
Le chercheur poursuit en expliquant que «
nous sommes témoins de la victoire d’une
idéologie mise de l’avant par les gouverne-
ments. Bien que l’esprit qui guide ces négocia-
tions est fortement teinté de l’idéologie néolibé-
rale, ce ne sont pas les entreprises privées qui
les ont mises de l’avant. Ce sont les élus. C’est
notamment le cas du premier ministre Charest
qui en fait une question quasi personnelle,
d’héritage politique même. Pour lui, le traité
constitue un premier pas vers d’autres ententes
comme celle signée avec la France sur la
reconnaissance mutuelle des qualifications
professionnelles ».
Ce rapprochement avec l’Europe est la mise
à jour d’une vieille idée qui avait émergé sous
le gouvernement Trudeau. Ce dernier voulait
développer une troisième voie afin de réduire la
dépendance du Canada envers les États-Unis.
Des études peu convaincantes
Pourtant, toutes les études portant sur les
bienfaits de l’ALÉNA sont loin d’être convain-
cantes. « Les travaux notamment du Groupe de
recherche sur l’intégration continentale1 ainsi
que ceux de Dorval Brunelle et de Christian
Deblock 2 devraient inciter les responsables
politiques à faire preuve de discernement
lorsqu’ils négocient des accords de libre-
échange », indique Alexandre L. Maltais.
Pas n’importe quel accord éco-
nomique
Le chercheur de l’IRÉC ne s’oppose pas à
la négociation d’accords économiques entre
les pays. Cet accord avec l’Union européenne
pourrait être une chance pour le Québec à
1. http://www.gric.uqam.ca
2. BRUNELLE, Brunelle et de Christian DEBLOCK.
L’ALENA: le libre-échange en défaut, Fides, 2004; «
Une intégration nord-américaine destructrice d’emplois:
les illusions du libre-échange au Québec », Le Monde
diplomatique, février 1999
3
Le gouvernement canadien
n’a rien appris
Alexandre L. Maltais, l’auteur de la deuxième étude de l’IRÉC sur l’Accord
économique commercial et global - Canada-Europe (AÉCG), est sidéré de voir
avec quelle désinvolture le gouvernement canadien s’apprête à signer un
accord sans tenir compte de l’expérience de l’Accord de libre-échange nord-
américain (ALÉNA). « Depuis 20 ans, le chapitre 11 de l’ALÉNA s’est révélé
être l’aspect le plus problématique de l’entente tripartite, explique le cher-
cheur. Pourtant, les négociateurs canadiens s’apprêtent à conclure un accord
en tous points semblable au chapitre 11 tout en sachant qu’il contribuera
à la marginalisation de l’intérêt public. C’est grave, car nous ne pourrons
pas plaider que nous ne savions pas! ». La rédaction du Bulletin de l’IRÉC le
remercie chaleureusement pour l’entrevue qu’il a accepté de lui accorder.
condition qu’il soit négocié correctement.
D’ailleurs, il note dans son rapport une
explosion du nombre de traités bilatéraux de
promotion et de protection de l’investissement
(TBI) depuis les dernières décennies. Selon la
Conférence des Nations unies sur le commerce
et le développement, plus de 2800 traités bila-
téraux étaient en vigueur en 2008. Il en résulte
que la vaste majorité des États du monde est
liée à un ou plusieurs accords de ce type. Par
exemple, le Canada a conclu plus de 33 accords
de protection de l’investissement étranger et
négocie avec huit autres États.
Cependant, « les négociations entourant
l’AÉCG sont troublantes à plus d’un titre, dit-il.
D’une part, on peut entrevoir les coûts énormes
engendrés par un tel accord, notamment en
octroyant aux investis-
seurs étrangers un droit de
poursuivre les gouverne-
ments devant les tribunaux
internationaux, de l’autre,
il y a un risque réel de perte
de souveraineté. L’objectif
de l’AÉCG Canada-Union
européenne n’est plus le
développement économique,
mais l’application doctri-
naire de préceptes dont les
bienfaits sont considérés
comme automatiques. Le
traité évacue la défense des intérêts
supérieurs du Québec ».
Approche pragmatique
Bien entendu, il se trouve des chercheurs
pour dire que ce danger n’existe pas. À preuve,
dit-on, c’est l’État canadien appuyé notamment
par le Québec de Jean Charest qui a enclenché
la négociation. « J’ai adopté une approche
pragmatique, explique le chargé de projet. Je
crois que ce serait une erreur de débattre de
cet enjeu à partir de préjugés, favorables ou
défavorables envers le libre-échange, puisqu’il
s’agit d’étudier les textes. Il nous faut analy-
ser, quantifier, établir le pour et le contre. Je
constate que l’accord est encore plus large que
ce qui a été négocié auparavant. La libéra-
lisation des marchés publics des provinces
canadiennes et du Québec par exemple, c’est du
jamais vu. Le Québec n’a jamais fait cela dans
le cadre d’un traité permanent. Les négocia-
teurs nous présentent cela comme un accord de
seconde génération, un bel euphémisme pour
cacher l’hypothèque qu’ils feront peser sur les
générations qui vont suivre! »
L’avenir des négociations
Alexandre Maltais a terminé l’entrevue
en expliquant que les négociations peuvent
prendre une autre tournure lorsque la question
de la culture et des télécommunications
sera remise à l’ordre du jour. Il prévoit une
réaction de l’opposition parlementaire et de
la société civile. « Ma compréhension est que
les négociateurs ne veulent pas y toucher alors
que les Conservateurs veulent en faire un
enjeu de ces négociations. Le Québec a été de
tous les combats pour faire reconnaître, avec
succès jusqu’ici, l’exception culturelle dans les
accords commerciaux. Cette victoire qui a été
obtenue de haute lutte demeure vivace dans
la mémoire. D’ailleurs, le premier ministre
Charest est sur la même longueur d’onde que
le président français Nicolas Sarkozy précisé-
ment sur la question de l’exception culturelle »,
conclut-il.
Natif d’Alma, Alexandre L. Maltais pour-
suit des études de droit international à
l’Institut des Hautes études internationales et
du développement (IHEID) de Genève avec un
intérêt marqué pour le droit économique.
Il détient un baccalauréat en relations
internationales et en droit international de
l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Il a rédigé les deux rapports de recherche de
l’IRÉC sur l’Accord économique commercial et
global (AÉCG) Canada-Europe.
Le premier1, publié en janvier 2011, analyse
l’accord sous l’angle des services publics; le
second2, publié en septembre 2011, le fait sous
l’angle des investissements.
Alexandre L. Maltais
1. MALTAIS, Alexandre. L’Accord économique et
commercial global Canada-Europe: quelles consé-
quences pour le Québec? IRÉC, Janvier 2011, 39 pages.
2. MALTAIS, Alexandre. L’investissement dans l’Accord
économique et commercial global Canada-Europe
et ses conséquences pour le Québec. IRÉC, Septembre
2011, 31 pages.
La version intégrale de ces deux rapports est disponible
sur notre site à l’URL suivante: http://www.irec.net/index.
jsp?p=33
ENTREVUE AVEC ALEXANDRE L. MALTAIS