Mieux prescrire chez le sujet âgé. Diminuer la iatrogénie et améliorer l’observance Sylvie LEGRAIN Gériatre CHU Bichat - Paris Quelques chiffres • 16% de la population française (> 65 ans) consomme 39% de la dépense pharmaceutique française (Cour des comptes 2003). • > 20 % des hospitalisations chez les sujets de plus de 80 ans sont liées, en tout ou partie, à un accident iatrogénique. • Le défaut d’observance des traitements serait responsable d’environ 10% des hospitalisations chez le sujet très âgé. La polymédication des sujets très âgés • Elle est souvent légitime, car elle diminue souvent la morbi-mortalité et améliore la qualité de vie. • Son premier déterminant est la polypathologie. • Mais, elle augmente le risque iatrogénique, diminue sans doute la qualité de l’observance, et a un coût élevé. Nb. moyen de boîtes acquises 20 Pers. âgées de moins de 65 ans 18 Pers. âgées de 65 ans et plus 16 14 12 10 8 6 4 2 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Nb. de maladies déclarées Source : CREDES, Enquête ESPS 2000 14 15 16 et plus ESPS 2002 • Enquête un jour donné à domicile • 85.6% ≥ 65 ans sont consommateurs en moyenne 4.4 médicaments ≥ 80 ans • M prescrits ↑ avec l’âge : 74.9 % 60-69 ans → 87 % ≥ 80 ans • M. non prescrits ↓ 4.4% 60-69 ans → 1.4% ≥ 80 ans • ↑ toutes les classes M. : M cvx : 51 % en 2000 → 67 % SNC : 21% → 23.3% Psycholeptiques : 16% → 22.5% http://www.IRDES.fr Trois modalités de prescription sous-optimale ont été décrites chez le sujet âgé « underuse », « misuse », « overuse » « Underuse » Absence d’instauration d’un traitement efficace, chez les sujets ayant une pathologie, pour laquelle une ou plusieurs classes médicamenteuses ont démontré leur efficacité. « Underuse » La sous - représentation des sujets très âgés et/ou polypathologiques dans les essais cliniques ne permet pas de bien évaluer, avant la mise sur le marché, le rapport bénéfice / risque d’un médicament. → Importance des études post - AMM et de la pharmacovigilance. « Underuse » Pathologies concernées Insuffisance coronaire : β-bloquant et aspirine HTA systolique Insuffisance cardiaque : IEC et β-bloquant AC/FA non valvulaire : AVK Dépression : antidépresseur Ostéoporose fracturaire : calcium / vitamine D et biphosphonates • Morphine dans les douleurs cancéreuses • • • • • • « Misuse » Utilisation de médicaments dont les risques dépassent les bénéfices attendus « Misuse » • Une liste de médicaments a été établie par Beers, initialement pour des malades admis en nursing home, puis réactualisée. • Ces critères (48) ne tiennent pas compte de la posologie (sauf pour 4), ni de la durée et de l’indication des traitements. • Cette liste est largement utilisée pour évaluer les prescriptions inappropriées, mais elle a ses limites à l’échelon individuel. Beers et al. Arch Intern Med 1991, 1997, Fick et al 2003 « Misuse » • Deux approches : - populationnelle : les listes de Beers (USA) ; très utilisées au plan international ; - individuelle → évaluer pour chaque individu le rapport bénéfice/risque d’un médicament. En tenant compte des co-morbidités et des comédications « Overuse » Utilisation de médicaments prescrits en l’absence d’indication ou d’efficacité démontrée. « Overuse » • Le médicament n’a pas d’indication → Nécessité avant de prescrire d’avoir une démarche diagnostique précise Ex : préciser le mécanisme d’insuffisance cardiaque, étayer le diagnostic d’insuffisance coronaire, de dépression … • Le médicament n’a plus d’indication, d’où la nécessité de revoir régulièrement les indications. Knight et Avorn Ann Med Intern 2001 « Overuse » • Médicament inefficace = Service médical rendu (SMR) insuffisant • Commission de transparence : révision de la majorité des médicaments entre 1999 et 2001 • 9,36 % dépenses et 6,36 % remboursements de la CANAM. 25% concernent les VD cérébraux. 40% des ordonnances après 80 ans (≥1M.) ↓ sujets en ALD (6.81% vs 11.37%) Blum-Boisgard et Dachicourt CANAM mars 2003 Consommations et prescriptions (1) • Enquête Santé et Protection Sociale ESPS 2000 : enquête téléphonique + autoquestionnaires (morbidité et consommation de soins sur 1 mois) appariés avec échantillons permanents d’assurés sociaux des 3 grands régimes de SS • Enquête permanente sur la prescription des médecins libéraux (IMS - Health) N= 1600 GP, 1740 spécialistes, prescription 7 j Auvray et Sermet Gérontologie et Société 2002 Consommations et prescriptions (3) • Classement des médicaments en terme de volume : Diantalvic (2,2%) > Kardegic > Doliprane Vastarel • Parmi les 30 M. les plus achetés : 6 antalgiques, 3 vasodilatateurs, 3 veinotoniques SMR insuffisant : 8 • Classement des médicaments en terme de dépense : Mopral > Zocor > Vastarel > Tanakan Auvray et Sermet Gérontologie et Société 2002 « Underuse » • Les sujets âgés sont mal représentés dans les essais. Ex 1 : insuffisance coronaire 593 essais cliniques ; ≥ 75 ans (37% des IDM) 2% 1966-1990 à 9% 1991 – 2000 Lee et al. JAMA 2001 Ex 2 : cancer USA ; 59300 sujets, 495 essais 32% de sujets ≥ 65 ans (61% des nouveaux cas) surtout phases précoces ; critères d’exclusion Lewis et al. J Clin Oncol 2003 « Underuse » • Le bénéfice est souvent supérieur chez la PA. Ceci est démontré dans le domaine cardiovx. Ex : HTA systolique, AC/FA Sutton Tyrrell et al. Arch Intern Med 2003 Gage et al. Stroke 2000 • Par contre, la tolérance est mal évaluée. Ex : 185 essais publiés dans les 7 meilleures revues 14% aucune mention des EI, 32% inexploitable ; 1 essai sur 4 : sévérité Loke et Derry BMC Clin Pharmacol 2001 Une iatrogénie médicamenteuse fréquente mais souvent évitable Les accidents iatrogéniques • Le principal FDR est la polymédication : nombre absolu de médicaments pris de façon concomitante Atkins Drugs and Aging 1999 • Leur gravité augmente de façon significative avec l’âge : - malades plus fragiles, - comorbidités, - retard diagnostique. Les accidents iatrogéniques • Type A : effets résultants de l’action pharmacologique du médicament, effets dose - dépendants, ex. : saignement sous AVK, bouche sèche sous AC, constipation sous morphine. Effets potentiellement évitables • Type B : réactions inattendues, plus rares ex. : choc anaphylactique et Pénicilline, toxidermie sous fluoroquinolone Les accidents iatrogéniques • Ils sont de diagnostic difficile chez des sujets souvent polypathologiques : - chute rapportée à la prise d’un IRS - AVC révélateur d’une hypoglycémie, - anorexie révélant une hyponatrémie sous thiazide - adynamie évoquant une intoxication digitalique. Iatrogénèse et admission • Etude prospective et exhaustive dans deux CH anglais (2001-2002) • >16 ans, sur 6 mois • exclusion : intox. volontaire et pb d’observance • 3 niveaux d’évitabilité • N= 18820 admissions ; 6.5% ADR (80% en totalité) ; âge moyen : 76 ans vs 66 Pirmohamed et al. BMJ 2004 Iatrogénèse et admission • 95% de type A ; 28% inévitables ; 9% totalement (médico - légal) ; 63% possiblement • 2.3% : décès dont 54% hémorragie digestive aspirine impliqué dans 61% des décès • Médicaments les plus impliqués : AINS 29.6% >diurétiques 27.3 % >AVK 10.5% > IEC, sartans antidépresseurs > β-bloquants > morphiniques 6% • Interactions m. : 15.6% Pirmohamed et al. BMJ 2004 Iatrogénèse et admission en gériatrie • En court séjour gériatrique CHU Rouen >70 ans (âge moyen : 82.4 ans) 1997- 1999 • N=2691 sujets, 500 ADE consécutifs ; 17.7% admissions • Etude approfondie : dose, comorbidités, comédications, événements intercurrents • 66.7% ADE : signes cvx, métabolique, rénal et neuroΨ • 43.7% m cvx ; 31.2% psychotropes • FDR 81.2% : comorbidités ou comédications • Événement intercurrent (déshydratation) : 44.2% Doucet et al. Clin Drug Invest 2002 Iatrogénèse et admission en gériatrie • Nature des ADE : - c vx : hypoTA orthostatique, trouble du rythme ou de la conduction 28.2% - trouble métabolique ou rénal : déshydratation, trouble ionique, insuffisance rénale 25.8% - tr. neuroΨ : agitation, tr. vigilance, confusion 15.2% - tr. digestifs : diarrhée, vomissement 10% • Interaction m. 60.6% ; surdosage : 14.8% • 41.3% évitables Doucet et al. Clin Drug Invest 2002 Les symptômes d’appel • Les malaises et / ou chutes • Le syndrome confusionnel • Les troubles digestifs Qui chez le sujet âgé ont des conséquences potentiellement graves • Mais aussi, comme chez le sujet plus jeune, Les éruptions cutanées Inducteurs et inhibiteurs enzymatiques • Inducteurs barbituriques phénytoïne carbamazépine rifampicine griséofulvine • Inhibiteurs macrolides fluconazole cimétidine nitroimidazolés amiodarone ciprofloxacine ISRS Interactions médicamenteuses • Au niveau pharmacocinétique Ex 1 : Calcium et Biphosphonates. Ex 2 : Dihydan et Dépakine. Ex 3 : AVK et ISRS Ex 4 : Lasilix et aminosides Interactions médicamenteuses • Pharmacodynamie = action au niveau des mêmes récepteurs ou des mêmes systèmes physiologiques. Ex 1 : Anticholinestérasiques et β-. Ex 2 : Opioïdes, alcool, anti-H1 Ex 3 : Thiazides et digitaliques. Ex 4 : Diurétiques /AINS / IEC Ex 5 : BZD, neuroleptiques, IRS La iatrogénie est souvent évitable chez le sujet âgé. Le risque iatrogénique n’est pas le même • Chez tous les sujets âgés • Avec tous les médicaments • Dans toutes les situations. Il faut avoir une vigilance accrue chez les sujets : • • • • • • • Polypathologiques Insuffisants rénaux Dénutris Déments Avec des troubles locomoteurs Avec un déficit sensoriel Ayant un profil psychologique particulier. Il faut avoir une vigilance accrue lorsque l’on prescrit : • Un médicament : - à marge thérapeutique étroite - psychotrope - cardiovasculaire - mis récemment sur le marché. • Une association de produits actifs. • Plusieurs médicaments ayant une même propriété pharmacologique. Il faut avoir une vigilance accrue lors d’affections intercurrentes • Troubles digestifs, fièvre avec anorexie, coup de chaleur et toute situation induisant une déplétion hydrosodée • Episodes infectieux → Education sanitaire du patient et de son entourage. Quelques principes pour optimiser la prescription médicamenteuse chez le sujet âgé Principes de prescription (1) • Ne pas prescrire sans analyse diagnostique précise. • Etablir des priorités thérapeutiques, en concertation avec le sujet. • Evaluer le rapport bénéfice / risque du médicament. Prendre en compte les co-morbidités et les comédications (risque iatrogénique) Principes de prescription (2) • Apprécier l’aptitude du patient et son risque éventuel de mauvaise observance. • Choisir une classe médicamenteuse et une galénique adaptées. Penser la posologie et définir une durée. • Eduquer le sujet et/ou son entourage. Principes de prescription (3) • Mettre en place un suivi médical adapté et vigilant. - Indicateurs d’efficacité - Indicateurs de tolérance • Revoir le traitement dans sa globalité chaque année, lors de l’introduction d’un nouveau médicament et lors d’un événement intercurrent... Comment revoir le traitement d’un sujet âgé Référentiel HAS Prescription médicamenteuse chez le sujet âgé (PMSA) un chemin clinique et trois tableaux que l’on peut télécharger : http//www.has-sante.fr Programmes d’amélioration et d’évaluation des pratiques de la Prescription Médicamenteuse chez le sujet âgé PMSA Prescription médicamenteuse chez le sujet âgé Pathologies à traiter NOM Date d'actualisation PRENOM Date de naissance PATHOLOGIES ACTUELLES Médecin A traiter oui / non Classe médicamenteuse Molécule DCI Oui Kardegic 160 mg/j Sectral 200 mg/j Levothyrox 75 µg/j Posologie Insuffisance coronarienne Hypothyroïdie Oui Prescription médicamenteuse chez le sujet âgé Révision d'une ordonnance NOM Date de révision PRENOM Date de naissance ORDONNANCE EN COURS Médecin INDICATION ? (pathologie présente, service médical rendu +) PAS de CI ? (comorbidités, interactions) POSOLOGIE optimale ? GALENIQUE (et packaging) adaptés ? A POURSUIVRE ? oui / non …..Colchicine Crise de goutte non 1cp/j oui oui pendant 1 mois …..Nidrel HTA non 20 mg/j oui à vie …..Tanakan ? ….. ….. 3 doses par jour à arrêter Prescription médicamenteuse chez le sujet âgé Suivi du traitement NOM JOS. Date d'actualisation PRENOM Pierre Date de naissanc 12/01/24 Médecin 28 février 2006 Legrain CRITERES et RYTHME du suivi INDICATION * Constipation AC/FA Dépression MEDICAMENT en DCI (date intro) NOM(s) COMMERCIAL(aux) Posologie RESULTATS (date) Durée Efficacité Tolérance Macrogol (2005) Forlax 3/j A vie Transit Incontinence anale K+ OK Fluindione (4 novembre 2004) Previscan ½/j À vie INR entre 2 et 3 Signes hémorragiques Attention IRS INR : 2,4 26/02/06 Paroxétine (1er février 2006) Deroxat 1 cp/j 1 an Dépression Chutes INR Natrémie Moins triste et apragmatique L’âge n’est en soi une contre-indication à aucun médicament. Il modifie les objectifs et les modalités du traitement. Le médicament est avant tout une chance. PHRC OMAGE Optimisation des médicaments chez le sujet âgé PHRC OMAGE • • • • Justification de l’étude : Les hospitalisations, fréquentes chez le sujet âgé fragile, sont un facteur de perte d’autonomie, de morbi-mortalité et ont un coût économique important. 20 % à 30 % des hospitalisations sont liées à un problème médicamenteux, dont une partie peut être prévenue. Objectif principal : Evaluer, chez les sujets âgés hospitalisés en UGA, l’impact d’une intervention « multifacette » d’optimisation des traitements médicamenteux sur le pourcentage de patients réhospitalisés ou passés aux urgences dans les 6 mois suivant leur sortie. Objectifs secondaires : Evaluer l’impact de l’intervention sur la mortalité à 6 mois, le délai avant réhospitalisation, la diminution des hospitalisations liées au médicament à 6 mois, l’« underuse » dans 5 pathologies ciblés. PHRC OMAGE • • • • • • • Critère de jugement principal : réhospitalisation ou passage aux urgences à 6 mois. Plan expérimental : Essai d’intervention randomisé, multicentrique et régional. Nombre de sujets : 800 sujets (400 sujets dans chaque bras). Nombre de centres participants : 4. Durée de l’étude : inclusion sur un an mois. Suivi des sujets sur six mois. Critères d’inclusion : Patient hospitalisé en urgence en unité de gériatrie aiguë (UGA) ayant donné son consentement. Critères de non-inclusion : Sujet en hospitalisation programmée, en soins palliatifs ou dont le pronostic vital est engagé dans les 3 mois. PHRC OMAGE • • Intervention complexe évaluée : Elle sera assurée par un gériatre formé à la problématique du médicament chez le sujet fragile. Elle comportera une optimisation de la prescription, une action d’éducation thérapeutique dirigée vers les patients et/ou ses aidants et une action de coordination des soins avec les divers acteurs de santé à la sortie de l’hôpital. Elle sera personnalisée, mais reproductible. Résultats attendus : Si l’impact d’une intervention ciblée sur le médicament est démontré sur les réhospitalisations, ce type d’intervention pourrait être diffusé, dans le contexte actuel de pénurie de lits d’hospitalisation, à l’ensemble des équipes gériatriques. Consentement de ZELEN Critères d’éligibilité remplis Randomisation Intervention d’optimisation du traitement Consentement demandé pour l’intervention et le suivi Soins usuels Consentement demandé pour le suivi Consentement donné Consentement refusé Consentement donné Inclusion Intervention Registre de malades éligibles non inclus Inclusion Soins usuels Consentement refusé Registre de malades éligibles non inclus