L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 73–82
QUESTION OUVERTE
La famille de patient schizophrène serait-elle
devenue une ressource inépuisable ?
Hélène Davtian 1, Régine Scelles 2
RÉSUMÉ
La famille de patient schizophrène serait-elle devenue une ressource inépuisable ? Un des effets majeurs du mouvement
de désinstitutionalisation des soins psychiatriques est l’implication de la famille et le retour du patient dans la maison
familiale. De ce fait, le regard porté sur les familles a considérablement changé. Cet article pointe les conséquences de
ces choix sur la qualité de soin au patient et sur les retentissements dans la vie de chacun des membres de l’entourage. En
mettant en perspective le statut de l’aidant familial en psychiatrie, les auteurs abordent la complexité de la réalité familiale
et invitent à repenser les conditions d’une co-existence avec une personne souffrant de schizophrénie.
Mots clés : aidant, famille, vécu, schizophrénie, politique de santé
ABSTRACT
Has the family of schizophrenic patients become an inexhaustible resource? Has the family of schizophrenic patients
become an inexhaustible resource? One of the major effects of the the deinstitutionalisation movement of psychiatric care
is family involvement and the patient’s return home. Therefore, the perspective on families has changed considerably. This
article underlines the consequences of these choices on the quality of patient care and the repercussions in the lives of each
member of the family. Putting into perspective the status of the caregiver in psychiatry, the authors discuss the complexity
of reality and suggest to rethink the conditions of coexistence for a person with schizophrenia.
Key words: caregiver, family, living, schizophrenia, health policy
RESUMEN
¿ Se habrá convertido la familia del paciente en un recurso inagotable ? Es uno de los efectos mayúsculos del
movimiento de desinstitucionalización de la atención psiquiátrica la implicación de la familia y el retorno del paciente
en la casa paterna. Por ende, mucho ha cambiado el enfoque con que se mira a las familias. Este artículo se˜
nala las
consecuencias de estas opciones sobre la calidad de la atención al paciente y sobre las repercusiones en la vida de cada
uno de los miembros del entorno. Al poner en perspectiva el estatuto del auxiliar familiar en psiquiatría, los autores
abordan la complejidad de la realidad familiar y proponer repensar las condiciones de una convivencia con una persona
con esquizofrenia.
Palabras claves : auxiliar, familia, vivencia, esquizofrenia, política sanitaria
1Psychologue, doctorante université de Rouen, France
2Professeur de psychopathologie, université de Rouen, Rouen, France
Tirés à part : H. Davtian
L’arrivée des neuroleptiques dans les années 1950 a
considérablement modifié les modes de traitement en
psychiatrie permettant le grand mouvement de désinstitu-
tionalisation des patients psychiatriques. Selon les chiffres
cités lors de la conférence de consensus belge sur le trai-
tement de la schizophrénie de 1998, la prise en charge
institutionnelle est passée d’une moyenne de 300 jours par
patient et par an à une moyenne de moins de 30 jours. Ainsi,
doi:10.1684/ipe.2013.1011
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N1 - JANVIER 2013 73
Pour citer cet article : Davtian H, Scelles R. La famille de patient schizophrène serait-elle devenue une ressource inépuisable ? L’Information psychiatrique 2013 ; 89 :
73-82 doi:10.1684/ipe.2013.1011
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H. Davtian, R. Scelles
d’une prise en charge hospitalo-centrée, la politique de sec-
torisation a favorisé un décloisonnement des soins et une
ouverture vers la cité.
L’implication des familles est un des effets majeurs de
ce mouvement et bien que les choix thérapeutiques, et en
premier lieu celui de désinstitutionnaliser les soins, aient
une incidence très importante sur l’entourage familial des
patients, la dimension familiale reste peu prise en compte
dans la littérature psychiatrique.
Le glissement des soins de l’hôpital vers le domicile du
patient dépasse bien sûr largement le champ de la psychia-
trie et il s’inscrit dans des enjeux sociétaux plus larges posés
par le vieillissement de la population et par la chronicisation
au long cours de maladies dont autrefois on mourait rapi-
dement. Le recours à l’aidant familial est ainsi devenu une
pratique banale dans de nombreuses pathologies (diabète,
cancer, Alzheimer...).
Dans cet article, après avoir rappelé l’évolution des dis-
positifs concernant les soins aux adultes atteints de maladie
mentale, nous montrons la nécessité de mener des travaux
pour mieux saisir l’impact des soins à domicile. Il s’agit
en effet de dégager des pistes favorisant la prise en compte
de l’ensemble des membres de la famille et pas seulement
ceux qui sont désignés comme « aidant naturel ».
Si le mouvement de désinstitutionalisation s’origine
dans une vision soignante et citoyenne, cette dernière
décennie ce sont surtout des objectifs gestionnaires qui
ont déterminé les options de soins. Ainsi, on est passé,
depuis les années 1950, d’une prise en charge complète
et continue à l’hôpital, lieu unique assurant non seulement
les soins mais aussi le toit, le gîte et le couvert à une prise
en charge discontinue de plus en plus limitée au traitement
des symptômes dans leur manifestations aiguës.
De ce fait, un glissement a été opéré d’une institution
soignante qui coûte cher (l’hôpital) à une « institution
qui ne coûte pas cher » (la famille), d’une assistance
reposant sur la solidarité nationale au soutien appuyé
à la solidarité familiale. Cela, au moment même où
la famille vit des modifications fondamentales dans sa
composition et son évolution (diminution de la taille des
fratries, augmentation des divorces et des familles mono-
parentales ou recomposées, augmentation du travail des
femmes...).
Les psychiatres P. Bantman et N. Parage [5] évoquent
trois critères à l’origine du nouveau statut de la famille « par-
tenaire incontournable » : l’évolution des pratiques de soin,
« les difficultés contingentes du contexte économique en
psychiatrie publique et la fermeture de lits d’hospitalisation
sans ouverture de structures alternatives ».
Dans ce contexte, à partir d’une pratique de recherche et
d’une pratique clinique, cet article pointe les conséquences
de ces choix sur la qualité de soin au patient et sur la vie
de chacun de ses proches. Il montre la nécessité absolue
pour le patient et pour tous les membres de la famille que
les impacts du soin à domicile dans ses multiples facettes
soient mieux connus afin de prévenir des souffrances et de
créer les meilleures conditions possibles du vivre ensemble
en famille.
Évolution de la place de la famille
dans le soin psychique
Comme le constate le sociologue Normand Carpentier
[7], « à mesure que s’intensifie le mouvement de désinsti-
tutionalisation, les décideurs et les politiciens considèrent
la famille comme source privilégiée de soutien émotionnel
et social ainsi que comme place de choix pour relocaliser
le patient psychiatrique. On découvre alors les vertus des
“soins informels” ; l’environnement professionnel s’appuie
de plus en plus sur la famille pour, principalement fournir le
soutien matériel et, potentiellement, des soins à long terme
aux personnes souffrant de troubles psychiatriques ». La
famille autrefois perc¸ue comme cause des problèmes est
devenue une « solution pour maintenir la personne dans
son milieu ».
En quelque 40 ans, la manière de penser la famille en
psychiatrie a considérablement évolué à travers trois grands
courants :
la famille rend malade l’un de ses membres ;
c’est le groupe, dans son ensemble, qui est malade ;
la famille est à la fois le problème et la solution au pro-
blème [2].
Les recherches sur les familles en psychiatrie témoignent
de ce glissement de la prise en charge vers les familles.
Elles ont porté sur deux axes principaux : l’évaluation
de la charge des aidants (family burden [FB]) [17] et le
niveau d’émotionnalité au sein de la famille (expressed
emotion [EE]) [18]. Ces études, notamment en Amérique
du Nord, ont permis de repérer les conditions pour renfor-
cer la collaboration des familles mais non de questionner
le principe de cette collaboration. De nombreux pro-
grammes de formation de type psycho-éducatifs découlent
de ces mouvements de recherche entérinant le fait que
la famille a un rôle à jouer dans la prise en charge du
patient.
De fait, la famille aujourd’hui est davantage pensée
comme une ressource que comme une entrave à la gué-
rison. La question n’est pas de décider quelle est la vision
la plus juste mais de montrer que le passage d’une idéologie
à une autre doit absolument s’accompagner d’une réflexion
clinique et théorique sur l’impact de cette idéologie sur le
quotidien et le bien-être des familles et des malades.
Par ailleurs, le nombre important de patients qui se
trouvent aujourd’hui dans les prisons ou qui sont à domi-
cile, montre que si une famille n’assure pas l’accueil de
son proche, la société ne le fait pas non plus. Dans ce sens,
G. Baillon et P. Chaltiel [4] dans leur constat de l’état de la
psychiatrie en France, dénoncent les effets d’une « psychia-
trie dissociée », tiraillée notamment entre une psychiatrie du
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La famille de patient schizophrène serait-elle devenue une ressource inépuisable ?
« corps » et une psychiatrie de l’esprit et qui de ce fait laisse
de côté « les cas les plus lourds, les plus sociopathiques et
les plus inclassables ». Leur constat entre en résonnance
avec celui des associations où les familles évoquent sou-
vent des pressions à la sortie des hospitalisations du type
« si vous ne le reprenez pas, il sera à la rue ».
Le fait que le curseur se soit déplacé d’une désignation
de la famille comme pathogène à une désignation familiale
aidante voire experte, impose sans nul doute de mener des
travaux visant à objectiver, à évaluer, à saisir la manière
dont la famille vit ce rôle qui lui est ainsi proposé, voire
parfois imposé.
Orientation actuelle des politiques de soin
Ce changement de représentation des familles et de ce
que l’on peut attendre d’elles se retrouve dans les orienta-
tions politiques concernant la psychiatrie.
À titre d’exemple, le prix de l’innovation clinique
2011 au Québec a été remis au projet du traitement inten-
sif bref a domicile (TIBD)1. L’argument avancé est que
le TIBD permet de mettre un frein à l’engorgement des
urgences psychiatriques et au syndrome de porte tournante,
il aurait ainsi permis de prévenir 58 hospitalisations et d’en
écourter 26 sur une année.
La promotion de ce type d’approche correspond à
une politique centrée sur la gestion des flux qui privilé-
gie comme critère d’évaluation celui de l’économie du
temps d’hospitalisation. La question des retentissements sur
l’entourage n’est pas prise en compte car ce type d’approche
suppose de considérer l’entourage comme suffisamment
solide et aidant pour permettre les soins à domicile. Les
coûts induits tant sur le plan de la santé (traitements médi-
camenteux, arrêt maladie, addiction...) que sur le plan
social (arrêt du travail pour s’occuper du malade, séparation
ou rupture familiale, isolement social, désinvestissement
personnel...) ne sont pas évoqués.
En France, le Plan psychiatrie et santé mentale de 2011 à
2015 procède des mêmes orientations et pose l’entourage
du malade en position d’aidant familial:«Ceplan est
l’occasion de rappeler que l’entourage est une ressource
essentielle dans l’évaluation de la situation de la personne
et un relais potentiel dans l’accompagnement et le rétablis-
sement ». Le rôle de l’aidant va « bien au-delà d’un soutien
moral, il est présent pour aider la personne à soigner et
gérer sa maladie notamment pour anticiper et traverser les
moments de crise. » Ce plan institue donc la famille dans un
rôle et une fonction d’aidant, voire même de prolongement
ou de substitut du soignant.
1Il faut noter cependant que le contexte au Québec est très différent de
celui de la France puisque le mouvement de dé-institutionnalisation a été
accompagné d’un rapprochement du sanitaire et du social à tous les niveaux
de décisions, du développement de services dédiés à l’accompagnement
des familles des patients et en particulier de l’entourage jeune et d’une
sensibilisation des médias et du grand public.
Cependant, cette notion d’aidant reste extrêmement
floue et peut conduire à différentes interprétations du texte,
ainsi quand le Plan stipule que « ces tiers doivent être infor-
més et soutenus à la mesure de l’importance de leur rôle »,
on peut comprendre que le soutien à la famille sera accordé
en proportion de l’aide qu’elle fournit : autrement dit l’aide
de l’État ne serait pas liée à la situation qu’elles vivent au
titre de l’assistance, mais elle serait envisagée en propor-
tion des capacités de la famille à agir et à assumer un rôle
social.
Dans les charges dévolues à l’aidant, une étape supplé-
mentaire a été franchie avec la possibilité de soins sans
consentement à domicile prévus en France depuis la loi du
5/07/2011. Certes ce projet reposait sur l’idée d’assurer la
continuité des soins à longue durée et de donner un cadre
juridique à la pratique courante des sorties à l’essai pro-
longées, toutefois, force est de constater qu’il conduit les
familles à assumer une mission de plus en plus lourde. Il
est évident en effet que le fait d’héberger sous son toit
une personne supposée dangereuse pour elle-même ou pour
autrui engage l’hébergeur. Cette nouvelle disposition induit
donc pour l’aidant familial une mission de surveillance du
proche, voire de garant de l’ordre public. Il lui incombera de
s’assurer qu’un malade potentiellement dangereux ne sort
pas du domicile sans accompagnement, éventuellement de
surveiller ses allers et venues, de faire face aux plaintes
et aux inquiétudes du voisinage, de veiller à l’observance
du traitement, d’alerter en cas d’aggravation. Pour mener
à bien cette mission, bien souvent l’emploi du temps de
l’un ou l’autre membre de la famille devra être modifié :
l’amour parental, filial, fraternel devant pouvoir permettre
de se passer des soins donnés par des professionnels et des
dispositifs spécialisés.
Ainsi, la fonction de « veilleur au quotidien », évo-
quée dans le plan précédemment cité, pose comme une
évidence que la place de l’entourage est au côté de la per-
sonne malade, dans un accompagnement quotidien au long
cours. Rappelons qu’à une époque pas si lointaine évoquée
plus haut, la séparation d’avec un environnement fami-
lial considéré comme potentiellement pathogène était une
condition pour envisager les soins. Cette nécessaire distance
semble avoir été oubliée dans la systématisation du recours
à l’aidant dit « naturel2» (Charte européenne de l’aidant
familial [COFACE], 2009, Bruxelles).
De plus, au-delà de l’accroissement de la charge des
familles, le fait d’introduire des soins sans consentement à
domicile impose une pression à tous les membres du groupe
2« Les aidants dit naturels ou informels sont des personnes non profes-
sionnelles qui viennent en aide à titre principal, pour partie ou totalement,
à une personne dépendante de son entourage pour les activités de la vie
quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de fac¸on perma-
nente ou non et peut prendre plusieurs formes, notamment le nursing, les
soins, l’accompagnement à la vie sociale et au maintien de l’autonomie,
les démarches administratives, la coordination, la vigilance permanente,
le soutien psychologique, la communication... ».
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H. Davtian, R. Scelles
familial : le patient mais aussi ses proches ayant à subir une
contrainte. Les effets de l’introduction de la contrainte dans
la sphère familiale sur les échanges relationnels et le climat
de la maison ne sont pas abordés. Or, comme il a souvent
été décrit à propos des tuteurs ou des curateurs, le proche
qui aide et protège, peut devenir pour le malade celui qui
entrave, abuse d’un pouvoir qui ne lui paraît pas légitime
[14].
Aidant familial en psychiatrie :
une mission à risque ?
L’étude Trajectoire brisées, familles captives menée par
Martine Bungener [6] permet de se représenter plus concrè-
tement la nature de l’aide apportée par les familles. Celle-ci
se décline dans une multitude de domaines : aide à la vie
quotidienne, c’est-à-dire aux fonctions de base que sont
l’alimentation, l’hygiène individuelle et du lieu de vie, les
achats et les déplacements, mais aussi l’aide à la gestion
des actes administratifs, la surveillance du suivi médical
et médicamenteux et bien souvent une aide financière en
complément des allocations perc¸ues.
Déjà en 1995, l’étude montrait que six malades sur dix
vivaient essentiellement avec leur famille. On peut estimer
que ce chiffre est en dec¸à de la réalité aujourd’hui compte
tenu de la poursuite de la réduction des lits sur cette période
et de l’augmentation de la difficulté à trouver un logement.
Dans une grande majorité des cas, le domicile du patient se
trouve être sa maison familiale et renvoyer un patient vers
son domicile à la sortie d’une hospitalisation consiste géné-
ralement à le renvoyer vers sa famille. Comme le remarque
Yolanda Sabetta [13] en conclusion d’une étude menée au
Québec sur le vécu et les besoins des familles en psychia-
trie : « Ces changements ont aussi affecté l’environnement
familial des patients sans que personne n’ait prévu les pro-
blèmes que cela poserait aux parents, aux frères ou aux
sœurs, aux conjoints ou aux enfants des malades. Très sou-
vent la famille s’est trouvée dans la situation de devoir
prendre soin sans répit d’un malade 24 heures sur 24 et
sans savoir comment agir avec lui ».
Actuellement, les choix thérapeutiques en psychiatrie
reposent sur une approche à dominante biologique et éco-
nomique des pathologies mentales avec la volonté (dans un
souci juste de déstigmatisation) de considérer la maladie
mentale à l’instar d’une maladie « comme une autre ». Dès
lors, il deviendrait possible de « dissoudre » la psychiatrie
dans la médecine générale et les infirmiers psychiatriques
n’auraient pas besoin de formation spécifique.
Dans cette logique, la maladie mentale devient une mala-
die comme une autre et la famille de malade est une famille
comme une autre, sans besoin ni difficulté particulière. Le
recours à l’aidant familial peut alors être banalisé, en psy-
chiatrie comme dans les autres maladies au long cours,
sans prise en compte de la spécificité que représente la
vie quotidienne avec une personne souffrant de troubles
psychotiques. Cette conception qui met de côté les connais-
sances acquises par la clinique évacue la question des
retentissements des troubles psychotiques sur l’entourage.
Or les cliniciens savent que vivre en famille avec un
patient psychotique soulève des conflits intrapsychiques et
intersubjectifs qu’il convient de ne pas ignorer. Par ailleurs,
ils savent aussi, que si l’aidant principal est la personne qui
a le plus de contact avec l’équipe de soignants, ce n’est pas
forcément lui qui souffre le plus de la situation au quotidien.
Si la femme peut parler des crises de son mari, que peut
dire l’enfant de ce qu’il ressent quand son père délire ? Si
les parents sont les interlocuteurs privilégiés de l’équipe
soignante, qui prend en compte les autres personnes vivant
sous le même toit et en particulier les jeunes frères et sœurs ?
[8].
Une des caractéristiques de la pathologie mentale est
qu’elle dure, et que le malade, selon les époques, peut avoir
des crises plus ou moins longues, plus ou moins violentes
et déstabilisantes pour l’entourage. Selon le lien de parenté
avec la personne malade et l’âge de celui qui est témoin de
ces crises, le vécu de chacun des proches sera différent.
L’impact sur l’entourage jeune du patient :
les enfants de la famille
Dans les textes qui régissent la psychiatrie, la famille du
patient est vue comme un tout monolithique et indifférencié
où la question des places, des générations et des âges est
occultée du moment que l’un des membres de l’entourage
assume un rôle actif.
Les jeunes membres de l’entourage, enfants ou adoles-
cents, dans un lien fraternel ou de filiation avec le patient
font l’objet de peu d’attention et de peu de travaux.
Pourtant, bien que peu abordée, l’implication de
l’entourage jeune est une conséquence majeure et évidente
de la dé-institutionnalisation et du basculement de la prise
en charge vers la maison familiale. L’entourage jeune des
patients (frères et sœurs et enfants) est présent, témoin
silencieux de l’expression de la psychose, témoin souvent
délaissé par des adultes happés dans leur rôle d’aidant,
témoin non reconnu parce que jugé incapable de tenir un
rôle attendu.
L’enjeu pour les jeunes proches de malades est de faire
face au quotidien aux mouvements d’identification projec-
tive du patient. Mais, à la différence des adultes en position
d’aidant familial reconnu, ils n’ont pour se protéger ni la
barrière générationnelle, ni la connaissance ou les capaci-
tés de rationalisation de l’adulte, ils cumulent donc face
aux troubles une double vulnérabilité : vulnérabilité liée à
leur dépendance par rapport à celui qui est malade et vulné-
rabilité liée à leur immaturité. Les projections d’angoisse
de leur proche et les idées délirantes dont ils sont parfois
la cible viennent se percuter sur les questionnements que,
comme tout enfant ou adolescent, ils se posent au sujet de
leur identité et de leur devenir.
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La famille de patient schizophrène serait-elle devenue une ressource inépuisable ?
Un travail mené pendant dix ans à l’Union nationale des
amis et familles de malades psychiques (Unafam) auprès de
l’entourage de patients schizophrènes a permis d’acquérir
une connaissance de ce que vivent plus précisément les
frères et sœurs des patients. Dans ce contexte, une enquête
[9] menée auprès de 600 frères et sœurs de patients schizo-
phrènes a permis de mettre en évidence les retentissements
des troubles :
54 % des frères et sœurs estiment que la maladie de leur
proche a des répercussions sur leur santé, ce chiffre atteint
61 % pour le groupe des frères et sœurs de dix à 21 ans ;
45 % éprouvent un sentiment de danger, et ce sentiment
perdure tout au long de la vie avec une moyenne de 43 %
quel que soit l’âge des frères et sœurs ayant répondu à
l’enquête (de 10 ans à 79 ans).
Dans ce contexte, la proposition faite à l’entourage jeune
du malade est d’aller consulter pour eux-mêmes un médecin
identique de celui que voit leur proche malade, parfois dans
le même type de lieu (centre médico-psychologique). Cette
injonction, alors qu’ils tentent de trier dans le nœud rela-
tionnel et de mieux délimiter ce qui appartient à leur proche
et ce qui leur est propre, est souvent entendue comme une
absence de prise en compte de ce qu’ils vivent ou comme
la confirmation qu’ils sont eux-mêmes malades.
Le danger est alors de passer d’une absence de prise en
compte à une systématisation du suivi de l’entourage jeune.
On peut aussi craindre pour eux un mouvement de balancier
qui les ferait passer d’emblée d’une position invisible à celle
de population « à risque » à surveiller, à classer et à éva-
luer. C’est ce que fait peser sur eux une approche purement
organiciste des troubles, un laboratoire pharmaceutique a
d’ailleurs déjà proposé des traitements neuroleptiques pré-
ventifs aux apparentés du premier degré.
Position des associations de familles
Certaines associations familiales (Unafam en France)
ont vu dans ce statut d’aidant familial une forme de recon-
naissance du travail que les familles accomplissaient depuis
des années auprès de leur proche. Au-delà de cette recon-
naissance, il y a aussi peut-être une forme de revanche sur
le regard critique longtemps porté sur elles et qui parfois
perdure encore. Au Québec en revanche, la Fédération des
familles et amis de la personne atteinte de maladie men-
tale (Fappamm) est beaucoup plus réservée sur le terme
d’aidant y voyant un piège possible pour les familles et
elle lui préfère celui de « client » en insistant sur le fait
que les familles ont besoin de services d’aide qui leur
soient spécifiquement dédiés. Le mot « d’usager » appliqué
aux membres de l’entourage (expression parfois contestée
par les soignants), devait signifier une reconnaissance des
retentissements des troubles psychotiques sur l’entourage,
signifier que quiconque amené à vivre dans une proximité
quotidienne avec la désorganisation, la confusion, le mor-
cellement psychique devrait pouvoir être aidé soi-même,
car comme le disait P.C Racamier ([11] p. 89), face à une
personne schizophrène, on peut se sentir « effleuré, gagné
puis envahi par un sentiment d’insignifiance. (...)Ilvous
semblera que non seulement vos paroles mais votre pensée,
et enfin toute votre personne sont non seulement dénuées de
sens, mais vidées de signifiance. Il ne reste de vous qu’une
coquille vide ». On ne peut partager le quotidien d’une per-
sonne schizophrène sans être affecté, c’est le sens premier
du mot usager appliqué à l’entourage. Or, paradoxalement,
les associations de familles en France ont beaucoup de
mal à réclamer du soutien et de l’accompagnement pour
les familles elles-mêmes comme si cette demande pourrait
réactiver le regard autrefois porté sur elles. Et, si elles reven-
diquent le terme d’usager appliqué aux familles, c’est avant
tout dans le but de défendre par défaut le droit des patients,
c’est-à-dire quand ceux-ci ne sont pas en mesure de le
faire.
Toutes les associations se rejoignent, notamment en
Europe dans le cadre de la fédération EUFAMI (European
federation of associations of families of people with mental
illness), sur la nécessité d’une reconnaissance du rôle que
les familles tiennent, cependant le risque de cette recon-
naissance est de réduire la famille à une fonction sociale
d’autant que comme nous l’avons vu cette fonction est deve-
nue capitale pour maintenir en équilibre le fonctionnement
de la psychiatrie.
Nécessité d’une réflexion éthique
sur la place des membres de
l’entourage et du patient parmi eux
Tout d’abord, on peut constater que le terme « d’aidant
familial » véhicule un certain flou car il renvoie à n’importe
quel lien de filiation et ne définit pas qui peut être aidant
dans une famille. Or, sur un plan strictement juridique,
tous les membres de la famille n’ont pas le même devoir
d’assistance. Ainsi les membres de la fratrie n’ont aucune
obligation civile à l’égard de leur frère ou sœur malade, ils
ne sont tenus ni de l’entretenir, ni de l’héberger, ni même
de l’assister.
Par ailleurs, le recours systématique à l’aidant familial
peut conduire à une standardisation de l’aidant et à réduire
la famille à une fonction, éliminant de ce fait ce qui fait
l’essence même d’une famille : son histoire, sa configura-
tion, les événements de vie qu’elle traverse, les sujets qui
la composent.
Cette situation oblige à se demander s’il faut considérer
que toutes les familles peuvent être aidantes, si ces compé-
tences peuvent s’acquérir et s’il y a des limites à l’aide que
peut apporter une famille. Par ailleurs, il faudrait savoir
comment le patient peut être acteur et sujet dans ce proces-
sus de choix de l’aidant, et comment s’assurer que l’aidant
qui se propose ou que l’on désigne va effectuer sa mission
sans dommage pour lui et pour l’autre.
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