Projet ANR Réanalyse « Expérimentation d’archivage et d’analyse secondaire des enquêtes qualitatives » La création d’une banque de données qualitatives, susceptibles de faire l’objet de réanalyses, nous semble pouvoir répondre à certains des problèmes récurrents que pose l’utilisation des méthodes qualitatives. Elle répondrait à un souci d’économie et résoudrait les problèmes d’accès à certains terrains, difficiles ou saturés. Plus fondamentalement, elle élargirait les possibilités de comparaison dans le temps et dans l’espace, quand les méthodes qualitatives butent sur le nombre limité de cas travaillés. Elle favoriserait enfin la cumulativité des pratiques scientifiques en rendant possible une comparaison plus systématique des résultats obtenus sur des terrains ou avec des procédures de recherche différentes. Nombreux sont les pays, notamment européens, engagés dans de tels développements mais la communauté scientifique SHS française est plutôt réticente. Pour des raisons déontologiques d’abord, hésitant à partager avec d’autres chercheurs des données produites sur la base d’un contrat de confiance entre enquêteur et enquêtés ; et épistémologiques, refusant de dissocier les données enregistrées des conditions de leur production. Néanmoins, l’expérience accumulée par les chercheurs et les laboratoires impliqués dans ce projet nous pousse à tenter l’expérience. Le CDSP, rompu à l’archivage des données quantitatives, est membre du CESSDA, qui structure la réflexion sur la capitalisation des enquêtes SHS au niveau européen. Les chercheurs du pôle « sciences humaines et sociales » d’EDF R&D sont les seuls en France à déjà réaliser systématiquement l’archivage et l’analyse secondaire de leurs enquêtes qualitatives. Enfin, ce projet s’inscrit dans le prolongement d’une étude de faisabilité financée par ADONIS/CNRS et la Direction scientifique de Sciences Po, qui débouche sur un prototype innovant d’archivage d’enquêtes qualitatives en science sociales. Ce programme de recherche vise à prolonger ces expériences et tester réellement les conditions de faisabilité des pratiques d’archivage et de réanalyse des enquêtes qualitatives. Il est organisé autour de deux objectifs intimement liés. Il s’agit d’abord de tester l’utilité et la faisabilité de la réanalyse à partir de différents exemples mettant en jeu divers rapports de l’utilisateur secondaire à l’enquête ou aux enquêtes utilisées. Nous conduirons pour cela cinq études, consacrées respectivement au lien entre mobilité sociale et attitudes politiques, à l’identification à la nation entre identité et idéologie, à l’ethnicisation des rapports sociaux dans les quartiers populaires, aux carrières journalistiques et enfin, aux attitudes à l’égard de l’intégration européenne. C’est l’intérêt de ces études, projetées par des chercheurs spécialistes de ces domaines et qui espèrent trouver dans la réanalyse le moyen d’aborder des questions impossible à traiter autrement, qui nous permettra, nous l’espérons, de convaincre de l’utilité d’une banque de données qualitatives. Ce faisant nous serons également conduits à expérimenter et affiner les dispositifs techniques d’archivage innovants, nécessaires pour mener à bien le premier objectif. Nous considérons que tout travail de terrain est une co-production de données entre le chercheur et le milieu où il investigue. Dès lors, l’archivage ne peut se limiter à mettre à disposition des données : leur réutilisation nécessite une « enquête sur l’enquête » qui rende compréhensible les documents archivés. A côté des dispositifs classiques : numérisation, anonymisation (éventuelle), documentation, indexation et référencement, nous développerons des outils plus novateurs grâce à l’insertion des enquêtes dans une base dotée d’une plate forme informatisée, elle-même dotée d’une interface de navigation permettant la découverte et l’exploration des enquêtes en ligne, de sorte à conserver aux enquêtes archivées leur unité. Cette base d’enquêtes qualitatives aura également pour vocation d’enrichir les possibilités d’enseignement des sciences sociales. Objectifs globaux, verrous scientifiques/techniques Les méthodes qualitatives sont très largement majoritaires parmi les sciences sociales françaises. Or ces méthodes font l’objet de limites intrinsèques, en termes de généralisation des résultats, dues au nombre limité de cas sur lequel portent les enquêtes. L’archivage et l’analyse secondaire des enquêtes qualitatives pourraient permettre en partie de déplacer cette limitation, en permettant l’analyse conjointe et la comparaison dans le temps et dans l’espace de cas plus nombreux. Ils permettraient aussi d’améliorer les méthodes de recherche en autorisant à la fois une meilleure connaissance des pratiques effectives des chercheurs et leur comparaison. Ils pourraient enfin constituer un support efficace pour l’enseignement. Mais cette pratique, qui se développe ailleurs, génère en France beaucoup de réticences. Certaines sont déontologique : la recherche qualitative procède le plus souvent sur la base d’un contrat de confiance entre l’enquêté et l’enquêteur qui n’inclut pas la mise à disposition des informations fournies à d’autres que ceux à qui elles ont été confiées. Ces réticences sont aussi de nature épistémologique et méthodologique : la démarche qualitative construit des données (observations, entretiens en particulier) qui sont produites en interaction entre le chercheur et le milieu qu’il étudie et beaucoup doutent de la possibilité de réanalyser validement des données hors du contexte de l’enquête. L’objectif de ce projet est donc de tester, réellement, les possibilités de réanalyse d’enquêtes qualitatives, de façon à valider – ou non – l’intérêt de leur archivage. Les difficultés techniques liées à l’archivage sont nombreuses. Elles portent d’abord sur la protection des enquêtés, et donc sur les questions liées à l’anonymisation des enquêtes ou l’autorisation formelle dans les cas où l’anonymisation n’a pas de sens (entretiens avec des personnalités professionnelles ou politiques, enquêtes très localisées). Juridiquement, elles engagent des questions non tranchées sur les droits des chercheurs sur les données d’enquête qu’ils produisent. Techniquement, les opérations d’archivage classique des enquêtes supposent des opérations lourdes de numérisation, documentation et enrichissement des données ; d’indexation et de référencement ; de protection et de mise à disposition. Dans le cas des données qualitatives, pour affronter les risques liées à la décontextualisation, elles supposent le développement de dispositifs innovants permettant d’archiver les enquêtes comme des totalités, de rendre compréhensible le processus qui a conduit à la production des données conservées. Cela passe d’une part par la réalisation d’une « enquête sur l’enquête », qui fournisse les clefs nécessaires à l’interprétation des documents archivés. Et également par le développement d’outils d’exploration des enquêtes qui encadrent la découverte des données et favorisent la compréhension du processus de recherche originel. Nous bénéficierons, outre l’exemple des banques de données existantes en Europe, des solutions déjà envisagées dans une mission exploratoire en cours (financement ADONIS/CNRS et Direction scientifique de Sciences Po), visant à la construction d’une base de données qualitatives. Les verrous technologiques résident essentiellement dans la lourdeur du développement, à la fois en termes d’implémentation des solutions et d’engagements financiers. Au-delà de ces difficultés, apparemment techniques, l’enjeu sera aussi de convaincre la communauté scientifique du bien-fondé de nos objectifs. L’archivage des enquêtes qualitatives ne peut se faire sans la bonne volonté et la disponibilité des chercheurs/donateurs potentiels, et l’intérêt des utilisateurs. Les expérimentations de réanalyse, destinées à convaincre la communauté de ses apports possibles, doivent donc être menées avec précaution et transparence, et accompagnées d’un effort soutenu de communication des difficultés et des succès rencontrés. Programme de travail Le programme de travail est structuré en trois groupes de tâches. Cinq expérimentations de réanalyse seront menées, consacrées respectivement au lien entre mobilité sociale et attitudes politiques, à l’identification à la nation entre identité et idéologie, à l’ethnicisation des rapports sociaux dans les quartiers populaires, aux carrières journalistiques et enfin, aux attitudes à l’égard de l’intégration européenne. Elles ont été choisies parce qu’elles correspondaient à des situations différentes en terme de relation du chercheur à l’enquête d’origine (décalage plus ou moins grand entre la question traitée dans la réanalyse et le sujet de l’enquête primaire ; différents principes de cumul d’enquêtes à réanalyser) mais aussi et surtout parce qu’elles ouvraient aux chercheurs qui les ont conçues des possibilités nouvelles pour aborder les questions de recherche qui sont les leurs. Autrement dit, s’il s’agit bien, méthodologiquement, d’expérimentations, elles s’inscrivent réellement dans les domaines de compétences et les programmes de recherche des membres de l’équipe, et visent à produire des résultats substantiels autant que méthodologiques. Ces cinq projets s’appuieront sur le développement d’une base consacrée à l’archivage des enquêtes dont les chercheurs qui conduiront les réanalyses auront besoin. Cette base fera l’objet d’un triple développement. Tout d’abord, un archivage classique au sens où il engage des opérations clairement répertoriées de préparation des données, documentation, indexation, anonymisation (éventuelle), protection, mise à disposition, etc. Néanmoins, nous apporterons un soin particulier à donner sens aux documents sauvegardés en réalisant une « enquête sur l’enquête » qui permette de reconstruire le processus de recherche qui a produit les données archivées, et limite ainsi les effets de la décontextualisation propre à l’archivage. De plus, cet archivage sera doublé du développement, novateur au regard des expériences étrangères, d’un archivage par site-enquête : au lieu de stocker les données comme une série de classeurs et de fichiers, nous profiterons des possibilités ouvertes par le développement de l’Internet pour créer pour chaque enquête un site permettant de reconstruire et rendre visibles la structuration des données. Enfin des outils de navigation seront développés pour faciliter l’exploration de ces sitesenquêtes et contribuer ainsi à donner à l’auteur de la réanalyse une compréhension globale de l’enquête, avant qu’il n’aborde les données une à une. Parallèlement, le programme s’attachera à évaluer l’usage des outils d’aide informatisée à l’analyse des données qualitatives. Ces outils, qui se développent rapidement, sont encore peu utilisés en France. Comme tous les outils, ils contribuent à transformer les pratiques et impliquent, de façon plus ou moins visible, une modification du rapport entre le chercheur et les données. Il s’agira ici d’observer comment les différents chercheurs impliqués dans les réanalyses s’en saisissent et quel bilan ils font de leur apport à leur pratique de recherche. Par ailleurs, nous tâcherons aussi d’évaluer ce que l’archivage et l’analyse secondaire des enquêtes qualitatives peuvent apporter à l’enseignement de ces méthodes. S’ils devraient déjà permettre de développer l’apprentissage de la diversité des méthodes et des pratiques, nous espérons aussi qu’ils conduisent à faciliter et renforcer l’enseignement des méthodes d’analyse, lesquelles sont largement laissées pour compte dans les cursus actuels. Un réseau d’enseignants et d’étudiants avancés sera mis en place, avec pour objectif d’expérimenter différentes façon d’intégrer ces nouveaux outils dans leur pratique d’enseignement et d’apprentissage. Retombées scientifiques, techniques, économiques Ce programme a des visées claires d’innovation méthodologiques. Il s’inscrit dans des évolutions internationales par rapport auxquelles la communauté française SHS marque des réticences, dont beaucoup sont loin d’être infondées. Il a pour objectif à la fois de tester des pratiques nouvelles dont les retombées économiques et scientifiques sont prometteuses, mais qui comportent aussi des risques certains, en proposant des solutions innovantes par rapport aux réalisations en cours dans les pays voisins. Il a également pour objectif d’aboutir à des des publications scientifiques de qualité, portant sur les différents sujets choisis pour les réanalyses menées dans ce programme, et qui nous l’espérons, qu’elles feront la preuve de ce que l’archivage et l’analyse secondaire des enquêtes qualitatives peuvent permettre de dépasser certaines limites inhérentes à l’approche qualitative. Par ailleurs, il devrait produire le développement d’une base originale, conçue non comme une base de données mais comme une base d’enquêtes. Cette base sera assortie des procédures qui permettent de la développer, pour peu que le financement approprié soit trouvé, et d’outils innovants qui en favorisent l’usage. L’objectif est donc bien de mettre en place un nouvel instrument de recherche et d’enseignement, destiné à être ouvert à l’ensemble de la communauté et à être développé par la suite. Le programme s’accompagnera d’un effort soutenu de diffusion des expériences et des réflexions en cours à destination de la communauté scientifique. Les membres de l’équipe ont conscience des réticences et partagent en partie certaines des réserves relatives à l’archivage classique des données qualitatives. Les expériences auxquelles nous allons nous livrer visent notamment à les affronter et à chercher des solutions pour y répondre. Nous nous efforcerons donc de faire connaître l’avancement de nos réflexions avec nos collègues, y compris les plus sceptiques, et de les discuter avec eux, persuadés que la communalisation des enquêtes, si elle est bien faite, est porteuse d’une transformation de la culture scientifique à laquelle nous aspirons et ouvre à la recherche SHS des possibilités nouvelles. En termes de financement de la recherche, la perspective d’une utilisation plus intensive des données, ouverte par l’archivage et la réanalyse, peut sembler prometteuse. Mais nous voulons également évaluer les coûts réels d’un archivage qui respecterait la nature des enquêtes qualitatives et limiterait la décontextualisation des données. Si ce programme est placé sous le signe de l’expérimentation, c’est aussi parce qu’il nous semble que les objectifs d’archivage affichés et soutenus par les institutions publiques de financement de la recherche doivent être mis en rapport avec l’investissement que cela représenterait. Ce que permettra également le bilan de ce programme. ANR Re-analysis Project. “Experimentation of the archiving and secondary analysis of qualitative research” The creation of a qualitative research database, containing material likely to be reanalysed, seems to us to address a number of recurring problems posed by the use of qualitative methods in the social sciences. Such a data base would address concerns about efficiency and resolve issues of access to saturated or difficult field sites. Moreover, it would increase the possibility of comparison across time and space, when qualitative methods come up against problems related to the limited number of cases studied. Finally, it would encourage the cumulation of scientific techniques, allowing for more systematic comparison of the results obtained on different field sites or with different research procedures. There are many countries, particularly in Europe, already engaged in developing similar projects, but the French SHS scientific community remains somewhat reticent. For deontological reasons primarily, certain researchers are reluctant to share with others data that was produced on the basis of a contract of trust between interviewer and interviewee. Secondly, on an epistemological level, they reject the dissociation of the data produced in these interviews from its conditions of production. Nevertheless, the accumulated experience of the researchers and research centres involved in this project encourages us to seize this initiative. The CDSP is experienced in archiving quantitative data and is also a member of CESSDA, which is central to organising reflexion on the capitalisation of social science studies at the European level. The researchers of the “Human and Social Sciences” group of EDF R&D are the only ones in France to have already accomplished the archiving and secondary analysis of their qualitative data. Finally, this project is part of the prolongation of a feasibility study financed by ADONIS/CNRS and Sciences Po, which established an innovative prototype for archiving qualitative research in the social sciences. This research programme aims to further these initial steps by undertaking a thorough test of the feasibility conditions involved in the archiving and reanalysis of qualitative research. It is organised around two deeply interconnected objectives. Firstly, this project aims to test the usefulness and feasibility of reanalysis, drawing on different examples that bring various relations between the secondary user and the study (or studies) used into play. For this we will undertake five studies focusing on: the link between social mobility and political attitudes, identification to the nation between identity and ideology, the ethnicization of social interaction in working-class areas, careers in journalism, and finally to attitudes regarding European integration. The advantage of these studies is that they are prepared by researchers who specialise in these areas and who hope to find answers to questions which are impossible to address in other ways, in the reanalysis of this data. We hope this will enable us to produce convincing evidence as to the utility of a qualitative database. Secondly, in the process, we will experiment with and refine the innovative archival techniques which will be necessary to bring our primary objective to fruition. We consider that fieldwork is a co-production of data between the researcher and the milieu that he or she is studying. In this light, archiving cannot be limited to the simple availability of data – its reuse requires “research into research” that would render the archived documents comprehensible. Alongside traditional techniques (digitalisation, anonymization where necessary, documentation, indexation and referencing) we will develop new and innovative tools with the help of a computer platform with a navigation interface allowing research to be found and explored on line, in order to conserve the coherence and meaning of archived material. The purpose of this qualitative database would thus also be to enhance the teaching possibilities in the social sciences.