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avortements pour une naissance — ajoutés aux problèmes de logement, expliquent que les femmes russes, il y a
encore une quinzaine d'années, se mariaient très jeunes et mettaient au monde un enfant très rapidement. La relation
de type paternaliste entre les Soviétiques et l'État, qui permettait de dissocier indépendance économique et constitution
de la famille, renforçait ces tendances. Or, depuis le début des années 1990, la contraception s'est répandue (le nombre
d'avortements a baissé rapidement, mais reste malgré tout important), l'âge moyen au mariage s'est élevé, ainsi que
l'âge à la naissance du premier enfant. Ces transformations ont entraîné une baisse très rapide de la fécondité, les
jeunes femmes retardant leur première naissance alors que les femmes plus âgées avaient déjà mis au monde leurs
enfants. Qui plus est, les transformations économiques ont renforcé le lien entre activité et fécondité, nombre de couples
attendant des perspectives économiques plus stables avant de mettre au monde un enfant. Enfin, il semble bien que la
descendance finale des femmes des jeunes générations sera inférieure à celle des générations précédentes.
D'autres changements profonds révèlent encore la transformation sociale observée aujourd'hui. Le mariage,
traditionnellement universel en Russie, n'est plus la seule forme de vie en couple, et la cohabitation se développe
rapidement, comme en témoigne la forte croissance des naissances hors mariage (plus de 20 % des naissances,
aujourd'hui). La Russie se rapproche en cela des pays européens occidentaux, qui ont connu ce phénomène plus tôt. Le
divorce reste, lui aussi, très élevé, la moitié environ des mariages étant interrompus ainsi.
Troisième composante de la croissance démographique, l'immigration vers la Russie a, juste après l'éclatement de
l'URSS, fortement augmenté, compensant partiellement le déficit naturel des naissances. En fait, depuis le début des
années 1970, les Russes avaient déjà tendance à revenir des autres républiques soviétiques vers la Russie. Cette
tendance s'est fortement accélérée après 1991, le solde migratoire atteignant même plus de 800 000 personnes par an
au milieu des années 1990. Russes, mais aussi titulaires d'autres nationalités antérieurement soviétiques, ont d'abord
fui les zones les plus instables d'Asie centrale et du Caucase. Ils sont ensuite revenus massivement de tous les États de
ces régions, y compris du Kazakhstan, où vit une communauté russe importante. En revanche, les migrations en
provenance des États occidentaux de l'ex-URSS (pays Baltes, Ukraine, etc.) n'ont pas été aussi importantes. Aujourd'hui
ces flux diminuent, les populations encore résidentes étant à l'évidence moins mobiles, et le solde migratoire est, en
2001, inférieur à 300 000 immigrants par an. Seul le Kazakhstan semble encore être le lieu de résidence de nombreux
Russes probablement prêts à émigrer en Russie dans un avenir proche. Le bilan sur la décennie 1990 reste cependant
très élevé, puisque cette période fournit un solde migratoire positif cumulé de presque quatre millions de personnes, qui
sont donc venues compenser en partie le fort déficit naturel.
Les migrations vers l'étranger, hors de l'espace anciennement soviétique, nombreuses un temps, se sont aujourd'hui
beaucoup atténuées, alors que les Russes sont en revanche plus mobiles, préférant une mobilité de courte ou moyenne
durée à une émigration définitive. Durant la première moitié de la décennie 1990, sommet de la vague migratoire vers
l'étranger, environ 100 000 personnes ont émigré chaque année de Russie vers des pays extérieurs à l'ancienne
URSS, les trois destinations principales étant l'Allemagne (plus de 60 000 émigrés par an), Israël (plus de
10 000 émigrés par an) et les États-Unis (environ 10 000 émigrés par an). Ces flux se sont beaucoup ralentis, tant en
raison de politiques d'accueil restrictives, ou d'une diminution des possibilités de migrations dites «ethniques»
(Allemands et juifs de Russie essentiellement, qui ont bénéficié de conditions d'émigration favorables), que des
opportunités économiques présentes en Russie aujourd'hui, plus importantes pour les personnes les plus actives qui
constituent d'ordinaire les personnes les plus prêtes à émigrer.
Toutes ces tendances permettent de comprendre la baisse de la population russe, et son caractère inéluctable. Le
nombre annuel de décès (2,1 millions) et le nombre de naissances (1,2 million) s'expliquent par la mortalité élevée et la
fécondité basse, renforcées par une pyramide des âges défavorable, où les personnes âgées sont relativement
nombreuses, alors que les personnes en âges de procréer sont aujourd'hui très peu nombreuses. Seule une
immigration en provenance de l'étranger permettrait maintenant d'atténuer la baisse de la population, immigration qui
semble devenir sensible aujourd'hui, en raison d'une forte offre en provenance des pays d'Asie centrale ou de la Chine,
mais aussi d'autres pays frontaliers de l'ex-URSS, et d'un déficit de main-d'œuvre important, en particulier dans les
grandes exploitations sibériennes.
Une Russie multinationale ?
Traditionnellement l'Union soviétique distinguait citoyenneté et nationalité, un habitant de Russie, de citoyenneté
soviétique, pouvait être aussi de nationalité russe, ouzbek, tatar, ukrainienne, juive, etc. Cette identification n'a
aujourd'hui plus le même sens, être ukrainien ou ouzbek renvoyant plus à une citoyenneté, alors qu'être tatar renvoie
plus à une région qui a sa propre autonomie au sein de la Fédération de Russie. Il est donc difficile d'user des mêmes
concepts, qui sont d'ailleurs fortement remis en cause en Russie même. La nationalité telle qu'elle était définie