de l’hallucination.
Dans l’univers de Vesaas, on a souvent
le sentiment d’être à la lisière entre un
« être-là » des choses, une présence
obsédante de la réalité, et la tension
vers un au-delà, comme un horizon
inatteignable.
Oui, un au-delà : on pourrait parler d’un
au-delà du langage, mais on pourrait
presque dire un au-delà de tout. À partir d’un monde apparemment simple,
Vesaas nous renvoie à la part la plus
indéchiffrable de nous-mêmes. L’état
prolongé d’extrême proximité avec la
mort – dépeint dans ce texte – permet
d’approcher quelque chose comme
un secret absolu – à la frontière du
connu et de l’inconnu.
En dilatant les bords de la vie, Vesaas
nous fait entrevoir ce qui reste habituellement invisible.
Du coup, c’est une exploration tout
à fait unique à laquelle je convie les
spectateurs. Bien entendu, il faut que
les spectateurs désirent vivre cette
expérience – qui ne sera pas de l’ordre
de l’agrément ou du divertissement,
mais de la recherche : en essayant de
comprendre comment l’écriture se
fait, s’invente, se régénère, le spectateur est invité à écrire lui-même une
part de l’œuvre. J’espère qu’à partir de
choses qui ont l’air très personnelles
à l’étrange navigateur, des recoupements auront lieu, des correspondances avec nos vies, la complexité
de notre nature.
Ce qui est frappant dans cette écriture, c’est que les correspondances
que vous évoquez émergent par les
liens manquants, par les vides.
Oui, c’est très important, il faut insister là-dessus. C’est une écriture qui
repose sur le manque. Cela m’attire
parce que je pense faire un théâtre
fondé sur le manque. Selon moi, il faut
qu’il y ait un manque dans la représentation pour toucher à la réalité du
théâtre. La question est : comment
représenter, comment transmettre
quelque chose si on se prive des
moyens de la représentation ? J’ai
envie de répondre : en se privant des
moyens habituels de la communication, Vesaas invente une voie d’expression tout à fait unique, une voie que
j’aimerais emprunter à mon tour.
Brume de Dieu était un monologue,
pour lequel vous aviez extrait un fragment du roman Les Oiseaux. Comment
avez-vous procédé avec La Barque
le soir, et quel rapport au texte s’en
dégage ?
Le travail des gens de théâtre – qu’ils
soient acteurs, metteurs en scène, scénographes, créateurs lumière – porte
essentiellement sur les différents
niveaux imaginaires du texte, sur la
manière de les révéler, de les faire
entendre. Mais en creusant la matière
de La Barque le soir je me suis aperçu
que le théâtre exigeait de ne pas épuiser les facultés réceptives et créatives du spectateur. J’ai donc décidé
de procéder à une sorte d’adaptation,
qui s’est faite progressivement, par
étapes. Pour qu’il soit possible d’entrer dans cette écriture, une brièveté relative du texte est tout à fait
essentielle. La beauté du spectacle
se manifeste à partir du texte, mais
pour aller au-delà – dans les manques,
les blancs, les silences. Il faut rétablir
ce temps de non-écriture, ce temps
où on « parle avec le silence » ; réussir à créer les conditions nécessaires
pour que les mots préparent le terrain
à « un silence qui parle ». D’où la nécessité de faire des syncopes, d’opérer
des coupes, d’accentuer l’expression par le silence. C’est un aspect
que soulève Régis Boyer, le traducteur de Tarjei Vesaas : les peuples
scandinaves ont un rapport très
particulier au silence. Ils peuvent rester ensemble des jours entiers sans
qu’une parole ne soit dite. Pour eux,
le silence est une forme de langage.
Comme dirait Henri Meschonnic,
ce n’est pas un « arrêt » du langage,
mais bien une catégorie à part entière
du langage. Cela peut paraître très
théorique, mais c’est pourtant un
aspect que l’on peut éprouver matériellement, physiquement au théâtre.
Le travail du texte concerne trop souvent le débit, la virtuosité, le jeu, l’agitation – ce que certains appellent le
rythme, mais qu’ils confondent avec la
vitesse... On a pu se moquer dans mon
travail de cette extrême lenteur, de
ce goût du silence. Pour ma part, j’ai
choisi d’être du côté de la non-expression voire de la non-représentation,
et de me servir essentiellement de la
lumière, du son, du texte – donc de
l’acteur – et du silence.
Régis Boyer cite cette autre belle
phrase de Vesaas : « à qui parlons-nous
lorsque nous nous taisons ? » J’entends là, secrètement, une analogie
avec votre travail théâtral. À la fois
un silence qui parle, et une adresse
indécise.
Je crois que le silence a une force
très grande. Je ne peux travailler que
dans le silence. Il est très important
que les gens qui sont là, avec moi, ne
fassent pas de bruit, qu’il n’y ait pas
12
de conversations. Pour Brume de Dieu,
j’avais même demandé aux ouvreurs
et aux ouvreuses d’obtenir le silence
avant que la représentation ne commence. C’est une véritable préparation au spectacle. Si les spectateurs
abandonnent le brouhaha de la vie
quotidienne, les problèmes qui les agitent, je pense qu’ils peuvent pénétrer
beaucoup plus profondément dans
l’univers de Vesaas. Je ne voudrais pas
que cela paraisse abusif ; c’est plutôt
un sas permettant de véritablement
écouter : écouter ce langage qui, par
des bribes, exprime des pans entiers
de l’être.
À propos de silence, le jeu de l’acteur
dans Brume de Dieu était très radical :
on avait l’impression qu’il arrachait
chaque mot au silence, à l’issue d’un
effort presque surhumain.
Brume de Dieu a été un processus
très particulier. En un sens, le jeune
acteur avec lequel j’ai travaillé, Laurent
Cazanave, m’a dépassé dans la lenteur. En l’écoutant, j’ai d’abord pensé
que ce débit serait insupportable, que
l’on cesserait de comprendre. Et petit
à petit, je me suis laissé imprégner,
et je l’ai laissé travailler à son propre
rythme. Je crois qu’il a senti d’instinct que s’il disait le texte autrement,
il risquait de le massacrer, c’est-à-dire
de ne pas laisser s’exprimer ce qui
y est déposé – qui ne remonte à la
surface qu’à condition de n’opposer
aucune résistance. C’est une indication majeure que je lui ai donnée : au
lieu de vouloir faire, se laisser traverser. Laisser faire les mots, le rythme,
les sons, ne pas essayer à tout prix
« d’avoir des idées ». C’est une chose
que Jon Fosse – lui-même disciple de
Vesaas, et que j’ai plusieurs fois mis
en scène – explique très bien : l’essentiel, lorsqu’on se met à sa table de
travail pour écrire, c’est d’écouter. Ne
surtout pas chercher à remplir. Jon
Fosse ajoute que le metteur en scène,
comme l’écrivain, doit écouter avant
d’agir – ainsi que l’acteur.
C’est une très grande leçon de théâtre.
Remplacer l’activité par la passivité.
Reconnaître une vertu créatrice à la
passivité. Laisser des choses arriver,
se condenser, se manifester.
Pour La Barque le soir, vous avez
décidé de travailler avec plusieurs
acteurs. Comment se manifeste cette
pluralité : allez-vous travailler à la
manière d’une structure chorale, faisant ressortir différents niveaux d’interprétation du texte ?
Non. À vrai dire, les autres acteurs
seront des présences muettes, ayant
valeur de signes : des démultiplications du sujet qui parle – mais aussi
des démultiplications des spectateurs
ou des lecteurs. Pour moi, cela signifie que le travail se fait à plusieurs,
qu’il est tramé d’échos atteignant une
collectivité. Ces acteurs, on peut les
voir comme une sorte de Chœur muet,
un Chœur de reflets en miroir.
Par ailleurs, je voudrais travailler
aussi avec des images. Ce ne seront
pas des images fixes, réalistes, mais
des images flottantes, non reconnaissables, construisant une sorte
de monde sous-marin où des formes
apparaissent et se transforment ;
comme un écho au texte, où l’on ne
sait jamais si ce qui se produit est réel,
imaginaire, halluciné...
13
Tout le texte est fondé sur un état
semi-conscient, proche du sommeil,
peuplé de processus inconscients.
J’aimerais que le public sorte du spectacle en ayant l’impression d’avoir rêvé.
Quand nous nous souvenons de nos
rêves – sans savoir si le souvenir est
exact ou déformé – c’est souvent avec
étonnement, avec l’impression que
ces images nous sont étrangères.
Il y a en nous un être sans manifestations tangibles, visibles. Tout l’enjeu du théâtre est de se laisser aller à
l’écoute de cet être.
Cet être au-delà du conscient,
Henri Michaux l’appelait le «lobe à
monstres »...
C’est une belle expression. Je voudrais créer un univers qui évoque la
possibilité de monstres intérieurs.
Après le travail avec Laurent Cazanave
sur Brume de Dieu, comment avez-vous
choisi l’acteur pour La Barque le soir ?
Il s’agit de Yann Boudaud, un acteur
qui a travaillé avec moi pendant six
ans – par exemple dans La Mort de
Tintagiles, Holocauste, Mélancholia,
Quelqu’un va venir. L’écriture de
Vesaas, qu’il ne connaissait pas, l’a
énormément attiré. Nous avons commencé à explorer le texte ensemble
avec plus d’un an d’avance.
Laurent Cazanave © D. R.
BRUME DE DIEU
un film d’Alexandre Barry
Lundi 22 octobre 2012 à 20h
Cinéma Nouvel Odéon
BRUME DE DIEU
d’après Les Oiseaux de Tarjei Vesaas
un film d'Alexandre Barry
On a souvent le sentiment en lisant
cette écriture que quelque chose d’imminent se prépare – un événement
«presque-là », qui ne cesse de vouloir
se manifester sans jamais « arriver ».
Ce sentiment me semble assez proche
de votre manière d’aborder la scène
comme un horizon : une approche sans
finalité, dont le but resterait voilé...
Oui, la thématique de l’approche – quel
que soit le nom donné à ce que l’on
approche. La sensation de se trouver au seuil. À la bordure des choses.
Il y a une phrase dans Les Oiseaux
qui, pour moi, incarne ce flottement,
cette lisière : « il entrevit quelque chose
qu’il ne comprenait absolument pas ».
Il entrevit – toujours prudent – quelque
chose – c’est très vague – qu’il ne comprenait absolument pas. Je l’interprète
comme l’idée qu’il peut y avoir une perception au-delà de la compréhension. Il
me semble que la volonté de sens à
tout prix limite la perception. Ce qu’on
ne comprend pas, malgré tout, parle
et nous dit quelque chose.
C’est par la fréquentation de l’inconnu
qu’on peut ouvrir certaines portes dont
on n’avait pas forcément conscience.
Si les spectateurs ne comprennent pas
tout dès les cinq premières minutes,
ce n’est pas grave. Il faut apprendre
la patience.
Dans une période de retour à l’amusement, ou à une violence exacerbée,
il me paraît très important de ménager des espaces où rien n’est donné
à l’avance.
Des espaces où le non-résolu prédomine.
Des espaces où le public demeure
dans une possibilité d’imagination
personnelle.
Propos recueillis par Gilles Amalvi
pour le Festival d'Automne à Paris
réalisé à partir de la mise en scène
de Claude Régy, Brume de Dieu,
créée le 9 novembre 2010 au Théâtre
National de Bretagne – Rennes
avec Laurent Cazanave
Claude Régy a toujours farouchement interdit toute captation de son
travail. Parce qu’il sait mieux que personne que la matière de son travail
est invisible, parce qu’il sent mieux
que quiconque que l’impalpable de la
représentation et les courants souterrains qui la traversent ne peuvent exister dans un espace qui serait réduit à
celui d’une boîte de télévision.
Parce qu’il croit encore au suprême
échange du contact vivant, à la circulation de la vie entre des êtres situés
dans un même espace, celui de l’expérience de la représentation.
durée 95 mn
production
LGM Télévision
en coproduction avec M-Media, les
Ateliers Contemporains, avec le
soutien du Ministère de la Culture et
du Centre National du Cinéma
rencontre
à l'issue de la projection
avec Claude Régy et Alexandre Barry,
animée par Daniel Loayza
Nouvel Odéon
6 rue de l’École de Médecine, Paris 6e
01 46 33 43 71
Tarifs
9,50€
7,50€ pour les abonnés de l’Odéon
Tarjei Vesaas © Aage Storløkken / Aktuell / NTB scanpix
Et peut-être parce qu’au-delà de
tout, l’idée qu’une création par définition éphémère puisse être mise en
conserve lui a toujours semblé sacrilège, voire indécente.
Pourtant, une fois, il a dérogé à cette
règle à l’occasion d’un film que j’ai
réalisé sur et avec lui, Claude Régy,
la brûlure du monde (2005).
Pour ce portrait, il m’a autorisé, en
toute liberté, à filmer des extraits de
Comme un chant de David, spectacle
créé à partir des Psaumes, avec Valérie
Dréville. Spectacle pour lequel je
l’avais assisté, pendant plusieurs mois
de répétitions, pour la mise en scène.
En découvrant les images nous avons
senti, ensemble, qu’aux antipodes de
la captation télévisuelle, il était possible d’inventer une manière de restituer, pour l’image, un travail élaboré
pour le plateau. Et que pour cela, il
fallait chercher comment, avec les
moyens du cinéma, transposer la
matière vivante en une matière filmique sans en altérer le souffle.
S’interroger donc, chercher, non pas
capter, mais recréer. Conditions sine
qua non pour ne rien trahir.
Sur les images de ce film, sans qu’on
puisse l’expliquer, comme une grâce,
sur le visage de Valérie Dréville cadré
en plan très rapproché se lisait l’intégralité du spectacle. On sait que
Claude Régy axe son travail sur le
jeu de l’acteur en le menant vers des
contrées inexplorées de l’être, loin du
réalisme psychologique et du naturalisme conventionnel. On ignorait que
sa recherche sur la théâtralité du langage, de l’espace et de la lumière pouvait aussi, en condensé frémissant, se
refléter dans un regard, une main qui
s’élève ou le silence qui entoure un
corps immobile.
C’est cette expérience qui nous a
amenés à imaginer un film qui serait
issu du spectacle Brume de Dieu.
C’est surtout parce qu’en découvrant
la maquette de l’espace scénographique et les premières recherches
sur la nature de la lumière, il m’a semblé évident qu’il fallait entreprendre
un film.
Le premier et sans doute le seul qui
restituerait l’intégralité d’un travail de
Régy.
Le spectacle créé par Claude Régy est
constitué d’un dispositif scénographique de douze mètres d’ouverture.
Un espace à la fois brut et extrêmement élaboré, sol de verre noir évoquant les eaux profondes d’un lac
dont les reflets laissent entrevoir la
possibilité d’une autre réalité, obscure et sans fond, celle d’une autre
conscience et d’un autre rapport au
monde. Des murs latéraux de pierres,
clairs, condensent cet espace et le
propulsent dans une perspective infinie, irréelle qui se perd dans l’éclat de
son propre reflet. Un espace mental,
peut-être, où la lumière et l’obscurité se mêlent sans s’altérer. Un cadre
de scène très bas, noir, vient découper nettement l’image et en accentuer la profondeur. L’écran est large,
le format extrêmement cinématogra-
phique. L’acteur traverse cet espace
comme on franchit les membranes
de ténèbres invisibles pour venir se
fixer à l’avant-scène. Et sur l’image
une autre dimension apparaît. L’espace devient alors la chambre d’échos
d’une conscience en mouvements.
C’est ce contact extrêmement rapproché du spectateur avec l’acteur qui
permet la transmission de la matière
de l’écriture et qui fait du visage de
l’acteur une table de lecture où peuvent se lire les mouvements intérieurs, ceux, infimes, de la conscience.
Un visage devenu paysage et qui va
se perdre lui aussi dans d’autres paysages, ceux que la lumière va créer
dans cet espace sans limite du dispositif. Ces paysages de lumières aux
intensités et aux couleurs mouvantes
envahissent le corps et le visage de
l’acteur jusqu'à en effacer parfois les
contours, ne laissant apparaître alors
qu’une présence lumineuse, traversée
de reflets et de rémanences.
Le centre du film c’est donc la mise en
scène de Claude Régy. C’est aussi une
rencontre à plusieurs, celle de Claude
avec le poète Tarjei Vesaas, rencontre
comme une évidence. Puis, la rencontre de cette évidence avec l’acteur
Laurent Cazanave ; Claude Régy poursuivant avec lui un travail de recherche
engagé il y a quelques années dans le
cadre d’un atelier de formation.
Le film à été imaginé comme la fusion
d’un immense metteur en scène au
sommet de son art et la poésie bouleversante d’un géant de la sensation.
Comme la surimpression de leurs sensibilités mêlées, radicales dans un
chaos limpide.
Comme un rêve de cinéma.
Alexandre Barry
14
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Tournées
LA BARQUE LE SOIR
Devenez mécène de l’Odéon
Abonnements Formule de rentrée
Le Cercle de l’Odéon rassemble des spectateurs passionnés de théâtre, désireux de se retrouver autour d’un des
Notre programmation a d’ores et déjà remporté un très vif succès, 9 500 abonnements ayant été souscrits avant l’été.
Certains spectacles (principalement les séries courtes en langue étrangère) sont désormais complets. D’autres, et non
des moindres, ont été programmés sur des durées assez longues afin de satisfaire les dernières demandes. Nous vous
proposons une Formule de rentrée regroupant 4 spectacles :
18 octobre - 23 décembre 2012 / Odéon 6e
22 mars - 5 mai 2013 / Odéon 6e
LE RETOUR création
LE PRIX MARTIN création
de Harold Pinter – mise en scène Luc Bondy
d’Eugène Labiche – mise en scène Peter Stein
avec Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory,
avec Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani,
Jérôme Kircher, Micha Lescot, Emmanuelle Seigner
Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes,
Il suffit d’entrer chez Pinter pour passer dans un autre monde, Laurent Stocker, Jacques Weber
au verso de nous-mêmes, du côté de notre part secrète, en un
Ferdinand Martin et Agénor Montgommier jouent au bésigue,
point où se rejoignent le rêve et l’insomnie. Voyez Le Retour, qui
paisiblement, comme à leur habitude. Les deux vieux amis sont
s’ouvre sur le silence d’un individu lisant le journal. En quelques
aussi inséparables que Bouvard et Pécuchet. Bien entendu, il
scènes, ce trompe-l’œil va devenir une toile de Lucian Freud ou de
y a un hic : Ferdinand est marié, et Agénor trompe Ferdinand.
Francis Bacon – « une île de la solitude », dit Luc Bondy – et cela
Quoique à vrai dire, il se débarrasserait bien de Madame... La
uniquement par le rapport des corps, le tranchant des paroles, la
donnée paraît banale. Mais dès que Labiche a mis le feu aux
foyers majeurs de la création européenne et de s’inscrire
CERCLE
D E L’OD ON
du 13 au 24 novembre 2012
Théâtre National de Toulouse
(avec le Théâtre Garonne)
du 5 au 8 décembre 2012
Comédie de Reims
du 18 au 25 janvier 2013
CDDB Théâtre de Lorient
du 6 au 15 février 2013
Centre Dramatique National
Orléans-Loiret-Centre
activement dans l’histoire de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.
À travers leurs dons, les membres du Cercle réaffirment
GLAUBE LIEBE
HOFFNUNG
Foi Amour Espérance
l’importance de la création dans la société, participent
au développement artistique de l’Odéon et soutiennent
à partir du 27 septembre 2012
présenté et inscrit au répertoire
de la Volksbühne de Berlin
des actions innovantes à destination du public jeune ou
éloigné de la culture.
Tout au long de l’année, le Cercle de l’Odéon vous propose
des événements autour de la programmation artistique du
théâtre : rencontres avec les artistes et créateurs, visites
Contact
des coulisses, suivi du processus de création d’une pièce, Pauline Legros
invitations à des soirées privées…
01 44 85 40 19
Devenez membre du Cercle de l’Odéon à partir de 200€
[email protected]
(soit 68€ après déduction fiscale)*.
Vous connaissez un proche que le théâtre passionne ou
devrait passionner ? Offrez-lui donc l’Odéon : faites de lui
un mécène !
* En vertu de la loi du 1er août 2003 en
faveur du mécénat, les dons versés à
l’Odéon donnent droit à une déduction
fiscale pour les particuliers, à hauteur de
66 % du montant du don.
charge d’une violence comprimée à l’extrême. À une telle parti- poudres, nos héros, arrachés au confort feutré de leur salon parition, il faut des interprètes qui sachent tenir les mille nuances
sien, vont se retrouver engagés dans une sourde lutte à mort…
d’un registre qui s’étend de la vague allusion à la menace la plus
Une fois encore, le génie singulier de Labiche parvient à concilier
précise, du sous-entendu presque anodin à l’attaque frontale. la critique sociale et une théâtralité toute en vitesse, coq-à-l’âne
Pour aborder la subtile musique de chambre pintérienne, Bondy
et tête-à-queue. Peter Stein est l’un de ses grands admirateurs.
en a commandé une version nouvelle à un traducteur qui parle
C’est avec lui, et à l’Odéon, qu’il a choisi de mettre en scène
couramment tous les dialectes de la tension : Philippe Djian. pour la première fois du théâtre en langue française, quarante
ans après sa création allemande de La Cagnotte.
10 janvier - 10 février 2013 / Odéon 6
e
FIN DE PARTIE
22 mai - 29 juin 2013 / Odéon 6e
de Samuel Beckett – mise en scène Alain Françon
LE MISANTHROPE
avec Serge Merlin, Gilles Privat, Michel Robin,
de Molière – mise en scène Jean-François Sivadier
Isabelle Sadoyan
avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vin-
« Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » : par la grâce de
cent Guédon, Anne-Lise Heimburger, Norah Krief,
LA FÊTE DE L’INSTANT
Luc Bondy
cette extraordinaire réplique inaugurale, Fin de partie entre dans
Christophe Ratandra, Christelle Tual
Dialogues avec Georges Banu
l’histoire du théâtre comme la goutte qui fait déborder un très
D’ordinaire, Alceste est irritable. Aujourd’hui, il est irrité. Quelque
vieux vase dramaturgique. Selon Roger Blin, Beckett « voyait Fin
chose ou quelqu’un ne tourne plus très rond… Ce Misanthrope
de partie comme un tableau de Mondrian». Analogie d’autant
selon Sivadier est d’abord une mise en crise, du théâtre non
plus intéressante que Beckett a puisé une part de son inspira- moins que de la société. Alceste est peut-être un malade, affligé
tion dans l’univers des échecs. Cette vision qu’il avait de son
à son insu d’un excès de bile noire. Mais la critique qu’il adresse
œuvre comme abstraction soumise à des règles rigoureuses, à l’humanité n’est pas qu’un symptôme. Sivadier aime « l’étrand’ordre pictural ou logique, explique en partie qu’il en ait contrôlé
geté de cette pièce très politique justement parce qu’elle a l’air
de très près la création théâtrale. Ici plus qu’ailleurs, le passage
de s’en tenir à la sphère privée ». Il aime aussi l’énergie sombre
du livre au plateau est donc affaire d’exécution. Alain Françon, d’un héros où il voit « une part de chacun d’entre nous », éternelpareil à un chef recrutant minutieusement son orchestre, a réuni
lement en guerre contre notre autre part : le très sociable Philinte,
autour du texte des acteurs qui ont conféré à cette Fin de partie
accommodant au risque de la compromission… Jean-François
la force et l’évidence d’un classique.
Sivadier et Nicolas Bouchaud se retrouvent avec d’autres com-
Nouvelle édition revisitée
Actes Sud~Papiers, Collection « Le temps du théâtre »
La Fête de l’instant ou l’autoportrait de
Luc Bondy, metteur en scène au carrefour du théâtre et de l’opéra, de la
littérature et du cinéma.
Célébré de Paris à Berlin et de Bruxelles
à Salzbourg, ce « bohémien de luxe »
témoigne à travers les dialogues avec
Georges Banu de son aversion pour
l’excès du théâtre et, polémiquement,
affirme sa quête d’un « théâtre sans
théâtre ». Théâtre réfractaire aux dogma-
tismes de tous ordres qui laisse
éclore la vérité des êtres, personnages
et comédiens confondus. Le théâtre
de l’apesanteur.
Luc Bondy transporte d’un lieu à l’autre
son « théâtre privé » où se retrouvent
ensemble le grand-père de Prague
et les personnages de Schnitzler, la
passion du présent et le bonheur des
futurs spectacles à venir. Ludique et
inclassable, Luc Bondy décline son art
à la première personne.
De Michel Piccoli à Peter Stein, les
témoignages de ses amis et partenaires, la plupart réunis par l’Académie
Expérimentale des Théâtres, apportent ici des éclairages de l’inté-rieur sur
Luc Bondy et son travail qui se dérobe
à toute sécurité afin de s’accomplir
sans appuis superflus et d’honorer en
confiance la « fête de l’instant ».
à paraître en septembre 2012
disponible en version numérique
pagnons, dont Norah Krief, pour attaquer ensemble – une fois
encore à l’Odéon – une nouvelle étape de leur périple théâtral.
Formule de rentrée
88 € au lieu de 136 € (48 € pour les moins de 26 ans)
Bulletin à télécharger sur theatre-odeon.eu à partir du 28 août 2012
Au sommaire de la Lettre de l'Odéon N°2
-Entretiensavec Philippe Djian, traducteur du Retour de Harold Pinter ;
avec Grzegorz Jarzyna, metteur en scène de Nosferatu de Bram Stoker ;
avec Anna Viebrock, scénographe des spectacles de Christoph Marthaler.
-Exils, cycle de lectures et de rencontres avec de grands écrivains, animé par Paula Jacques.
En partenariat avec France Inter.
-Les Scènes imaginaires, portraits de grands metteurs en scène, et un cycle de rencontres philosophiques,
proposé et animé par Raphaël Enthoven.
En partenariat avec France Culture.
12 - 15 septembre / Odéon 6 e
DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ
Les Beaux Jours d’Aranjuez
de Peter Handke
mise en scène Luc Bondy
12/13
14 - 21 septembre / Berthier 17 e
GLAUBE LIEBE HOFFNUNG
Foi Amour Espérance
d’Ödön von Horváth et Lukas Kristl
mise en scène Christoph Marthaler
Ouverture de la location
DIE SCHÖNEN TAGE VON ARANJUEZ
Les Beaux Jours d’Aranjuez
GLAUBE LIEBE HOFFNUNG
Foi Amour Espérance
le mardi 28 août 2012
LA BARQUE LE SOIR
le jeudi 6 septembre 2012
27 septembre - 3 novembre / Berthier 17 e
LA BARQUE LE SOIR
de Tarjei Vesaas
mise en scène Claude Régy
18 octobre - 23 décembre / Odéon 6 e
LE RETOUR
de Harold Pinter
mise en scène Luc Bondy
16 - 23 novembre / Berthier 17 e
NOSFERATU
d’après Dracula de Bram Stoker
mise en scène Grzegorz Jarzyna
11 - 16 décembre / Berthier 17 e
MEINE FAIRE DAME. EIN SPRACHLABOR
My Fair Lady. Un laboratoire de langues
mise en scène Christoph Marthaler
10 janvier - 10 février / Odéon 6 e
FIN DE PARTIE
de Samuel Beckett
mise en scène Alain Françon
17 janvier - 3 mars / Berthier 17 e
LA RÉUNIFICATION DES DEUX CORÉES
une création théâtrale de Joël Pommerat
20 - 23 février / Odéon 6 e
DER WEIBSTEUFEL
Le Diable fait femme
de Karl Schönherr
mise en scène Martin Kušej
19 mars - 14 avril / Berthier 17 e
JEUX DE CARTES 1: PIQUE
d’Ex Machina
mise en scène Robert Lepage
22 mars - 5 mai / Odéon 6 e
LE PRIX MARTIN
d’Eugène Labiche
mise en scène Peter Stein
Tarifs
Théâtre de l’Odéon
34€ - 26€ - 16€ - 12€ - 6€ (séries 1, 2, 3, 4, debout)
Ateliers Berthier
de 6€ à 30€
Représentations
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi
theatre-odeon.eu – 01 44 85 40 40
23 - 27 avril / Berthier 17 e
couverture © Walter Mair / graphisme © Werner Jeker / Licence d’entrepreneur de spectacles 1039306 et 1039307
FRAGMENTE
Fragments
un projet de Lars Norén et Sofia Jupither
22 mai - 29 juin / Odéon 6 e
LE MISANTHROPE
de Molière
mise en scène Jean-François Sivadier
23 mai - 29 juin / Berthier 17 e
CENDRILLON
une création théâtrale de Joël Pommerat
Odéon 6 e
EXILS
cycle de lectures, en partenariat avec France Inter
Odéon 6 e
LES SCÈNES IMAGINAIRES ET RENCONTRES
PHILOSOPHIQUES
en partenariat avec France Culture
Monsieur Pierre Bergé, AXA France et Dailymotion
sont mécènes de la saison 2012-2013
Renseignements et location
Par téléphone 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30
Par internet theatre-odeon.eu ; fnac.com ; theatreonline.com
Au guichet du Théâtre de l’Odéon du lundi au samedi de 11h à 18h
Contacts
Abonnement individuel, jeune, et Carte Odéon
01 44 85 40 38 [email protected]
Groupe d’adultes, groupe d’amis, associations, comité d’entreprise
01 44 85 40 37 [email protected]
Groupe des publics jeunes de l’enseignement (Teatrio et Duo)
01 44 85 40 39 [email protected]
Toute correspondance est à adresser à
Odéon-Théâtre de l’Europe – 2 rue Corneille – 75006 Paris
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon Paris 6 e
Métro Odéon RER B Luxembourg
Ateliers Berthier
1 rue André Suarès (angle du Bd Berthier) Paris 17e
34 Bd Berthier Paris 17e (petite salle)
Métro et RER C Porte de Clichy
Salles accessibles aux personnes à mobilité réduite,
nous prévenir impérativement au 01 44 85 40 37
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