Éditorial Endoscopie digestive : quelle sédation, faite par qui

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Éditorial
Endoscopie digestive :
quelle sédation, faite par qui ?
Claude Martin1*, André Lienhart2, Bertrand Dureuil3**,
Jean-Jacques Eledjam4***
1
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Pôle réanimation-anesthésie-urgence-cardiologie, Hôpital Nord, Marseille
<[email protected]>
2
Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Saint-Antoine, Paris
3
Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Charles Nicolle, Rouen
4
Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Saint Eloi, Montpellier
doi: 10.1684/hpg.2007.0051
L
a « sédation analgésie » pratiquée par des non-anesthésistes en
cas d’endoscopie digestive à visée diagnostique est une proposition de référentiel qui a été faite à la Société Française d’Anesthésie
et de Réanimation (Sfar) par la Haute Autorité de Santé (HAS). Ce
référentiel, sous la forme de recommandations pour la pratique clinique
(RPC), serait élaboré par des anesthésistes-réanimateurs mandatés par la
Sfar et des gastro-entérologues issus de sociétés savantes et/ou d’organismes syndicaux. Cette proposition qui s’appuie sur un principe de
« transfert de technologie » pose de nombreuses questions de fond bien
au-delà d’une simple appropriation de technique.
Les limites d’une « sédation analgésie » et d’une anesthésie générale sont
difficiles voire impossibles à préciser ; cependant, nous pouvons prendre
comme base de réflexion la définition donnée par l’American Society of
Anesthesiologists (ASA) approuvée en 1996 [1]. L’ASA parle de sédation
analgésie « modérée » et de sédation analgésie « profonde ». La sédation analgésie « modérée » est une dépression de la conscience permettant aux patients de répondre de manière adaptée à une demande
verbale seule ou accompagnée d’un stimulus léger. Les manifestations
réflexes entraînées par la douleur n’étant pas considérées comme une
réponse adaptée. La sédation analgésie « profonde » est une dépression
de la conscience ne permettant pas le réveil du patient ou seulement à la
suite de stimulations répétées en particulier douloureuses. Cette situation,
selon l’ASA, doit être considérée comme une anesthésie générale en ce
qui concerne la prise en charge. En 2002, l’ASA a revu sa position en
insistant sur ce dernier point, au vu des difficultés à définir en pratique un
niveau de sédation analgésie modérée [2].
Ces définitions doivent conduire à considérer le concept de prise en
charge et de sécurité des patients. Ceci est particulièrement vrai avec
l’utilisation du propofol (Diprivan®), qui est le produit de référence en
matière d’exploration digestive.
Même dans le cas de sédation modérée, difficile à déterminer en matière
de relation « dose-effet », les patients recevant du propofol doivent relever
d’une prise en charge égale à celle d’une sédation profonde. De manière
plus précise, les praticiens administrant le propofol doivent être en mesure
d’appliquer les gestes de réanimation relevant de l’état du patient, cette
prise en charge comprenant la suppléance d’une dépression respiratoire
* Président de la Sfar
** Président du CFAR
*** Président du comité des référentiels de la Sfar
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007
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et/ou cardiovasculaire. Autrement dit, et pour une
bonne évaluation du « bénéfice-risque », l’utilisation
du propofol dans l’objectif d’une sédation analgésie ne
peut être envisagée que par un praticien entraîné à son
administration dans le cadre d’une anesthésie générale et en aucun cas, par un praticien impliqué dans
une procédure diagnostique et/ou thérapeutique.
Par ailleurs, les référentiels élaborés par la Sfar, parfois
en collaboration avec d’autres sociétés savantes,
concernent des référentiels proposant à la spécialité
d’anesthésie-réanimation des règles de bonne pratiques professionnelles. Le référentiel sur la « sédation
analgésie » proposé par la Haute Autorité de Santé
serait élaboré en l’état par des anesthésistes pour des
bonnes pratiques de gastro-entérologie. Il existe là une
ambiguïté qui n’est pas essentiellement sémantique et
qu’il paraît nécessaire de lever.
La Sfar ne peut que faire des recommandations à ses
membres, en vue d’améliorer la qualité des soins,
notamment le confort et la sécurité [3]. La Sfar a
évidemment le souci que ces recommandations soient
appliquées, ce qui passe en premier lieu par l’explication de leurs motifs. Et c’est là que se situent certaines
difficultés avec d’autres disciplines. Ce qui apparaît
parfois comme de la rigidité de la part des
anesthésistes-réanimateurs n’est souvent rien d’autre
que la mise en pratique de connaissances résultant
d’enquêtes épidémiologiques [4]. Il en découle que la
première demande faite aux spécialistes nonanesthésistes-réanimateurs qui souhaitent s’approprier
certaines techniques est de ne pas se limiter à la seule
vision du geste (l’injection d’un produit), pour comprendre en profondeur combien sont essentiels l’environnement, l’organisation en amont et en aval de l’acte. De
ce point de vue, les remarques concernant « les
contraintes de l’activité ambulatoire » ou les « décrets
sur la sécurité anesthésique », ne font que renforcer les
craintes que les raisons d’être de ces règles de sécurité
n’aient pas été réellement comprises.
Peut-on sortir de la situation tendue actuelle et, surtout,
préparer l’avenir ? Pour cela, il n’est pas inutile de
revenir sur l’histoire de ce qui s’est passé à l’étranger et
en France. Dans la plupart des pays développés médicalement, les endoscopistes ont accompagné les actes
pénibles d’une sédation qu’ils réalisaient eux-mêmes,
avec un certain pourcentage d’échecs et quelques
accidents. Les anesthésistes ont été peu sollicités, souvent parce que les coûts de l’anesthésie étaient jugés
prohibitifs par ceux qui les demandaient et auxquels ils
étaient imputés. Les endoscopistes ont assumé les insuffisances d’analgésie et les rares accidents, non sans
rechercher comment améliorer la sécurité des patients.
Dans ce but, ils ont notamment rédigé des recommandations, souvent communes avec la société d’anesthésie du pays. L’objectif de ces recommandations était
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clairement de diminuer le nombre d’accidents. On y
retrouve des règles classiques de l’anesthésie : évaluation médicale du patient, maîtrise de la pharmacologie, surveillance par un personnel dédié à cette tâche,
monitorage instrumental, connaissances de base de
réanimation des accidents, organisation en cas de
problème... En France, lorsque les sédations ont été
utilisées par des endoscopistes, il est arrivé que des
anesthésistes soient appelés pour réanimer des
patients mis en situation dangereuse, qu’ils découvraient à cette occasion. Les anesthésistes-réanimateurs
ont souvent fait savoir dans ces circonstances qu’ils
préféraient gérer les risques en amont, plutôt que de
n’intervenir qu’en urgence. C’est en effet une constante
de la profession que de gérer et organiser au maximum
l’amont, pour ne pas être brutalement pris au dépourvu
face à une urgence vitale, évitable. Ainsi, par exemple,
la sécurité obstétricale s’est trouvée améliorée lorsque
l’anesthésiste-réanimateur n’a plus seulement été appelé
en cas d’urgence, mais a pu agir plus précocement.
Tout ceci est au fond bien connu de chacun. La situation
actuelle présente des avantages et des inconvénients,
mais la question demeure : quelles solutions pour l’avenir ? Une européanisation des pratiques, c’est-à-dire le
retrait massif des anesthésistes-réanimateurs, au profit
d’autres activités, non pas parce qu’elles seraient plus
« valorisantes », mais simplement parce qu’elles ne
permettent pas d’alternative ? Ceci paraît difficile
actuellement, car les habitudes prises font que la plupart des spécialistes non-anesthésistes-réanimateurs,
hors cardiologues formés aux soins intensifs, sont généralement très démunis face à un accident cardiorespiratoire, secondaire par exemple à l’injection d’un
médicament. Et les anesthésistes-réanimateurs sont
d’autant plus préoccupés qu’ils ne voient pas beaucoup de confrères leur demander de leur apprendre
comment faire face à de telles situations ni quelle
organisation mettre en place pour les éviter. Tant qu’on
leur demande avant tout comment alléger les procédures ou éviter une responsabilité juridique plutôt qu’un
accident, les anesthésistes-réanimateurs ne décèlent
pas la nécessaire prise de conscience de la complexité
des moyens à mettre en œuvre pour allier confort et
sécurité. Il semble donc difficile de s’aligner sur le reste
du monde avec les spécialistes déjà formés : il existe
bien une « exception culturelle française » dans ce
domaine. Cependant, rien n’empêche de mener une
réflexion pour les spécialistes en formation. En effet, la
démographie médicale n’est pas beaucoup plus favorable pour les anesthésistes-réanimateurs que pour les
endoscopistes, et une relative pénurie est à prévoir
d’ici quelques années. Si les pouvoirs publics ne semblent pas prêts à y remédier, les responsables des
différentes disciplines pourraient faire preuve de plus
de prévoyance. Par « responsables des différentes dis-
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ciplines », on doit entendre, outre la société savante, les
représentants des praticiens, libéraux et publics, les
universitaires chargés de la formation. Pour l’anesthésieréanimation, le Collège français des anesthésistesréanimateurs (Cfar) est l’organisation regroupant la
Sfar, les syndicats professionnels et les universitaires,
dans le but d’évaluer la formation. Sfar et Cfar, très liés,
peuvent étudier toutes les solutions avec leurs homologues. Car si l’analyse de l’histoire est importante, c’est
sur l’avenir qu’il faut travailler. Pour cela, il faudra que
les spécialistes non-anesthésistes-réanimateurs définissent préalablement ce qu’ils souhaitent que leurs étudiants de DES sachent faire, leur permettant de réaliser
l’idéal « d’efficacité et d’humanité » des endoscopistes
[5]. Oui, nous souhaitons que nos enfants, comme nos
parents ou nous-mêmes, aient à leur disposition, en cas
de nécessité d’une endoscopie digestive, tout le confort
et la sécurité possibles. Oui, nous sommes conscients
que notre participation peut être déterminante et nous
l’avons prouvé [6, 7]. Oui, nous avons des inquiétudes
sur ce que nous pourrons assumer comme tâches dans
l’avenir. Pour y répondre, nous ne voyons, à côté de
nécessaires améliorations d’organisation [8], que les
voies suivantes :
– augmenter le nombre de DES d’anesthésieréanimation et, pour cela, l’aide des spécialités
demandeuses d’anesthésie est précieuse, incluant la
gastro-entérologie ;
– réduire la demande d’endoscopies nécessitant une
sédation, par la restriction des indications ou par le
développement de techniques moins douloureuses, ce
qui n’est pas de notre compétence ;
– former les DES de spécialités demandeuses de
sédation à réaliser des « sédations légères » en toute
sécurité, ce qui implique, au-delà de la définition d’une
formation théorique et pratique :
• l’acceptation d’un certain taux d’analgésies insuffisantes ;
• l’information des patients et de leur famille sur le
niveau relatif de l’efficacité ;
• l’intériorisation d’un certain nombre de règles
actuellement propres à l’anesthésie-réanimation ;
• une prise de responsabilité pleine et entière.
Nous ne nous voilons pas la face et savons que les
situations sont hétérogènes, et pas seulement entre
établissements publics et privés. Le confort n’est pas
présent partout et les consignes de sécurité ne peuvent
pas toujours être respectées, toutes disciplines confondues, incluant l’anesthésie-réanimation. Il serait intéressant d’utiliser l’expertise de l’HAS pour recenser les
difficultés relevées lors des procédures d’accréditation.
Références
1. Practice guidelines for sedation and analgesia by nonanesthesiologists. A report by the American Society of Anesthesiologists
Task Force on Sedation and Analgesia by Non-Anesthesiologists. Anesthesiology 1996 ; 84 : 459-71.
2. Practice guidelines for sedation and analgesia
anesthesiologists. Anesthesiology 2002 ; 96 : 1004-17.
by
non-
3. Lienhart A, Carli P, Marty J, Pourriat JL. Endoscopie digestive : qui
fera quoi? Ann Fr Anesth Reanim 2002 ; 21 : 343-6.
4. Lienhart A, Auroy Y, Péquignot F, Benhamou D, Warszawski J,
Bovet M, et al. Premiers résultats de l’enquête Sfar-Inserm sur la mortalité
imputable à l’anesthésie en France : réduction par 10 du taux de ces
décès en 20 ans. Bull Acad Natl Med 2004 ; 188 : 1429-41.
5. Mougenot JF, Cezard JP, Faure C, Goulet O, Olives JP. Endoscopie
digestive pédiatrique : quelle sédation? Arch Pediatr 2001 ; 8 : 1302-4.
6. Lienhart A, Auroy Y, Clergue F, Laxenaire MC, Péquignot F, Jougla E.
L’anesthésie en France en 1996. Anesthésies hors chirurgie et obstétrique. Ann Fr Anesth Reanim 1998 ; 17 : 1347-51.
7. Clergue F, Auroy Y, Péquignot F, Jougla E, Lienhart A, Laxenaire MC.
French survey of anesthesia in 1996. Anesthesiology 1999 ; 91 : 150920.
8. Marty J, Groupe OMEGA. Organisation des sites opératoires.
p 203-21 in Conférences d’actualisation. 43e congrès national d’anesthésie et de réanimation, Sfar ed., Paris : Elsevier, 2001.
Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007
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