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Une question d’image
«
P
ictet & Cie, partenaire
de l’Ordre des avocats»,
annonce la banque privée dont le logo s’affiche sur la
page web de l’Ordre des avocats
de Genève. Un «sponsoring» qui
n’est pas nouveau, puisque c’est
précédemment UBS qui occupait
la place prise désormais par la
banque privée et soutenait, par
quelques dizaines de milliers de
francs, les activités du Jeune Barreau. A entendre le bâtonnier
François Canonica, la banque
privée n’en retirerait aujourd’hui
qu’une «visibilité publicitaire», en
participant à l’organisation de
conférences, par exemple sur la
nouvelle réglementation fiscale
américaine du Foreign Account
Tax Compliance Act (Fatca), en
invitant dans ses locaux à entendre un exposé de Xavier Oberson sur l’évolution des règles en
matière d’échange d’informations, ou de Me Carlo Lombardini sur la lutte antiblanchiment.
La banque prête aussi ses murs
pour les cours d’anglais juridique
du Jeune Barreau. La présence de
représentants de la Banque Pictet
à l’inauguration, en mai 2013, de
la Maison des avocats, un lieu de
réunion, de travail et de rencontres abritant aussi le secrétariat de l’ordre, ne serait ainsi pas
due à un important soutien financier («Nous sommes locataires et finançons nos activités
par les cotisations», affirme Me
Canonica), comme le redoutait
un avocat genevois sur son blog,
mais à ce simple «rapprochement». La banque n’en retirerait
«que l’espérance que, par gratitude, certains avocats choisissent
d’être ses clients».
«Rapprochement ne signifie
pas perte d’indépendance», asplaidoyer 2/14
sure encore le bâtonnier. Lui fait
écho la publicité pleine page de
Pictet: «Vous êtes indépendants.
Nous sommes indépendants.
Nous sommes faits pour nous
entendre» dans la revue trimestrielle du Jeune Barreau, «Sous
toutes réserves» d’automne
2013. Le bâtonnier ne comprend pas les critiques de son
confrère, qui estime que «l’Ordre
des avocats ne peut pas être
sponsorisé par une entreprise
commerciale et que cet acoquinement est préjudiciable». Cet
esprit chagrin ne partagerait pas
l’avis de «99% des avocats ravis
de cet accord».
A vrai dire, l’Ordre des avocats
de Genève n’est pas seul à
conclure de tels partenariats.
Ainsi, le site internet de l’Ordre
des avocats vaudois (OAV) comprend la mention «avec le soutien de la BCV (Banque Cantonale Vaudoise)». Ce contrat de
partenariat, conclu en 2013, prévoit que la BCV «s’engage à remettre chaque année une subvention raisonnable à l’OAV,
association à but non lucratif qui
accomplit un certain nombre de
tâches d’intérêt public comme,
par exemple, la formation continue des avocats, la formation des
stagiaires, la permanence de
l’avocat de la première heure,
etc.», indique le bâtonnier Christophe Piguet. En contrepartie du
versement de ce montant, la
BCV peut faire un peu de publicité et participe à quelques événements, liés souvent à la formation continue des avocats.
L’OAV se dit très satisfait de ce
partenariat «avec une banque offrant un service universel à tous
les Vaudois et sans couleur politique», qui ne «porte pas atteinte
La revue trimestrielle
d’automne 2013 du Jeune
Barreau accueille la
publicité de la Banque Pictet
évoquant le partenariat qui
l’unit à l’Ordre des avocats
de Genève.
à son indépendance». Aucune
critique n’aurait été reçue à ce
sujet.
«A supposer qu’il y ait là un
conflit d’intérêt, celui-ci ne serait
qu’abstrait et ne tomberait donc
pas sous l’interdiction posée par
l’article 12 lit. c LLCA», commente Me Benoît Chappuis, auteur d’une étude sur les conflits
d’intérêts de l’avocat1. «Ce d’autant qu’en matière de récusation,
le TF a dit que, au sein de grands
groupements, l’appartenance d’un
juge et de l’avocat d’une des parties
au même Lions Club relevait
d’une réalité sociale ne démontrant pas en soi la suspicion de partialité2. Je pense que le problème
est plus une question d’image: estil vraiment dans l’intérêt bien vu
du barreau d’organiser ses conférences dans les locaux d’une
banque privée? Je comprendrais
que des avocats de gauche soient
mal à l’aise de s’y rendre. L’intérêt
de la profession est peut-être d’y
renoncer pour ne pas créer de divisions en son sein.»
Sylvie Fischer
1
CHAPPUIS, Benoît, Les conflits d’intérêts de l’avocat et leurs conséquences à la
lumière des évolutions jurisprudentielle et
législative récentes, in: PICHONNAZ,
Pascal et alii, La pratique contractuelle 3:
Symposium en droit des contrats, Genève, Schulthess, 2012, pp. 69-103.
2
Arrêt du 17 juillet 2013 4A_182/2013,
c. 3.
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