SÉDATION INTRAVEINEUSE EN CABINET DENTAIRE : PLACE DU MÉDECIN ANESTHÉSISTE-RÉANIMATEUR Marc Gentili (1), Michel Lévy (2), Kamran Samii (3) (1) CMC Saint-Vincent, 35760 Saint Grégoire (2) 1 Boulevard Perreire, 75007 Paris (3) 12200 Villefranche de Rouergue INTRODUCTION La SFAR a été sollicitée par le CNOD (Conseil National de l’Ordre des Dentistes) afin d’étudier la possibilité pour des anesthésistes réanimateurs de réaliser des sédations au cabinet pour des actes dentaires, ce afin de faciliter le travail des praticiens et d’améliorer le vécu des patients. Les dentistes utilisent depuis 3 ans au cabinet le MEOPA sous couvert d’une formation spécifique. Actuellement la SFCO (Société Française de chirurgie orale ex Société Francophone de chirurgie buccale) présente dans ses derniers Congrès des sessions à thème sur le sujet. Ces pratiques en France sont infimes, réalisées le plus souvent par quelques anesthésistes libéraux dans des contextes qui semblent poser question aux ARS. Par ailleurs, la pratique d’une sédation intraveineuse par le dentiste lui-même est quasi inexistante en France. En effet, la réglementation actuelle est très précise et restrictive : le chirurgien dentiste ne peut injecter par voie veineuse après une formation spécifique depuis 2006) que des produits ayant vocation à soigner une affection de la sphère buccale (anti-inflammatoires, antibiotiques par exemple). De plus l’AMM des sédatifs intraveineux ne comporte pas la possibilité d’être réalisée par un chirurgien dentiste. L’anesthésie en cabinet est une pratique pourtant très répandue en Amérique du Nord. Environ 10 % de la chirurgie ambulatoire se fait en dehors d’un hôpital ou d’une clinique, dans des cabinets et ne se limite pas à la dentisterie mais porte également sur la chirurgie plastique et les endoscopies [1-3]. 1. PARTICULARITÉS DE LA DENTISTERIE Le problème auquel sont confrontés les dentistes en dehors des enfants et des patients lourdement handicapés est celui de la phobie des soins dentaires (« dental phobia ») sur la quelle il existe une importante littérature et qui concerne environ 4 % de la population [4] .Dans les formes sévères certains patients ne se 276 MAPAR 2014 soignent pas avec toutes les conséquences sanitaires secondaires. L’anesthésie n’est pas la seule réponse à cette phobie et il y a des outils psychologiques pour la combattre. En tout cas c’est un vrai sujet de santé publique ety contribuer pourrait renforcer l’impact de notre spécialité. La sédation est aussi utile chez certains patients ayant simplement une difficulté à rester calme durant une période longue comme cela est nécessaire pour la pose des implants. Enfin, il peut naturellement s’agir d’extractions dentaires. 2. SÉDATION INTRAVEINEUSE AVEC BENZODIAZÉPINES OU PROPOFOL [5-8] La sédation consciente suppose que le patient garde un certain degré de conscience tout au long de l’intervention, elle est donc à distinguer de l’anesthésie générale (AG). Elle est pratiquée dans de nombreux pays anglo-saxons par les dentistes eux-mêmes et une abondante littérature la conforte démontrant en particulier que le midazolam par voie intraveineuse fournirait une technique de sédation sûre, approprié lorsqu’il est administré par un personnel qualifié sur des patients sélectionnés avec soin et conformément aux protocoles et directives convenues au niveau national. Les complications seraient rares (3 %) et principalement de nature mineure [5]. Il est clair que l’anesthésie locale assurant l’analgésie, la sédation ne repose que sur des produits anxiolytiques et sédatifs, sans que des morphiniques ne soient en principe nécessaires. Mais il a été démontré que ce type de sédation légère comporte un risque constant d’approfondissement inopiné et exige donc une compétence sans faille [6]. Ces approfondissements inopinées sont sources surtout de dépressions respiratoires aiguës et sont donc potentiellement graves si elles ne sont pas reconnues à temps et traitées immédiatement par un professionnel compétent. Par ailleurs les médicaments concernés (midazolam, propofol) étant réservés à l’usage hospitalier, les cabinets dentaires ne pas pourront se les procurer directement auprès des laboratoires pharmaceutiques qui ne sont autorisés à distribuer ces produits qu’à des établissements hospitaliers disposant : •Soit d’une PUI (pharmacie à usage intérieure) •Soit en l’absence de PUI : la structure peut passer une convention visée par la DRASS avec un pharmacien de ville ou un médecin coordinateur. Actuellement en Amérique du Nord lorsque c’est un anesthésiste qui pratique l’anesthésie en cabinet pour la chirurgie buccale, il fait le plus souvent une anesthésie générale avec intubation. Concernant le monitorage de ces sédations, il suppose une surveillance per et postopératoire identique à celle nécessaire pour une vraie anesthésie générale car nous l’avons vu, une sédation légère peut à tout moment devenir de façon inopinée profonde. C’est d’ailleurs pour cette raison que les sociétés savantes Nord Américaines imposent pour ces techniques de sédation le monitorage conjoint de l’oxymétrie et de la capnographie (10,11,) 11) : cette dernière apparaissant plus précoce dans la détection des épisodes de dépression respiratoire. Session professionnelle 277 2. RECOMMANDATIONS HAS ET DÉCRET DE 1994 Pour établir un projet de recommandation ad hoc sur ce sujet il est possible de partir des recommandations de l’HAS sur l’environnement technique nécessaire pour les actes interventionnels [12]. L’HAS distingue 3 niveaux d’environnement. Dans ce texte une « sédation » dentaire correspondrait à l’environnement 2 (page 46). Avec un niveau d’équipement supérieur pour faire face à une prise en charge plus importante et complexe que le niveau 1, notamment la gestion d’une réanimation. Il doit disposer d’une salle de surveillance après l’intervention, d’un système continu d’administration de l’oxygène. La pharmacie est complétée par des médicaments pour traiter l’hyperthermie maligne, les troubles du rythme, les OAP, etc… Le personnel est renforcé, tant sur le plan du nombre que des compétences avec la présence d’un assistant dédié à la surveillance des patients « sédatés ». Les critères discriminants d’orientation vers ce niveau sont : •Anesthésie : locale avec tumescence, sédation + anesthésie locale, sédation + analgésie. •Actes : mineurs ou majeurs. •Patients : ASA 1, 2, 3, ± 4, accompagnement du patient. Il y est recommandé la présence de quelqu’un de « formé aux gestes de réanimation » et qui n’opère pas. Le risque serait à notre avis de laisser cette activité à des personnes « formés aux gestes d’urgence » et de ne pas exiger de médecin anesthésiste-réanimateur. Ce texte de l’HAS peut permettre de verrouiller l’implication de la spécialité et valider l’environnement nécessaire (monitorage, SSPI, tenue de documents d’anesthésie, etc..). Il faut aussi recommander l’application stricto sensu du décret de 1994 (avec en particulier une consultation à distance et une SSPI). La solution en centre d’ambulatoire est certainement la meilleure solution si le pourcentage d’actes sous anesthésie est important. Si en revanche, il s’agit de sédation IV seule et si les praticiens n’ont besoin que de façon rare d’anesthésie, les dentistes préféreront à juste titre être dans leurs locaux et leur équipement habituel, assisté d’un médecin anesthésiste. Une SSPI doit y être prévue avec nécessité pour l’anesthésiste de la surveiller (en n’enchaînant pas les patients) ou de la faire surveiller par une IDE.La structure pourrait être accréditée par une commission paritaire anesthésises-dentistes sous l’égide des ARS. Il faut donc envisager pour ces cabinets dentaires un médecin coordinateur et l’agrément de l’ARS qui paraissent indispensables. La structure pourrait être accréditée par une commission paritaire anesthésistes-dentistes sous l’égide des ARS. Une évaluation sous la forme soit d’un observatoire (continu) soit des audits réguliers des résultats (activité) et complications (menés conjointement par la SFAR et la SFCO) serait nécessaire. Un CRU (comité des usagers) est aussi à recommander comme pour les IACE. 3. IMPACT ÉCONOMIQUE Une telle stratégie aurait un impact économique certain et à un double niveau : •Par l’aspect préventif sur des complications plus sévères et couteuses à distance chez les patients évitant les soins mais ceci est difficile à quantifier. 278 MAPAR 2014 •Surtout par la diminution des séjours mêmes ambulatoires en établissement lorsque sécurité et organisation optimale peuvent se faire en cabinet dentaire. CONCLUSION Lier automatiquement l’anesthésie à un établissement hospitalier est dans notre culture un concept bien ancré, aboutissant à une réaction de méfiance lorsque l’on parle d’anesthésie en cabinet. Pourtant il paraît possible de les dissocier sans pour autant perdre en termes de sécurité. Prendre en charge ce sujet et le travailler est probablement la meilleure stratégie pour notre spécialité. Remerciements: les auteurs remercient le Dr M Kurrek de Toronto (Canada) pour les précieuses informations qu’il leur a donné sur cette pratique en Amérique du Nord RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Kurrek MM, Twersky RS. Office based anesthesia: how to start an office-based practice. Anesthesiology Clin 2010;28:353-367. [2] Twersky RS. Office based anesthesia: success and challenges ASA refresher courses 2011; 428:1-9. [3] Kurrek MM, Dain SL, Twersky RS Chung F. Teaching residents out of hospital anesthesia- what are we waiting for? Can J Anesthesia (sous presse). [4] Oosterink FM, de Jongh A, Hoogstraten J. Prevalence of dental fear and phobia relative to other fear and phobia subtypes. Eur J Oral Sci. 2009;117:135-43. [5] Wilson KE, Thorpe RJ, McCabe JF, Girdler NM. Complications associated with intravenous midazolam sedation in anxious dental patients. 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