La famille de patient schizophrène serait-elle devenue une ressource inépuisable ?
« corps » et une psychiatrie de l’esprit et qui de ce fait laisse
de côté « les cas les plus lourds, les plus sociopathiques et
les plus inclassables ». Leur constat entre en résonnance
avec celui des associations où les familles évoquent sou-
vent des pressions à la sortie des hospitalisations du type
« si vous ne le reprenez pas, il sera à la rue ».
Le fait que le curseur se soit déplacé d’une désignation
de la famille comme pathogène à une désignation familiale
aidante voire experte, impose sans nul doute de mener des
travaux visant à objectiver, à évaluer, à saisir la manière
dont la famille vit ce rôle qui lui est ainsi proposé, voire
parfois imposé.
Orientation actuelle des politiques de soin
Ce changement de représentation des familles et de ce
que l’on peut attendre d’elles se retrouve dans les orienta-
tions politiques concernant la psychiatrie.
À titre d’exemple, le prix de l’innovation clinique
2011 au Québec a été remis au projet du traitement inten-
sif bref a domicile (TIBD)1. L’argument avancé est que
le TIBD permet de mettre un frein à l’engorgement des
urgences psychiatriques et au syndrome de porte tournante,
il aurait ainsi permis de prévenir 58 hospitalisations et d’en
écourter 26 sur une année.
La promotion de ce type d’approche correspond à
une politique centrée sur la gestion des flux qui privilé-
gie comme critère d’évaluation celui de l’économie du
temps d’hospitalisation. La question des retentissements sur
l’entourage n’est pas prise en compte car ce type d’approche
suppose de considérer l’entourage comme suffisamment
solide et aidant pour permettre les soins à domicile. Les
coûts induits tant sur le plan de la santé (traitements médi-
camenteux, arrêt maladie, addiction...) que sur le plan
social (arrêt du travail pour s’occuper du malade, séparation
ou rupture familiale, isolement social, désinvestissement
personnel...) ne sont pas évoqués.
En France, le Plan psychiatrie et santé mentale de 2011 à
2015 procède des mêmes orientations et pose l’entourage
du malade en position d’aidant familial:«Ceplan est
l’occasion de rappeler que l’entourage est une ressource
essentielle dans l’évaluation de la situation de la personne
et un relais potentiel dans l’accompagnement et le rétablis-
sement ». Le rôle de l’aidant va « bien au-delà d’un soutien
moral, il est présent pour aider la personne à soigner et
gérer sa maladie notamment pour anticiper et traverser les
moments de crise. » Ce plan institue donc la famille dans un
rôle et une fonction d’aidant, voire même de prolongement
ou de substitut du soignant.
1Il faut noter cependant que le contexte au Québec est très différent de
celui de la France puisque le mouvement de dé-institutionnalisation a été
accompagné d’un rapprochement du sanitaire et du social à tous les niveaux
de décisions, du développement de services dédiés à l’accompagnement
des familles des patients et en particulier de l’entourage jeune et d’une
sensibilisation des médias et du grand public.
Cependant, cette notion d’aidant reste extrêmement
floue et peut conduire à différentes interprétations du texte,
ainsi quand le Plan stipule que « ces tiers doivent être infor-
més et soutenus à la mesure de l’importance de leur rôle »,
on peut comprendre que le soutien à la famille sera accordé
en proportion de l’aide qu’elle fournit : autrement dit l’aide
de l’État ne serait pas liée à la situation qu’elles vivent au
titre de l’assistance, mais elle serait envisagée en propor-
tion des capacités de la famille à agir et à assumer un rôle
social.
Dans les charges dévolues à l’aidant, une étape supplé-
mentaire a été franchie avec la possibilité de soins sans
consentement à domicile prévus en France depuis la loi du
5/07/2011. Certes ce projet reposait sur l’idée d’assurer la
continuité des soins à longue durée et de donner un cadre
juridique à la pratique courante des sorties à l’essai pro-
longées, toutefois, force est de constater qu’il conduit les
familles à assumer une mission de plus en plus lourde. Il
est évident en effet que le fait d’héberger sous son toit
une personne supposée dangereuse pour elle-même ou pour
autrui engage l’hébergeur. Cette nouvelle disposition induit
donc pour l’aidant familial une mission de surveillance du
proche, voire de garant de l’ordre public. Il lui incombera de
s’assurer qu’un malade potentiellement dangereux ne sort
pas du domicile sans accompagnement, éventuellement de
surveiller ses allers et venues, de faire face aux plaintes
et aux inquiétudes du voisinage, de veiller à l’observance
du traitement, d’alerter en cas d’aggravation. Pour mener
à bien cette mission, bien souvent l’emploi du temps de
l’un ou l’autre membre de la famille devra être modifié :
l’amour parental, filial, fraternel devant pouvoir permettre
de se passer des soins donnés par des professionnels et des
dispositifs spécialisés.
Ainsi, la fonction de « veilleur au quotidien », évo-
quée dans le plan précédemment cité, pose comme une
évidence que la place de l’entourage est au côté de la per-
sonne malade, dans un accompagnement quotidien au long
cours. Rappelons qu’à une époque pas si lointaine évoquée
plus haut, la séparation d’avec un environnement fami-
lial considéré comme potentiellement pathogène était une
condition pour envisager les soins. Cette nécessaire distance
semble avoir été oubliée dans la systématisation du recours
à l’aidant dit « naturel2» (Charte européenne de l’aidant
familial [COFACE], 2009, Bruxelles).
De plus, au-delà de l’accroissement de la charge des
familles, le fait d’introduire des soins sans consentement à
domicile impose une pression à tous les membres du groupe
2« Les aidants dit naturels ou informels sont des personnes non profes-
sionnelles qui viennent en aide à titre principal, pour partie ou totalement,
à une personne dépendante de son entourage pour les activités de la vie
quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de fac¸on perma-
nente ou non et peut prendre plusieurs formes, notamment le nursing, les
soins, l’accompagnement à la vie sociale et au maintien de l’autonomie,
les démarches administratives, la coordination, la vigilance permanente,
le soutien psychologique, la communication... ».
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦1 - JANVIER 2013 75
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