Au terme de la dune, entre Daḥūl, Ḥawmal
Tūḍiḥ et al-Miqrāt, dont les traces ne se sont pas effacés
Tant elles ont été tissées par le passage des vents du sud et du nord
est toujours la première pièce mise en exergue et expliquée (tant le vocabulaire y est archaïque) par les
commentateurs des mu‘allaqāt,cette collection de sept (ou dix...) poèmes de l’anté-islam mise en place au
VIIIe siècle, et présentée comme joyau de la poésie des Arabes d’antan.
Les aḫbār(anecdotes narratives) constituant la biographie du poète dans les anthologies d’adab (outre celle
d’Ibn Qutayba, on citera le Kitāb al-Aġānīd’al-Iṣfahānī,m. 967) construisent le portrait d’un héros réunissant
les qualités et défauts associés aux bédouins : fils de Ḥuǧr, dernier roi de la confédération tribale des Kinda
(Arabes du Sud établis dans la région du Naǧd), Imru’ al-Qays aurait été chassé par son père en raison de son
penchant pour la boisson, les femmes et la poésie. Quand ce dernier est assassiné par les BanūAsad, en
révolte contre leur suzerain, il se donne une dernière soirée de plaisir avant de consacrer le reste de sa vie à
venger son père : la légende lui fait prononcer la formule devenue proverbiale 9/8KKC3):K K+3LK9;M)K+ (ce soir le
vin, demain les affaires sérieuses). Il devient alors al-Malik al-Ḍillīl,le roi-errant, poursuivant les BanūAsad
à travers l’Asie mineure, contractant alliance avec l’empereur byzantin Justinien avant d’être trahi par ce
dernier qui, outré qu’il ait composé des vers sur sa fille, lui fait don d’une tunique empoisonnée. Imru’ al-
Qays devient alors Ḏū l-quruḥ(le pustuleux) et meurt à Ancyre2,en prononçant ses derniers vers (sans doute
apocryphes) devant la montagne ‘Asīb :
!'=A+!HM (N +92)89
D./+# / O'N3
PC/5) !) C!#M ./6=Q
D
!'=A+!HM !R'N
$(!&/+L !'DS!S /
T1,3
U./+L
$./+V78
D./6='
Ô voisine, je vous rendrai bientôt visite / Et demeurerai ici tant que le mont ‘Asīb demeurera
Ô voisine, nous sommes tous deux en terre étrangère / Et chaque étranger est parent de son frère
Imru’ al-Qays représente donc la force virile, le jeune séducteur (sa mu‘allaqa est elle-même une pièce
érotique dans laquelle il se vante de ses exploits et de la séduction de sa cousine ‘Unayza, dont il a dérobé au
bains les vêtements et à laquelle il arrache des baisers dans son palanquin), l’amour des plaisirs, au point de
remettre au lendemain le devoir de vengeance, mais aussi la générosité, le courage guerrier, et la piété filiale :
son destin tragique est scellé du jour où trahissent les BanūAsad. Incapable de retenue, il va jusqu’à séduire
la fille du Basileus, auquel ces récits prêtent des principes d’honneur bien arabes. Enfin, l’éloquence et la
puissance du verbe complètent l’image du bédouin.
On reconnaît des bribes de légendes universelles dans les composantes de son « roman », ainsi la tunique
empoisonnée qui rappelle l’épisode conté par Ovide dans ses Métamorphoses :le sang du centaure Nessus
que Déjanire répand sur une tunique qu’elle donne à son époux Hercule, causant sa mort. Réemployés dans
cette « mythologie arabe » qui se laisse deviner dans des notices biographiques se présentant comme
factuelles, des éléments de légendes empruntés à d’autres aires culturelles ou circulant dans l’aire
méditerranéenne et moyen-orientale sont parés de nouvelles significations et aident à constituer le portrait du
poète-héros, personnage littéraire et référence comportementale dans la culture arabo-musulmane classique.
2. Irfan Shahid, “The Last days of Imru’ al-Qays”, Tradition and Modernity in Arabic Literature, Fayetteville,
University of Arkansas Press, 1997 ; Ibrahim Mumayiz, op. cit. le font mourir de la peste bubonique en 542,
expliquant ainsi son surnom.