La Catalyse en France : une Aventure Juillet 2007 1 / 22
Catalyse hétérogène et Chimie fine
Joël Barrault, Laboratoire de Catalyse en Chimie Organique (LACCO), UMR CNRS - 6503
40, avenue du Recteur Pineau 86022 POITIERS Cedex (France)
1 - Introduction
Dans un dossier récent concernant le développement de la catalyse, on trouve l’analyse
suivante (1) : « La catalyse est une voie privilégiée d’accès à une chimie propre et performante ».
Sans être consommé, un catalyseur est un moyen d’accéder à de nouvelles structures, d’améliorer
la productivité des installations, de diminuer les consommations de matières premières et
d’énergie, de diminuer l’impact des procédés sur l’environnement, en minimisant les sous-produits
ou en traitant des émissions et rejets divers. De fait, 80 % des réactions mises en œuvre
industriellement utilisent ont au moins une étape catalytique. Le cabinet britannique Frost &
Sullivan, qui a publié une étude en 1998 [1], évaluait le marché européen des catalyseurs à 3,7
Mrds $ en 1998 et à 5 Mrds $ en 2005 (croissance moyenne de 4% par an). La catalyse en chimie
– des grands intermédiaires à la chimie fine – représente environ le quart du marché. Les autres
débouchés sont l’automobile et les polymères, ainsi que le raffinage et l’environnement
considérés aujourd’hui comme des marchés dynamiques.
Pourquoi la catalyse hétérogène par rapport à la catalyse homogène ou la catalyse
enzymatique ?
Il y a plusieurs décennies, il n’était pas habituel d’associer Catalyse hétérogène et Chimie Fine.
En effet la catalyse hétérogène faisait souvent référence aux très grandes unités du raffinage
ou de la pétrochimie ; la Chimie Organique Fine suggérant quant à elle la synthèse en petite
quantité de produits complexes et très chers. Jusqu’aux années 1970-80, l’activité des
laboratoires de catalyse hétérogène était d’ailleurs consacrée pour l’essentiel à l’étude des
réactions et des catalyseurs de la « chimie lourde ». Néanmoins à partir de cette période et à la
suite des premiers chocs pétroliers, une orientation de la catalyse hétérogène vers d’autres
applications, à partir de matières premières différentes telles que celles issues de la biomasse,
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est observée. Au milieu des années 80, le laboratoire de catalyse en chimie organique de Poitiers
organise le premier symposium international « heterogeneous catalysis and fine chemicals » (2).
A cette époque, on a pu observer que quelques réactions, quelques domaines, quelques familles de
catalyseurs avaient été étudiés plus particulièrement : l’hydrogénation chimiosélective, la
thiochimie, la fonctionnalisation d’aromatiques, l’oxydation sélective en présence respectivement
de métaux supportés, de sulfures, de zéolithes et d’oxydes. Ces familles de catalyseurs étaient
déjà utilisées à l’époque en pétrochimie et il ne s’agissait alors que d’une simple transposition
d’utilisation sans optimisation particulière pour le nouvel objectif recherché. On pouvait quand
même noter les premiers travaux de la chimie organométallique de surface (COMS) c’est à dire
l’étude de la réactivité de molécules organométalliques avec des surfaces d’oxydes ou de métaux
pour obtenir des catalyseurs mieux définis (dispersion et nature de sites) (3,4). L’expérience et
les connaissances du domaine ont donc été mises à profit pour la chimie fine sachant d’autre part
que les catalyseurs hétérogènes ont l’avantage d’être facilement séparés du milieu réactionnel et
recyclés ou encore d’être utilisés dans des procédés continus .
Une autre question posée à l’époque fût la suivante : Qu’est-ce qu’un produit représentatif de
la chimie fine et comment faire sa synthèse en présence d’un catalyseur solide (5)?
Il n’y a pas de définition générale des différentes classes de produits car elle peut évoluer
en fonction du temps. En fait il sagit dun produit dun prix relativement élevé (> 5 euros/kg) et
fabriqué à faible tonnage (moins de 10000 t/an).
Au plan chimique, Les produits de chimie fine sont souvent multifonctionnels et résultent de
synthèses multiétapes mettant en œuvre une chemio-, régio- ou énantiosélectivité dont les
mécanismes et les centres actifs nécessaires étaient quasi inconnus à l’époque en catalyse
hétérogène. Il était donc vital de comprendre les étapes importantes des processus et de
déterminer les centres réactionnels nécessaires pour ces étapes puis de les reproduire à la
surface d’un solide. De plus les réactions de chimie fine sont souvent mises en œuvre dans un
solvant plus ou moins polaire, dans des conditions douces de sorte que des systèmes
polyphasiques complexes (gaz/liquide/solide) avec des problèmes d’agitation, de contrôle de
diffusion doivent être spécifiquement étudiés.
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Dans le domaine de la chimie fine, incluant les réactions au départ de la biomasse, une
majorité des réactions (80 %) était donc de type stœchiométrique et ce pourcentage n’a encore
que faiblement baissé même si aujourd’hui les applications de la catalyse hétérogène à ce
domaine sont beaucoup plus nombreuses. Il peut en résulter une production importante de
déchets (c’est un domaine qui produisait de 5 à 50 kg de produits secondaires par kg de produit
fini / E factor (6)) qu’il est nécessaire de diminuer dans le cadre de l’application des concepts de
la chimie verte ou de la chimie durable (7).
Au cours de ces dernières décennies, un développement important de travaux de recherche
dans cette direction a été observé, encore plus marqué ces toutes dernières années en raison de
laugmentation du prix des produits pétroliers et de la prise de conscience de la nécessité de
diversifier les matières premières et du développement des nanosciences.
Les nanosciences connaissent en effet un développement considérable en raison d’applications
déterminantes dans les domaines de l’électronique, du magnétisme, du stockage d’informations,
des revêtements,… Les nanomatériaux qui résultent de ces travaux ont des performances de plus
en plus grandes , de plus en plus appropriées, voire nouvelles au fur et à mesure que leur
« nanodéfinition » augmente.
La catalyse hétérogène utilise ou tente d’utiliser depuis toujours des nanomatériaux, c’est
d’ailleurs l’un des domaines d’application les plus anciens.
Au cours de ce 21ème siècle, l’une des priorités de la catalyse en particulier en chimie fine
sera de savoir réaliser des réactions avec une sélectivité de 100%, évitant ainsi toute réaction
secondaire et donc tout rejet polluant. Le développement des nanosciences devrait permettre de
progresser dans cette voie, car l’accroissement de cette sélectivité résultera de l’utilisation d’un
catalyseur parfaitement défini à l’échelle nanométrique. Cependant les propriétés de ces solides
sont peu connues et peu comprises, d’autant moins que la taille des « objets » diminue : i)
Combien d’atomes de métal et de promoteur pour constituer un agrégat ayant la propriété
désirée pour une étape élémentaire ? ii) Quel est le rôle de la structure de l’agrégat ? iii) Quel
est le rôle de la nanoarchitecture contenant l’agrégat actif ? Autant de questions posées,
auxquelles les nouveaux moyens d’investigation doivent répondre pour envisager un nouveau saut
scientifique, en particulier en chimie fine (8).
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Par ailleurs, outre la formation de ces matériaux, leur mise en forme est également
importante pour envisager une mise en oeuvre réelle des réactions catalytiques revendiquées. La
forme, la résistance à l’attrition (à l’écrasement), la porosité,… vont avoir une forte influence sur
les performances : Sélectivité, Activité et Stabilité, en particulier pour les réactions en phase
liquide.
En conclusion de cette démarche, on doit donc prévoir dans le domaine spécifique de la
catalyse hétérogène et de la chimie fine ;
une attention particulière pour les réactions économes en réactifs et en énergie et
permettant d’aboutir à des procédés totalement sélectifs (100 %) sans formation de
déchets qu’il s’agisse de régio-, de chemio- ou d’énantiosélectivité.
l’intégration significative de la catalyse chirale dans les procédés industriels pour
l’obtention d’énantiomères et l’utilisation du « pool chiral naturel » pour l’obtention
directe des molécules recherchées avec un regard particulier sur la catalyse enzymatique.
une utilisation plus significative de matières premières renouvelables
la mise en œuvre de techniques ou conditions nouvelles en catalyse hétérogène ; milieu
supercritique, micro-ondes, liquides ioniques, transfert de phase,…
2 - Quelques exemples choisis de réactions de catalyse hétérogène et de chimie fine
Les catalyses mises en œuvre dans toutes ces réactions font appel à : des métaux
supportés, des solides acides, basiques ; des oxydes, sulfures, fluorures ; des matériaux
multifonctionnels, de porosité contrôlée, des matériaux hybrides pouvant induire une chiralité :
des biocatalyseurs. Dans un premier temps des réactions simples ont été mises en œuvre, puis
avec le développement des travaux sur la préparation, la chimie des surfaces, la chimie
organométallique, des réactions multiétapes (multistades) sont maintenant mises en œuvre.
Depuis Berzelius et après les travaux de Sabatier relatifs par exemple à l’hydrogénation, la
catalyse hétérogène a été mise en œuvre essentiellement en phase gaz via les procédés de la
Pétrochimie (raffinage et grands réactifs). Cependant, comme indiqué précédemment, cette
expérience a été mise à profit dans d’autres réactions et nous avons choisi de présenter quelques
exemples parmi les plus marquants, en raison de lhistoire, de loriginalité de la thématique, de
l’avancée des connaissances,… .
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2.1 - Synthèse industrielle de mercaptans et dérivés
L’exploitation, à partir de 1958, du gisement de gaz de Lacq riche en H2S a conduit très
rapidement la SNPA à développer le secteur thiochimie et une gamme importante de produits :
mercaptans, sulfures, disulfures, polysulfures, sulfoxydes, thioacides, thiophènes,… (9). De
nouvelles voies de synthèse par sulfhydrolyse d’alcools ou d’aldéhydes (9b, c), d’addition sélective
d’hydrogène sulfuré sur des oléfines (9a) en présence de sulfures supportés ou de résines ont
été découvertes. Les composés obtenus trouvent de nombreuses applications dans les domaines
de lAgrochimie, de lalimentation animale, de la pharmacie, des lubrifiants, de la pétrochimie, de
la cosmétique et des gaz odorants. C’est un domaine tout à fait original, de renommée
internationale qui a fortement contribué à la structuration du site de Lacq.
2.2 - Synthèse directe d’amines à partir d’acides ou d’esters
Les amines aliphatiques appelées «amines grasses » regroupent toutes les amines primaires
(R1NH2), secondaires (R1 R2 NH), tertiaires (R1 R2 R3 N) où l’un des groupements (R1 R2 R3) possède
une chaîne hydrocarbonée comportant de 8 à 22 atomes de carbone (acides ou esters). Elles sont
essentiellement utilisées comme intermédiaires dans la préparation de sels d’ammonium
quaternaires (R3 N+ X-), agents tensioactifs bien connus. Parmi celles-ci, les méthylalkylamines
sont particulièrement importantes et obtenues en deux étapes à partir d’acides gras : a)
formation du nitrile et b) alkylation et méthylation en présence d’hydrogène (schéma 1);
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