pour assurer son bon fonctionnement.
Nous avons vu que la gouvernance réflexive est un moyen prometteur d’engager
une transition effective. Elle permet de réunir les acteurs concernés, de faire
émerger une conscience et une définition commune des problèmes que nous
rencontrons, pour produire ensuite des solutions innovantes de manière
collaborative. Néanmoins, soumise aux excès du Marché, la gouvernance réflexive
sera forcément bridée dans son impact. Seul l’Etat peut offrir à la gouvernance
réflexive le terreau protégé dont elle a besoin pour faire jaillir progressivement les
pousses fragiles du changement. L’Etat doit défendre l’existence d’un écosystème
de niches d’innovations qui soient à l’abri des forces du Marché pour leur
permettre d’éclore. Ces niches éclosent déjà : écoconstruction, agroforesterie,
économie de service, ateliers de réparation, deuxième main, mobilité douce, etc.
Mais elles restent toutes menacées par les forces du Marché car elles
internalisent à leur frais des coûts externes que le Marché n’internalise pas
encore. Elles paraissent donc peu rentables, peu efficaces et peu solides. [9]
D’où selon moi une condition essentielle pour que la transition ait lieu grâce à
l’Etat, au Marché et à la gouvernance réflexive : l’internalisation des coûts
environnementaux externes dans le système de prix du marché, contrainte par la
force de l’Etat. Afin de répondre immédiatement aux critiques possibles, je ne
prône évidemment pas un communisme stalinien ni encore moins un totalitarisme
vert (que ce même Jacques Attali pointe avec raison comme un risque majeur pour
le XXIème siècle). Mais franchement, je ne vois pas comment échapper à
l’intervention de la force légitime de l’Etat dans la situation où nous nous
trouvons. Cette absence d’internalisation des coûts externes est le principal
obstacle que je constate dans tous les projets de transition que j’ai mené ou suivi
jusqu’aujourd’hui. Toute intervention publique qui reste cantonnée à la
sensibilisation et à l’incitation, et n’active pas les leviers de la loi et de la fiscalité,
repose sur le volontarisme des acteurs économiques, et n’aboutit le plus souvent
qu’à de gentilles et charitables réalisations (qui souvent servent de
green washing
confortable et allègent la conscience des mêmes acteurs économiques).
Prenons la gestion des déchets à Bruxelles, où les déchets de construction
représentent 650 000 tonnes annuelles. Si l’on veut que les entrepreneurs en
construction travaillent de manière durable, il faut qu’ils éco-conçoivent leurs
bâtiments, et pas seulement du point de vue de la consommation, mais aussi du
point de vue des matières et de la construction. Il faut qu’ils rénovent plutôt que
construisent, il faut qu’ils démontent plutôt qu’abattent, il faut qu’ils construisent
en réutilisant plutôt qu’en consommant de nouvelles matières.
Si je m’inspire de la triade nolletienne, on peut les sensibiliser. Ça se fait. On peut
inciter : ça ne se fait pas encore au niveau des matériaux de construction, pas de
prime ni de pénalité financière. On peut légiférer et rendre obligatoires certains
standards de construction : ça se fait pour la consommation énergétique des
bâtiments, pas encore pour la construction et la démolition.
Au niveau de la mise en capacité, on peut faire de la recherche, ça se fait. On peut
faire de la formation, ça se fait mais trop peu.
Et il manque toujours un financement suffisant pour saisir les bénéfices
marginaux énormes de la transition du bâtiment vers la durabilité. Une banque
européenne de la construction et de la rénovation durable qui octroie des prêts à
taux zéro à tous les citoyens et acteurs publics d’Europe, si nécessaire via les
acteurs financiers locaux.
Mais il faudra, au niveau européen pour être efficace, interdire ou taxer
significativement les matériaux, techniques et pratiques non durables, et rendre
obligatoire ou subsidier significativement les matériaux, techniques et pratiques
durables. Sinon, on restera toujours dépendant de la bonne volonté de certains
entrepreneurs environnementalistes et de leurs clients. Et les initiatives de
niches, resteront dans leur niche.
Sauf quand nous serons arrivés à la contrainte biophysique, le Marché
n’internalisera pas les coûts externes de lui-même. Et avec les seuils
d’irréversibilité bien connus dans le système biophysique, il sera trop tard. Le seul
mécanisme qui sembler provoquer un début d’internalisation sans action de l’Etat,
c’est celui de l’assurance, via les grands réassureurs internationaux qui
connaissent et tarifient le risque, y compris environnemental. Mais ça ne donne
pas encore de signal suffisant face au risque du long terme.
SI LE MARCHÉ NE DONNE PAS LE BON SIGNAL, L’ETAT DOIT DONNER CE