Corrigé du devoir 1 2/2
Question 2. – La multiplicité des lieux et des époques dans les livres X à XII des Métamorphoses a-t-elle
pour rôle de dérouter le lecteur ?
Dans les Métamorphoses Ovide pratique le mélange des genres, il peuple son œuvre d’une foule
de personnages, raconte d’innombrables histoires qui s’inscrivent elles-mêmes dans tous les registres
possibles. Or les époques et les endroits évoqués par le poète n’échappent pas non plus à cette
multiplicité. Celle-ci a-t-elle pour intention de dérouter le lecteur ? Correspond-elle aux attentes d’une
culture et d’un public ? Ou bien obéit-elle à des nécessités de l’œuvre elle-même ?
L’absence d’unité des temps et des lieux est, de fait, flagrante dans les Métamorphoses : les
aventures d’Orphée ou celles de Pélée appartiennent au temps du mythe, alors que le livre XII amène le
poème à la lisière des temps historiques avec les récits liés à la guerre de Troie, mais ce même livre ramène
le lecteur en arrière avec le combat des Lapithes et des Centaures aux noces de Pirithoüs ; les toponymes
sont eux-mêmes innombrables : montagnes comme l’Œta ou le Parnasse, fleuves comme le Pactole, îles
comme Chypre ou Lesbos, villes comme Sparte ou Troie, pays comme la Thrace ou la Phrygie. À cela
s’ajoutent des lieux mythiques comme les Enfers, le palais du Sommeil et celui de la Renommée.
Ce foisonnement de noms géographiques a d’abord des raisons culturelles et historiques : en effet
ils recouvrent le quart nord-est du bassin de la Méditerranée, régions conquises par Rome au IIème et au
Ier siècle avant J.-C. : les Métamorphoses sont donc une appropriation littéraire de terres que les légions
viennent d’investir ; l’œuvre effectue pour le lecteur un parcours didactique de la périphérie du monde
grec. En intégrant les lieux mêmes de la mythologie grecque à la poésie latine, elle contribue au
syncrétisme culturel de « l’empire gréco-romain ». D’autre part, le poète met en forme une tradition orale
issue d’un très grand nombre de lieux différents, car chaque cité grecque, chaque région a ses personnages
mythiques et un corps de récits qui les mettent en scène. Thésée, par exemple, est avant tout le héros
d’Athènes, alors que les histoires de Pygmalion, Myrrha et Adonis sont liées à Chypre. Or c’est à Ovide
qu’on doit l’élaboration de cet ensemble en apparence homogène qu’on appelle la mythologie grecque,
mais sa création garde dans l’abondance des noms propres les traces de l’hétérogénéité géographique de
ses origines.
De plus ces toponymes ont par eux-mêmes une valeur évocatrice qui vient de leur nature elle-
même : la quasi totalité sont grecs ou bien sont venus d’Orient par l’intermédiaire du grec. Leur
phonétisme introduit d’ailleurs dans les vers des sonorités exotiques puisque le latin ignore certains de
leurs phonèmes, comme dans « Cythère » ou « Phrygie ». En outre, beaucoup des lieux nommés par Ovide
ont une valeur symbolique : Chypre, où Vénus est née, et Cythère, que la déesse affectionne, sont des îles
liées à l’amour, la Phrygie et la Troade sont à la limite de l’intertextualité avec Homère, la terre de Saba est
un pays où les Romains ne sont jamais allés. En effet, certains des lieux cités par Ovide sont à la lisière
entre le connu et l’inconnu : on passe très progressivement de l’un à l’autre par des évocations comme
celle du cap Ténare, qui existe bel et bien au sud du Péloponnèse, mais que les Grecs considèrent comme
la porte des Enfers. Car Ovide décrit aussi des lieux qui sont le produit de l’imagination mythologique,
comme les Enfers avec la descente d’Orphée et les royaumes du Sommeil et de la Renommée. À l’inverse
le poète concrétise sa géographie par des évocations de paysages réels dont la charge affective est très
forte pour son lecteur : la mer, tant redoutée des Romains, où périt Céyx, l’univers virgilien des forêts
giboyeuses pour Cyparissus ou Adonis, le soleil sans merci de la Méditerranée et de l’Asie quand les arbres
viennent ombrager Orphée.
Des raisons internes à l’œuvre sont également à évoquer : les époques servent à ordonner l’œuvre,
notamment dans les livres X à XII où Ovide pratique un glissement progressif qui part du temps du
mythe, celui d’Orphée et Apollon, pour arriver à l’aube des temps historiques avec la chute de Troie et le
départ d’Énée qui fondera Albe en Italie, en passant l’intermédiaire du livre XI où apparaissent Pélée, le
père d’Achille, et la mère de celui-ci, Thétis, qui est une néréide. D’autre part, Ovide pratique dans les
Métamorphoses le mélange des genres : il est donc contraint d’évoquer toute sorte de lieux différents pour
assumer ce choix : l’histoire de Myrrha, proche de la tragédie, se déroule dans le palais du roi son père,
mais l’épopée nécessite des lieux liés à l’Iliade, Aulis et Troie. Enfin, le procédé de l’enchâssement, qui fait
que dans une histoire un personnage prend la parole et devient à son tour le narrateur des récits
mythologiques, oblige également le poète à pratiquer des changements de lieux pour que le changement de
narrateur soit plus sensible.
La multiplication des lieux et des temps reflète et exprime donc l’universalité de la métamorphose,
phénomène que bien endroits et bien des pays ont connu.