L’innovation en Russie. D. ECKERT, directeur de recherche, LISST Moscou a connu une désindustrialisation spectaculaire à partir du début des années 1990. La ville est devenue un laboratoire, pour observer le passage d’une économie soviétique où l’industrie avait une place très importante dans la ville, à une ville tertiarisée. Le passage à l’économie de marché a t-il entraîné une très forte concentration d’activités sur des points particuliers du territoire et une fragmentation de l’espace russe ? A l’époque soviétique, l’Etat investit massivement dans la science fondamentale (ex : tissu très solide d’instituts de physique fondamentale). L’accent est également mis sur la technologie d’armement, donc sur la science appliquée. Mais dans les années 1990, on change de paradigme : - la compétition militaire disparaît - beaucoup de pays émergents misent sur la technologie et la science - être excellent scientifiquement dans un système fermé (à l’époque soviétique) ce n’est pas la même chose que d’être excellent dans un système ouvert (aujourd’hui) A la différence de l’Inde ou du Brésil, la Russie est héritière d’une tradition de grande puissance scientifique. Par ailleurs, elle connaît une période de profonde crise et de réajustements : - effondrement des financements publics de la science - les industriels veulent tirer le maximum de profit des capacités de production existantes : pas d’investissement pour l’avenir (ex dans l’industrie du pétrole). Survie et mentalité de prédateurs économiques. Cela entraîne une crise assez grave, d’autant plus que certains fleurons étaient liés au complexe militaro-industriel. Années 2000 : A la fois discours sur l’innovation et en même temps, on observe le contraire : - simplification du système industriel : le pays s’ouvre d’un coup à la concurrence mondiale : effondrement de l’industrie de consommation russe. - Ce qui reste compétitif : l’extraction et la première transformation : métallurgie lourde, chimie (autour du pétrole et de l’industrie minière) : basse intensité technologique. - Le tissu industriel perd de son importance ; effondrement de la main-d’œuvre (l’emploi industriel diminue) : on pense qu’on passe à une économie post-industrielle. Ce n’est pas vrai. En réalité, la part de l’industrie dans le PIB reste très importante (40%). On assiste à un phénomène paradoxal : désindustrialisation (chute de la main-d’œuvre) et en même temps, les technologies très simples assurent l’essentiel des revenus de l’Etat : - production d’aluminium primaire - peu d’aciers spéciaux : métal de base - toujours pas de technologies qui permettent d’utiliser le gaz sur les gisements de pétrole. Le gaz est brûlé : technique du torchage. Gaspillage, exploitation les plus simples, atteintes à l’environnement. L’économie « low-tech » constitue donc le cœur du système économique russe. Finalement, la vraie malédiction russe serait peut-être d’avoir beaucoup de matières premières. Aujourd’hui, le secteur des machines-outils a disparu. Des industries ont été complètement rayées de la carte. Les industriels n’ont pas développé de technologies autochtones : ils ont préféré acheter des installations industrielles clé en main à l’étranger. Le paysage industriel reste dominé par de très grandes firmes (peu de PME et de start-up), ce qui constitue certainement un handicap à l’innovation. Moins d’1/3 des dépenses. Recherche et Développement sont assurées par les industriels. Les élites sont parfaitement conscientes de la nécessité d’une modernisation (Medvedev), d’autant plus que le capital humain est très favorable (le degré de qualification est très élevé). Pourquoi cela ne fonctionne t-il pas ? - Vraie crise de financement dans les années 1990 : l’Etat abandonne la science faute de moyens. Toute une stratégie est développée dans les années 2000 : 1,2% du PIB est consacré à la Recherche-Développement (équivalent de la Chine). On peut qualifier l’effort russe d’honorable. - Le nombre de publications en sciences fondamentales chute sur la décennie 1998-2008, dans un contexte où le nombre de publications mondiales augmente : situation très médiocre de la Russie par rapport à la Chine par exemple, où le nombre de publications est multiplié par 5, sur la même période. Déclin de la Russie, qui révélerait une faible efficacité des investissements publics. Peu à peu, la Russie s’accroche aux coopérations avec les pays leaders (Japon, USA, Allemagne, RU), c’est à dire au système scientifique mondial. Aujourd’hui, cela se renforce encore, avec la disparition de l’ex-bloc communiste : il n’y a plus que l’Ukraine avec qui la Russie entretient des liens scientifiques importants. (A la fin des années 1970, l’activité scientifique est concentrée sur quelques pôles : EU, Europe occidentale et Japon. 1998 : toujours les mêmes + Inde + Chine + Brésil et Australie. Aujourd’hui, système beaucoup plus multipolaire) - L’Etat russe a favorisé le développement de quelques pôles en Russie : Moscou, SaintPétersbourg et Novossibirsk. En réalité, légère érosion de la place de Moscou et montée assez nette de grands centres provinciaux (Saint-Pétersbourg, Novossibirsk, Ekaterinbourg, Nijni Novgorod). On peut s’interroger sur la pertinence de ne favoriser que quelques centres. Nouveau programme aéronautique : Superjet 100. L’aéronautique était un fleuron de l’industrie soviétique (Antonov : plus gros avion du monde). Le secteur s’est effondré dans les années 1990. Cette industrie un peu dispersée (structure éclatée de la production) s’est très mal adaptée à la concentration au niveau mondial et donc à la concurrence internationale. L’aéronautique civile s’est quasiment arrêtée. Au bout d’une dizaine d’années, on force l’unification : naissance du complexe OAK. Mais comme il est très difficile de revenir sur des marchés, nécessité de trouver des niches. La production d’avions de moyenne capacité en est une. Pour la fabrication du Superjet 100, les Russes ont intégré des technologies étrangères et délèguent beaucoup : l’avionneur ne gère plus tout.