Diagnostic précoce du cancer de la peau en médecine de premier

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CABINET
Diagnostic précoce du cancer de la peau en médecine
de premier recours
Patrick A. Oberholzera, Ralph P. Braunb, Robert E. Hungera
a
b
Universitätsklinik für Dermatologie, Inselspital, Bern
Hautkrebszentrum an der Klinik für Dermatologie, UniversitätsSpital, Zürich
Quintessence
• Les cancers de la peau blanc (Non­Melanoma Skin Cancer) et noir
(mélanome) sont en augmentation dans les pays occidentaux, et la Suisse
a la deuxième incidence mondiale de mélanomes.
• Les médecins de famille sont souvent les premières personnes de
contact pour l’évaluation de la dignité des lésions cutanées.
• Une bonne anamnèse, un examen régulier de toute la surface corpo­
relle de patients à risque, de simples algorithmes et la connaissance des
tableaux cliniques typiques aident à poser rapidement le diagnostic et
peuvent être déterminants pour le patient.
• Des cours (d’une journée déjà) pour médecins de premier recours
améliorent significativement la spécificité et surtout la sensibilité dans le
diagnostic du cancer de la peau.
Informations générales sur le cancer
de la peau
Patrick A.
Oberholzer
Les auteurs n’ont
déclaré aucun
conflit d‘intérêt
financier ni
personnel en
relation avec leur
article.
L’incidence du cancer de la peau est en augmentation
dans les pays occidentaux industrialisés. La Suisse est
peu glorieuse avec une place en tête de l’incidence des
mélanomes (MM). L’Office fédéral de la santé publique
a placé la population suisse au préoccupant deuxième
rang mondial. Il n’y a pas que le malignome mélano­
cytaire qui progresse, mais aussi le cancer cutané dit
blanc (Non­Melanoma Skin Cancer [NMSC]), ce dernier
étant cependant moins bien documenté qu’au Pays­Bas
par ex., pour des raisons techniques [1]. Les mali­
gnomes cutanés plus rares tels que lymphome cutané
primitif, dermatofibrosarcome, carcinome à cellules de
Merkel, fibroxanthome atypique et autres ne seront pas
discutés dans ce travail.
L’incidence du mélanome en Suisse pour la période
2006–2010 est de 22,2/100 000/an pour les femmes et
25,2/100000/an pour les hommes (Office fédéral de la
statistique). Pour le cancer blanc de la peau, il est plus
difficile d’obtenir des chiffres exacts. Selon une étude pu­
bliée en 2009 pour le canton de Vaud, l’incidence du car­
cinome basocellulaire (BCC) est de 67/100 000/an pour
les femmes et 78/100000/an pour les hommes, et celle
du carcinome spinocellulaire (SCC) de 18/100000/an
pour les femmes et de 28/100000/an pour les hommes.
A part les dermatologues, les médecins de premier re­
cours (MPR) voient la majorité des cancers de la peau.
Avec leurs connaissances, ils occupent une très impor­
tante place [2]. Il a été démontré en France que les MPR
diagnostiquent souvent des mélanomes à un stade
avancé, profonds, car ce sont surtout des hommes seuls
et âgés qui les consultent très tardivement [3]. Le seuil
d’inhibition d’une consultation, voire même l’ignorance
de l’existence des dermatologues à proximité pourrait
l’abaisser. La même chose est prévisible en Suisse.
Par cet article, nous voulons donner au praticien les in­
formations (y compris références) et bases décision­
nelles importantes. Le fait que les MPR soient parfaite­
ment intéressés est démontré par ex. dans le travail de
Badertscher et al., récemment paru et qui mérite d’être
lu [4]. Il a également été démontré qu’aussi bien les der­
matologues que les MPR ont un potentiel d’amélioration
dans le diagnostic précoce du cancer de la peau [5, 6].
La population (allemande) en accepte très bien le dépis­
tage (93%) [7]. Le bénéfice de cet examen de dépistage
à très large échelle, systématique et visant toutes les
couches de la population reste pour le moins contesté,
là où par contre la prévention par protections solaires
(comportement, vêtements et crèmes solaires [8]) et
l’autoexamen par le patient semblent également très
utiles [9, 10].
Qui dois-je examiner régulièrement?
Tout le monde ne court pas le même risque de cancer
de la peau. L’important est de connaître les patients à
risque et de les examiner plus fréquemment, ou de les
adresser à un dermatologue assez rapidement. Ont été
reconnus comme facteurs de risque en premier lieu une
peau claire (surtout types I et II de Fitzpatrick), puis les
coups de soleil fréquents et intenses, surtout dans l’en­
fance/adolescence, une peau agressée par le soleil au
travail ou pendant les loisirs, une anamnèse person­
nelle et/ou familiale positive pour un cancer de la peau,
un nombre élevé de nævi pigmentaires, une exposition
au goudron, à l’arsenic ou au rayons X. Un autre groupe
à risque est celui des patients immunosupprimés (par
ex. leucémie chronique) et des transplantés sous immu­
nosuppression médicamenteuse. Ils présentent une in­
cidence considérablement accrue de NMSC (surtout
SCC, env. 65 plus nombreux que dans la population nor­
male) et de MM (env. 3 fois plus nombreux). Selon les re­
commandations, ces patients doivent être examinés au
moins 1 fois par an [11, 12]. Cet examen doit être l’oc­
casion de faire l’éducation sur la protection antisolaire
non seulement de ces patients, mais aussi de tous en
général.
Pour les patients à faible risque, 1 examen annuel est
suffisant. Les patients à haut risque devraient être exa­
minés plus souvent au début, soit 4 fois par an.
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Comment dois-je examiner et traiter?
Cela semble au premier abord (trop) banal. L’examen
de toute la surface cutanée, parties intimes exceptées,
doit se faire sous un bon éclairage, à une température
ambiante agréable, sur un patient allongé d’abord sur
le dos, puis sur le ventre. Nous procédons classique­
ment de la tête aux pieds, d’abord par la face anté­
rieure, puis la postérieure. L’examen à la simple loupe
lumineuse, la même qu’utilisent les brodeuses, peut
être utile. Il s’agit en outre de s’assurer de procéder de
la même manière chez tous les patients, pour ne pas
oublier une région. Le visage et le cuir chevelu méritent
une attention particulière. Aux Etats­Unis, les coiffeurs/
coiffeuses sont incité(e)s à participer à ce dépistage
après une formation [13]. Les patients doivent être
interrogés activement sur l’existence d’anomalies au
niveau des régions génitales, et mammaires pour les
femmes. Ils peuvent ensuite décider de se faire exami­
ner leurs parties intimes.
Quelles lésions sont-elles / peuvent-elles être
dangereuses?
Lésions mélanocytaires
(souvent appelées cancer noir de la peau)
De manière générale, nous avons tout intérêt à suivre
les indications anamnestiques du patient. S’il dit que
son nævus pigmentaire a changé d’allure, qu’il dé­
mange ou est devenu douloureux, ou tout simplement
que «quelque­chose cloche», il faut l’examiner particu­
lièrement attentivement et l’exciser en cas de doute.
Les règles ABCDE et le signe de l’ugly duckling donnent
des aides décisionnelles plus objectives pour la béni­
gnité des lésions cutanées mélanocytaires [14].
Lésions cutanées non mélanocytaires
(souvent appelées cancer blanc de la peau)
Les NMSC sont souvent mal interprétés comme des
lésions bénignes, inflammatoires, aussi bien par les pa­
tients que par les MPR. Les patients décrivent très sou­
vent leurs kératoses actiniques comme des pellicules ou
croûtes (qu’ils grattent) sur fond érythémateux, qui re­
viennent cependant toujours au même endroit quelques
semaines plus tard. Elles sont toujours situées, tout
comme les tumeurs cutanés actiniques (dues au soleil)
à un stade avancé (mal. de. Bowen [SCC in situ] ou SCC),
à des endroits chroniquement exposés au soleil (dites
terrasses ensoleillées de la peau: front, nez, oreilles api­
cales, sillon labial supérieur, lèvre inférieure, nuque et
décolleté). Les NMSC à un stade avancé s’érodent/s’ulcèrent
souvent et se présentent comme des plaies ne cicatrisant
pas en l’espace de 4 semaines. Ici aussi, les patients
nous induisent souvent en erreur, sans le vouloir:
ils disent qu’ils se sont coupés ou blessés récemment et
que la cicatrisation n’est simplement pas terminée. Les
lésions hémorragiques évolutives doivent elles aussi in­
citer à la prudence.
Les lésions mélanocytaires sont souvent jugées plus dan­
gereuses qu’elles ne le sont en réalité (comme le montre
l’histologie après coup). Ce qui occasionne des excisions
inutiles. D’un autre côté, des mélanomes peu frappants
ne sont pas diagnostiqués. Cela mis à part, l’excision
chirurgicale correcte de lésions suspectes ne se fait éga­
lement pas totalement sans problèmes. Les dermato­
logues reconnaissent la bénignité des lésions cutanées
avec une très grande spécificité et incisent les patients
moins souvent «pour des prunes», ou ont moins d’exci­
sions incomplètes de tumeurs cutanées, avec le risque
de faux diagnostics, par ex. lorsqu’un mélanome ex
nævo a été biopsié (en partie) dans la partie nævus [18,
19]. Ici aussi, une formation des MPR peut être utile, ou
le patient est adressé à un dermatologue [20].
Règles ABCDE et checklist de Glasgow à 7 points
(moins utilisée)
présente ces règles, qui se sont avérées
Le tableau 1
très utiles pour juger de la bénignité d’un nævus pig­
mentaire, et qui avec l’adjonction du E pour Evolution
sont très semblables [15, 16]. Un doute fréquent est si
E vaut pour Enlargement (agrandissement) ou Elevation
(surélévation). Au stade initial, les mélanomes ne sont
souvent pas surélevés, et si E ne vaut que pour surélé­
vation, le diagnostic est manqué. Il vaut donc mieux
prendre E pour Evolution, terme englobant le tout.
Signe de l’affreux petit canard (ugly duckling)
Ce signe de l’affreux petit canard est plus simple que les
règles ABCDE par ex. [17]. Les nævi pigmentaires sont
Tableau 1
Caractéristiques des règles ABCDE et de la checklist de Glasgow à 7 points.
Critères ABCDE
Checklist de Glasgow à 7 points
A – Asymétrie
1. Changement de taille**
B – Bord irrégulier
2. Changement de forme**
C – Coloration (plusieurs teintes)
3. Changement de couleur**
D – Diamètre >6 mm
4. Diamètre ≥7 mm
E – Evolution*
5. Inflammation
6. Croûte ou saignement
7. Changement de sensation (par ex. prurit)
* Evolution par rapport à la taille, la forme, les nuances de teintes, les caractéristiques de la surface ou les symptômes.
** Les caractéristiques 1–3 sont les principales, contrairement aux caractéristiques 4–7.
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Figure 1
Exemples de cancer de la peau.
A Kératose actinique, plaque érythématosquameuse;
C Carcinome basocellulaire, faisant penser à une cicatrice,
plaque peu infiltrée;
E Lentigo malin, macule hyperpigmentée asymétrique
du lobule de l’oreille;
B Mal. de Bowen (carcinome spinocellulaire in situ), papule hyperkératotique;
D Carcinome spinocellulaire, petite papule érythémateuse;
F Mélanome superficiel (Breslow 1,2 mm), macule hyperpigmentée
avec partie hyperkératotique.
souvent tous pareils chez une personne. Si l’un est dif­
férent, il peut être malin et doit être excisé, ou pour le
moins contrôlé. Comment le cancer de la peau se pré­
en montre quelques exemples.
sente­t­il? La figure 1
Cas à problèmes
Les mélanomes à localisation anatomique particulière
(par ex. peau velue, région inguinale, muqueuses et
ongles) posent un défi diagnostique [21, 22]. Il est alors
souvent difficile de diagnostiquer un mélanome avec
toute la sécurité voulue (voir fig. 2
pour des exemples).
Les mélanomes à des stades très initiaux ne présentent
pour la plupart aucun critère permettant leur diagnostic.
Nous parlons ici aussi de mélanomes dits featureless.
Mélanomes amélanotiques
2–8% des mélanomes ne sont pas pigmentaires. Ils sont
particulièrement difficiles à diagnostiquer, aussi bien
pour le MPR que pour le dermatologue, du fait notam­
ment que les critères ABCDE ne sont pas remplis. Ces
mélanomes amélanotiques sont souvent érythémateux,
symétriques et bien délimités [23]. Il est finalement
déterminant de penser à l’éventualité d’un mélanome
amélanotique et d’exciser cette lésion in toto.
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Figure 2
Cas à problèmes
A Mélanome amélanotique;
C Mélanome amélanotique desmoplastique du bout du nez;
E Mélanome au niveau de l’ongle du gros orteil;
B Mélanome peu pigmenté de la plante du pied;
D Basaliome superficiel partiellement pigmenté;
F Mélanome au niveau du cuir chevelu.
Tumeurs épithéliales à un stade initial
Les carcinomes basocellulaires pigmentés posent nette­
ment moins de problèmes, car ils sont souvent excisés
avec la suspicion de mélanome, qui ne sera pas confir­
mée par l’histologie [24, 25].
Résumé
Le signe de «l’affreux petit canard» et les règles ABCDE
peuvent être très utiles dans l’examen des lésions cuta­
nées mélanocytaires.
Les tumeurs épithéliales aux stades initiaux se pré­
sentent souvent comme de petites plaies ou croûtes, qui
ne cicatrisent pas en l’espace de 4 semaines et re­
viennent tout le temps au même endroit.
Références recommandées
– Badertscher N, Braun RP, Held U, Kofmehl R, Senn O, Hofbauer GF, et
al. Diagnostic competence of Swiss general practitioners in skin can­
cer. Swiss Med Wkly. 2013;143:w13834.
– Sinclair R. Skin checks. Aust Fam Physician. 2012;41(7):464–9.
– Breitbart EW, Waldmann A, Nolte S, Capellaro M, Greinert R, Volkmer
B, et al. Systematic skin cancer screening in Northern Germany. J Am
Acad Dermatol. 2012;66(2):201–11.
– Shafaeddin Schreve B, Anliker M, Arnold AW, Kempf W, Laffitte E, La­
pointe AK, et al. Pre­ and posttransplant management of solid organ
transplant recipients: risk­adjusted follow­up. Curr Probl Dermatol.
2012;43:57–70.
– Hofbauer GF, Anliker M, Arnold A, Binet I, Hunger R, Kempf W, et al.
Swiss clinical practice guidelines for skin cancer in organ transplant
recipients. Swiss Med Wkly. 2009;139(29–30):407–15.
– Kolm I, Hofbauer G, Braun RP. [Early diagnosis of skin cancer]. Ther
Umschau. 2010;67(9):439–46.
Vous trouverez la liste complète des références sous
www.medicalforum.ch.
Correspondance:
Prof. Dr méd. et Dr phil. nat. Robert E. Hunger
Universitätsklinik für Dermatologie
Inselspital
CH-3011 Bern
robert.hunger[at]insel.ch
Forum Med Suisse 2014;14(22–23):441–444
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